Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110516

Dossier : T-1727-10

Référence : 2011 CF 555

Ottawa (Ontario), le 16 mai 2011

En présence de monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

 

JOCELYN LORD

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

CONSEIL DES ATIKAMEKW D'OPITCIWAN

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue le 23 septembre 2010 par Me Nicol Tremblay, arbitre, (le tribunal) en vertu du Code canadien du travail, L.R.C., 1985, ch. L-2 (CCT).  Le tribunal a conclu qu’il n’avait pas juridiction pour entendre la plainte déposée par le demandeur.

 

[2]               Pour les raisons élaborées ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Contexte factuel

[3]               Le demandeur a été embauché par le Conseil des Atikamekw d’Opitciwan (défendeur) comme professeur d’anglais à l’école secondaire Mikisiw d’Opitciwan par le biais de contrats écrits.

 

[4]               La durée des contrats s’étendaient sur les périodes suivantes :

a.       Du 18 août 2003 au 14 août 2004;

b.      Du 16 août 2004 au 12 août 2005;

c.       Du 15 août 2005 au 13 août 2006;

d.      Du 14 août 2006 au 10 août 2007;

 

[5]               En 2007, le défendeur a présenté au demandeur un nouveau projet de contrat pour l'année scolaire 2007-2008, mais ce dernier a refusé de le signer. Malgré tout, le demandeur a travaillé pour le défendeur à compter du 13 août 2007.

 

[6]               En décembre 2007, il a subi un accident cardiovasculaire le rendant inapte à reprendre le travail en janvier 2008.

 

[7]               Le défendeur a cessé la rémunération du demandeur à compter du 10 janvier 2008.   Le 17 juin 2008, il lui a fait parvenir un avis de cessation d’emploi prenant effet le 8 août 2008.

 

[8]               Le 8 juillet 2008, le demandeur a déposé une plainte de congédiement injuste conformément à l’article 240(1) du CCT.

 

 

[9]                L’audition de la plainte a eu lieu à Roberval, province de Québec, le 26 février 2009.

 

[10]            Le 23 septembre 2010, le tribunal rendait sa décision, accueillait l'objection préliminaire du défendeur et rejetait la plainte du demandeur, déclarant ne pas avoir juridiction pour entendre sa  plainte. C'est cette décision qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire.

 

Décision contestée

[11]            En présentant son objection préliminaire, le défendeur souleva les trois arguments suivants :

a.       L’arbitre n’a pas juridiction pour entendre cette plainte puisque le demandeur ne peut prétendre avoir travaillé pour le défendeur sans interruption depuis au moins 12 mois, comme l’exige l’article 240(1)a) du CCT.

b.      Il ne s’agit pas d’un cas de congédiement injuste dont a été victime le demandeur, mais tout simplement du non-renouvellement d’un contrat de travail à durée déterminée arrivé à échéance;

c.       Subsidiairement, si l’arbitre en venait à la conclusion qu’il s’agit d’un contrat à durée indéterminée, il ne s’agit pas d’un congédiement puisque le contrat contient une clause acceptée par les deux sur la manière de résilier le contrat;

 

[12]           Quant au premier argument, le tribunal a déterminé que les contrats pour les périodes entre 2003 et 2007 ne constituaient pas une continuité d'emploi au sens de l’article 240(1)a) du CCT car l’existence de périodes sans emploi avait été prévue entre chaque contrat. Le tribunal a noté que selon la preuve, le demandeur avait toujours accepté cette situation y compris le non-renouvellement automatique de chacun des contrats qu'il avait signés.

 

[13]           Le deuxième argument soulevait la question de savoir s’ils étaient liées par un contrat de travail à durée déterminée ou à durée indéterminée.  Le demandeur prétendait que puisqu’il n’avait jamais signé le contrat pour la période 2007-2008, il était lié au défendeur par un contrat à durée indéterminée. En analysant le témoignage du demandeur, le tribunal a estimé que la réticence et le refus de ce dernier de signer le projet de contrat étaient motivés par des considérations autres que la durée du contrat ou son non-renouvellement automatique. Le tribunal a donc conclu que l’absence d’un contrat écrit entre 2007-2008 n’enlevait rien au caractère à durée déterminée d’un contrat verbal accepté par les deux parties.

 

[14]           Finalement, en appliquant la jurisprudence pertinente aux faits de la cause, le tribunal a déterminé que le demandeur ne justifiait pas d'une durée de travail ininterrompu depuis au moins 12 mois.

 

Analyse

[15]           Le défendeur soumet que la norme de la décision raisonnable devrait être appliquée ici (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008], 1 RCS 190), puisqu’il s’agit d’une question portant sur l’appréciation de la preuve (Banque Canadienne Impériale de Commerce c Muthiah, 2011 CF 77).

 

[16]           De son côté, le demandeur n'a pas fait de représentations écrites sur cette question, mais à l'audition, il s'est dit d'accord avec cette norme de contrôle.

 

 

[17]           La décision doit donc être analysée en tenant compte de la justification, la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi que de son appartenance aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, supra, para 47).

 

[18]           La question primordiale ici est de savoir si le tribunal a commis une erreur déraisonnable en déclarant ne pas avoir juridiction pour entendre la plainte du demandeur.

 

[19]           Ce dernier soumet que le tribunal a erré en concluant que les contrats annuels signés entre les parties ne constituaient pas une continuité d’emploi au sens de l’article 240(1)a) du CCT (Lemieux c Canada (1998) 4 CF 65 (CAF), mémoire du demandeur, page 138).

 

[20]            Il ajoute qu’il peut y avoir service continu lorsque des contrats à durée déterminée se succèdent de façon telle que l’on ne peut constater, entre la fin d’un contrat et le début de l’autre, un intervalle de temps suffisant pour permettre à une tierce personne d’occuper le poste en question (Vigneault c Conseil de la Nation Innu de Mastimékiosh et Lac John (12 décembre 2000), Québec, 210-15-G/00, AZ-01141080 (Sentence arbitrale) voir aussi Ménard et Collège de Maisonneuve DTE 99T-415 (16 février 1999)).

 

[21]            Il soutient aussi que le tribunal ne pouvait baser sa décision sur le simple fait d’être en présence d’une succession de contrats à durée déterminée.  Il devait tenir compte du fait qu’au moment où les contrats arrivaient à terme, les parties étaient déjà liées par un nouveau contrat, ce qui démontre une continuité.  Le demandeur ne trouve pas pertinent qu'il n'ait pas été sur les lieux du travail durant la période estivale (Ferguson v Wills Transfert Ltd [2002] CLAD No. 222, mémoire du demandeur, pages 140 et141).

 

[22]            Le tribunal s'est trompé aussi dans l'interprétation de l'article 240(1)a) du CCT concernant la durée de travail ininterrompu depuis au moins 12 mois. Dans les faits, selon le demandeur, il bénéficiait d'une durée de travail ininterrompu depuis au moins 12 mois car il avait été à l'emploi pour le défendeur du 18 août 2003 jusqu'à sa dernière rémunération, soit le 10 janvier 2008. Même sans contrat de travail écrit, il reproche au tribunal d'avoir conclu que la volonté des parties était liée par un contrat à durée déterminée.

 

[23]           La cour est en présence d'un dossier où il n'y a pas eu d'enregistrement de l'audition. Il y a donc absence de notes sténographiques. Le demandeur s'est présenté seul devant l'arbitre.

 

[24]           Avec respect pour l'option contraire, la cour ne peut venir à la conclusion que la décision du tribunal est déraisonnable.

 

[25]           En effet, ce dernier a eu l'avantage d'entendre les parties et leurs témoins et d'apprécier le contexte dans lequel ont été conclus les différents contrats entre elles. Il en a dégagé des conclusions qui sont basées sur l'historique des contrats.  Il a tenu compte entre autres des pièces déposées lors de l'audition ainsi que les témoignages venant expliquer ces documents.

 

 

[26]           L'analyse faite par le tribunal de la jurisprudence n'est pas exhaustive mais son application aux faits de la cause sont intelligibles, justifiables et appartiennent aux issues acceptables (décision, paragraphes 11, 46 et 49).  Y avait-il une autre solution qui aurait pu être aussi acceptable et justifiable? Sûrement.  Cependant, la solution retenue ici est intelligible et est basée sur l'ensemble de la preuve que les parties ont bien voulu déposer.  La cour ne peut substituer la solution qu’elle juge elle-même appropriée à celle qui a été retenue (Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) c. Khosa, [2009], 1 RCS 339 para 59).

 

[27]           L'intervention de la cour n'est pas souhaitable.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Le défendeur a droit à des frais de l’ordre de 1500$  en plus des déboursés.

 

« Michel Beaudry »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1727-10

 

INTITULÉ :                                       Jocelyn Lord

                                                            c. Conseil des Atikamekw d’Opitciwan

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 16 mai 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Éric Le Bel

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Benoît Champoux

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fradette, Gagnon, Têtu, Le Bel, Potvin

Chicoutimi (Québec)  G7H 4S7

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Neashish & Champoux

Québec (Québec)   G1K 8Y2

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.