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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110517

Dossier : IMM-1477-10

Référence : 2011 CF 562

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2011

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

ENTRE :

 

FRANCISCO JAVIER MARIN GARCIA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 11 février 2010, que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Le demandeur souhaite que la décision de la Commission soit annulée et que sa demande d’asile soit renvoyée à un autre membre de la Commission pour qu’il statue à nouveau sur la demande.

 

Le contexte

 

[3]               M. Francisco Javier Marin Garcia (le demandeur) est né le 24 janvier 1969 et est un citoyen du Mexique.

 

[4]               Le 21 décembre 2006, à Veracruz, au Mexique, le demandeur et sa famille ont aperçu quatre personnes forcer un homme cagoulé avec les mains liées derrière son dos et un enfant également cagoulé à entrer dans une maison. Le demandeur a signalé l’incident à la police et on lui a dit que l’organisation criminelle appelée « Los Zetas » menait des activités dans la région.

 

[5]               Après son retour à Puebla, au Mexique, les mots [traduction] « nous vous tuerons » ont été inscrits sur le véhicule et la maison du demandeur. Le demandeur n’a pas signalé cet acte de vandalisme à la police. Il est plutôt allé vivre avec sa famille chez sa belle‑mère, puis il a quitté le Mexique le 6 janvier 2007 pour venir au Canada. Le demandeur a présenté une demande d’asile le 21 novembre 2008.

 

La décision de la Commission

 

[6]               La Commission a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention selon l’article 96 de la Loi parce qu’il n’y avait aucun lien entre un motif prévu par la Convention et toute vendetta personnelle dont ferait l’objet le demandeur aux mains de membres du groupe Los Zetas.

 

[7]               La question essentielle, pour la Commission, était la protection de l’État. La Commission a conclu que le Mexique était un pays démocratique doté d’un système politique et judiciaire efficace et que la présomption de protection de l’État s’appliquait. Après avoir examiné la preuve documentaire, la Commission a noté que le Mexique avait récemment déployé des efforts pour combattre le trafic de drogues, la corruption et d’autres crimes organisés et qu’il avait obtenu des résultats. La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas sollicité la protection des autorités du Mexique et, vu les progrès importants faits par l’État mexicain, cette omission était objectivement déraisonnable. La Commission a accordé un plus grand poids à la preuve documentaire qu’à l’opinion du demandeur, selon laquelle la protection de l’État offerte au Mexique était inadéquate, puisque la preuve documentaire était tirée de diverses sources fiables et indépendantes. La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État.

 

Les questions en litige

 

[8]               Le demandeur a soulevé les questions suivantes :

1.         La Commission a-t-elle violé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale?

2.         La Commission a-t-elle omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents dont elle disposait?

3.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de l’existence de la protection de l’État?

            4.         La Commission a‑t‑elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée?

            5.         La Commission a-t-elle rendu sa décision d’une manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

 

[9]               Je reformule les questions comme suit :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son examen de la question de savoir si le demandeur pouvait obtenir la protection de l’État?

 

Les observations écrites du demandeur

 

[10]           Le demandeur ne conteste pas la conclusion relative au lien tirée par la Commission suivant l’article 96 de la Loi.

 

[11]           Le demandeur prétend que la Commission a omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents dont elle était saisie. Le commissaire ne s’est pas penché sur la preuve contradictoire quant à l’absence de protection de l’État au Mexique, et ce, même si ces renseignements étaient plus récents que ceux sur lesquels la Commission s’est fondée. L’omission de renvoyer à des éléments de preuve portant directement sur la question au cœur du litige entraînera une conclusion selon laquelle la Commission n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait.

 

[12]           Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État. Il soutient que l’organisation Los Zetas a de forts liens avec des membres corrompus de la police et de la magistrature et que les personnes ciblées par cette organisation n’ont pas accès à la protection de l’État. Dans ces circonstances, le demandeur n’avait pas à continuer de demander la protection de l’État. En outre, la Commission n’a pas examiné de façon adéquate les raisons précises expliquant pourquoi le demandeur n’avait pas continué à solliciter la protection de l’État au Mexique, à savoir qu’il avait déjà été témoin de l’inefficacité de la police lors du décès de son frère il y a de cela vingt ans.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[13]           Le défendeur soutient que la Commission a adéquatement noté qu’un État est présumé être capable de protéger ses citoyens en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique. La Commission a raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante.

 

[14]           La Commission a précisément noté que la preuve documentaire révélait que l’inefficacité, les pots‑de‑vin et la corruption demeuraient des problèmes à tous les échelons des forces de sécurité et de la fonction publique au Mexique. La Commission a mis en balance cette preuve documentaire et la preuve qui révélait que le Mexique a adopté des lois strictes contre la corruption et les pots‑de‑vin. La Commission a renvoyé à de multiples reprises au succès de récentes mesures d’application de la loi au Mexique. Elle a conclu que, selon la prépondérance de la preuve objective, les victimes de crimes au Mexique pouvaient obtenir une protection de l’État adéquate.

 

[15]           Il incombait au demandeur d’épuiser tous les recours qui s’offraient raisonnablement à lui avant de solliciter la protection au Canada. Le demandeur n’a aucunement essayé d’obtenir la protection de l’État au Mexique avant de venir au Canada. La Commission a raisonnablement conclu que l’explication du demandeur, selon laquelle il n’avait pas communiqué avec les autorités parce qu’il n’avait pas été satisfait de la réponse de la police lors de la mort de son frère il y a vingt ans, ne constituait pas un fondement suffisant pour refuser de solliciter la protection de l’État.

 

[16]           La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État appartient aux issues possibles et acceptables, et la Cour ne doit pas intervenir.

 

Analyse et décision

 

[17]           La première question en litige

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable à une question précise, la cour de révision peut appliquer cette norme de contrôle (voir Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 57).

 

[18]           Il est de jurisprudence constante que les questions concernant le caractère adéquat de la protection de l’État soulevant des questions mixtes de fait et de droit sont habituellement susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (voir Hinzman, 2007 CAF 171, au paragraphe 38). Par conséquent, la Cour ne doit intervenir dans le cadre d’un contrôle judiciaire que si la Commission a tiré une conclusion qui n’est pas justifiée, transparente et intelligible et qui n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des éléments de preuve dont elle disposait (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[19]           La seconde question en litige

            La Commission a-t-elle commis une erreur dans son examen de la question de savoir si le demandeur pouvait obtenir la protection de l’État?

            Il incombait au demandeur de réfuter la présomption de protection de l’État à l’aide de preuves claires et convaincantes du refus ou de l’incapacité du Mexique de le protéger (voir Ward c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74 (QL) au paragraphe 52).

 

[20]           La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas demandé la protection des autorités mexicaines. Le demandeur soutient qu’il avait bien, dans les faits, communiqué avec les autorités lorsqu’il avait rempli un rapport de police concernant les possibles enlèvements dont il avait été témoin. Le demandeur soutient que c’est parce qu’il avait communiqué avec la police qu’il avait été victime de vandalisme et qu’on avait menacé de le tuer : la police avait vraisemblablement fourni son adresse à l’organisation criminelle Los Zetas. Le demandeur allègue qu’il était raisonnable pour lui de ne pas communiquer de nouveau avec la police lorsqu’il avait été directement ciblé par le groupe Los Zetas, parce qu’il mettrait ainsi sa propre vie en danger.

 

[21]           Bien qu’il soit vrai que le demandeur n’était pas tenu de demander la protection de l’État si une telle démarche pouvait mettre sa vie en danger, il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur ne se trouvait pas dans une telle situation (Ward, précité, paragraphe 48).

 

[22]           La Commission a reconnu que des membres de la police étaient corrompus et étaient impliqués dans des organisations criminelles au Mexique. Cependant, malgré cela, rien ne donne à penser que l’organisation Los Zetas a trouvé le demandeur en raison de renseignements reçus de la police. En outre, le demandeur a affirmé dans son témoignage lors de l’audience portant sur sa demande d’asile que, alors qu’il s’enfuyait de la scène de l’enlèvement en voiture, un des kidnappeurs avait pointé son arme dans la direction du véhicule du demandeur, par conséquent, le demandeur savait que l’organisation avait pu obtenir sa plaque d’immatriculation autrement que par la police. En outre, la Commission a raisonnablement conclu que la police a passé à l’action en arrêtant les personnes impliquées dans l’enlèvement signalé par le demandeur, ce qui contredit les déclarations de ce dernier selon lesquelles il n’aurait pas pu bénéficier de la protection de l’État à titre de victime du groupe Los Zetas.

 

[23]           Dans ses observations orales, le demandeur a souligné plusieurs extraits de la preuve documentaire qui contredit la conclusion de la Commission selon laquelle l’opinion du demandeur, selon qui la protection de la police n’est pas efficace, est non fondée pour l’essentiel.

 

[24]           Il n’est pas nécessaire pour la Commission de renvoyer à tous les éléments de preuve documentaire dans sa décision, pourvu que la Commission tienne compte de tous les éléments de preuve qui contredisent sa conclusion (voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 17; Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (CA) (QL)).

 

[25]           La Commission a examiné de façon exhaustive la preuve documentaire et a noté que la corruption au sein des forces de sécurité est un problème récurrent au Mexique. La Commission a examiné plusieurs incidents lors desquels des membres de la police et des fonctionnaires ont collaboré avec des cartels de la drogue et des organisations criminelles et leur ont communiqué des renseignements. La Commission a effectué une analyse détaillée de la situation actuelle au Mexique et en a conclu que le Mexique déployait des efforts pour combattre le crime et la corruption, efforts qui ont produit des résultats sans précédent. Après avoir interprété la décision dans son ensemble, il n’apparaît pas déraisonnable que la Commission ait conclu qu’une protection adéquate aurait raisonnablement pu être offerte par l’État.

 

[26]           La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État était raisonnable. La demande de contrôle judiciaire doit par conséquent être rejetée.

 

[27]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a souhaité me soumettre, pour certification, une question grave de portée générale.


JUGEMENT

 

[28]                       LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


ANNEXE

 

Les dispositions légales pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

72.(1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

 

[. . .]

 

96.A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

72.(1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

. . .

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1477-10

 

INTITULÉ :                                       FRANCISCO JAVIER MARIN GARCIA

 

                                                            c.

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 mai 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hart A. Kaminker

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Deborah Drukarsh

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hart A. Kaminker

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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