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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 


Date : 20110519

Dossier : T-1828-10

 

Référence : 2011 CF 574

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Calgary (Alberta), le 19 mai 2011

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

demandeur

 

et

 

 

 

Sadia GUETTOUCHE

 

 

défenderesse

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]   Le ministre fait appel de la décision de la juge de la citoyenneté May Way par laquelle la demande de citoyenneté canadienne de la défenderesse a été accueillie. 

 

[2]   Mme Guettouche est citoyenne algérienne. Elle est arrivée au Canada en tant que résidente permanente le 29 août 2000. Son mari, Mohamed Said Mahiout, lui aussi algérien, vivait au Canada depuis 1998. La défenderesse et son mari sont tous deux ingénieurs en géophysique. Ils ont trois enfants nés canadiens : Riane, 8 ans, et les jumeaux Samy et Sophia, 6 ans. 

 

[3]   Peu de temps après son arrivée au Canada, le mari de la défenderesse a accepté un emploi qui lui demandait de voyager et de travailler à l’extérieur du pays durant de longues périodes et Mme Guettouche l’a souvent accompagné avec leurs enfants. Durant la période qui est pertinente à l’espèce, la famille a vécu en Oman, en Iran et au Canada.

 

[4]   Le 2 octobre 2003, la défenderesse et son mari ont déposé leurs premières demandes de citoyenneté. Les demandes ont été refusées par la juge de citoyenneté P.M. Gleason le 11 avril 2005, car la défenderesse et son mari n’avaient pas répondu à l’exigence de la résidence de la Loi sur la citoyenneté. Un appel déposé à la Cour a été rejeté : Mahiout c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 32. 

 

[5]   Le 18 octobre 2006, la défenderesse et son mari ont déposé leurs deuxièmes demandes de citoyenneté. La juge de la citoyenneté Bitar a rejeté les demandes le 2 juin 2009. Ils ont de nouveau interjeté appel à la Cour. Le juge Campbell a accueilli leur appel et a ordonné que la demande de citoyenneté soit étudiée par un autre juge de citoyenneté pour décision : Mahiout c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 143.

 

[6]   Les demandes ont été accueillies par la juge de citoyenneté Way. La juge Way a accueilli la demande de Mme Guettouche, mais a rejeté celle de son mari. Le mari de Mme Guettouche n’a pas interjeté appel de la décision relative à sa demande, mais le ministre en appelle de la décision accordant la citoyenneté à Mme Guettouche.

 

[7]   La juge Way a remarqué que la période faisant l’objet du litige était du 18 octobre 2002 au 18 octobre 2006 et que durant cette période, Mme Guettouche avait été physiquement présente au Canada pendant 963 jours des 1095 jours requis, ce qui représente un manque de 132 jours. En fait, Mme Guettouche n’avait pas été physiquement présente au Canada du début de la période pertinente jusqu’au 10 janvier 2003. 

 

[8]   La juge a poursuivi en considérant six facteurs identifiés par la juge Reed dans la décision Koo (Re), [1993] 1 C.F. (1ère inst.), et a noté que dans cette affaire, la présence physique au pays pour l’ensemble des 1095 jours n’était pas obligatoire et que le critère de résidence pouvait être formulé selon que le demandeur « vit régulièrement, normalement ou habituellement » au Canada ou selon que le Canada est le pays dans lequel le demandeur a centralisé son mode d’existence.

 

[9]   La juge a noté que les absences de Mme Guettouche du Canada ont cessées lorsqu’elle est retournée au Canada pour donner naissance à leurs jumeaux en 2004 et a déclaré : [traduction] « Je crois que durant les deux dernières années et quart (environ) de la période pertinente, la demanderesse a commencé à établir sa résidence au Canada » [non souligné dans l’original]. La juge a aussi conclu que [traduction] « ses liens au Canada sont plus fort que dans tout autre pays durant la période pertinente, puisqu’elle a eu ses enfants au Canada, a travaillé seulement au Canada, a rempli des déclarations de revenus seulement au Canada, n’a des investissements qu’au Canada, n’a pas de propriété en dehors du Canada et a passé plus de temps au Canada (environ 963 jours) qu’à l’extérieur du pays (environ 497 jours) ».

 

[10]           La juge était convaincue que la défenderesse avait centralisé son mode de vie au Canada et qu’elle avait répondu à l’exigence de résidence en conformité à la Loi sur la citoyenneté, et conséquemment, elle a accueilli sa demande de citoyenneté.

 

[11]           Le ministre soulève deux questions : (1) est-ce que la juge de citoyenneté a erré en droit en ne concluant pas que la défenderesse avait initialement établi sa résidence au Canada et (2) est-ce que la juge de citoyenneté a erré en concluant que la défenderesse avait répondu au critère tiré de la décision Koo tout en indiquant que la défenderesse n’avait pas répondu à certains volets du critère.

 

[12]           Selon moi, la deuxième question peut être rapidement rejetée, puisqu’on ne peut prétendre que le demandeur de citoyenneté est tenu de répondre à tous les facteurs identifiés dans la décision Koo afin de conclure qu’il « vit régulièrement, normalement ou habituellement » au Canada. Dans la décision Koo, la juge Reed a décrit les six questions comme étant des « questions que l'on peut poser pour rendre une telle décision » [non souligné dans l’original]. Les questions ne constituent pas un critère rigide fait d’exigences conjonctives. De plus, je ne suis pas d’accord avec la prétention du ministre selon laquelle la juge a de fait créé un nouveau critère. Elle avait le droit d’évaluer les facteurs et je ne peux pas dire que son évaluation était déraisonnable.

 

[13]           Ce qui est le plus troublant est la première question soulevée par le ministre soit, est-ce que la juge de citoyenneté a erré en ne concluant pas que Mme Guettouche avait initialement établi sa résidence au Canada avant de se lancer dans une évaluation des facteurs tirés de la décision Koo afin de déterminer si cette période de résidence s’était poursuivie, nonobstant ses absences du Canada. Cette question est particulièrement importante, puisque le dossier présenté à la juge indique que, en dépit du fait que Mme Guettouche soit entrée au Canada le 29 août 2000, elle a quitté le pays avec son mari cinq mois plus tard, le 3 février 2001, et elle a été continuellement absente du Canada depuis cette date jusqu’au 10 janvier 2003, ce qui était dans la période pertinente pour établir le critère de résidence aux fins de la citoyenneté.

 

[14]           L’application des exigences en matière de résidence prescrites par l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C.1985, ch. C‑29, est un processus en deux étapes, comme l’a formulé la juge Layden‑Stevenson, alors juge de la Cour fédérale, dans la décision Goudimenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 447, au paragraphe 13 :

[à] la première étape, il faut décider au préalable si la résidence au Canada a été établie et à quel moment. Si la résidence n'a pas été établie, l'enquête s'arrête là. Si ce critère est respecté, la deuxième étape de l'enquête consiste à décider si le demandeur en cause a été résident pendant le nombre total de jours de résidence requis. C'est à l'égard de la deuxième étape de l'enquête, et particulièrement à l'égard de la question de savoir si les périodes d'absence peuvent être considérées comme des périodes de résidence, qu'il y a divergence d'opinion au sein de la Cour fédérale.

 

[15]           La juge de la citoyenneté en l’espèce n’a pas répondu explicitement à la question de droit préliminaire qui était de savoir si Mme Guettouche avait établi résidence au pays. J’aurais pu être prêt à conclure que le premier volet du critère avait été satisfait, étant donné que la juge a utilisé le critère tiré de la décision Koo pour établir la résidence et pour déterminer si la défenderesse avait centralisé son mode de vie au Canada. Cependant, la déclaration de la juge : [traduction] « Je crois que durant les deux dernières années et quart (environ) de la période pertinente, la demanderesse a commencé à établir sa résidence au Canada » [non souligné dans l’original] rend une telle déduction impossible. Une question s’impose alors : si elle n’a commencé à établir sa résidence que dans les deux dernières années et quart, quand, le cas échéant, est-ce que Mme Guettouche a réellement établi sa résidence au Canada?  

 

[16]           Afin de pouvoir utiliser les facteurs tirés de la décision Koo pour étudier les absences ne respectant pas le minimum prévu par la loi, le juge de citoyenneté doit déterminer initialement si le demandeur de citoyenneté a établi résidence au Canada. En l’espèce, il m’est impossible de conclure qu’une telle conclusion ait été tirée et donc je dois accueillir le présent appel.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que l’appel soit accueilli et que la décision de la juge de citoyenneté May Way soit annulée, sans dépens.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1828-10

 

INTITULÉ :                                       MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. Sadia GUETTOUCHE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 mai 2011           

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rick Garvin

POUR LE DEMANDEUR

 

Sadia Guettouche

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(Pour son propre compte)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

 

N/A

POUR LA DÉFENDERESSE

(Pour son propre compte)

 

 

 

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