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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110421

Dossier : T-1822-10

Référence : 2011 CF 481

Ottawa (Ontario), le 21 avril 2011

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

 

JACQUES FERRON

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée par Jacques Ferron (le demandeur) en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R., 1985, ch. F-7, à l’encontre de deux décisions de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) dans lesquelles elle a refusé la demande de renonciation à l’impôt de la partie X.1 fondée sur le paragraphe 204.1(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R., 1985, ch. 1 (la LIR) relativement aux cotisations excédentaires au régime enregistré d’épargne-retraite (REER) du demandeur pour les années 2003 à 2007 et la demande d’allègement du demandeur fondée sur le paragraphe 220 (3.1) de la LIR relativement aux mêmes cotisations excédentaires. Le demandeur se représente lui-même.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent et malgré la sympathie que j’éprouve pour la situation du demandeur, je ne peux faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire. 

 

I. Contexte factuel

 

[3]               Le demandeur est agriculteur. À partir de 1998, il a donné suite à une initiative d’Agropur qui lui permettait de transférer dans son REER des ristournes déclarées, mais qui devaient être versées sept ou neuf ans plus tard.

 

[4]               Le 5 mars 2007, l’ARC a envoyé une lettre au demandeur l’informant qu’il avait versé des cotisations excédentaires à son REER pour les années 2003 à 2005 et que ces cotisations excédentaires étaient imposables. La lettre précisait les démarches suivantes qu’il pouvait suivre pour rectifier la situation :

 

  • Il devait produire une déclaration T1-OVP s’il décidait de ne pas retirer ses cotisations excédentaires au plus tard 90 jours après la fin de l’année d’imposition pour laquelle les cotisations excédentaires sont demeurées excédentaires et payer l’impôt sur ces cotisations;

 

  • Il pouvait aussi décider de retirer les cotisations en trop, auquel cas il devait les inclure à titre de revenu dans sa déclaration, mais il pouvait bénéficier d’une déduction égale au montant retiré.

 

[5]               À l’audience, le demandeur a soumis qu’il n’avait soit jamais reçu cette lettre ou qu’il n’en avait aucun souvenir. Cette déclaration n’apparaît pas à l’affidavit du demandeur et la lettre a été adressée à la bonne adresse. Je n’ai donc pas de raison de croire que cette lettre n’a pas été envoyée au demandeur.

 

[6]               Le demandeur n’a pas donné suite à cette lettre.

 

[7]               Le 6 novembre 2008, l’ARC lui a envoyé une autre lettre l’informant qu’elle lui accordait un délai supplémentaire de 30 jours pour produire ses déclarations T1-OVP, à défaut de quoi elle établirait elle-même les cotisations d’impôt sur la base de l’information dont elle disposait. À l’audience, le demandeur a indiqué qu’il avait bien reçu cette lettre et qu’il l’avait transmis à son comptable. Cette information n’apparaissait pas à l’affidavit du demandeur, mais je lui donne la portée d’une admission qu’il a bien reçu cette lettre. Ainsi donc, même si le demandeur n’a pas reçu ou n’a pas pris connaissance de la lettre du 5 mars 2007 qui l’informait des cotisations excédentaires, la lettre du 6 novembre 2008 référait clairement à la lettre du 5 mars 2007. Il aurait alors été facile pour le demandeur ou pour son comptable de communiquer avec l’ARC et de demander une copie de la lettre du 5 mars 2007. Or, le demandeur n’a pas donné suite à cette deuxième lettre de l’ARC et la preuve ne démontre pas que le comptable du demandeur l’a fait en son nom.

[8]               Le 9 mars 2009, l’ARC a émis à l’encontre du demandeur des avis de cotisation d’impôt à payer sur des cotisations excédentaires à un REER pour les années 2003 à 2007 sur la base des renseignements dont elle disposait.

 

[9]               Le 2 juin 2009, le comptable du demandeur a envoyé des avis d’opposition relativement à chacun des avis de cotisation. Le 24 novembre 2009, l’ARC a rejeté les oppositions du demandeur pour les années 2003 à 2006, mais elle a accueilli son opposition à la cotisation établie pour l’année d’imposition 2007 pour tenir compte d’un retrait de 5 000 $. Le 11 janvier 2010, l’ARC a établi une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2007.

 

[10]           Le ou vers le 1er juin 2010, le demandeur a envoyé une lettre à l’ARC dans laquelle il explique comme suit sa situation:

Bonjour je vous écrit aujourd’hui concernant Avis de cotisation à des REER 2007-2006-2005-2004-2003.

J’ai transféré des ristournes déclaré par Agropur en reer ne pouvant être remboursé avant 7 ou 8 ans.

En remplissant le formulaire en déc. alors que les états financiers n’était pas compléter. Agropur nous demandait si on voulait les transférés dans des reer cochez et retourner avent le 15 décembre de chaque année.

En 2008 je reçois une Avis de cotisation pour Reer excédentaire avec pénalités impôt et intérêt pour un montant de 8,957.17.

J’ai cotisé sans aucune mauvaise intention. Je n’ai retiré aucune avantage fiscal de ce placement de Reer.

Je l’ai transféré pour avoir une certaine somme d’argent à ma retraire.

Je ne peut désenregistrer mes Reer restant sans payer impôt.

Je ne peut même pas retirer mes (parts/REER) parce qu’il ne sont pas rembourser par Agropur.

J’espère une compréhension de votre part.

 

[Sic pour l’ensemble de la citation] 

 

[11]           Bien que la lettre du demandeur ne comportait pas de demande spécifique, ni ne s’appuyait sur des dispositions législatives précises, l’ARC l’a traité comme s’il s’agissait d’une demande de renonciation à l’impôt en vertu du paragraphe 204.1(4) de la LIR et d’une demande d’allègement fiscal en vertu du paragraphe 220 (3.1) de cette même loi.

 

[12]           En vertu du paragraphe 204.1 (4) de la LIR, l’ARC peut renoncer à l’impôt sur les cotisations excédentaires à un REER si l’excédent frappé de l’impôt fait suite à une erreur acceptable de la part du contribuable et que ce dernier a pris les mesures nécessaires pour l’éliminer:

 

Renonciation

 

204.1 (4) Le ministre peut renoncer à l’impôt dont un particulier serait, compte non tenu du présent paragraphe, redevable pour un mois selon le paragraphe (1) ou (2.1), si celui-ci établit à la satisfaction du ministre que l’excédent ou l’excédent cumulatif qui est frappé de l’impôt fait suite à une erreur acceptable et que les mesures indiquées pour éliminer l’excédent ont été prises.

Waiver of tax

 

204.1 (4) Where an individual would, but for this subsection, be required to pay a tax under subsection 204.1(1) or 204.1(2.1) in respect of a month and the individual establishes to the satisfaction of the Minister that

 

(a) the excess amount or cumulative excess amount on which the tax is based arose as a consequence of reasonable error, and

 

(b) reasonable steps are being taken to eliminate the excess,

 

the Minister may waive the tax.

 

[13]           Le 23 septembre 2010, Luc Tremblay, délégué du ministre, a rejeté la demande de renonciation à l’impôt du demandeur pour les motifs suivants :

  • L’ARC considère qu’une erreur est acceptable quand elle est involontaire et exceptionnelle et elle considère comme un délai raisonnable le temps nécessaire pour que le contribuable entreprenne des démarches et retire le montant excédentaire de son REER suite à un avis de l’ARC. Le demandeur n’a allégué aucune circonstance exceptionnelle ou hors de son contrôle pour justifier sa demande.  
  • Le demandeur a reçu à chaque année un avis de cotisation comprenant un « État du maximum déductible au REER » pour la prochaine année.
  • Le demandeur n’a pas produit les déclarations T1-OVP tel que requis pour les années 2003 à 2007.
  • Comme le demandeur n’a pas répondu aux lettres que l’ARC lui a envoyées le 5 mars 2007 et le 6 novembre 2008 dans lesquelles elle l’avisait de ses contributions excédentaires et de la nécessité qu’il produise des déclarations T1-OVP et qu’il n’a pas produit ses déclarations T1-OVP dans les délais fixés, l’ARC l’a cotisé arbitrairement le 9 mars 2009, selon le paragraphe 152(7) de la LIR.
  • Les cotisations ont été confirmées par la division d’appel de l’ARC qui a rejeté les oppositions du demandeur.
  • Le demandeur n’a fait aucun paiement des sommes qui lui sont réclamées pour ses contributions excédentaires à un REER.

 

[14]           La lettre de refus précisait que le demandeur pouvait demander une révision impartiale de la décision en s’adressant au centre fiscal s’il était d’avis que le pouvoir discrétionnaire n’avait pas été exercé d’une façon juste et raisonnable. Le demandeur ne s’est pas prévalu de ce mécanisme. La lettre indiquait également que le demandeur pouvait choisir de demander le contrôle judiciaire de la demande.

 

[15]           En vertu du paragraphe 220 (3.1) de la LIR, l’ARC possède le pouvoir discrétionnaire d’alléger le fardeau fiscal d’un particulier en renonçant aux pénalités et intérêts qui lui sont dus:

 

Renonciation aux pénalités et aux intérêts

 

(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

Waiver of penalty or interest

 

 

(3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

 

[16]           La demande d’allègement du demandeur a été rejetée le 23 septembre 2010 par Hélène Desgagné, déléguée du ministre, pour les motifs suivants :

  • L’ARC se prévaut généralement du pouvoir discrétionnaire d’abandonner ou d’annuler en tout ou en partie les intérêts et les pénalités pour lesquels une cotisation a été établie lorsque le contribuable ne s’est pas conformé à la loi par suite de circonstances indépendantes de sa volonté (inondation, incendie, grève des postes, maladie grave ou accident grave, souffrance morale grave comme le décès dans la famille immédiate, etc.).
  • La situation du demander ne répond pas aux critères concernant les circonstances extraordinaires prévues dans les mesures législatives.

 

[17]           La lettre de refus indiquait que le demandeur pouvait demander qu’un directeur d’un centre fiscal ou d’un bureau des services fiscaux entreprenne un examen indépendant de la décision s’il était d’avis que le pouvoir discrétionnaire n’avait pas été exercé d’une façon juste et raisonnable. Le demandeur ne s’est pas prévalu de ce mécanisme.

 

[18]           Au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur invoque que l’ARC n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable et équitable. Il invoque qu’il a retiré ses cotisations excédentaires le plus rapidement possible et que plusieurs circonstances extraordinaires sont survenues dans sa vie durant les périodes en question. Ces circonstances l’ont empêché de régler la situation.

 

II. Questions en litige  

 

[19]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions en litige suivantes :

Questions préliminaires :

a.       Le dossier du demandeur est-il recevable?

b.      La nouvelle preuve soumise par le demandeur au soutien de sa demande de contrôle judiciaire doit-elle être prise en considération?

Questions principales :

c.       La décision de l’ARC de refuser la demande de renonciation à l’impôt de la partie X.1 de la LIR est-elle déraisonnable?

d.      La décision de L’ARC de refuser la demande d’allègement est-elle déraisonnable?  

 

A. Questions préliminaires

1) Le dossier du demandeur est-il recevable?

 

[20]           La demande de contrôle judiciaire déposée par le demandeur au greffe de la Cour le 28 janvier 2011 comporte des irrégularités. Son mémoire de faits et de droit n’est pas conforme à la règle 70 des Règles des Cours fédérales DORS/98-106 (les Règles) et l’affidavit n’est pas assermenté tel que requis. 

 

[21]           La demande vise également deux décisions de l’ARC et n’est donc pas conforme à la règle 302 des Règles. Il est utile de noter que c’est l’ARC qui a décidé de traiter la demande du demandeur selon deux dispositions législatives différentes et c’est ce qui a donné lieu aux deux décisions. Dans ce contexte, je considère que la demande de contrôle judiciaire peut porter sur les deux décisions rendues par l’ARC.  

 

[22]           En vertu de l’alinéa 72(2)b) des Règles, la Cour peut accepter le dépôt de documents même s’ils ne sont pas conformes. En l’espèce, le demandeur se représente seul et ne possède manifestement pas d’expertise juridique ni de connaissances informatiques. Il n’avait pas accès à l’information nécessaire pour déposer un dossier conforme aux Règles. Dans son dossier, le défendeur ne s’est pas non plus opposé au dépôt de ces documents. Étant donné les circonstances et par souci d’équité, j’exerce exceptionnellement mon pouvoir discrétionnaire d’accepter les documents non-conformes du demandeur et déclare son dossier recevable.

 

2) La nouvelle preuve soumise par le demandeur doit-elle être prise en considération?

 

[23]           Le défendeur soutient que l’information contenue aux paragraphes 2 à 8, 14, 15 et 17 de l’affidavit du demandeur, qui traite de circonstances survenues dans la vie du demandeur ainsi que d’échanges qu’il a eu avec des représentants de l’ARC, de même que les pièces qu’il dépose à leur soutien, sont irrecevables parce qu’elles ne se trouvaient pas devant l’ARC au moment où elle a rendu ses décisions. Règle générale, le contrôle judiciaire de la décision contestée doit être fondé sur une analyse du dossier tel qu’il a été présenté au décideur administratif.

 

[24]           Notre Cour a statué qu’une preuve qui ne se trouve pas en possession du décideur administratif au moment de rendre sa décision ne peut  être utilisée pour la contrôler. Cette règle jurisprudentielle est bien connue en matière d’immigration (Zheng c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 103 A.C.W.S. (3d) 163 au para 18, 13 Imm. L.R. (3d) 226). C’est aussi l’approche qui a été retenue en droit fiscal dans un contrôle judiciaire d’une décision de l’ARC concernant une demande d’allègement fiscal comme c’est le cas en l’espèce (McLean c Canada (Agence du Revenu) 2007 CF 1072 au para 21, 164 ACWS (3d) 539 [McLean]:

Il est clair, également, que, selon l'état du droit, je ne peux prendre en compte aucun élément de preuve dont n'aurait pas disposé le décideur. Ainsi, M. McLean produit, dans le cadre de son affidavit, des preuves médicales et des détails concernant le procès qui divisait sa famille à l'époque, mais il s'agit d'éléments qu'il n'avait pas fournis au Ministère. Je ne peux, par conséquent, en tenir compte. Dans la mesure où ils sont susceptibles d'étayer les prétentions de M. McLean, ces éléments auraient pu être joints à la demande d'allégement transmise au Ministère.

 

 

[25]           Les paragraphes 2 à 8 de l’affidavit et les pièces à leur soutien concernent des évènements personnels et familiaux vécus par le demandeur. Les paragraphes 14, 15, et 17 concernent des discussions et rencontres que le demandeur a eues avec des employés de l’ARC après que les décisions qui font l’objet de la présente révision aient été rendues.

 

[26]           À l’audience, le demandeur a soutenu qu’il avait informé Mme Desgagné des circonstances survenues dans sa vie sans toutefois entrer dans les détails. Je note cependant que la lettre que le demandeur a envoyée à l’ARC ne comportait pas ces renseignements et qu’il ne déclare pas dans son affidavit avoir parlé de ces circonstances particulières à Mme Desgagné ou à M. Tremblay. Par ailleurs, dans son affidavit, Mme Desgagné affirme que les circonstances alléguées par le demandeur dans son affidavit n’ont pas été invoquées par celui-ci au soutien de sa demande du 1er juin 2010. Je conclus donc, selon la prépondérance des probabilités, que l’ARC ne disposait pas, lorsqu’elle a rendu ses décisions, des renseignements relatifs aux circonstances personnelles que le demandeur invoque maintenant. En conséquence, ces renseignements et informations ne sont pas retenus pour juger du caractère raisonnable de la décision de l’ARC dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

 

III. Questions principales

B. Norme de contrôle

 

[27]           La décision de renoncer à l’impôt payable pour des primes versées en trop à un REER relève du pouvoir discrétionnaire de l’ARC et est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable. (Gagné c Canada (Procureur général), 2010 CF 778 aux para 10 à 15, 371 FTR 150 [Gagné]; Lepiarczyk c Canada (Agence du Revenu), 2008 CF 1022 aux paras 16 et 17, 334 FTR 291).

 

[28]           La décision d’accorder un allègement fiscal général relève elle aussi du pouvoir discrétionnaire de l’ARC et est également assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Slau Ltd c Canada (Agence du Revenu), 2009 CAF 270 aux para 26 et 27, 3 Admin L.R. (5th) 251; Telfer c Canada (Agence du Revenu), 2009 CAF 23 aux para 24 et 25 (disponible sur CanLII)).

 

3) L’ARC a-t-elle erré en n’accordant pas au demandeur la demande de renonciation à l’impôt?

 

[29]           Selon la jurisprudence, les deux parties du test imposé par le paragraphe 204.1 (4) de la LIR, soit la présence d’une erreur acceptable et la prise de mesures pour éliminer cet excédent, doivent toutes deux être remplies avec succès puisqu’il s’agit d’un test conjonctif (Gagné, précité, au para 23).

 

[30]           Une erreur acceptable est assimilable à une défense de diligence raisonnable (Kerr c Canada (Agence du Revenu), 2008 CF 1073 au para 37, 172 ACWS (3d) 243). Le demandeur doit établir qu’il s’est mépris et que cette méprise l’a conduit à effectuer la cotisation excédentaire. Il doit également démontrer que cette erreur est raisonnable dans les circonstances (Corporation de l’École Polytechnique c Canada, 2004 CAF 127 au para 30, 132 ACWS (3d) 689). Quant à la prise de mesures indiquée pour corriger l’excédent, elle doit aussi avoir été raisonnable. Le caractère raisonnable s’évalue à la lumière de chaque dossier.

 

[31]           En l’espèce, il appert du dossier que le demandeur n’a pas donné suite aux deux lettres de l’ARC l’informant des primes versées en trop à son REER et de la manière de rectifier la situation. Il n’a pas non plus pris les mesures pour retirer les primes versées en trop dans un délai raisonnable. Le demandeur n’a pas rempli avec succès le test établi par la jurisprudence.

 

[32]           Dans les circonstances, la décision de l’ARC de refuser la demande de renoncer à l’impôt sur les cotisations excédentaires à un REER était raisonnable. Elle est également conforme à la législation et à la jurisprudence applicable. L’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée.

 

4) L’ARC a-t-elle erré en décidant de ne pas accorder au demandeur l’allègement fiscal demandé?

 

[33]           L’ARC exerce son pouvoir en s’appuyant, entre autres, sur les Lignes directrices concernant l’annulation des intérêts et des pénalités. Elles n’ont cependant pas force de loi et ne contraignent pas l’ARC. La jurisprudence établit clairement que le pouvoir dont dispose l’ARC à cet égard est discrétionnaire et ne sera exercé que dans des circonstances exceptionnelles (Jenkins c Canada (Agence du Revenu), 2007 CF 295 au para 13, 350 FTR 1):

Il importe, dans l'examen de la décision contestée, de ne pas perdre de vue que le pouvoir conféré au ministre par le paragraphe 220(3.1) de la Loi est un pouvoir discrétionnaire et qu'en conséquence le ministre n'est aucunement tenu de parvenir à une conclusion particulière. En outre, l'obligation incombant au contribuable de payer des pénalités et des intérêts en cas de production tardive de ses déclarations de revenus découle de l'application de la Loi et non pas d'une décision discrétionnaire du ministre qui aurait choisi d'imposer des pénalités et des intérêts. Le pouvoir discrétionnaire du ministre se limite donc à l'octroi d'une dispense de l'application de la Loi à titre exceptionnel lorsqu'il estime qu'une telle dispense est justifiée.

 

 

[34]           La Cour n’interviendra que si l’ARC a négligé une preuve importante, retenu une preuve non-pertinente ou rendu une décision clairement irrationnelle (McLean, précité, au para 18):

La Cour ne peut pas substituer son point de vue à celui du ministre simplement parce qu'elle serait peut-être, au vu des faits en question, parvenue à une conclusion différente. Pour cela, il me faudrait notamment être convaincu que le décideur a négligé des éléments de preuve importants, a pris en compte des éléments qu'il n'y avait pas lieu de retenir, a commis une erreur de fait importante ou a rendu une décision qui ne trouve, dans les motifs invoqués à son appui, aucun fondement rationnel.

 

 

[35]           En l’espèce, l’ARC a refusé l’allègement fiscal général au motif que ce type d’allègement est normalement justifié par des circonstances exceptionnelles ou des évènements sur lesquels le contribuable n’a aucun contrôle et que le demandeur n’avait fait état d’aucune de ces situations dans sa demande. Il appert en effet de la preuve que le demandeur n’a invoqué aucune circonstance exceptionnelle dans sa demande qui aurait pu amener l’ARC à lui accorder un allègement.

 

[36]           Dans sa lettre envoyée le ou vers le 1er juin 2010, le demandeur s’est contenté de soutenir qu’il n’avait pas versé les primes excédentaires avec mauvaise intention, qu’il avait investi uniquement pour se constituer un revenu de retraite, qu’il n’avait retiré aucun avantage fiscal des versements des primes, qu’il ne pouvait retirer ses parts parce qu’elles n’étaient pas remboursées par Agropur et qu’il ne pouvait retirer les primes sans payer d’impôt. Les circonstances personnelles et familiales qu’il invoque maintenant n’étaient pas mentionnées dans cette lettre. L’ARC ne possédait donc pas cette information au moment où elle a rendu sa décision. Il ne peut dès lors lui être reproché de ne pas en avoir tenu compte.

 

[37]           Ainsi, l’ARC n’a pas omis, par négligence, de considérer un élément de preuve important qui se trouvait devant elle au moment de rendre sa décision. Sa décision de ne pas accorder l’allègement fiscal général s’avère tout à fait raisonnable. Elle fait partie des décisions acceptables eut égard aux faits et au droit.

 

[38]           Pour tous ces motifs, l’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée.

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

 

                                                                                                                        


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1822-10

 

INTITULÉ :                                       JACQUES FERRON c. AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Bédard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 21 avril 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jacques Ferron

 

POUR LE DEMANDEUR

Ian Demers

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jacques Ferron

Saint-Léon, Québec

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Montréal, Québec

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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