Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110525

Dossier : IMM-3375-10

Référence : 2011 CF 610

Ottawa (Ontario), le 25 mai 2011

En présence de Monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

MEI YUN LI

 

 

 

demanderesse

 

and

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision datée du 19 mai 2010 par laquelle Coralie Buttigieg, membre de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), a refusé de reconnaître à la demanderesse la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou celle de personne à protéger conformément à l’article 96 et au paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR].

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la présente demande est rejetée.

 

I.          Les faits à l’origine du litige

A.        Les faits

[3]               Mei Yun Li (la demanderesse) est une citoyenne chinoise qui demande l’asile en raison de sa religion et du fait qu’elle a violé la politique chinoise en matière de planification familiale. Elle est la mère de deux enfants, dont l’un est né en Chine et y habite toujours, tandis que l’autre est né au Canada. Elle est arrivée au Canada le 6 mai 2007 et a demandé l’asile le 10 mai 2007.

 

[4]               Après un divorce difficile, la demanderesse s’est laissée persuader par un ami de se rendre à une église chrétienne clandestine en mai 2006. Par la suite, la demanderesse a commencé à fréquenter régulièrement l’église. Le 27 mars 2007, un voisin a informé la demanderesse qu’un représentant du bureau de la sécurité publique était venu chez elle plus tôt ce jour-là pour l’arrêter. La demanderesse a commencé à se cacher et a finalement quitté la Chine avec l’aide d’un passeur.

 

[5]               Le 21 octobre 2008, la demanderesse a donné naissance à son deuxième enfant. Elle demande l’asile non seulement parce qu’elle risque à son avis d’être persécutée par les autorités chinoises en raison de sa participation aux activités de l’église clandestine, mais également parce qu’elle craint d’être stérilisée si elle retourne en Chine et de ne pouvoir enregistrer son deuxième enfant. Elle redoute également les amendes exorbitantes imposées aux personnes qui ont des enfants en dehors des liens du mariage et qui ont plus d’un enfant.

 

B.         La décision attaquée

[6]               La Commission a conclu que la demanderesse n’était pas un témoin crédible relativement à plusieurs éléments clés de sa version, notamment quant à la date à laquelle elle a commencé à fréquenter l’église clandestine et quant aux tentatives des autorités en vue de l’arrêter. De l’avis de la Commission, la demanderesse n’était pas une véritable chrétienne pratiquante lorsqu’elle était en Chine. De plus, la demanderesse ne risquerait pas d’être stérilisée de force en Chine et la politique relative à la planification familiale était une règle d’application générale qui ne revêtait donc pas un caractère de persécution.

 

II.         Les questions en litige

[7]               La présente demande ne soulève qu’une seule question :

a)         La conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse ne risquait pas d’être persécutée pour avoir enfreint la politique relative à la planification familiale était-elle raisonnable?

 

III.       La norme de contrôle

[8]               Les questions dont la Cour est saisie doivent être examinées selon une norme de contrôle fondée sur la retenue, car elles portent sur les conclusions de fait de l’agente et sur son appréciation de la preuve.

 

[9]               Au paragraphe 53 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S 190, la Cour suprême du Canada s’est exprimée comme suit : « En présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée [références omises]. Nous sommes d’avis que la même norme de contrôle doit s’appliquer lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés ».

 

[10]           Les conclusions de la Commission selon lesquelles la demanderesse ne risquerait pas d’être persécutée en raison de sa religion ou du fait qu’elle avait enfreint la politique relative à la planification familiale sont des questions mixtes de faits et de droit, parce qu’elles reposent sur l’application à la preuve des règles de droit sur la persécution dans le contexte des réfugiés. À ce titre, elles appellent l’application de la norme de la décision raisonnable (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 53).

 

[11]           Comme la Cour suprême du Canada l’a mentionné dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] ACF no 12, et dans l’arrêt Dunsmuir, précité, la norme de la décision raisonnable nécessite l’examen de la justification de la décision, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi que de l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

IV.       Les arguments et l’analyse

A.     La décision de la Commission selon laquelle la demanderesse ne risquait pas d’être persécutée pour avoir enfreint la politique relative à la planification familiale est raisonnable

 

[12]           La demanderesse soutient que la Commission n’a pas expliqué sa conclusion selon laquelle la politique relative à la planification familiale et les amendes se rapportant à la violation de celle‑ci découlent de règles d’application générale et ne constituent donc pas une forme de persécution. De l’avis de la demanderesse, la Commission aurait dû présenter une analyse de la question de savoir si la règle en est une d’application générale, mais elle a plutôt simplement énoncé une conclusion. La demanderesse ajoute que la Commission aurait dû se demander si la politique et les amendes connexes ont un caractère de persécution, même si elles constituent une règle d’application générale. Enfin, la demanderesse reproche à la Commission d’avoir commis une erreur lorsqu’elle a conclu que son fils né au Canada ne serait pas visé par la politique relative à la planification familiale.

 

[13]           Le défendeur répond que, dans l’ensemble, les motifs de la Commission sont suffisants. Il ajoute qu’une sanction économique ne constitue pas une forme de persécution et que les amendes prévues à l’égard de la violation de la politique relative à la planification familiale ne sont pas comparables à la stérilisation forcée. De l’avis du défendeur, même si les amendes sont peut-être discriminatoires, elles ne revêtent pas un caractère de persécution. De plus, dit-il, la conclusion de la Commission selon laquelle le fils de la demanderesse né au Canada ne serait pas visé par la politique relative à la planification familiale est raisonnable.

 

[14]           La demanderesse fait valoir que la Commission était tenue de fournir des motifs au sujet de sa conclusion selon laquelle la politique relative à la planification familiale est une règle d’application générale, mais elle n’a pas cité la moindre source au soutien de cet argument. Pour sa part, le défendeur invoque deux décisions, dont aucune n’est utile dans ce contexte : Valentin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 CF 390, 167 NR 1 (C.A.F.), qui portait sur une règle de droit criminel applicable aux personnes qui séjournent à l’étranger au‑delà de la période prévue par le visa de sortie, et Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 CF 540, 20 Imm LR (2d) 1 (C.A.F.), qui concernait un objecteur de conscience ayant sollicité l’asile en raison de la loi iranienne sur la conscription.

 

[15]           Cependant, le jugement que la Cour d’appel fédérale a rendu dans Cheung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 2 CF 314, 19 Imm LR (2d) 81, et que les deux parties citent, est éclairant. Dans cet arrêt, la Cour d’appel a examiné la politique chinoise en matière de planification familiale et décidé qu’une partie demanderesse qui faisait face à la stérilisation forcée en cas de violation de cette politique craignait avec raison d’être persécutée. Lorsqu’elle s’est demandé si la stérilisation forcée constituait une forme de persécution, la Cour a reconnu que la politique était une règle d’application générale (voir les paragraphes 16 et 17).

 

[16]           Dans cette même affaire, la Cour d’appel fédérale a également décidé que, même s’il s’agissait d’une règle d’application générale, la politique constituait une forme de persécution parce que la pénalité prévue en cas de violation de la politique était la stérilisation forcée à l’époque. Même s’il appert de la preuve que la demanderesse en l’espèce ne serait pas stérilisée de force parce qu’elle avait enfreint la politique relative à la planification familiale, la demanderesse a également soutenu devant la Commission que les amendes étaient élevées au point d’avoir un caractère de persécution. La Commission a rejeté sommairement cet argument, s’exprimant comme suit au paragraphe 34 de sa décision : « L’obligation de payer une amende en cas de naissance non planifiée d’un enfant découle d’une loi d’application générale. Cela ne peut être considéré comme de la persécution ni servir de fondement à une demande d’asile ».

 

[17]           La Cour fédérale a déjà décidé que les amendes imposées à l’égard de la violation de la politique chinoise en matière de planification familiale n’ont généralement pas un caractère de persécution. Le défendeur invoque la décision rendue dans Lin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 66 FTR 207, 24 Imm LR (2d) 208 (C.F. 1re inst.), où le juge Paul Rouleau a souligné ce qui suit au paragraphe 6 : « les sanctions pécuniaires, prises pour faire respecter la loi, ne sont pas assimilables à de la persécution ».

 

[18]           Bien que les amendes pouvant être imposées aux personnes qui enfreignent la politique relative à la planification familiale soient élevées, la demanderesse n’a invoqué aucune décision ou autre source permettant de réfuter la décision du juge Rouleau. Les motifs de la Commission au sujet de cette question sont plutôt laconiques, puisque la Commission n’explique pas pourquoi elle rejette l’argument de la demanderesse selon lequel les amendes sont élevées au point d’avoir un caractère de persécution; néanmoins, la conclusion est claire.

 

[19]           La demanderesse fait également valoir que les amendes revêtent un caractère de persécution du fait qu’une amende plus élevée peut être imposée dans le cas des enfants nés en dehors des liens du mariage comparativement aux enfants nés d’un couple marié. De l’avis de la demanderesse, étant donné que la mesure est appliquée de manière différente aux femmes mariées et non mariées, il ne s’agit pas d’une règle d’application générale, mais plutôt d’une mesure qui revêt un caractère de persécution. Le défendeur répond que la discrimination ne constitue pas dans tous les cas de la persécution et cite plusieurs décisions dans lesquelles la Cour fédérale commente la différence entre les deux concepts. Bien que les amendes infligées aux mères non mariées soient supérieures à celles qui s’appliquent aux couples mariés, aucun élément de preuve n’établit que cette distinction est discriminatoire et encore moins qu’elle constitue une forme de persécution. Le seul fondement de l’argument de la demanderesse quant au caractère persécutoire de l’amende semble être le montant. Cependant, en l’absence d’élément de preuve ou d’argument à cet égard, la Cour n’a aucune raison de modifier la conclusion de la Commission selon laquelle l’amende n’a pas un caractère de persécution.

 

[20]           La Commission a examiné l’argument de la demanderesse au sujet du caractère de persécution des amendes pouvant être infligées aux personnes qui enfreignent la politique relative à la planification familiale. Bien que cette partie de la décision soit plutôt laconique et ne comporte aucune analyse approfondie, la conclusion est raisonnable.

 

[21]           La Commission a conclu, en se fondant sur l’ensemble de la preuve, que le deuxième enfant de la demanderesse ne serait pas visé par la politique relative à la planification familiale, parce qu’il est né au Canada. La demanderesse conteste la conclusion tirée en dernier ressort, mais n’a invoqué aucun motif justifiant l’intervention de la Cour. Le simple fait que la demanderesse conteste la conclusion ou que la Cour en serait peut-être arrivée à une conclusion différente ne permet pas de dire que la conclusion en question était déraisonnable. Il n’y a aucune raison de modifier l’appréciation que la Commission a faite de la preuve.

 

[22]           En résumé, la décision de la Commission selon laquelle la demanderesse ne risquerait pas d’être persécutée pour avoir enfreint la politique relative à la planification familiale semble être raisonnable. La demanderesse conteste la décision, mais elle n’a pas réussi à prouver que celle‑ci n’est pas raisonnable, eu égard à la preuve au dossier. En conséquence, la décision ne peut être annulée.

 

V.        Conclusion

[23]           Aucune question n’a été proposée aux fins de la certification et aucune ne se pose en l’espèce.

 

[24]           Eu égard aux conclusions exposées ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3375-10

 

INTITULÉ :                                       MEI YUN LI c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 6 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                             Le 25 mai 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley Levine

 

POUR LA DEMANDERESSE

Nur Muhammed-Ally

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.