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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110526

Dossier : T-1254-10

Référence : 2011 CF 615

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2011

En présence de Monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

MADALENA GRACA

 

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision en date du 24 juin 2010 d’un membre désigné de la Commission d’appel des pensions (CAP) d’autoriser la défenderesse à porter en appel une décision du tribunal de révision datée du 23 mars 2005, cinq ans environ après l’expiration du délai de 90 jours prévu au Régime de pensions du Canada (RPC) pour la présentation d’une demande d’autorisation d’appel.

 

[2]               Le procureur général du Canada, demandeur, en l’espèce, sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire à un autre membre de la CAP. La défenderesse n’a soumis aucune argumentation relativement à cette demande et n’a pas comparu à l’audience.

 

[3]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande est accueillie.

 

I.          Contexte

 

A.        Contexte factuel

 

[4]               La défenderesse, Madalena Graca, a interjeté appel du rejet de sa demande de prestation d’invalidité en février 2005.  Un tribunal de révision l’a déboutée de son appel le 23 mars 2005, au motif qu’elle n’était pas invalide au sens du RPC.

 

[5]               Par lettre en date du 17 mai 2010, soit plus de cinq ans suivant le rejet de son appel, la défenderesse a sollicité la prorogation du délai imparti pour présenter une demande d’autorisation d’appel, et elle a déposé une demande pour être autorisée à interjeter appel de la décision du tribunal de révision devant la CAP.  Elle y alléguait qu’elle avait été mal renseignée par son représentant devant le tribunal de révision, qui lui avait erronément dit que le rejet de son appel était sans recours.  Elle ajoutait que sa langue maternelle étant le portugais, elle n’était pas capable de lire et comprendre la décision du tribunal de révision afin de voir quels étaient ses droits et d’évaluer s’il y avait lieu de continuer à aller en appel.

 

[6]               Un membre de la CAP a autorisé l’appel le 19 juin 2010. L’autorisation n’était accompagnée d’aucune ordonnance de prorogation de délai.  La CAP a par la suite transmis à la Division de l’expertise médicale de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) une lettre modifiée indiquant qu’un membre de la CAP avait prorogé le délai d’appel au 19 juin 2010 et avait accordé le même jour une autorisation d’appel.  Ni la lettre modifiée ni la décision initiale d’autoriser l’appel n’étaient accompagnées de motifs.

 

[7]               Le demandeur veut obtenir l’annulation de cette décision, soutenant que le membre de la CAP aurait commis deux erreurs, l’une en autorisant l’appel dans les circonstances particulières de cette affaire et l’autre, en omettant de motiver suffisamment la décision de proroger le délai d’appel.

 

II.         Question en litige

 

[8]               La principale question soulevée par la présente demande est la suivante :

(a)        Le membre désigné de la CAP a‑t‑il commis une erreur susceptible de contrôle en accordant une prorogation de délai non motivée?

 

III.       Norme de contrôle

 

[9]               Le contrôle judiciaire de la décision d’un membre désigné d’autoriser un appel doit trancher deux questions : 1) si le décideur a appliqué le bon critère et 2) s’il a commis une erreur susceptible de contrôle dans l’application du critère.

 

[10]           La première est une question de droit, dont le contrôle s’effectue suivant la norme de la décision correcte (Vincent c. Canada (Procureur général), 2007 CF 724, 315 FTR 114, par. 26), et la seconde appelle l’application de la norme de la raisonnabilité.  En effet, il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, étant donné que le décideur doit appliquer le critère aux faits.  Le critère de la « cause défendable » exige du décideur qu’il détermine si la demande d’autorisation d’appel se rapporte à une cause défendable, sans toutefois procéder à l’appréciation du bien‑fondé de la décision qu’on veut porter en appel.  Il se peut qu’il y ait plusieurs aboutissements potentiels à cet exercice, et comme l’a établi l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour n’interviendra pas dans une décision dont la justification, la transparence et l’intelligibilité sont démontrées et qui appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Samson c. Canada (Procureur général), 2008 CF 461, 166 ACWS (3d) 1001, par. 14; Williams c. Canada (Procureur général), 2010 CF 701, par. 12).

 

[11]           Il est généralement admis que l’obligation de motiver suffisamment constitue une question d’équité procédurale contrôlée en fonction de la norme de la décision correcte (Canada (Procureur général) c. Blondahl, 2009 CF 118, 362 FTR 1, par. 9).

 

[12]           Quelle que soit la norme appliquée, toutefois, la décision en cause ne saurait être maintenue, pour les raisons exposées ci‑dessous.

 

IV.       Arguments soumis et analyse

 

A.        Le membre désigné a‑t‑il commis une erreur en ne motivant pas suffisamment sa décision d’accorder une prorogation de délai?

 

[13]           Le procureur général du Canada soutient que le décideur a eu tort d’accorder la prorogation de délai et d’autoriser l’appel.  Compte tenu des circonstances de la présente affaire, je partage cet avis, et je ferai droit à la demande de contrôle judiciaire parce que le décideur a erré en accordant la prorogation de délai sans motiver suffisamment sa décision.

 

[14]           Le paragraphe 83(1) du RPC prévoit que la personne qui se croit lésée par une décision du tribunal de révision a 90 jours pour demander par écrit la permission de la porter en appel devant la CAP.  Ce délai de 90 jours peut être prorogé par le président ou le vice‑président de la CAP avant ou après son échéance.

 

[15]           La décision de proroger est discrétionnaire, et la question doit être explicitement examinée par le décideur.  On ne peut présumer automatiquement de l’autorisation de l’appel qu’il y a nécessairement eu octroi d’une prorogation de délai.  La jurisprudence de notre Cour établit qu’il incombe à qui exerce ce pouvoir discrétionnaire de motiver sa décision (Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Roy, 2005 CF 1456, 281 FTR 198, par. 13).  Je ne vois aucune raison de m’écarter de ce principe établi.

 

[16]           Comme l’a indiqué la défenderesse, la juge Johanne Gauthier a analysé la question de la suffisance des motifs se rapportant à l’octroi d’une prorogation de délai dans Canada (Procureur général) c. Blondahl, précité.  Aux paragraphes 15 et 16, la juge a passé en revue la jurisprudence de la Cour et elle a écrit :

[15]      … Il est à noter que les requêtes en prorogation de délai sont souvent tranchées par de courtes ordonnances par la Cour fédérale et que la Cour d’appel fédérale a confirmé que, en général, il n’était pas nécessaire de fournir des motifs approfondis dans de telles affaires. Comme la Cour d’appel fédérale l’a souligné dans l’arrêt Via Rail Canada Inc. c. Lemonde, [2001] 2 C.F. 25, (2000), 193 D.L.R. (4th) 357, il importe que la décision qui fait l’objet d’un contrôle judiciaire renferme des motifs suffisants qui permettent à la Cour d’exercer sa compétence et aux parties d’évaluer les moyens de contrôle possibles.

 

[16]      Comme il ressort de l’arrêt Jakutavicius, il s’ensuit que le commissaire devrait à tout le moins adopter la pratique de préciser le critère appliqué; il n’a qu’à mentionner une décision dans laquelle le critère a été énoncé, telle que la décision Pentney. En outre, le commissaire devrait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, énoncer lequel des quatre facteurs du critère tranche l’affaire ainsi que tout autre facteur particulier qu’il estime déterminant

 

[17]           Le critère à appliquer en matière de prorogation de délai est bien établi.  Ce critère à quatre volets qui a été défini dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Gattellaro, 2005 CF 883, 140 ACWS (3d) 576, au paragraphe 19, exige l’examen et la pondération des facteurs suivants :

- l’intention constante de poursuivre la demande ou l’appel;

 

- une cause défendable;

 

- une explication raisonnable justifiant le retard;

 

- l’absence de préjudice causé à l’autre partie par la prorogation de délai.

 

[18]           En l’espèce, le membre désigné a commis une erreur, premièrement, parce qu’il a autorisé l’appel sans indiquer au dossier s’il avait examiné la question de la prorogation de délai.  L’ordonnance d’autorisation modifiée qui a suivi n’a pas corrigé la situation.  Elle n’énonce absolument aucun motif à l’appui de la décision.  Elle n’indique d’aucune façon comment le critère a été appliqué ni même si le bon critère a été appliqué.  Comme le fait valoir le demandeur, devant l’absence de tout élément à contrôler, la Cour se trouve dans l’impossibilité d’apprécier la raisonnabilité de l’octroi de la prorogation de délai et de l’autorisation d’appel.

 

[19]           La décision du tribunal de révision date de cinq ans.  Il aurait fallu, vu le temps écoulé en l’espèce, que l’ordonnance de prorogation soit assortie de motifs exposant pourquoi le membre désigné a exercé son pouvoir discrétionnaire en faveur de la défenderesse.  Le membre désigné a commis une erreur de droit.  Sa décision, par conséquent, doit être annulée.

 

V.        Conclusion

 

[20]           Compte tenu des conclusions exposées ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                        T-1254-10

 

INTITULÉ :                                       PGC c. GRACA

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 26 MAI 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Allan Matte

 

POUR LE DEMANDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Allan Matte

Ministère de la Justice

Services juridiques de RHDCC

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Rebecca Nelson

Azevedo & Nelson

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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