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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110531

Dossier : IMM-6804-10

Référence : 2011 CF 603

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2011

En présence de monsieur le juge Pinard

 

ENTRE :

Fernando MARTIN DEL CAMPO CORDERO

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), par Fernando Martin Del Campo Cordero (le demandeur), d’une décision rendue par un commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Le demandeur est un citoyen du Mexique et vivait à Ciudad Juárez. Il était le gérant d’une chaîne de cinq clubs vidéo. En décembre 2005, il était présent à l’un de ces clubs alors qu’un vol s’est produit. La police locale s’est présentée et le demandeur a aussi fait une déposition à un juge dans un centre judiciaire.

 

[3]               Le demandeur affirme qu’il a reçu, en février 2006, l’appel téléphonique d’un homme qui s’est identifié sous le nom de l’agent Ramirez, de la police judiciaire, et qui a affirmé qu’il s’occupait de l’enquête concernant le vol. L’agent Ramirez a interrogé le demandeur lors d’une rencontre. Une semaine plus tard, le demandeur a reçu un autre appel téléphonique de l’agent Ramirez, lequel l’a informé qu’il devrait songer à se procurer une protection individuelle pour son emploi aux clubs vidéo en raison du haut taux de criminalité dans la ville. Le demandeur trouvait suspectes les intentions de l’agent et en a informé son supérieur ainsi que l’avocat de l’entreprise. Son supérieur lui a dit de ne pas tenir compte des commentaires de l’agent de police. Ramirez a de nouveau joint le demandeur par téléphone, et ce dernier l’a informé que l’entreprise n’accepterait aucune offre faite « sous la table ». L’agent Ramirez lui a répondu que l’affaire pourrait ne jamais être résolue et qu’il devrait songer à demander une protection individuelle, ce qui lui coûterait mille pesos. Le demandeur a refusé.

 

[4]               À la suite d’une seconde offre et d’un second refus, l’agent Ramirez a menacé le demandeur et sa famille et a exigé cinq mille pesos. Il a donné trois jours au demandeur pour lui remettre l’argent. À la fin des trois jours, l’agent a exigé l’argent et le demandeur lui a répondu qu’il serait en mesure de le lui donner à la fin du mois, c’est-à-dire mars 2006.

 

[5]               Le 25 mars 2006, le demandeur s’est fait arrêter par deux voitures de police alors qu’il allait rendre visite à ses enfants. L’agent Ramirez était présent. Il a menacé le demandeur avec une arme à feu et lui a dit qu’il voulait dorénavant dix mille pesos.

 

[6]               Le demandeur a informé son ex-femme des menaces et lui a demandé d’amener les enfants avec elle et de se cacher. Lui-même s’est caché chez sa mère, où il demeurait. Il a quitté son emploi et a planifié son départ du Mexique. Le 22 mai 2006, l’agent Ramirez a communiqué avec lui une fois de plus et le demandeur a demandé un délai supplémentaire jusqu’au 30 mai.

 

[7]               Le 11 juin 2006, le demandeur s’est rendu aux États-Unis. Il y a vécu et travaillé illégalement. En février 2007, l’ex-femme du demandeur a reçu un appel téléphonique l’informant que le demandeur était en détention et que sa libération coûterait dix mille pesos. Elle a alors téléphoné au demandeur et a ainsi su que cela n’était pas vrai. Il n’y a eu aucune autre communication entre elle et l’extorqueur.

 

[8]               Le demandeur a perdu son emploi en décembre 2008, et en raison de la situation économique aux États-Unis, il savait qu’il ne se trouverait pas facilement un autre emploi dans le pays. Il est arrivé au Canada le 11 février 2009 et a présenté une demande d’asile le jour même.

 

* * * * * * * *

 

[9]               Selon la Commission, la question décisive concernait l’existence de la protection de l’État. La préoccupation principale de la Commission était de savoir s’il aurait été objectivement raisonnable de la part du demandeur de solliciter la protection de l’État au Mexique. Le commissaire a fait remarquer qu’un demandeur ne peut pas réfuter la présomption d’une protection de l’État dans une démocratie fonctionnelle en alléguant seulement sa réticence subjective à demander l’aide de l’État; la réfutation doit être objective.

 

[10]           La Commission a noté que la jurisprudence a établi que la protection de l’État n’a pas à être efficace à cent pour cent, dans la mesure où le gouvernement déploie des efforts véritables pour apporter ou augmenter la protection à ses citoyens. La Commission a cité le rapport de 2009 du Département d’État des États-Unis au sujet du Mexique et a conclu que les citoyens mexicains pouvaient déposer des plaintes auprès des procureurs fédéraux, solliciter des mesures de réparation auprès des paliers supérieurs des forces de sécurité, déposer des plaintes auprès de l’organisme interne de surveillance du Bureau du procureur général et déposer des plaintes auprès d’organisations de protection des droits de la personne financées par le gouvernement. Le demandeur a affirmé ne pas savoir que de telles procédures existaient; la Commission a conclu qu’il n’avait pas fait les recherches nécessaires.

 

* * * * * * * *

 

[11]           Lors de l’audience, l’avocat du demandeur a soulevé les deux questions suivantes :

a.       La conclusion de la Commission au sujet de la crainte subjective est-elle raisonnable?

b.      La conclusion de la Commission au sujet de la protection de l’État est-elle raisonnable?

 

[12]           En ce qui concerne la première question, la juge Marie‑Josée Bédard a conclu dans Ralda Gomez c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 1041, au paragraphe 11, que l’existence d’une crainte subjective est une question de fait et est donc assujettie à la norme de raisonnabilité.

 

[13]           La norme de contrôle applicable à la conclusion de la Commission au sujet de la protection de l’État est également la raisonnabilité, selon le juge François Lemieux, dans Perez Mendoza c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 119, aux paragraphes 26 et 27. Par conséquent, les conclusions de la Commission sur les deux questions doivent appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

* * * * * * * *

 

A. La crainte subjective

[14]           Le demandeur soutient que la Commission a erré en concluant qu’il n’avait pas montré de crainte subjective, sans avoir conclu défavorablement au sujet de sa crédibilité. Le demandeur soutient également que la Commission a erré en s’appuyant sur le temps écoulé pour conclure qu’il n’y avait pas de crainte subjective. Il a soutenu que s’il était crédible et s’il offrait une explication, le temps écoulé n’était pas suffisant pour que la Commission refuse de reconnaître sa crainte subjective. Le demandeur soutient également que la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve constitués par les lettres de son ex-femme et de sa mère, lesquelles corroboraient sa crainte subjective de persécution. Le demandeur conteste également la remarque de la Commission selon laquelle les échéances données par Ramirez avaient été dépassées sans conséquences réelles.

 

[15]           Pour sa part, le défendeur soutient que les questions soulevées au sujet de la crainte subjective ne sont pas décisives de la demande, que la seule question décisive concernait la protection de l’État. Le défendeur soutient que la question de savoir si la protection de l’État existe est la première chose qui permet de déterminer si les demandeurs ont une crainte objective de persécution. Je suis du même avis.

 

[16]           La Commission a été claire en ce qui concerne la question de la protection de l’État comme étant la question décisive et elle a refusé de tirer une conclusion au sujet de la crédibilité du demandeur. La conclusion au sujet de l’existence de la protection de l’État, si elle est raisonnable, serait toujours décisive de l’issue de la présente affaire, peu importe s’il était correct ou non de la part de la Commission de faire les commentaires qu’elle a faits sans tirer une conclusion au sujet de la crédibilité. À mon avis, les questions de la crainte subjective ou objective ne sont pas, comme le soutient le demandeur, importantes quant à la conclusion au sujet de l’existence de la protection de l’État; elles deviennent pertinentes seulement après qu’il est conclu que l’État n’était pas en mesure de protéger le demandeur. Le paragraphe 52 de Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 722, est clair sur ce point :

Ayant établi que le demandeur éprouve une crainte, la Commission a, selon moi, le droit de présumer que la persécution sera probable, et la crainte justifiée, en l'absence de protection de l'État.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

B. La protection de l’État

[17]           Le défendeur cite une liste de décisions dans lesquelles la Cour a conclu que la protection de l’État existe au Mexique; le demandeur répond avec une liste de décisions, tout aussi longue, dans lesquelles la Cour a infirmé la conclusion de la Commission au sujet de la protection de l’État au Mexique. Je souscris au point de vue du demandeur selon lequel chaque affaire a ses circonstances et ses faits propres qui déterminent la décision à rendre.

 

[18]           Dans la présente affaire, le demandeur n’a pas, à mon avis, montré que la conclusion de la Commission au sujet de la protection de l’État était déraisonnable. Le demandeur n’a fait aucun effort pour solliciter la protection de l’État lors du maquignonnage de Ramirez. Il a affirmé ne pas s’être renseigné sur les démarches qu’il aurait pu entreprendre. Bien qu’il soit vrai que c’est un contact précédent avec la police qui a mené à la persécution entreprise par Ramirez, il existait des preuves qui montraient que la corruption n’était pas absolue; il est difficile pour le demandeur de montrer que la protection de l’État ne lui aurait pas été raisonnablement accordée, alors qu’il n’a fait aucune démarche pour informer l’État de sa situation. Je conclus qu’il est insuffisant de la part du demandeur de simplement affirmer que ses supérieurs à l’entreprise lui ont dit de ne pas prendre la peine d’alerter la police au sujet des menaces. À mon avis, cela ne montre pas en soi que l’État ne lui aurait pas offert sa protection s’il avait effectivement alerté la police.

 

[19]           En ce qui concerne la preuve documentaire, je conclus que la Commission n’a pas erré, dans la présente affaire, en omettant d’évaluer les documents cités par le demandeur dans son mémoire. La Commission a clairement accepté que la corruption constitue un problème majeur au Mexique, mais elle a également conclu qu’il n’y avait pas eu un effondrement de l’appareil étatique. Hormis le recours aux organisations de protection des droits de la personne (la jurisprudence subséquente à la décision Flores Zepeda c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 491, [2009] 1 R.C.F. 237 (C.F.), est constante sur le fait que de telles organisations ne fournissent pas une protection de l’État suffisante), il y avait certaines possibilités au sein de la hiérarchie policière qui n’ont pas été explorées par le demandeur. Comme le défendeur le fait remarquer, on s’attend à ce que la Commission tienne compte de tous les éléments de la preuve documentaire. À mon avis, le demandeur n’a montré aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire commise par la Commission dans ses conclusions tirées au sujet de la preuve documentaire; le demandeur est plutôt en désaccord tout simplement avec la Commission quant à la valeur de cette preuve. Je trouve difficile d’accepter l’affirmation du demandeur selon laquelle, en raison de l’existence de la corruption au sein de la police mexicaine, il n’avait aucune obligation de se plaindre au sujet de ce qui s’était passé avec Ramirez. Sur ce point, je conclus que les décisions dans Borges c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 491, et dans Palomares et al. c. Minister of Citizenship and Immigration (7 juin 2006), IMM-5447-05, citées par le défendeur, sont appropriées. Au paragraphe 12 de Palomares, la juge Elizabeth Heneghan a conclu que :

[traduction]

 

Cette position suscite un problème : elle ne tient pas compte de la preuve non contredite selon laquelle la demanderesse principale n'a jamais demandé la protection de l'État pendant qu'elle habitait avec son conjoint au Mexique. La Commission a entendu le témoignage de la demanderesse. La Commission est tenue de soupeser la preuve. Il ne suffit pas pour la demanderesse principale de mentionner la preuve documentaire qui, à vrai dire, n'est pas claire en ce qui concerne la façon dont l'État répond à la violence familiale et d'affirmer que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle dans son cas.

.

 

 

 

* * * * * * * *

 

 

 

[20]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Je suis d’accord avec les avocats des deux parties qu’il n’y a aucune question à certifier.

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6804-10

 

INTITULÉ :                                       Fernando MARTIN DEL CAMPO CORDERO c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 31 mai 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Emma Andrews & H. Penny Harvey                 POUR LE DEMANDEUR

 

Helen Park                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Emma Andrews & H. Penny Harvey                 POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Myles J. Kirvan                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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