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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110601

Dossier : T-2067-09

Référence : 2011 CF 638

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er juin 2011

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

 

LAWRENCE ABRAHAM,

WALLACE ABRAHAM,

WALTER ABRAHAM,

ANTHONY ALEXANDER,

HENRY BOUBARD, RICHARD BOUCHIE,

NEIL BOULETTE,

GEORGE BRUYERE,

DANIEL BUNN, JASON BUNN,

JOSEPH BUNN,

EVA MARIE COURCHENE,

HAROLD COURCHENE (DÉCÉDÉ), JASON COURCHENE,

JONATHON COURCHENE,

LARRY COURCHENE,

REINIE COURCHENE,

WAYNE COURCHENE,

BARRY FONTAINE, CURTIS FONTAINE,

FELIX FONTAINE (DÉCÉDÉ),

GEORGE FONTAINE,

HARRY FONTAINE, KEITH FONTAINE, NELSON FONTAINE, NORMAN FONTAINE,

PETER FONTAINE (DÉCÉDÉ),

RONALD FONTAINE, WILFRED LEO FONTAINE (DÉCÉDÉ),

BRADLEY FOUNTAIN, BRIAN DOUGLAS FOUNTAIN (DÉCÉDÉ),

DOUGLAS FOUNTAIN (DÉCÉDÉ),

MARK FOUNTAIN,

ADRIAN GUIMOND, ALLAN GUIMOND, NORBERT GUIMOND,

RANDAL PAUL GUIMOND,

TERRY GUIMOND, DARRIN HATHER,

ARTHUR HENDERSON,

CHRIS HENDERSON,

DONALD HENDERSON,

FLOYD HENDERSON,

JOHN HENDERSON, ALLAN HOUSTON,

CLIFFORD HOUSTON, EDGAR HOUSTON,

RAYMOND HOUSTON, VINCENT KUZDAK, HAROLD LAVADIER,

ROGER LUSTY,

KELVIN PAKOO, MARK PAKOO,

 NEIL PAKOO, RODERICK PAKOO,

JOHN GLEN SANDERS,

LEE GLENN SANDERSON, JAMES SETTE,

HANK SIEGAL, WALTER SOUKA,

JASON STARR, JOSEPH STRONGQUILL, DOUGLAS SWAMPY, RICHARD SWAMPY, KELLY ZACHARIAS

 

 

demandeurs

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               En 1926, la bande Sagkeeng (la bande) avait reçu une offre d’achat visant une partie des terres de sa réserve en vue de la construction d’une usine. Les terres convenaient bien à cet usage. Les membres de la bande avaient initialement refusé l’offre, parce leurs ancêtres qui avaient signé le traité en 1871 leur avaient dit [traduction] « de conserver notre réserve aussi longtemps que le soleil brillera ou que la rivière coulera » (dossier de la demande, p. 31). Toutefois, comme on avait promis à la bande que des membres seraient employés à l’usine, elle avait fini par céder les terres. Les terres de la réserve ne pouvant être vendues sans l’intervention de la Couronne fédérale, la cession avait eu lieu en 1926 avec la participation directe de cette dernière. L’usine avait été construite et, conformément à l’entente, des membres de la bande y avaient travaillé.

 

[2]               Il appartient à la Cour, en l’espèce, de décider s’il y a lieu d’accorder à certains des membres de la bande qui ont travaillé à l’usine un allégement discrétionnaire au titre du paiement de l’impôt sur le revenu qu’ils ont gagné.

 

[3]               Compte tenu des faits de la présente affaire, le sens de l’article 87 de la Loi sur les Indiens (L.R.C. 1985, ch. I‑5) est fondamental pour répondre à cette question.

 

87. (1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l’article 83 et de l’article 5 de la Loi sur la gestion financière et statistique des premières nations, les biens suivants sont exemptés de taxation :

a) le droit d’un Indien ou d’une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b) les biens meubles d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve.

(2) Nul Indien ou bande n’est assujetti à une taxation concernant la propriété, l’occupation, la possession ou l’usage d’un bien mentionné aux alinéas (1) a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l’un de ces biens.

(3) Aucun impôt sur les successions, taxe d’héritage ou droit de succession n’est exigible à la mort d’un Indien en ce qui concerne un bien de cette nature ou la succession visant un tel bien, si ce dernier est transmis à un Indien, et il ne sera tenu compte d’aucun bien de cette nature en déterminant le droit payable, en vertu de la Loi fédérale sur les droits successoraux, chapitre 89 des Statuts revisés du Canada de 1952, ou l’impôt payable, en vertu de la Loi de l’impôt sur les biens transmis par décès, chapitre E-9 des Statuts revisés du Canada de 1970, sur d’autres biens transmis à un Indien ou à l’égard de ces autres biens. L.R. (1985), ch. I-5, art. 87; 2005, ch. 9, art. 150.

87. (1) Notwithstanding any other Act of Parliament or any Act of the legislature of a province, but subject to section 83 and section 5 of the First Nations Fiscal and Statistical Management Act, the following property is exempt from taxation:

(a) the interest of an Indian or a band in reserve lands or surrendered lands; and

(b) the personal property of an Indian or a band situated on a reserve.

(2) No Indian or band is subject to taxation in respect of the ownership, occupation, possession or use of any property mentioned in paragraph (1)(a) or (b) or is otherwise subject to taxation in respect of any such property.

(3) No succession duty, inheritance tax or estate duty is payable on the death of any Indian in respect of any property mentioned in paragraphs (1)(a) or (b) or the succession thereto if the property passes to an Indian, nor shall any such property be taken into account in determining the duty payable under the Dominion Succession Duty Act, chapter 89 of the Revised Statutes of Canada, 1952, or the tax payable under the Estate Tax Act, chapter E-9 of the Revised Statutes of Canada, 1970, on or in respect of other property passing to an Indian.

R.S., 1985, c. I-5, s. 87; 2005, c. 9, s. 150.

 

[4]               Les membres de la bande qui travaillaient à l’usine ont choisi des voies procédurales différentes pour obtenir un allégement de l’impôt sur le revenu qu’ils avaient gagné. Certains se sont adressés à la Cour canadienne de l’impôt dans le cadre d’une nouvelle cotisation de l’impôt payé tandis que d’autres, comme les demandeurs en l’espèce, ont présenté au ministre du Revenu national (le ministre) une demande d’allégement discrétionnaire en application du paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu [L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.)]. Compte tenu des approches parallèles suivies, le ministre a consenti à examiner un nouvel argument fondé sur les dispositions d’allégement pour les contribuables une fois que la décision de la Cour canadienne de l’impôt serait publiée. Dans la décision Boubard c. La Reine, 2008 CCI 133 (la décision Boubard), la Cour canadienne de l’impôt a statué entièrement en faveur des membres de la bande qui avaient choisi d’interjeter appel de la nouvelle cotisation. Il est nécessaire de procéder à une analyse approfondie de la décision de M. le juge en chef Miller. En effet, comme il est exposé ci‑dessous, cette décision est importante pour examiner la décision en cause en l’espèce.

 

I.          La décision Boubard

[5]               Dans la décision Boubard, le juge en chef Miller devait trancher la question de savoir si le revenu d’emploi tiré d’un bien des membres de la bande était exempté d’impôt suivant l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Lorsqu’il s’est penché sur cette question, le juge en chef Miller s’est appuyé sur l’arrêt Williams c. R., [1992] 1 R.C.S. 877, où la Cour suprême du Canada avait adopté l’approche fondée sur les « facteurs de rattachement » pour examiner des questions de cette nature; cette approche a été largement suivie. Comme il est mentionné dans l’arrêt Williams, au paragraphe 37 :

 

[…] Il faut d’abord identifier les divers facteurs de rattachement qui peuvent être pertinents. On doit ensuite analyser ces facteurs pour déterminer le poids à leur accorder afin d’identifier l’emplacement du bien, en tenant compte de trois choses: (1) l’objet de l’exemption prévue dans la Loi sur les Indiens, (2) le genre de bien en cause et (3) la nature de l’imposition de ce bien. Il s’agit donc de déterminer, relativement à chaque facteur de rattachement, le poids qui devrait lui être accordé pour décider si l’imposition en cause de ce type de bien représenterait une atteinte aux droits de l’Indien à titre d’Indien sur une réserve.

 

           

[6]               Le juge en chef Miller a examiné les facteurs suivants : « résidence de l’appelant, résidence de l’employeur, étendue des activités de l’employeur dans la réserve et en dehors de la réserve, emplacement du travail exécuté par les appelants, nature du travail, circonstances historiques ayant donné lieu au revenu d’emploi » (paragraphe 38). Au paragraphe 39, il s’est exprimé en ces termes :

 

[…] je tiens à souligner qu’un impôt sur un bien meuble est ici en cause, plutôt qu’un impôt sur un bien immeuble. La détermination du situs d’un bien incorporel comporte nécessairement un exercice quelque peu théorique, comme l’a dit la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Clarke (Folster) v. Minister of National Revenue. Voici ce que la Cour d’appel fédérale a conclu : « Comme je l’explique plus loin, la solution réside dans une conception de l’interprétation et de l’application de l’expression "situé sur une réserve" qui repose sur l’objet de la disposition créant l’exemption dans la Loi sur les Indiens. » Comme la Cour suprême l’a expliqué dans l’arrêt Williams, en citant l’arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, la disposition vise « à préserver les droits des Indiens sur leurs terres réservées et à assurer que la capacité des gouvernements d’imposer des taxes […] ne porte pas atteinte à l’utilisation de leurs biens situés sur leurs terres réservées ». […]

 

[Renvois omis.]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[7]               Au paragraphe 50 de la décision, le juge en chef Miller tire une conclusion de fait fondamentale, laquelle est soulignée ici :

 

Bien que les parties aient débattu la question de la nature de la promesse de travail, je ne cherche pas tant à préciser la nature juridique véritable de cette entente, à savoir s’il s’agit d’une condition, d’une garantie, d’une disposition contractuelle, d’une entente, qu’à savoir jusqu’à quel point l’aspect « emploi » de la cession est un facteur de rattachement par rapport aux emplois actuels. À cette fin, il ne s’agit pas tant de juger de la légalité de l’arrangement, mais plutôt d’apprécier l’importance de l’arrangement, aux yeux de la bande, pour son avenir collectif, et de décider en quoi cela se rapporte au maintien des droits qui lui étaient reconnus par le traité. Je suis convaincu que la bande n’a pas cédé à la légère une partie de la réserve – il s’agissait d’une question extrêmement sérieuse pour les Sagkeeng et ils s’attendaient à beaucoup plus qu’à un simple transfert d’argent. La fourniture stable d’un revenu d’emploi faisait partie intégrante de ce que la bande croyait obtenir en prenant la mesure fort grave qu’était la cession d’une partie de la réserve. Le marché était conclu sur cette base. Peut‑il y avoir un lien plus étroit qu’un revenu d’emploi tiré de l’usine qui, pour le peuple Sagkeeng, remplaçait effectivement sa réserve?

 

[8]               Après avoir accordé un grand poids aux circonstances historiques à l’origine du revenu d’emploi des membres de la bande, le juge en chef Miller énonce au paragraphe 53 ce qui, à mon sens, constitue l’essentiel de sa décision :

 

[…] Il suffit que les circonstances touchant la cession absolue de la réserve consentie par les Sagkeeng constituent un facteur de rattachement important pour que je puisse conclure que le revenu d’emploi tiré de l’usine exploitée sur les terres cédées est un bien qui est visé par les dispositions d’exemption de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Dans ces conditions, assujettir à l’impôt le revenu d’emploi que le peuple Sagkeeng tirait de l’usine, c’est porter atteinte à ses droits, qui découlent directement des terres de la réserve.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision rendue par le juge en chef Miller dans l’arrêt Canada c. Boubard, 2008 CAF 392 (l’arrêt Boubard).

 

[9]               L’argument factuel présenté devant la Cour canadienne de l’impôt et la décision Boubard, dans laquelle le tribunal a accepté cet argument, ont été invoqués auprès du ministre pour le compte des membres de la bande qui ont suivi la voie de l’allégement.

 

II.        La décision du ministre

[10]           La décision contestée en l’espèce a été rendue par le directeur du Centre fiscal de Winnipeg, à titre de délégué du ministre. Lorsqu’il s’est prononcé sur la demande des demandeurs, le délégué n’a pas adopté le raisonnement suivi par le juge en chef Miller dans la décision Boubard et, contrairement à ce dernier, il n’a pas considéré que la demande d’allégement qui lui était présentée constituait dans les faits une demande d’exemption de taxation fédérale. Or, les demandeurs se trouvaient, en fait et en droit, dans la même situation que les particuliers ayant obtenu gain de cause dans l’affaire Boubard. Le délégué a plutôt procédé à l’analyse juridique hautement technique que voici :

                        [traduction]

Les demandes de vos clients m’ont été remises pour que je les examine à nouveau en application des dispositions d’allégement pour les contribuables. J’ai effectué une analyse approfondie de la jurisprudence et de la Loi de l’impôt sur le revenu en ce qui concerne le revenu d’emploi gagné par les demandeurs. Après avoir soigneusement examiné les circonstances de la présente affaire, j’ai décidé d’établir une nouvelle cotisation relativement aux années d’imposition 1999 et subséquentes pour les demandeurs qui se conforment aux conclusions formulées par le juge première instance dans les décisions Boubard, Bouchie et Houston. Lorsque les rajustements seront terminés, un avis de nouvelle cotisation sera établi relativement à chacune des déclarations de revenus. La décision rendue par la Cour d’appel fédérale (CAF) dans les arrêts Boubard, Bouchie et Houston est définitive et exécutoire en date du 9 décembre 2008. Lorsqu’elle a accueilli l’appel dans ces affaires, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que la situation dont elle était saisie correspondait en tous points à celle visée dans l’arrêt Amos c. Canada [1999].

 

Après avoir examiné les demandes que vos clients ont présentées en application des dispositions d’allégement pour les contribuables afin que de nouvelles cotisations soient établies à l’égard des déclarations de revenus relatives aux années 1985 à 1998, je conclus que les nouvelles cotisations ne se fonderont pas sur ces dispositions. La circulaire d’information IC07‑1, intitulée « Dispositions d’allégement pour les contribuables », énonce les lignes directrices que doit suivre l’ARC lorsqu’elle applique ce régime d’allégement. Au paragraphe 71, « Acceptation d’une demande de remboursement ou de rajustement », ce document prévoit que l’ARC « peut émettre un remboursement ou réduire le montant dû si elle est convaincue qu’un tel remboursement ou une telle réduction aurait été accordé si la déclaration ou la demande avait été produite ou présentée à temps et à condition que la cotisation à établir soit conforme à la Loi et qu’elle n’ait pas déjà été accordée ». En outre, la politique de l’ARC précise que les dispositions d’allégement pour les contribuables ne constituent pas un remplacement acceptable à l’application rétroactive d’une décision judiciaire défavorable lorsque le contribuable a omis de protéger son droit de produire une opposition ou d’interjeter appel. Voici une liste chronologique de décisions judiciaires qui expliquent comment on traitait le revenu d’emploi de 1983 à 1999.

 

- En janvier 1983, la Cour suprême du Canada s’est prononcée dans l’arrêt Nowegijick. Elle a conclu que le revenu d’emploi était payé à l’endroit où résidait l’employeur. Si le particulier était payé au siège social de l’employeur et si le siège social de l’employeur était situé sur des terres d’une réserve, le revenu d’emploi devait alors être considéré comme exempt d’impôt. Auparavant, la politique de l’ARC fondée sur le bulletin d’interprétation IT‑62 [annulé par le communiqué spécial du 15 juillet 1995 relatif au bulletin d’interprétation IT‑397R] exigeait que les fonctions soient exercées directement sur la réserve pour que le revenu gagné soit exempt d’impôt. En raison des divergences entre la politique de l’ARC et l’arrêt Nowegijick, le gouvernement fédéral a publié le décret de remise C.P. 1985‑2446. Le décret accordait une remise d’impôt sur le revenu d’emploi, quel qu’il soit, gagné au titre de fonctions exercées sur une réserve pour les années 1983 à 1992. Comme le revenu gagné à l’usine par vos clients ne satisfait pas aux conditions fixées dans le décret de remise ni aux critères énoncés dans l’arrêt Nowegijick, leur revenu n’aurait pu être considéré comme exempt d’impôt au cours des années 1983 à 1991.

 

- En 1992, dans l’arrêt Williams, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il importait de se demander si l’activité à l’origine du revenu était « étroitement lié[e] » à la réserve, ou s’il était plus approprié de considérer qu’elle était exercée dans le cadre du « marché ». Par suite de l’arrêt Williams, on a élaboré en 1994 un critère fondé sur des facteurs de rattachement, lequel a servi à déterminer si le revenu devait être exempt d’impôt. Pendant les années d’imposition 1993 à 1998, la question des facteurs de rattachement et du poids devant être accordé à chacun au regard du situs du revenu d’emploi évoluait toujours et n’était pas encore réglée. En ce qui concerne le revenu d’emploi gagné dans des circonstances analogues à celles où se trouvaient vos clients, la Cour d’appel fédérale s’est prononcée sur cette situation dans l’arrêt Amos en 1999. En 1998, le revenu n’aurait pas été considéré comme exempt d’impôt, compte tenu de la décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire Amos, le 22 juin 1998.

 

- En 2007, la Cour fédérale du Canada a rendu la décision Wyse. Elle était d’accord avec la décision du ministre selon laquelle le revenu d’emploi des demandeurs n’aurait pas été considéré comme exempt d’impôt avant 1999.

 

Par conséquent, si vos clients avaient prétendu que leur revenu d’emploi était exempt d’impôt lorsqu’ils avaient initialement produit leurs déclarations de revenus relatives aux années 1985 à 1998, leur demande aurait été refusée, conformément aux lois fiscales en vigueur à ce moment‑là. Les années d’imposition 1985 à 1998 ne peuvent donc pas faire l’objet d’une nouvelle cotisation fondée sur les dispositions d’allégement pour les contribuables. Quant aux demandes et déclarations de revenus produites à compter du 1er janvier 2005, la demande présentée en application des dispositions d’allégement des contribuables est également assujettie au délai de prescription de 10 ans.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Dossier de la demande, pages 151 à 153.)

 

 

[11]           Bien que la décision rendue ait fait droit à un certain allégement, les demandeurs en l’espèce avancent, à l’appui de leur présente demande d’allégement complet, que le délégué a commis une erreur lorsqu’il a procédé à une analyse juridique technique, alors qu’il était directement saisi des véritables antécédents de la relation existant entre leurs terres sur la réserve et l’emploi à l’usine, et qu’il a, dans les faits, omis de tenir compte de ces éléments. Cet argument implique que le respect de la véritable nature de la demande des demandeurs aurait contraint le délégué à analyser la preuve pour tirer la même conclusion de fait essentielle que celle tirée au paragraphe 50 de la décision Boubard et, après avoir appliqué équitablement l’article 87 à cette conclusion comme le tribunal l’a fait au paragraphe 53 de la décision Boubard, pour accorder un allégement complet.

 

[12]           L’avocat du ministre avance trois points au soutien de la décision du délégué : le pouvoir d’accorder un allégement aux contribuables est de nature discrétionnaire, et il n’existe donc aucun droit à l’allégement; la décision est raisonnable; quoiqu’une décision correcte ne soit pas nécessaire, c’est une décision correcte.

 

III.       Conclusion

[13]           Bien que la décision en cause ait été rendue dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, il importe de signaler qu’elle se fonde sur des conclusions de droit. En conséquence, pour que la décision puisse être confirmée dans le cadre d’un contrôle judiciaire, j’estime que ces conclusions doivent être fondées en droit. Or, selon moi, la décision comporte au moins trois erreurs de droit.

 

[14]           Premièrement, bien que l’on mentionne la décision Boubard dans la décision visée par le présent contrôle judiciaire, on ne fait pas état du raisonnement qui a été suivi dans cette affaire et qui est exposé au paragraphe 8 ci‑dessus. Comme la décision du juge en chef Miller a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Boubard, il s’agit du droit applicable : le revenu des membres de la bande qui travaillaient à l’usine est exempt d’impôt. Il ressort sans équivoque de la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire que le délégué n’a pas compris ce précédent d’une importance fondamentale et qu’il a omis d’en tenir compte de façon appropriée.

 

[15]           Deuxièmement, j’estime, en ce qui touche l’application de la décision Wyse c. Canada (Revenu national), 2007 CF 535, que le délégué a à tort conclu que, si les demandeurs [traduction] « avaient prétendu que leur revenu d’emploi était exempt d’impôt lorsqu’ils avaient initialement produit leurs déclarations de revenus relatives aux années 1985 à 1998, leur demande aurait été refusée, conformément aux lois fiscales en vigueur à ce moment‑là ». La décision Boubard est le droit applicable, et c’est le droit qui s’applique au revenu versé aux membres de la bande Sagkeeng qui, depuis aussi loin que 1926, soit l’année de la vente des terres sur lesquelles on a construit l’usine, travaillaient à l’usine.

 

[16]           Enfin, la décision Wyse intéressait des baux immobiliers consentis par des bandes autochtones; la décision Boubard intéresse la vente, par la bande Sagkeeng, de terres situées sur sa réserve en contrepartie, notamment, d’une promesse d’emploi, laquelle fut remplie. Comme l’a conclu le juge en chef Miller dans le passage reproduit plus haut, « [d]ans ces conditions, assujettir à l’impôt le revenu d’emploi que le peuple Sagkeeng tirait de l’usine, c’est porter atteinte à ses droits, qui découlent directement des terres de la réserve ». J’arrive à la conclusion que l’omission du délégué d’établir une distinction d’avec la décision Wyse pour ce motif constitue une erreur fondamentale.

 

[17]           Je conclus donc que la décision visée par le présent contrôle judiciaire doit être annulée suivant la norme de la décision correcte (voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 50).

 

[18]           Quant au redressement approprié auquel les demandeurs ont droit du fait qu’ils ont obtenu gain de cause, l’avocat des demandeurs a demandé à la Cour, d’une part, de déclarer que les demandeurs avaient droit à un allégement pour les contribuables en application du paragraphe 152(4.2) relativement à l’ensemble des années pour lesquelles leur revenu se conforme aux conclusions énoncées dans la décision Boubard et, d’autre part, de renvoyer l’affaire au ministre pour qu’il rende une décision en conséquence. À mon sens, je ne puis usurper le pouvoir discrétionnaire du ministre d’accorder un redressement juste et équitable au titre de la demande des demandeurs et l’affaire sera donc renvoyée au ministre pour qu’il exerce ce pouvoir.


ORDONNANCE

 

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

Par suite du consentement intervenu entre les avocats lors de l’audition de la présente demande, l’intitulé de la demande est modifié comme il figure au début des présentes.

 

Pour les motifs susmentionnés, la décision visée par le présent contrôle judiciaire est annulée, et l’affaire est renvoyée au ministre pour nouvelle décision, conformément aux présentes.

 

Les dépens sont adjugés conformément à l’entente conclue entre les avocats et énoncée dans la lettre du 5 juillet 2010, déposée à la Cour le 5 mai 2010.

 

 

 

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2067-09

 

INTITULÉ :                                       LAWRENCE ABRAHAM ET AL c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Winnipeg (Manitoba)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 mai 2011

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE CAMPBELL

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 1 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joe Aiello

Bruce Gammon

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Brooke Sittler

Jamie Hammersmith

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Phillips, Aiello

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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