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Cour fédérale

Federal Court

 

 


Date : 20110606

Dossier : IMM-6385-10

Référence : 2011 CF 647

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 6 juin 2011

En présence de madame la juge Snider

 

ENTRE :

 

MASOUD MOSAVAT

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               Le demandeur, Masoud Mosavat, est un citoyen iranien qui est arrivé au Canada en décembre 2008. Il a immédiatement demandé l’asile en raison de sa présumée homosexualité. Le demandeur prétend avoir entretenu une relation à long terme avec un homme (S). Dans une décision datée du 4 décembre 2009, un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (la SPR), a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif que la SPR n’a pas estimé le demandeur crédible.

 

[2]               Le 12 mai 2010, le demandeur a présenté une demande d'examen des risques avant le renvoi (ERAR). Dans une décision datée du 6 août 2010, un agent d’ERAR (l’agent) a rejeté sa demande d’ERAR. L’agent avait admis la preuve que les homosexuels souffrent de persécution en Iran et que les relations sexuelles homosexuelles consentantes y constituent un crime punissable de la peine de mort. Cependant, l’agent a jugé que la preuve fournie par le demandeur était insuffisante pour établir qu’il était homosexuel.

 

[3]               Le demandeur veut maintenant faire annuler la décision concernant l’ERAR.

 

II. La question en litige

[4]               La présente demande ne soulève qu’une question :

Est-ce que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas une audience parce que le nouvel élément de preuve du demandeur soulevait une question sérieuse concernant sa crédibilité?

 

III. Analyse

A. Le cadre légal

[5]               Les demandes d’ERAR sont habituellement étudiées en fonction des observations écrites et de la preuve documentaire du demandeur. L’alinéa 113b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR ou la Loi) prévoit qu’une audience peut être tenue « si le ministre l'estime requis[e] compte tenu des facteurs réglementaires ».

 

[6]               L’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) énonce les facteurs dont il faut tenir compte lorsque l’on détermine si une audience est nécessaire :

Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

B. La norme de contrôle

[7]               La première question à laquelle il faut répondre est : laquelle des normes de contrôle faut‑il appliquer à la décision de l’agent de ne pas convoquer une audience? Le demandeur soutient que cette question est une interprétation légale, à laquelle s’applique la norme de la décision correcte. Le défendeur allègue que cette question en est une d’équité procédurale et nécessite la norme de la décision correcte.

 

[8]               La jurisprudence de la Cour fédérale concernant la norme de contrôle appropriée est divergente. Par exemple, voir : Sen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1435, et Hurtado Prieto c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 253 (la décision correcte); et Puerta c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 464, et Marte c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 930 (la décision raisonnable).

 

[9]               Selon moi, la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité. La tâche de l’agent est d’analyser la pertinence de tenir une audience compte tenu du contexte particulier d’un dossier et d’étudier les faits en question à la lumière des facteurs prévus à l’article 167 du Règlement. Ainsi, il s’agit d’une question mixte de faits et de droit. Comme la Cour suprême l’a maintenu au paragraphe 53 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, les questions mixtes de faits et de droit requièrent la retenue et sont susceptibles de contrôle en fonction de la norme de la raisonnabilité.

 

[10]           Concernant cette norme, la Cour ne peut intervenir que si la décision de l’agent n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

C. La nécessité d’une audience

[11]           Une audience est seulement nécessaire si tous les facteurs prévus à l’article 167 du Règlement sont réunis (Bhallu c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1324). En l’espèce, le demandeur prétend que tous les facteurs ont été réunis.

 

[12]           La preuve démontrant l’homosexualité du demandeur est essentielle à la décision. De plus, l’agent a reconnu l’existence d’un risque pour les homosexuels en Iran. Il est logique de croire que si l’agent avait admis la preuve de l’homosexualité du demandeur, la preuve aurait justifié l’acceptation de la demande d’ERAR. La seule question est de savoir si la preuve soulève une question sérieuse concernant la crédibilité du demandeur.

 

[13]           Comme l’a étudié le juge Zinn dans l’affaire Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, lorsqu’un demandeur fournit une preuve, l’agent d’ERAR doit évaluer si celle‑ci est crédible (voir le paragraphe 25). La preuve peut manquer de crédibilité pour toute sorte de raisons : elle peut être vague, ne pas être fiable ou être de nature intéressée. Même lorsque la preuve est dite fiable, l’agent d’ERAR peut conclure que la preuve a peu d’importance ou de valeur probante. Lorsque l’agent d’ERAR ne fait que commenter que la preuve présentée n’a pas de valeur probante suffisante, l’agent n’émet pas une opinion relative à la crédibilité de la personne présentant la preuve et, par conséquent, une entrevue n’est pas nécessaire.

 

[14]           Dans ce contexte légal, si justement établi par le juge Zinn, il y a eu des affaires pour lesquelles la Cour a conclu que l’agent d’ERAR avait rendu une décision « déguisée » en matière de crédibilité (voir, par exemple, Begashaw c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2009 FC 1167, au paragraphe 20). À chaque fois, la Cour doit regarder au‑delà des mots d’une décision et doit évaluer si elle est fondée sur le caractère satisfaisant de la preuve ou s’il s’agit en fait d’une décision en matière de crédibilité.

 

[15]           Dans sa demande d’ERAR, le demandeur a inclus de volumineuses observations déclarant son homosexualité. Le demandeur a aussi joint à sa demande plusieurs autres éléments de preuve qui ont été admis par l’agent en tant que « nouvelle preuve ». Je mets en doute le fait que ces éléments de preuve étaient réellement « nouveaux » au sens du paragraphe 113a) de la LIPR, puisqu’ils constituent le genre de preuve documentaire qui aurait pu et aurait dû être présentée au cours de l’audience du demandeur devant la SPR. Toutefois, je n’ai pas à trancher sur cette question, car l’agent a admis et étudié tous les documents présentés en tant que « nouveaux ».

 

[16]           Lors de mon évaluation de la décision de l’agent, j’ai fait les deux observations suivantes :

            1.    Le demandeur a le fardeau de la preuve lorsqu’il s’agit d’une demande d’ERAR (voir, par exemple, Ferguson, au paragraphe 21);

            2.    La SPR a conclu que l’allégation du demandeur selon laquelle il était homosexuel n’était pas crédible. Comme l’a noté la SPR au paragraphe 18 de sa décision :

En raison du témoignage qui a changé à de nombreux égards sans explication satisfaisante, je conclus que cet incident clé n’a pas eu lieu. Cela, doublé d’un manque de preuves à l’appui et d’un témoignage vague au sujet de son style de vie me portent à conclure que le demandeur d’asile n’est pas homosexuel. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[17]           En somme, le demandeur essayait de démontrer que la SPR faisait erreur. Pour se décharger de son fardeau, le demandeur devait présenter une preuve d’une valeur probante suffisante pour démontrer que, si elle avait été soumise à la SPR, elle aurait influencé l’issue de l’audience.

 

[18]           Dans cette optique, les seules affirmations émises par le demandeur selon lesquelles il était homosexuel sont insuffisantes pour le décharger de son fardeau; il avait déjà fait de telles allégations à la SPR. Il n’était pas déraisonnable pour l’agent de conclure que les affirmations intéressées du demandeur selon lesquelles il avait assisté à une parade de la fierté gaie et qu’il était membre du [traduction] « centre communautaire gai sur la rue Dave [sic], à Vancouver » étaient insuffisantes pour démontrer que le demandeur était homosexuel.

 

[19]           Il ne reste que les divers documents présentés par le demandeur. Il me semble que, lorsqu’un demandeur essaie de démontrer que la SPR a tiré une conclusion erronée, la « nouvelle » preuve doit être claire et convaincante. Selon moi, l’agent a raisonnablement conclu qu’aucun élément de preuve n’était suffisant pour atteindre ce seuil. Spécifiquement :

  • Une carte de membre qui ne présente qu’un code-bar et une signature sans le nom d’un quelconque organisme ne constitue pas une preuve convaincante de l’appartenance à un club gai. Quoi qu’il en soit, il n’y avait pas de preuve que le groupe identifié par le demandeur en tant que « le groupe gai » ait même existé.
  • Des photographies du demandeur avec un autre homme, un soi‑disant « Iranien gai très connu », sur lesquelles ils apparaissent vêtus d’une serviette ont été présentées sans contexte et, par conséquent, ne constituent pas une preuve convaincante de l’orientation sexuelle du demandeur.
  • Une lettre sans date, provenant prétendument de S, dont le ton, a reconnu l’agent, [traduction] « dénote une relation intime », a été présentée sans la preuve qu’elle avait été envoyée de la Corée du Sud, là où S demeurait au dire du demandeur. De plus, la traduction de la lettre n’était pas certifiée. Il n’était pas déraisonnable pour l’agent d’accorder peu d’importance à cette lettre.
  • De façon similaire, une facture de téléphone cellulaire comportant [traduction] « trois courts appels » faits vers la Corée du Sud, là où demeure prétendument S, n’a pas été estimée par l’agent comme constituant une preuve de l’orientation sexuelle du demandeur.
  • Une lettre du directeur administratif d’un organisme situé à Toronto nommé les « Réfugiés Queers Iraniens » affirme que le demandeur est membre depuis 2009. Comme l’agent l’a raisonnablement remarqué, [traduction] « il est probable que ce renseignement provienne du demandeur lui‑même et non de sa connaissance personnelle » et à ce titre, ce ne constituait pas une preuve convaincante que le demandeur était homosexuel.

 

[20]           Le seul autre élément de preuve était le résultat d’une recherche du nom du demandeur sur Internet réalisée par l’agent. L’agent a découvert des profils sur deux sites de réseautage social qui semblaient appartenir au demandeur et qui indiquaient qu’il cherchait à rencontrer des femmes, contrairement à son affirmation selon laquelle il était homosexuel. Ils ont été présentés au demandeur le 26 juillet 2010. Le demandeur n’a pas contesté que les profils étaient les siens et il a expliqué qu’il était bisexuel.

 

[21]           Dans sa décision, l’agent a examiné les réponses du demandeur de manière assez détaillée. Les observations de l’agent, si elles sont prises en considération séparément, semblent remettre en question la crédibilité du demandeur. Cependant, selon moi, ces remarques ne sont vraiment pas pertinentes quant à la décision dans son ensemble. Les profils des sites Web ne présentaient pas le demandeur en tant qu’homosexuel ou bisexuel. En d’autres mots, ils ne représentaient pas une preuve étayant l’allégation du demandeur. Bien que les profils puissent être considérés comme contredisant l’allégation du demandeur, l’agent n’a pas rejeté la demande pour cette raison. L’explication du demandeur, se révélant une autre allégation sans preuve de son orientation sexuelle, était aussi insuffisante pour le décharger de son fardeau. Les profils Internet et les explications du demandeur pour ceux‑ci ne soulèvent pas une question sérieuse quant à la crédibilité du demandeur en ce qui concerne sa demande d’ERAR.

 

IV. Conclusion

[22]           En somme, je suis convaincue que l’évaluation de la preuve par l’agent à savoir si elle répondait aux exigences du paragraphe 167a) du Règlement était raisonnable. En d’autres mots, il était raisonnable pour l’agent de conclure qu’il n’y avait pas de « nouvel » élément de preuve qui pouvait soulever une question sérieuse quant à la crédibilité, tel que le prévoit le paragraphe 167a) du Règlement. Une audience n’était pas nécessaire. La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[23]           Aucune des parties n’a soumis de question aux fins de certification.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que :

1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.         Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6385-10

 

INTITULÉ :                                       MASOUD MOSAVAT c. MCI et al.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er juin 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 6 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gabriel Chand

POUR LE DEMANDEUR

 

Edward Burnet

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Chand & Company Law Corporation

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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