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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110608

Dossier : T-1671-09

Référence : 2011 CF 649

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2011

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

ENTRE :

 

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, l’Alliance de la fonction publique du Canada, sollicite, au titre de l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A-1 (la Loi), la révision d’une demande de communication d’information adressée au ministère de la Justice (le ministère) en date du 5 juin 2009. La demanderesse vise à obtenir un jugement déclaratoire portant que la prorogation de délai demandée par le défendeur est abusive et qu’elle vaut refus de donner accès à l’information demandée; elle sollicite également une ordonnance enjoignant au défendeur de communiquer l’information demandée en temps utile.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, je suis d’avis que la demande de révision devrait être rejetée.

 

Les faits

[3]               Le 27 janvier 2009, dans le cadre de la Loi d’exécution du budget de 2009, L.C. 2009, ch. 2, le gouvernement fédéral a édicté la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public (la LERSP), qui prévoit un nouveau régime pour le règlement des différends en matière d’équité salariale, régime qui se substituera au droit de l’employé de déposer une plainte à ce sujet sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6.

 

[4]               La demanderesse, un syndicat qui représente quelque 150 000 fonctionnaires fédéraux, a agi pour ses membres dans de nombreux différends portant sur l’équité salariale et dans des litiges connexes. Elle n’a appris l’existence de la LERSP qu’au moment de son dépôt et a immédiatement lancé une campagne pour s’opposer aux changements. Elle a également intenté une poursuite devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario afin de contester la constitutionnalité de la LERSP et d’autres parties de la Loi d’exécution du budget de 2009. Le 20 mars 2009, pour étoffer sa campagne et mieux informer ses membres, la demanderesse a présenté au ministère une demande de communication en vue d’obtenir l’information relative à l’élaboration de la LERSP.

 

[5]               Le ministère ayant signifié qu’il aurait besoin de cinq années supplémentaires pour satisfaire à la demande, la demanderesse a accepté de scinder sa demande en plusieurs demandes moins volumineuses. L’une de ces demandes portait sur tous les documents produits entre le 1er janvier 2006 et le 26 janvier 2008, et détenus par le Secteur du droit public, en lien avec la programmation ou le déroulement des réunions, les présentations ou consultations relatives à l’élaboration ou à la modification des politiques et textes de loi traitant d’équité salariale, de rémunération équitable ou de la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public (et la réglementation connexe), notamment les notes, notes de breffage, ordres du jour, procès-verbaux, mémoires, rapports, évaluations, courriels, lettres, présentations média, résumés, documents distribués et autres types de correspondance. L’objet de la demande de communication n’englobait pas de dossiers relatifs aux plaintes en instance ou aux ententes de règlement en cours de négociation en matière d’équité salariale, ni aux litiges connexes. C’est sur cette demande que porte la présente demande de révision.

 

[6]               La demande de communication a été confiée à un analyste le 30 juin 2009. À l’issue d’une réunion à laquelle tout le personnel du bureau de l’accès à l’information avait été convié pour discuter des demandes relatives à l’équité salariale, le ministère a jugé qu’il avait besoin, suivant l’article 9 de la Loi, de 760 jours – ou 25 mois – supplémentaires pour donner suite à la demande, soit 11 mois pour l’examen des documents et 14 mois pour mener des consultations auprès des autres institutions fédérales. Le ministère a informé la demanderesse qu’elle prorogeait le délai le 8 juillet 2009.

 

[7]               Le 10 juillet 2009, la demanderesse a communiqué avec le Commissaire à l’information (le Commissaire) afin de déposer une plainte au sujet de la prorogation, qu’elle jugeait abusive. Le Commissaire a fait enquête sur la plainte et, le 25 août 2009, a annoncé qu’il tentait de s’entendre avec le ministère sur un moyen d’expédier le traitement de la demande.

 

[8]               Le 27 août 2009, la demanderesse a reçu du Commissaire une lettre datée du 24 août 2009. Ce dernier y déclarait que la plainte n’était étayée par aucune preuve et qu’elle était, de ce fait, rejetée. La demanderesse a donc présenté la demande de révision le 8 octobre 2009.

 

Les questions en litige

[9]               La présente demande soulève les questions suivantes :

a.       La Cour a-t-elle compétence pour connaître de la présente demande?

b.      Dans l’affirmative, la prorogation était-elle abusive?

 

a. La Cour a-t-elle compétence pour connaître de la présente demande?

La thèse de la demanderesse

[10]           La demanderesse reconnaît que la Cour, jusqu’à présent, s’est montrée divisée quant à la question de savoir si l’article 41 de la Loi l’autorisait à réviser la prorogation d’un délai. Toutefois, elle avance que, si la Cour adoptait une approche interprétative de cette disposition et procédait à un examen des questions relatives à la Charte, elle conclurait que, pour que le droit d’accès soit efficace et permette de prendre connaissance des documents en temps utile, elle doit nécessairement pouvoir réviser les délais prorogés et forcer la communication des documents si elle juge la prorogation abusive.

 

[11]           La demanderesse se fonde sur la décision rendue par le juge Jerome dans Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre des Affaires extérieures), [1989] 1 C.F. 4, [1988] A.C.F. no 383, et celle, connexe, rendue par le juge Muldoon dans Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre des Affaires extérieures), [1990] 3 C.F. 514, [1990] A.C.F. no 721 (collectivement, les décisions Affaires extérieures). Ces décisions portent sur une même demande et, dans les deux cas, la Cour a conclu qu’elle avait compétence pour décider si la prorogation d’un délai valait refus de communication.

 

 

[12]           La demanderesse fait valoir que les décisions récentes à l’effet contraire ne tiennent pas compte de la nature quasi constitutionnelle de la Loi ni du droit d’accès présumé conféré par ses dispositions. Elle souligne que la décision X. c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1991] 1 C.F. 670, [1990] A.C.F. no 1081, repose sur une qualification inexacte de la Loi, à savoir que celle-ci serait de nature purement administrative.

 

[13]           La demanderesse prétend en outre que l’approche adoptée par la Cour dans les décisions X et Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2002 CFPI 136, [2002] 4 C.F. 110 (Procureur général), prive les plaignants de tout recours en cas de prorogation ou de retards, puisque le Commissaire ne peut forcer la communication d’information, même lorsque la plainte est fondée.

 

[14]           La demanderesse cite divers passages des décisions susmentionnées à l’appui de l’argument qu’elle avance, à savoir qu’un délai trop long constitue un refus présumé; elle invoque aussi une décision rendue en matière de liberté de l’information par la Cour de district des États-Unis pour le district Sud de l’État de New York.

 

[15]           La demanderesse cite un arrêt récent, Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] A.C.S. n25, dans lequel la Cour suprême du Canada a confirmé la nature quasi constitutionnelle de la Loi, et elle se fonde sur l’extrait suivant des motifs de la décision, tiré du paragraphe 54, selon lequel « l’expression "relevant de" doit être interprétée d’une manière large et libérale pour assurer un droit d’accès efficace aux documents de l’administration fédérale ».

 

 

[16]           Enfin, la demanderesse prétend qu’aucune explication n’a été donnée pour justifier la prorogation faisant l’objet du litige et que celle-ci est abusive, parce que toutes les recherches nécessaires pour donner suite à la demande de communication étaient terminées le 20 octobre 2009. La demanderesse ajoute que, d’après le témoignage de l’analyste qui traite la demande, il est fort peu probable qu’une réponse soit reçue d’ici le 4 août 2011, date d’expiration de la prorogation.

 

La thèse du défendeur

[17]           Le défendeur affirme que la Cour n’a pas compétence pour connaître de la présente demande. Il soutient qu’il ne peut y avoir de refus ni, par conséquent, de révision au titre de l’article 41 de la Loi tant que le nouveau délai n’est pas arrivé à échéance sans qu’on ait donné suite à la demande.

 

[18]           Selon le défendeur, la Cour ne devrait pas tenir compte des décisions Affaires extérieures, car ces dernières dépendaient de concessions faites par le ministère public, concessions qui n’ont pas été faites en l’espèce. Le défendeur souligne que ces affaires se distinguent de la présente demande, car, au moment où elles ont été instruites par la Cour, le délai supplémentaire était écoulé et aucune suite n’avait été donnée à la demande de communication : il y avait donc présomption de refus, conformément au paragraphe 10(3) de la Loi.

 

[19]           Le défendeur se fonde sur la décision X, où la Cour a conclu qu’il ne lui appartenait pas de substituer son opinion à celle des institutions fédérales quant à la question de savoir si une prorogation dépassant la limite de trente jours prévue par la Loi était raisonnable. Il invoque également Procureur général, où la Cour a adopté les motifs exposés dans X et a conclu qu’on ne pouvait présumer qu’une demande a été refusée tant que le délai supplémentaire ne s’est pas écoulé sans qu’une réponse à la demande ne soit reçue.

 

[20]           Le défendeur affirme avec insistance que le texte de la Loi ne permet pas d’étayer l’argument de la demanderesse voulant qu’une prorogation déraisonnablement longue vaille refus. Le paragraphe 10(3) traite de la présomption de refus et l’article 41 limite la compétence de la Cour aux seuls cas où il y a eu refus. Le défendeur fait valoir que son interprétation trouve appui dans le libellé du paragraphe 30(1) de la Loi, qui énonce les motifs pour lesquels une plainte peut être présentée au Commissaire, et qui établit une distinction entre les plaintes à l’encontre d’un refus et les plaintes visant la prorogation d’un délai que le plaignant estime abusive.

 

Analyse

[21]           À mon sens, il ne peut y avoir de refus, ni, par conséquent, de révision au titre de l’article 41 de la Loi avant que n’expire le délai de traitement de la demande de communication. Le libellé de la Loi limite clairement la compétence de révision de la Cour aux refus, réels ou présumés, et n’admet pas la révision des prorogations. Ainsi que l’a conclu la Cour, au paragraphe 25 de la décision Procureur général :

[25] Le législateur a clairement prévu les « présomptions de refus » au paragraphe 10(3), mais il ne l’a pas fait dans les autres dispositions de la Loi. Il y a « présomption de refus » lorsque le ministère fait défaut de communiquer le document dans le délai fixé par la Loi, c.-à-d. le délai de 30 jours prévu à l’article 7 ou un délai prorogé en application de l’article 9. Je suis d’avis qu’en l’espèce, le délai prorogé n’était pas écoulé, de sorte qu’il ne peut y avoir aucune « présomption de refus » de communication.

 

 

[22]           De plus, j’adhère pleinement au raisonnement exposé dans la décision X, où la Cour a conclu, au paragraphe 13, que, sauf en cas de refus persistant de permettre l’accès à l’information, « il n’incombe pas à la Cour de se pencher sur la question du caractère raisonnable des activités internes d’un ministère ».

 

[23]           Je reconnais que les décisions Affaires extérieures étayent les arguments de la défenderesse, mais elles ne me convainquent pas. Dans ces affaires, le ministère public avait reconnu qu’une prorogation abusive valait refus. Aucune concession du genre n’a été faite en l’espèce, et du reste, le Commissaire a conclu que la prorogation dont il est question ici était raisonnable. Par conséquent, je ne puis conclure que cette prorogation est assimilable à un refus qui me donnerait compétence pour connaître de la demande.

 

[24]           Si, comme le prétend la demanderesse, aucune réponse n’est reçue avant l’expiration du nouveau délai, elle pourra se plaindre au Commissaire. Toutefois, aucun refus n’a encore été opposé et donc, pour le moment, la Cour n’a pas compétence pour statuer sur le bien-fondé de la présente demande.

 

b. Dans l’affirmative, la prorogation était-elle abusive?

[25]           Compte tenu des conclusions auxquelles je suis arrivé précédemment, il ne m’est pas nécessaire de traiter de la deuxième question en litige.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  La demanderesse doit verser au défendeur une somme forfaitaire de 4 500 $ au titre des dépens, débours compris.

 

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1671-09

 

INTITULÉ :                                       Alliance de la fonction publique du Canada

                                                            et Procureur général du Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Astritis

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jennifer Francis

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck, s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Civil Litigation Section

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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