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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110615

Dossier : IMM-4839-10

Référence : 2011 CF 694

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 15 juin 2011

En présence de madame la juge Bédard

 

 

ENTRE :

 

MELANIE LOVERIDGE

 

 

 

demanderesse

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision rendue le 28 juillet 2010 par une agente des visas du Haut-Commissariat du Canada au Royaume-Uni, selon laquelle la demande de la demanderesse pour un permis d’études a été rejetée.

 

[2]               L’avocat de la demanderesse a demandé à ce que l’intitulé soit modifié afin que la demanderesse y soit désignée par son nom complet plutôt que par une initiale.

 

I. Le contexte

 

[3]               La demanderesse est une citoyenne du Royaume-Uni (RU). Entre les années 2006 et 2009, elle a étudié en soins aux animaux et en gestion des animaux au Hartpury College, dans le Gloucestershire.

 

[4]               Le 22 mars 2010, elle a été acceptée dans le programme de science prémédicale au Georgian College, en Ontario, pour l’année scolaire 2010-2011. Elle a également été acceptée sous conditions dans le programme de technique vétérinaire pour l’année scolaire suivante.

 

[5]               À la fin du mois de mars 2010, elle a présenté une demande de permis d’études au Haut-Commissariat du Canada au RU. Elle a précisé dans sa demande que son mari l’accompagnerait au Canada.

 

[6]               La demanderesse a présenté une [traduction] « lettre de motivation » pour appuyer sa demande. Cette lettre est en partie libellée ainsi :

[traduction]

 

J’ai décidé d’étudier en science prémédicale et en technique vétérinaire au Canada parce que je désire commencer une nouvelle vie au Canada et profiter de l’éducation. J’ai choisi ces programmes parce que je suis une passionnée des animaux et de la science vétérinaire. En commençant une nouvelle vie au Canada, je crois que je pourrai être plus heureuse dans un pays où il y a plus d’occasions d’emploi. Maintenant que j’ai été acceptée dans le programme de science prémédicale, je peux profiter de l’éducation à mon maximum.

[…]

J’ai choisi de ne pas étudier en Angleterre parce qu’il n’y a pas beaucoup de places disponibles dans les collèges parce que le milieu vétérinaire est très compétitif. Si j’avais fait une demande dans un collège en Angleterre et obtenu mon diplôme, il aurait été difficile de me trouver un emploi en raison de la récession et parce qu’il y a trop de personnes ici qui souhaitent travailler avec les animaux. Il n’y a que très peu d’emplois avec les animaux en Angleterre et on m’a dit qu’il y avait beaucoup d’emplois avec les animaux au Canada.

[…]

Si je suivais un cours en Angleterre, j’aurais les compétences requises pour la profession vétérinaire, mais les chances de me trouver un emploi dans le milieu vétérinaire ne seraient pas très élevées parce qu’il a beaucoup de personnes qui recherchent ce type d’emploi. Lorsque je reviendrai au RU, je pourrai me faire créditer les compétences acquises au Canada pour une équivalence du RU. Parce que le milieu vétérinaire est très compétitif au RU, j’ai de bonnes raisons de penser que les employeurs du RU apprécieront mon expérience et mes compétences acquises au Canada. En plus des compétences et de l’expérience acquises au RU, tout cela devrait optimiser mes chances de trouver un emploi lors de mon retour au RU.

 

Ma famille et mes amis vivent au RU.

 

II. La décision contestée

 

[7]               Dans une lettre datée du 28 juillet 2010, une agente des visas du Haut-Commissariat du Canada au RU a conclu que la demanderesse ne respectait pas les critères dictés par la LIPR pour l’obtention d’un permis d’études. L’agente a justifié sa décision comme suit :

[traduction]

 

Vous n’avez pas montré que vous avez des liens suffisamment forts au RU pour me convaincre que vous avez la double intention et que vous quitterez le Canada à l’expiration de votre permis d’études.

 

[8]               Dans une note du Système de traitement des informations des dossiers d’immigration (le STIDI), datée du 23 juillet 2010, l’agente a mentionné que la demanderesse et son mari étaient sans emploi au RU, qu’ils avaient tous deux éprouvé des difficultés à s’y établir, qu’il n’y avait aucune preuve montrant qu’ils y possédaient des biens immobiliers et que les documents bancaires qu’ils avaient présentés ne donnaient aucun détail concernant la titulaire des comptes. Elle a conclu que la demanderesse et son mari n’avaient que peu de liens au RU et a conclu qu’elle [traduction] « n’était pas convaincue » qu’ils retourneraient au RU s’ils n’obtenaient pas leur résidence permanente au Canada.

 

III. La question en litige

 

[9]               Il n’y a qu’une seule question soulevée par la présente demande :

L’agente a-t-elle erré en concluant que la demanderesse n’avait pas montré qu’elle quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée?

 

IV. La norme de contrôle

 

[10]           La question de savoir si un demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée est une question de fait contrôlée selon la raisonnabilité (Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 602, au paragraphe 28, 178 A.C.W.S. (3d) 428; Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 619, au paragraphe 13, 345 F.T.R. 294 (Wang)). L’analyse de la Cour tiendra à la justification de la décision, à sa transparence et à son intelligibilité et à savoir si elle se trouve parmi les issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

V. Analyse

 

[11]           L’alinéa 20(1)b) de la LIPR prévoit, en partie, qu’afin de pouvoir devenir un résident temporaire, un étranger est tenu de prouver qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée :

Obligation à l’entrée au Canada

 

20. (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

 

 

[...]

 

b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

Obligation on entry

 

20. (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

 

 

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

 

[12]           L’alinéa 216(1)b) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, prévoit également qu’un étranger qui a demandé un permis d’études est tenu de prouver qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée :

Permis d’études

 

216. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’agent délivre un permis d’études à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

[…]

 

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

Study permits

 

216. (1) Subject to subsections (2) and (3), an officer shall issue a study permit to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

 

 

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

 

[13]           Malgré l’exigence formelle obligeant les demandeurs à prouver qu’ils auront quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, le paragraphe 22(2) de la LIPR permet cependant à un demandeur de devenir un résident temporaire dans l’intention ultime de devenir un résident permanent. C’est-à-dire qu’ « une personne peut avoir la double intention d'immigrer et de respecter les règles de droit applicables au sujet du séjour temporaire » (Rebmann c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 310, au paragraphe 19, [2005] 3 R.C.F. 285). Le paragraphe 22(2) est libellé ainsi :

Double intention

 

22(2) L’intention qu’il a de s’établir au Canada n’empêche pas l’étranger de devenir résident temporaire sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

Dual intent

 

22(2) An intention by a foreign national to become a permanent resident does not preclude them from becoming a temporary resident if the officer is satisfied that they will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

 

[14]           La demanderesse soutient qu’il était déraisonnable de la part de l’agente, à la lumière de la preuve présentée, de lui prêter l’intention de rester de manière permanente au Canada. Elle insiste et affirme que sa lettre de motivation montrait, à tout le moins, sa volonté de retourner au RU si elle le devait et qu’ainsi, il était déraisonnable de la part de l’agente de conclure qu’elle n’avait pas montré qu’elle quitterait le Canada si elle le devait. Elle soutient qu’en fait, sa lettre de motivation exprime clairement sa double intention : qu’elle resterait au Canada si elle avait la chance de le faire, mais qu’elle retournerait au RU si elle le devait. Elle soutient qu’elle n’a pas besoin d’avoir l’intention ferme de retourner dans son pays d’origine pour montrer qu’elle avait la double intention au sens de l’article 22 de la LIPR.

 

[15]           La demanderesse affirme avec insistance qu’elle était crédible et qu’elle avait fourni toutes les informations requises dans sa demande. Elle soutient qu’il n’y avait aucune contradiction dans sa lettre de motivation, et qu’au contraire, cette lettre clarifiait ses intentions. Elle soutient également que l’agente a erré en concluant que les relevés bancaires ne précisaient pas qui étaient les titulaires des comptes, parce que le nom NLoveridge apparaissait sur les relevés. De plus, elle fait remarquer que sa famille et ses amis vivent au RU et que cela montre qu’elle a des liens forts avec ce pays ainsi que son intention d’y retourner. La demanderesse affirme également qu’aucune conclusion défavorable ne devrait être tirée parce qu’elle et son mari n’avaient pas d’emploi et parce qu’elle n’avait aucun bien immobilier au RU. Elle soutient que ces circonstances pouvaient être vues comme étant des motifs de vouloir émigrer, mais qu’elles ne peuvent étayer l’affirmation que la demanderesse refuserait de quitter le Canada si elle le devait.

 

[16]           Le défendeur, toutefois, soutient que la lettre de motivation de la demanderesse était vague, contradictoire et qu’elle ne pouvait être valablement considérée comme appuyant l’intention même de retourner au RU. Le défendeur soutient que la charge revenait à la demanderesse de convaincre l’agente qu’elle quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, et qu’elle n’avait pas réussi à s’acquitter de cette charge.

 

[17]           Je suis d’accord avec le défendeur que la lettre de motivation de la demanderesse est contradictoire et vague. Dans la première partie de la lettre, la demanderesse mentionne que son intention est de rester au Canada de façon permanente. Elle parle de [traduction] « commencer une nouvelle vie au Canada » et affirme qu’elle serait [traduction] « plus heureuse dans un pays où il y a plus d’occasions d’emploi ». Si sa seule intention était de rester au Canada seulement pour le temps de ses études, comme elle le soutient, alors elle ne devrait pas tenir compte du fait que les occasions d’emploi y sont meilleures. Dans la dernière partie de sa lettre, cependant, la demanderesse affirme que [traduction] « lorsque » elle retournera au RU, elle sera en mesure d’utiliser avantageusement dans sa recherche d’emploi l’éducation reçue au Canada.

 

[18]           La lettre de motivation, donc, montre tant une intention de rester au Canada qu’une intention de quitter le Canada et de retourner au RU. Cela est différent de la « double intention » au sens du paragraphe 22(2) de la LIPR, parce que ce type de « double intention » est, en fait, l’intention de rester au Canada de façon permanente jointe à l’intention de respecter les règlements d’immigration, ce qui implique avoir la volonté de quitter le Canada si cela est requis. Les deux intentions prévues dans le paragraphe 22(2) sont complémentaires et non contradictoires.

 

[19]           Vu que les intentions exprimées par la demanderesse dans sa lettre de motivation semblent être contradictoires, il ne peut être affirmé que l’agente a agit de manière déraisonnable en concluant que la lettre n’appuyait guère l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

 

[20]           En fait, il incombait à la demanderesse de prouver qu’elle quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Comme le juge Russel Zinn l’a dit dans Wang, précité, au paragraphe 14 : « L’agent a l’obligation d’évaluer la preuve qui lui a été présentée et de pondérer ces éléments de preuve afin de décider si elle démontre, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur quittera le Canada lorsque son permis d’études expirera. » 

 

[21]           L’agente a fait remarquer que tant la demanderesse que son mari n’avaient pas d’emploi au RU et qu’ils avaient tous deux éprouvé des difficultés à s’y établir. Elle a également fait remarquer qu’il n’y avait aucune preuve qu’ils possédaient des biens immobiliers au RU. Elle a conclu que la demanderesse n’avait pas montré qu’elle avait des liens suffisamment forts au RU pour établir qu’elle quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Bien qu’il soit vrai que la demanderesse a effectivement mentionné dans sa lettre de motivation que sa [traduction] « famille et [s]es amis vivent au RU », elle n’a pas fourni plus de détails concernant ses liens familiaux et autres au RU.

 

[22]           Enfin, même si l’agente a erré dans son appréciations des relevés bancaires, vu la nature contradictoire de la lettre de motivation de la demanderesse, en plus de l’insuffisance des autres éléments de preuve montrant que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, il ne peut être affirmé que l’agente a erré en concluant que la demanderesse n’avait pas établi sa double intention. Ce n’est pas le rôle de la Cour de réévaluer la preuve. La décision de l’agente appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et est raisonnable.

 

[23]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[24]           Aucune question à certifier n’a été proposée et l’affaire n’en soulève aucune.


 

JUGEMENT

 

LA COUR statue comme suit : la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée. L’intitulé est modifié et la demanderesse est désignée sous le nom de Melanie Loveridge.

 

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4839-10

 

INTITULÉ :                                       MELANIE LOVERIDGE c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 15 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Vonnie E. Rochester

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Yan Demers

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vonnie E. Rochester

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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