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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110526

Dossier : IMM-5837-10

Référence : 2011 CF 593

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2011

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

YOUSSOUF HASSAN ALI

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), par Youssouf Hassan Ali (le demandeur), d’une décision rendue par un commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de Djibouti et un membre de la tribu des Yibirs, un groupe minoritaire qui a subi de la discrimination à Djibouti pendant plusieurs années. Dans le passé, les Yibirs se sont vu refuser le droit à l’éducation, bien que cela ait changé récemment. Le demandeur est né le 25 mars 1977.

 

[3]               Le demandeur a fait un baccalauréat en administration et a poursuivi ses études à l’université pendant deux ans. Il a eu une formation pour devenir enseignant et a passé les examens. Il a obtenu un emploi à l’école où il avait reçu sa formation et y a enseigné pendant quatre ans.

 

[4]               Le demandeur affirme qu’il a été l’objet de discrimination pendant toute sa vie. Les enfants à l’école se moquaient de lui. Il a été incapable de marier quelqu’un d’une autre tribu. Le directeur de l’école à laquelle il a enseigné avait des préjugés contre lui en raison de son origine ethnique.

 

[5]               Neuf enseignants et le demandeur se seraient rassemblés pour créer un mouvement secret qui combattait la discrimination faite contre la tribu des Yibirs. Deux autres membres appartenaient à la tribu des Yibirs, les autres appartenaient à d’autres tribus. Ils ont communiqué par courriel avec des organisations de défense des droits de la personne au sujet de la discrimination faite contre les Yibirs.

 

[6]               Le demandeur affirme qu’en février 2005, en raison de son association avec ce mouvement, il fut appréhendé, interrogé et torturé. Le demandeur a quitté Djibouti le 2 décembre 2007.

 

* * * * * * * *

 

[7]               La Commission a conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible ou fiable. Ses éléments de preuve étaient par moments incohérents et il y avait des omissions importantes dans son témoignage.

 

[8]               La Commission a conclu qu’il y avait les contradictions et les omissions suivantes dans le témoignage du demandeur :

- Il a d’abord soutenu que l’organisation de défense des droits de la personne avec laquelle le groupe avait communiqué était située à Djibouti et il a ensuite affirmé qu’elle était située en Belgique;

- Il a soutenu qu’il avait reçu des réponses par courriel de l’organisation, mais qu’il n’en avait aucune copie parce qu’il les avait toutes supprimées pour s’assurer de ne pas se faire localiser;

- Il a affirmé que l’incident de février 2005 était la première fois qu’il avait des problèmes avec la police, mais il a affirmé dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP) que la police était intervenue plusieurs fois lors de réunions des membres du mouvement. Lorsque interrogé à ce sujet, il a affirmé qu’il parlait seulement de l’incident de l’emprisonnement;

- Il a affirmé qu’il avait d’abord été examiné par le médecin de la prison et ensuite par son médecin personnel, mais il n’y a aucune mention du second médecin dans le FRP;

- Il a affirmé à deux reprises qu’il était le seul membre du groupe à avoir été emprisonné, puis il a changé d’idée et a affirmé qu’il voulait dire être le seul à avoir été torturé;

- Il a affirmé qu’il avait été torturé parce qu’il était le membre le plus éduqué du groupe, mais la Commission a fait remarquer que tous les membres étaient supposément des collègues enseignants;

- Il a affirmé être le seul à avoir été torturé puis a affirmé que d’autres membres de la tribu des Yibirs avaient également été torturés.

 

 

 

[9]               La Commission a conclu que ces contradictions et omissions l’amenaient à conclure à un manque de crédibilité et de fiabilité de la part du demandeur et a cité la Cour d’appel fédérale dans Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238, au paragraphe 8 : « même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le [premier] palier d’audience peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication […] ».

 

[10]           La Commission a également conclu que la discrimination qu’a subie le demandeur n’équivaut pas à de la persécution. La Commission a cité tant la définition de la persécution donnée par la Cour d’appel fédérale dans Rajudeen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1984), 55 N.R. 129, aux pages 133 et 134, Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, aux pages 733 et 734, que la définition donnée par le professeur James C. Hathaway dans son livre The Law of Refugee Status (Toronto : Butterworths, 1991), aux pages 104 et 105, et a conclu que pour qu’un mauvais traitement subi ou anticipé soit considéré comme étant de la persécution, il faut qu’il soit grave et qu’il constitue une négation catégorique d’un droit fondamental de la personne. La Commission a conclu que bien que le demandeur eût pu subir des actes discriminatoires, telles la restriction dans son choix d’une personne à marier et les moqueries de ses camarades de classe alors qu’il était plus jeune, ces actes n’équivalent pas à de la persécution. La Commission fait remarquer que le demandeur avait fait 17 années d’études et avait obtenu l’emploi qu’il désirait.

 

* * * * * * * *

 

[11]           À la suite des plaidoiries des avocats des deux parties et à la suite de l’évaluation des éléments de preuve, je suis convaincu que les conclusions de la Commission au sujet de la crédibilité sont généralement bien étayées par la preuve, y compris le FRP du demandeur ainsi que son témoignage. Je conclus qu’il était loisible à la Commission de tirer ces conclusions défavorables étayées par les contradictions et les omissions notées dans la preuve, à la lumière des incohérences dans les réponses du demandeur en ce qui concerne des éléments clés quant à sa demande. Étant donné que la Commission a eu l’avantage d’entendre et de voir le demandeur et se trouvait dans la meilleure position pour juger de sa crédibilité et évaluer les éléments de preuve, la Cour ne devrait pas substituer sa propre appréciation à celle de la Commission.

 

[12]           En ce qui concerne la question de la persécution ou de la discrimination, le demandeur soutient que la Commission a erré en ne tenant pas compte de l’effet cumulatif des actes discriminatoires subis, afin de déterminer s’ils équivalaient à de la persécution. Le demandeur cite le juge Mahoney dans Sagharichi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 796 (C.A.), au paragraphe 3 :

     Il est vrai que la ligne de démarcation entre la persécution ou le harcèlement est difficile à tracer, d’autant plus que, dans le contexte du droit des réfugiés, il a été conclu que la discrimination peut fort bien être considérée comme équivalant à la persécution. Il est également vrai que la question de l’existence de la persécution dans les cas de discrimination ou de harcèlement n’est pas simplement une question de fait, mais aussi une question mixte de droit et de fait, et que des notions juridiques sont en cause. Toutefois, il reste que, dans tous les cas, il incombe à la Section du statut de réfugié de tirer sa conclusion dans le contexte factuel particulier, en effectuant une analyse minutieuse de la preuve présentée et en soupesant comme il convient les divers éléments de la preuve, et que l’intervention de cette Cour n’est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable.

 

 

 

[13]           Sagharichi montre également clairement le fait qu’une conclusion de cette nature relève de la compétence de la Commission. Bien que le demandeur conteste clairement la conclusion de la Commission à ce sujet, à mon avis, il n’y a aucune preuve que la conclusion de la Commission était déraisonnable étant donné la situation du demandeur. Ce dernier a fait 17 années d’études, a obtenu l’emploi qu’il désirait et a conservé cet emploi pendant quatre ans, jusqu’à son départ du pays. Bien qu’il ait pu subir du harcèlement et de la discrimination, je conclus qu’il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que cela n’équivalait pas à de la persécution.

 

[14]           Enfin, le demandeur soutient que la Commission a erré en omettant d’évaluer les éléments de preuve documentaire qui soutenaient sa demande, notamment que le succès obtenu dans ses études et son emploi l’avait été en dépit d’une grave discrimination.

 

[15]           À mon avis, à la lumière de la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas subi de persécution et que ses allégations de persécution policière étaient non étayées, il n’était pas nécessaire d’analyser la preuve documentaire en ce qui concerne Djibouti et la Somalie en général. La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas personnellement subi ces effets; ce qui était décisif quant à sa demande.

 

[16]           Pour ces motifs, je conclus que la conclusion de la Commission appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

[17]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[18]           Je suis d’accord avec les avocats des deux parties qu’il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié selon laquelle le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5837-10

 

INTITULÉ :                                       YOUSSOUF HASSAN ALI c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 26 mai 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Yerzy                                                     POUR LE DEMANDEUR

 

Samantha Reynolds                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Yerzy                                                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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