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Cour fédérale

Federal Court


Date : 20110614

Dossier : IMM-4165-10

Référence : 2011 CF 695

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

HANADI AL-MUSAWI

(alias Hanadi Hassan M Al-Musawi)

 

et

 

RIYAM AL-OJAIMI

(alias Riyam Wiaam Abd Al-Ojaimi)

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 17 juillet 2010 (la décision), qui a rejeté la demande des demanderesses visant à ce qu’elles soient reconnues comme des réfugiées au sens de la Convention ou des personnes à protéger, au titre des articles 96 et 97 de la Loi.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse et sa fille, la demanderesse mineure, sont des citoyennes de l’Iraq. Le père et la mère de la demanderesse sont des résidents permanents du Canada. Lorsque le père de la demanderesse a demandé d’immigrer au Canada en 1999, dans le cadre du Programme des travailleurs qualifiés, la demanderesse a joint sa demande à celle de son père. Cependant, lorsqu’elle s’est mariée, sa demande a été dissociée de celle de son père et annulée. En 2006, la demanderesse a fait une nouvelle demande dans le cadre du Programme des travailleurs qualifiés. Elle a communiqué pour la dernière fois avec des fonctionnaires canadiens de l’immigration concernant cette demande en traitement en 2008, et on lui aurait alors dit d’attendre que se soient écoulés 55 mois depuis la date du dépôt de la demande avant de s’enquérir à son sujet. La demanderesse attend toujours de connaître le sort de cette demande. En avril 2008, après avoir présenté une demande, la demanderesse a été admise comme étudiante à un collège d’arts appliqués et de technologie en Ontario. En juillet 2008, elle a demandé un visa d’étudiante pour étudier au Canada.

 

[3]               Avant de fuir l’Iraq, la demanderesse et son époux travaillaient à Bagdad à l’emploi d’Iraqna, une grande société de téléphonie mobile appartenant à des intérêts égyptiens. La demanderesse est ingénieure informaticienne, et elle occupait un poste de chef d’équipe au sein de la société. Elle affirme ce qui suit : à l’époque pertinente, environ 60 p. 100 des employés du bureau de Bagdad étaient des étrangers, américains pour la plupart; la rumeur voudrait que la société elle‑même soit une société juive/israélienne; bon nombre des cadres supérieurs ont admis à leur collègues de travail qu’ils étaient juifs. La demanderesse soutient en outre que les employés d’Iraqna sont exposés au risque d’être enlevés par des insurgés iraquiens, en particulier les employés qui sont juifs, mais, chose plus importante, ceux qui sont ingénieurs. En se débarrassant des ingénieurs qui bâtissent le réseau de télécommunications, les insurgés parviennent à signifier leur opposition au gouvernement et à ralentir le développement du pays.

 

[4]                La demanderesse soutient que, lorsqu’elle discutait avec ses collègues de travail durant les pauses du midi et les pauses-café, elle se montrait critique à l’égard du gouvernement, des partis sunnites et des milices comme l’armée Al-Mahdi, et son franc-parler irritait ses collègues shiites. La demanderesse affirme qu’elle est musulmane shiite et que son époux est musulman sunnite, un fait qu’elle a caché à ses collègues de travail.

 

[5]               La demanderesse allègue que le 1er juin 2008, une personne anonyme lui a téléphoné et lui a dit de quitter son emploi et de divorcer de son époux parce qu’il était sunnite. La demanderesse n’a pas pris l’incident au sérieux, pensant que la personne en question était un employé mécontent.

 

[6]               La demanderesse affirme que le 20 juin 2008, à 8 h 15, elle était sortie de sa maison et montait à bord de sa voiture pour se rendre au travail lorsqu’un homme a ouvert la portière de sa voiture et s’est assis sur le siège du passager à côté d’elle. En même temps, une deuxième voiture s’est approchée, et deux homme masqués en sont descendus et ont tenté d’extraire la demanderesse de sa propre voiture. Ses voisins ont accouru en criant pour la secourir. Cela a attiré l’attention des gardiens postés à l’extérieur du ministère de la Justice, qui est situé tout près de la demeure de la demanderesse. Les gardiens ont commencé à tirer en l’air. Les ravisseurs ont plaqué la demanderesse au sol et lui ont tiré dessus, mais ils l’ont ratée. Elle et son époux n’ont pas appelé la police, parce qu’ils la croyaient infiltrée par des miliciens et des criminels.

 

[7]               La demanderesse allègue que deux jours plus tard, une autre personne anonyme lui a téléphoné et lui a dit que les miliciens ne l’avaient pas oubliée et qu’elle devait quitter son emploi et divorcer de son époux. La demanderesse est allée demeurer chez son oncle, tandis que son époux est allé se cacher au sein de sa famille à Mosul. Son époux l’a informée que, lorsqu’il était à Mosul, Al-Qaeda l’avait menacé et l’avait accusé d’être un espion parce qu’il avait épousé une Shiite. Il s’est enfui par la suite en Syrie. La demanderesse et la demanderesse mineure ont quitté l’Iraq le 1er juillet 2008. Elles sont arrivées au Canada le 17 septembre 2008 et ont demandé l’asile le 26 septembre 2008. La demanderesse travaille actuellement à temps plein au service de la filiale canadienne d’Iraqna.

 

[8]               La demanderesse et la demanderesse mineure ont comparu devant la SPR le 31 mai 2010. Elles étaient représentées par un conseil, et un interprète était présent. Le conseil de la demanderesse a présenté des observations écrites complémentaires le 10 juin 2010. La SPR a conclu, dans la décision rendue le 17 juin 2010, que la demande d’asile de la demanderesse était motivée par son désir de venir au Canada, et non par celui de fuir l’Iraq. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle.


LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[9]               La SPR, sur la base des faits et gestes de la demanderesse, a conclu que celle‑ci était motivée par un désir de venir au Canada, plutôt que par celui de fuir l’Iraq.

 

Les faits et gestes de la demanderesse révèlent un intérêt continu préexistant à venir au Canada

 

[10]           La demanderesse a fait une demande pour étudier au Canada en avril 2008, bien que ses problèmes en Iraq n’aient commencé qu’au mois de mai de la même année. La SPR a conclu que la demanderesse avait demandé d’être admise à un collège canadien non pas pour étudier au pays, mais afin d’obtenir un visa canadien. La demanderesse a expliqué que, bien qu’elle ait été admise à étudier au Canada et qu’elle ait eu l’intention de venir étudier au pays, elle n’avait pas réalisé ce projet parce qu’elle [TRADUCTION] « n’avait plus la tête aux études » et qu’après la tentative d’enlèvement, elle était trop stressée pour pouvoir étudier. La SPR n’a pas admis cette explication. Elle a noté, premièrement, qu’il n’y avait aucun élément de preuve démontrant que la demanderesse avait des « problèmes psychologiques » à l’époque et, deuxièmement, qu’à l’audience, la demanderesse avait paru assez confiante et en possession de toutes ses facultés, et qu’elle semblait capable de s’adapter aux exigences de la vie au Canada. En conséquence, la SPR a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité.

 

[11]           La SPR a également pris en compte le fait que la demanderesse avait déposé deux demandes de résidence permanente auparavant – l’une en 1999 et l’autre en 2006 – qui indiquaient son intérêt continu préexistant à venir au Canada. Contrairement à ce que croyait la demanderesse, des éléments de preuve documentaire provenant de Citoyenneté et Immigration Canada indiquent que la demande de 1999 n’a pas été annulée et est toujours en traitement. La SPR a conclu que, si la demanderesse craignait d’être renvoyée en Iraq, elle se serait enquise de l’état d’avancement du traitement d’au moins une de ces deux demandes. Cela a amené la SPR à tirer une inférence négative quant à la crédibilité.

 

Les prétentions de risques liés à l’emploi de la demanderesse sont invraisemblables

 

[12]           La SPR note également que plusieurs éléments du Formulaire de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse sont invraisemblables et non corroborés. Par exemple, il était improbable qu’Iraqna, une société appartenant à un État arabe ayant des antécédents récents d’hostilité envers Israël, fût perçue comme étant une société juive/israélienne, comme le prétendait la demanderesse. Celle-ci a été incapable de nommer un seul employé qui fût juif, malgré son poste supérieur au sein de la société, et elle a été incapable de produire des éléments de preuve corroborant l’existence de cette perception, qu’elle disait pourtant généralisée. La SPR a trouvé cette faiblesse importante, parce que la perception de l’entreprise comme étant juive/israélienne était une des raisons que la demanderesse avait invoquées pour expliquer pourquoi les employés d’Iraqna avaient été ciblés. Cela a amené la SPR à tirer une inférence négative quant à la crédibilité.

 

[13]           La SPR a également trouvé invraisemblable l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle était vulnérable aux agressions, parce qu’elle travaillait au service d’une entreprise qui bâtissait l’infrastructure de télécommunications. L’article du journal China Daily produit en preuve au soutien de sa prétention est daté de janvier 2006 et n’est pas récent. La SPR a relevé que le rapport d’août 2007 des Nations Unies sur les demandeurs d’asile iraquiens n’incluait pas les ingénieurs ni les professionnels des télécommunications parmi les professionnels exposés à un risque en Iraq. L’allégation de la demanderesse selon laquelle des employés d’Iraqna auraient récemment disparu n’était pas corroborée. La SPR a conclu qu’il n’y avait « pas de possibilité sérieuse » que la demanderesse soit exposée à un risque à cause de la nature de son emploi.

 

[14]           La SPR a accordé peu de poids à l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle était vulnérable, parce qu’elle avait critiqué le gouvernement et les milices devant ses collègues au travail. Lorsqu’elle a été interrogée, la demanderesse a admis qu’elle n’avait pas été ciblée au travail, mais seulement que son superviseur l’avait avertie que certains des autres employés avaient certaines opinions à son sujet.

 

Il est peu probable que l’agression alléguée se soit produite comme la demanderesse le prétend

 

[15]           Pour ce qui concerne l’enlèvement allégué, la SPR a conclu que plusieurs aspects du récit de la demanderesse étaient invraisemblables. Premièrement, il était improbable que la demanderesse ne sût pas combien de coups de feu les ravisseurs avaient tirés dans sa direction. Elle était allongée au sol à leurs pieds, et donc tout près d’eux. Les coups de feu auraient été très bruyants, même si les gardiens du ministre de la Justice tiraient également des coups de feu de l’autre côté de la rue. Deuxièmement, il était improbable que les ravisseurs aient tiré de si près sur la demanderesse et l’aient ratée. Troisièmement, la demanderesse était incapable de documenter cette tentative d’enlèvement, malgré le fait que des voisins et des gardiens du ministère de la Justice en aient été témoins. La demanderesse n’avait pas signalé l’incident à la police. Son explication selon laquelle les témoins avaient trop peur pour faire une déposition et qu’elle croyait que la police était infiltrée par des insurgés n’a pas été admise. La SPR a conclu que les événements ne pouvaient pas raisonnablement s’être produits comme la demanderesse l’avait indiqué, et elle en a tiré une inférence négative quant à la crédibilité.

 

La demanderesse ne sera pas une femme célibataire ni une mère monoparentale si elle est renvoyée en Iraq

 

[16]           La SPR a admis les éléments de preuve contenus dans le Cartable national de documentation selon lesquels les femmes célibataires et les mères monoparentales sont exposées à un plus grand risque que les autres en Iraq. Cependant, la SPR a conclu que la demanderesse ne serait pas nécessairement une femme célibataire ni une mère monoparentale si elle devait retourner en Iraq. La demanderesse et son époux sont encore engagés dans une relation. Les motifs que son époux a eus de fuir l’Iraq sont liés à la persécution alléguée de la demanderesse. Puisque la demanderesse n’a pas réussi à établir qu’elle avait été persécutée, rien n’empêche son époux de retourner en Iraq, auquel cas la demanderesse ne sera pas une femme célibataire ni une mère monoparentale en Iraq, et elle ne serait donc pas exposée aux risques connexes.

 

La prétention de persécution religieuse de la demanderesse est non fondée

 

[17]           Compte tenu des problèmes généraux de crédibilité de la demanderesse et de l’absence d’éléments de preuve corroborant qu’elle et son époux appartenaient à des groupes religieux différents, la SPR n’a pas admis la prétention de la demanderesse selon laquelle leur mariage les exposait à un risque de persécution religieuse. Bien que les musulmans shiites soient vulnérables à la violence sectaire, il s’agit d’un risque généralisé. En outre, la SPR a reconnu le plus récent rapport du Département d’État des États-Unis, qui énonce que la violence sectaire a [TRADUCTION] « atteint son plus bas niveau depuis 2004 ».

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[18]           La demanderesse soulève la question suivante :

La SPR a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à établir de fondement objectif à une crainte justifiée de persécution fondée sur son identité en tant que femme professionnelle employée par une société qui avait déjà été ciblée par des insurgés?

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[19]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent dans la présente instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

 Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

 Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[20]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’était pas toujours nécessaire de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle. En effet, lorsque la jurisprudence est bien établie quant à la norme de contrôle applicable à une question précise dont la cour de révision est saisie, celle-ci peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsqu’une telle recherche ne donne aucun résultat que la cour de révision doit procéder à un examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[21]           La conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’a pas réussi à établir un fondement objectif à une crainte justifiée de persécution est une question mixte de fait et de droit. Elle est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Voir Butt c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 28, au paragraphe 6.

 

[22]           Lors de l’examen d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse porte sur « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que sur] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir les arrêts Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES ARGUMENTS

            La demanderesse

                        La SPR n’a pas examiné l’identité de la demanderesse prise dans son ensemble

 

[23]           La demanderesse soutient que la décision est viciée, parce que la SPR a omis d’examiner tous les éléments de preuve ensemble lorsqu’elle a apprécié la crainte objective de persécution de la demanderesse fondée sur son identité en tant que femme professionnelle travaillant au service d’une société qui œuvre dans le domaine de la réparation et de la reconstruction d’infrastructures de télécommunications et qui, par conséquent, est perçue comme appuyant le gouvernement iraquien et constitue donc une cible pour les insurgés. Au lieu d’examiner l’identité de la demanderesse prise dans son ensemble, l’appréciation de la SPR a [TRADUCTION] « morcelé [l’]identité [de la demanderesse] en composantes distinctes. »

 

[24]           La demanderesse soutient que le lieu où elle travaille et les fonctions qu’elle y exerce l’exposent à un risque. Elle cite l’article publié en 2006, dans le journal China Daily, qui mentionne expressément Iraqna et qui énonce ce qui suit :

[TRADUCTION]

 

Les insurgés ont saboté les efforts de réparation de l’infrastructure délabrée de l’Iraq en faisant exploser des lignes électriques et en tuant ou en enlevant des ingénieurs dans le cadre d’une campagne menée contre le gouvernement dirigé par des Shiites et des Kurdes.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[25]           De plus, la demanderesse, en tant qu’ingénieure qui travaille au service d’une société qui a déjà été ciblée par les insurgés, parce qu’elle appuyait le gouvernement en réparant le réseau de télécommunications délabré du pays, est perçue comme ayant des opinions politiques progouvernementales.

 

[26]           En outre, le Home Office britannique rapporte que des agents non étatiques ont intimidé et agressé (et même assassiné dans certains cas) des femmes et des filles, en particulier celles qui transgressaient les rôles traditionnels ou étaient exposées en société, ou qui étaient perçues comme telles. Les groupes vulnérables comprennent les femmes qui exercent des professions ou qui font de la politique ou du journalisme, les militantes de la société civile et les femmes qui transgressent les mœurs sociales ou religieuses.

 

[27]           La demanderesse soutient que son profil, décrit plus haut, l’expose clairement à un risque disproportionné par rapport à d’autres citoyens iraquiens, et que les éléments de preuve documentaire étayent cette prétention.

 

Le défendeur

            La demanderesse n’avait pas de crainte subjective

 

[28]           Le défendeur note que, pour établir une crainte de persécution, un demandeur doit établir à la fois une crainte subjective et une crainte objective. Voir Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 723. La conclusion selon laquelle le demandeur n’a pas de crainte subjective peut rendre superflue l’appréciation de la crainte objective et justifier le rejet de la demande d’asile. Voir Ahoua c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1239, au paragraphe 16.

 

[29]           En l’espèce, il ressort clairement de la décision que la SPR a conclu que la demanderesse n’était pas crédible et n’avait pas de crainte subjective de persécution, et que la SPR a fondé cette conclusion sur les éléments suivants : le désir de la demanderesse de venir au Canada, et non précisément de fuir l’Iraq; sa demande en vue d’étudier au Canada comme moyen d’obtenir un visa d’étudiante; ses deux demandes d’immigration antérieures, au sujet desquelles elle ne s’était enquise dans ni l’un ni l’autre cas depuis 2008; ses prétentions non corroborées et invraisemblables concernant les risques liés au fait de travailler à l’emploi d’une société qui était perçue comme étant une société juive/israélienne et dont [TRADUCTION] « une bonne partie » des cadres supérieurs embauchés seraient juifs; le fait qu’aucune agression contre des employés d’Iraqna n’avait été rapportée depuis 2006; l’invraisemblance de différents aspects de l’agression non corroborée par des ravisseurs armés dont la demanderesse alléguait avoir été victime; l’improbabilité que la demanderesse soit ciblée en raison de ses opinions politiques, qu’elle n’avait exprimées, sans aucune répercussion évidente, qu’au travail. Le défendeur soutient que cette conclusion défavorable quant à la crédibilité, que la demanderesse n’a jamais contestée, rend non pertinent l’élément objectif du critère.

 

Les conclusions concernant l’absence de crainte objective étaient raisonnables

 

[30]           Subsidiairement, le défendeur soutient que l’analyse de la SPR concernant l’absence de crainte objective de persécution de la demanderesse était raisonnable. Il n’y a eu aucune preuve documentaire d’agressions visant des employés d’Iraqna depuis 2006. Après avoir conclu que la demanderesse n’était pas exposée à un risque en Iraq, la SPR a raisonnablement conclu que l’époux de la demanderesse pourrait retourner en Iraq sans danger. Il s’ensuivait que la demanderesse ne serait pas une femme célibataire ni une mère monoparentale en Iraq et ne serait pas persécutée pour ce motif.

 

[31]           La demanderesse soutient que, puisqu’elle appartient à plusieurs catégories de risque généralisé, elle correspond au profil d’une réfugiée au sens de la Convention. Or, le fait d’être exposé à un risque généralisé ne rend pas un demandeur admissible à l’asile au Canada. Il était raisonnable que la SPR conclût que ces risques généralisés ne pouvaient pas constituer un fondement raisonnable à la demande d’asile de la demanderesse.


ANALYSE

 

[32]           Lors de l’audition de la présente demande à Toronto, la demanderesse s’est essentiellement plainte de ce que, lorsque la SPR avait apprécié les risques futurs, elle avait omis d’examiner s’il y avait plus qu’une simple possibilité de persécution fondée sur l’identité de la demanderesse en tant que femme ingénieure professionnelle en Iraq. La demanderesse affirme que, lorsque la SPR a apprécié le risque, elle a morcelé l’identité de la demanderesse alors qu’elle aurait dû tenir compte de l’ensemble de son profil.

 

[33]           D’après ma lecture de la décision, la demanderesse n’a pas établi de crainte subjective. Aussi, lorsqu’elle a examiné les risques futurs, la SPR a clairement indiqué non seulement que les éléments de preuve démontraient que la violence générale en Iraq avait diminué, mais aussi qu’il n’y avait aucun élément de preuve démontrant que des employés d’Iraqna étaient ciblés.

 

[34]           Dans ses observations écrites, la demanderesse a tenté de démontrer que les employés d’Iraqna étaient exposés à un risque à cause des liens supposés entre l’entreprise et des juifs. La SPR a rejeté cette prétention, et la demanderesse ne conteste pas les conclusions de la SPR sur ce point.

 

[35]           La demanderesse tente maintenant de morceler son propre profil. À l’audience, elle a voulu qu’il ne soit pas tenu compte du fait qu’elle était une employée d’Iraqna et qu’elle travaillait toujours à l’emploi de la filiale canadienne d’Iraqna au Canada, comme la SPR l’a constaté. Il n’y a rien qui donne à penser que, si elle retourne en Iraq, la demanderesse ne continuera pas à travailler pour Iraqna ou qu’elle en sera empêchée. Comme l’a constaté la SPR, il n’y a aucune preuve d’agression dirigées contre des employés (hommes ou femmes) d’Iraqna depuis 2006.

 

[36]           Le compte rendu que la demanderesse a fait de ce qui lui était arrivé dans le passé a été discrédité. La demanderesse ne conteste pas les conclusions de la SPR à cet égard, pas plus que la demanderesse ne conteste la conclusion de la SPR selon laquelle elle était motivée à venir au Canada, et non à fuir l’Iraq.

 

[37]           Lorsqu’elle a apprécié les risques futurs, quant à la persécution visée à l’article 96 ou aux risques visés à l’article 97, la SPR a clairement évoqué la situation générale en ce qui avait trait à la violence ainsi que le profil spécifique de la demanderesse, qui comprenait son lien d’emploi avec Iraqna.

 

[38]           Je ne vois rien de déraisonnable dans la décision.

 

[39]           Les deux parties conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier, et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE que

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-4165-10

 

INTITULÉ :                                      HANADI AL-MUSAWI

(alias Hanadi Hassan M Al-Musawi)

et

RIYAM AL-OJAIMI

(alias Riyam Wiaam Abd Al-Ojaimi)

                                                           

                                                            c.

                                                           

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 5 avril 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 14 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hart A. Kaminker

 

                  POUR LES DEMANDERESSES

Nadine Silverman

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hart A. Kaminker

Avocat

Toronto (Ontario)

 

                    POUR LES DEMANDERESSES

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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