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Date : 20110613

Dossier : IMM‑4988‑10

Référence : 2011 CF 677

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2011

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

ENTRE :

 

ZHI MING YE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

          MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1)de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.R.C. 2001, ch. 27 (la Loi), et visant une décision, en date du 23 juin 2010, par laquelle une agente d’immigration désignée du Consulat général du Canada à Hong Kong, en Chine (l’agente), a conclu que le demandeur ne remplissait pas les conditions requises pour obtenir un visa de résident permanent à titre d’investisseur.

 

[2]               Le demandeur demande que la décision de l’agente soit annulée et que sa demande de visa soit renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

 

Contexte

 

[3]               Zhi Ming Ye (le demandeur) est né le 2 janvier 1966 et il est citoyen de la République populaire de Chine. Il est actuellement sous‑directeur général d’une entreprise de fabrication de sacs à main.

 

[4]               Le 25 juin 2008, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des investisseurs. Il a déclaré que son avoir net personnel était estimé à 864 000 $ CAN, dont 332 000 $ CAN pour une propriété située à un endroit désigné « Production Team 12 » dans le village de Renhe, commune de Renhe, district de Baiyun, Guangzhou, Chine (la propriété).

 

[5]               La demande a été rejetée le 12 mai 2010. Le demandeur a par la suite présenté d’autres documents. L’agente a réexaminé la demande, mais elle l’a de nouveau rejetée le 23 juin 2010.

 

Décision de l’agente

 

[6]               L’agente a conclu que, en vertu du paragraphe 12(2) de la Loi et du paragraphe 90(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), un étranger peut devenir résident permanent du fait de sa capacité à réussir son établissement économique au Canada à titre d’investisseur, tel que le définit le paragraphe 88(1) du Règlement.

 

[7]               Le paragraphe 88(1) définissait alors l’investisseur comme un étranger qui, à la fois : a) a de l’expérience dans l’exploitation d’une entreprise; b) a un avoir net minimal de 800 000 $, qu’il a obtenu licitement; c) a l’intention de faire un investissement.

 

[8]               Aux termes du paragraphe 88(1), l’avoir net s’entend, s’agissant d’un étranger et de son époux ou conjoint de fait, de la juste valeur marchande de tous leurs éléments d’actif moins la juste valeur marchande de tous leurs éléments de passif.

 

[9]               L’agente n’était pas convaincue que le demandeur avait un avoir net minimal de 800 000 $. Elle était préoccupée par la valeur de la propriété décrite précédemment.

 

[10]           L’agente a conclu ce qui suit :

            1.         Le demandeur n’a pas démontré qu’il était propriétaire du bien‑fonds sur lequel la propriété était construite.

            2.         Le demandeur avait le droit de construire des maisons et des installations connexes à des fins résidentielles personnelles, mais il a construit un immeuble de cinq étages abritant un magasin au rez‑de‑chaussée, violant ainsi manifestement les conditions d’utilisation du bien‑fonds.

            3.         Le demandeur ne pouvait transférer le droit d’utiliser le bien‑fonds qu’aux membres de la même organisation économique collective. Par ailleurs, le rapport d’évaluation soumis par le demandeur mentionnait que la propriété était évaluée en fonction du fait qu’elle pouvait être transférée librement dans un marché ouvert. L’agente n’était pas convaincue que le rapport d’évaluation établissait avec exactitude la juste valeur marchande de la propriété.

 

[11]           L’agente a conclu que le demandeur n’avait pas présenté une preuve suffisante et digne de foi démontrant qu’il était en mesure de satisfaire à l’exigence minimale de l’avoir net personnel d’un investisseur.

 

Questions en litige

 

[12]           Le demandeur soulève la question suivante :

            L’agente a‑t‑elle commis une erreur en excluant de l’actif du demandeur la valeur de la propriété ou en réduisant sa valeur à zéro?

 

[13]           Je reformulerais les points litigieux comme suit :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         L’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas démontré que son avoir net personnel se chiffrait à au moins 800 000 $?

            3.         L’agente a‑t‑elle violé le droit du demandeur à l’équité procédurale?

 

Observations écrites du demandeur

 

[14]           Le demandeur soutient que les motifs de l’agente étaient insuffisants parce qu’ils ne précisaient pas comment la valeur de la propriété avait été établie. Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour l’agente de décider que la valeur de la propriété était nulle en raison des problèmes qu’elle avait constatés dans le rapport d’évaluation. Si l’agente avait des doutes concernant l’emploi des mots [traduction] « marché ouvert » et « libre transférabilité » dans l’évaluation, elle aurait dû convoquer le demandeur à une entrevue afin de les dissiper. Le défaut de le faire constituait un manquement à l’équité procédurale.

 

[15]           Le demandeur allègue également que la société chargée de l’évaluation avait bien compris la nature de la propriété parce qu’elle avait précisé qu’il s’agissait d’un bien‑fonds à l’égard duquel le demandeur détenait un certificat et avait annexé le certificat au rapport d’évaluation. La société chargée de l’évaluation avait également établi des comparaisons avec des propriétés du genre dans la région pour étayer son évaluation. Le demandeur soutient que le terme [traduction] « valeur marchande » ne signifie pas que la société d’évaluation a évalué la propriété comme si elle n’était pas assujettie aux exigences du certificat d’utilisation du bien‑fonds. Au contraire, la valeur marchande tient compte du meilleur usage de la propriété.

 

[16]           De plus, le demandeur allègue que le certificat d’utilisation du bien‑fonds lui confère le droit de construire des immeubles sur le bien‑fonds en question, de même qu’un droit de propriété sur ces immeubles, ainsi que le droit de transférer le certificat à d’autres membres de l’organisation collective. Par conséquent, les immeubles et le certificat d’utilisation du bien‑fonds constituaient des éléments de l’actif du demandeur.

 

[17]           Enfin, le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour l’agente de conclure que la propriété perdait toute ou presque toute sa valeur parce qu’il n’aurait pas respecté le certificat d’utilisation du bien‑fonds. La preuve ne permet pas d’avoir une idée de l’effet que la présence du magasin est susceptible d’avoir sur la transférabilité du certificat d’utilisation du bien‑fonds.

 

Observations écrites du défendeur

 

[18]           Le défendeur souligne qu’il incombait au demandeur de fournir à l’agente d’immigration tous les documents pertinents nécessaires et dignes de foi à l’appui de sa demande. La preuve présentée par le demandeur sur la valeur de la propriété était ambigüe. Le demandeur l’a d’ailleurs reconnu en affirmant qu’on ne savait pas quel effet la violation du certificat d’utilisation du bien‑fonds aurait sur la propriété. Le défendeur soutient qu’une preuve ambigüe ne permet pas au demandeur de s’acquitter du fardeau d’établir qu’il possède un avoir net personnel d’au moins 800 000 $.

 

[19]           Le défendeur soutient également que, même si le demandeur a allégué que la société d’évaluation avait bien tenu compte des restrictions de transfert imposées par le certificat d’utilisation du bien‑fonds, il s’agit tout simplement d’une façon différente de voir la preuve. Cela ne démontre pas que l’interprétation de la preuve par l’agente était déraisonnable. La preuve contradictoire est ambigüe et l’agente n’était pas tenue d’exiger une nouvelle évaluation.

 

[20]           Enfin, le défendeur soutient que l’agente a donné au demandeur la possibilité de dissiper ses doutes en acceptant une nouvelle preuve et en réexaminant la demande. Elle n’était pas tenue de donner au demandeur la possibilité de clarifier sa demande.

 

Analyse et décision

 

[21]           Question 1

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            L’agente a conclu que le demandeur n’avait pas un avoir net personnel suffisant pour être considéré comme un investisseur en vertu de l’article 90 du Règlement. Il s’agit d’une conclusion de fait. La Cour suprême a souligné dans Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 46, que l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, démontre que le législateur voulait que la Cour accorde un degré élevé de déférence aux conclusions de fait tirées par un organisme administratif. La conclusion tirée par l’agente sera donc examinée selon la norme du caractère raisonnable.

 

[22]           Le demandeur a également soulevé des questions d’équité procédurale qui seront examinées suivant la norme de la décision correcte (voir Khosa, précité, au paragraphe 43).

 

[23]           Question 2

            L’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas démontré que son avoir net personnel se chiffrait à au moins 800 000 $?

            En général, il incombe au demandeur d’étayer sa demande par des éléments de preuve. Comme le M. le juge Paul Crampton l’a affirmé dans Pan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 838, au paragraphe 27 :

En général, c’est au demandeur de visa qu’il incombe de faire accepter sa demande en produisant tous les justificatifs requis, ainsi qu’une preuve suffisante et digne de foi au soutien de sa demande.

 

 

[24]           En l’espèce, le demandeur devait démontrer qu’il possédait un avoir net personnel d’au moins 800 000 $, conformément au paragraphe 88(1) du Règlement dans la version qui était en vigueur au moment de la présentation de sa demande. Le demandeur a produit l’évaluation de la propriété sise dans le village de Renhe afin d’établir la preuve de son avoir net personnel.

 

[25]           L’agente d’immigration n’était pas convaincue que le demandeur était propriétaire du bien‑fonds sur lequel les immeubles étaient construits et qu’il avait le droit de transférer le bien‑fonds à des personnes ne faisant pas partie de l’organisation collective à laquelle il appartenait. Par ailleurs, l’évaluation de la propriété se fondait sur un [traduction] « droit de propriété complet et sa libre transférabilité dans un marché ouvert ».

 

[26]           Parmi les documents additionnels qu’il a soumis en vue d’un nouvel examen de sa demande par l’agente, le demandeur a présenté une lettre de la société chargée de l’évaluation. Dans cette lettre, la société en question explique en quoi consistent les droits d’utilisation des biens‑fonds en Chine et énumère les restrictions auxquelles sont assujetties les propriétés visées par un certificat d’utilisation de bien‑fonds. Toutefois, la lettre ne précise pas si la société a tenu compte de ces restrictions lorsqu’elle a évalué la propriété en question. Cela prête pour le moins à confusion.

 

[27]           Il incombait au demandeur de démontrer par une preuve suffisante et digne de foi, et non par une preuve ambigüe, qu’il possédait un avoir net personnel d’au moins 800 000 $. Il m’est impossible de conclure que l’interprétation qu’a faite l’agente d’immigration du rapport d’évaluation et des documents additionnels était déraisonnable. Par conséquent, la conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas clairement démontré qu’il avait un avoir net personnel d’au moins 800 000 $ n’était pas déraisonnable.

 

[28]           Question 3

            L’agente a‑t‑elle violé le droit du demandeur à l’équité procédurale?

            L’agente n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale pour les motifs qui suivent.

 

[29]           Comme je l’ai mentionné, il incombe au demandeur de convaincre l’agent du bien‑fondé de tous les aspects de sa demande. La jurisprudence précise que l’agent d’immigration n’est pas tenu d’informer le demandeur des questions suscitées par sa demande qui découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe (voir Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, par. 23 et 24). L’agent n’a pas non plus l’obligation de demander des renseignements additionnels lorsque les documents fournis par le demandeur sont insuffisants (voir Madan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 172 FTR 262 (C.F. 1re inst.), [1999] A.C.F. no 1198 (QL), par. 6).

 

[30]           Toutefois, l’agent d’immigration est tenu d’informer le demandeur des doutes qu’il peut avoir quant à la véracité des documents et il doit alors demander d’autres renseignements (voir Hassani, précité, par. 24).

 

[31]           Le Règlement définit au paragraphe 88(1) l’investisseur comme une personne ayant un avoir net personnel d’au moins 800 000 $. Il incombait au demandeur de prouver qu’il satisfaisait à cette exigence, notamment en démontrant clairement que la propriété lui appartenait et que sa valeur lui assurait un avoir net personnel qui dépassait le minimum requis.

 

[32]           L’agente a initialement refusé la demande parce que le demandeur n’avait pas fait la preuve que la propriété lui appartenait, comme l’exige le Règlement. Elle a envoyé une lettre de refus en lui faisant part de ses doutes au sujet du rapport d’évaluation. Le demandeur a ensuite présenté des documents additionnels et demandé à l’agente de réexaminer sa demande. L’agente a examiné ces documents et réexaminé la demande avant de conclure que le demandeur n’avait pas réussi à dissiper ses doutes quant à savoir s’il remplissait la condition de l’avoir net de 800 000 $ prévue au Règlement. L’agente n’avait pas l’obligation de donner encore au demandeur la possibilité de dissiper ses doutes.

 

[33]           Par conséquent, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

 

[34]           Ni l’une ni l’autre des parties ne souhaitait proposer une question grave de portée générale pour examen en vue de la certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives et règlementaires pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.R.C. 2001, ch. 27

 

12.(2) La sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

12.(2) A foreign national may be selected as a member of the economic class on the basis of their ability to become economically established in Canada.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

 

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002‑227)

 

90. (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des investisseurs est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada et qui sont des investisseurs au sens du paragraphe 88(1).

 

90. (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the investor class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who are investors within the meaning of subsection 88(1).

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4988‑10

 

INTITULÉ :                                                   ZHI MING YE

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 24 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 13 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Meurrens

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Marjan Double

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Larlee Rosenberg

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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