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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110616

Dossier : IMM-5255-10

Référence : 2011 CF 710

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 16 juin 2011

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

IVAN LUNA ROJAS,

SERGIO ANDRES LUNA NINO,

ANDREA JULIANA LUNA NINO,

OLGA LUCIA NINO PUENTES 

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande vise à contester la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande d’asile du demandeur principalement parce qu’elle a tiré une conclusion généralement défavorable quant à sa crédibilité.

 

[2]               Les principales allégations de fait sur lesquelles reposait la demande d’asile du demandeur ont ainsi été exposées par la SPR :

Le demandeur d’asile principal [Ivan Luna Rojas] et son épouse, Olga Lucia Nino Puentes, ont respectivement 41 et 46 ans. En 1997, le demandeur d’asile principal travaillait à Cali à titre de pasteur pour une église de l’Apostolic Church of Jesus Christ. Cette année-là, deux hommes de l’Armée de libération nationale (Ejército de Liberación Nacional ― ELN) l’ont abordé, car ils voulaient utiliser son église comme refuge pour des camarades blessés. Il a refusé par crainte des autorités. Ils l’ont menacé et ont pris l’argent de l’église qu’il avait en sa possession. Ultérieurement, ils sont retournés et ont menacé de faire du mal à son fils, Sergio. Ils sont venus presque tous les mois pour prendre l’argent de l’église. Il a fait part de ses problèmes à son pasteur superviseur qui lui a conseillé d’attendre que la situation cesse d’elle‑même. En mars 1998, il a demandé un transfert à Bucaramanga, mais l’organisation de l’église pouvait seulement lui offrir un poste à Floridablanca, près de Bucaramanga. À cette époque, il a reçu une invitation pour un congrès ecclésiastique en Floride, aux États‑Unis. Munis de cette lettre, sa famille et lui ont été en mesure d’obtenir des visas de visiteurs pour les États‑Unis. Il a vendu sa voiture et les biens qu’il possédait à Cali, a quitté son emploi et a déménagé sa famille au domicile des parents de son épouse à Bucaramanga. Toutefois, il a reçu des appels de personnes non identifiées affirmant qu’il ne pouvait pas s’échapper, qu’ils les avaient retrouvés.

 

(Paragraphe 3 de la décision)

 

[3]               La SPR a rejeté la preuve ci‑haut exposée sur la base des invraisemblances suivantes :

En l’espèce, la question déterminante à trancher concerne la crédibilité et, en lien avec cette question, le bien-fondé de la crainte du demandeur d’asile. Le tribunal conclut que le récit du demandeur d’asile principal n’est pas totalement crédible relativement à d’importants aspects pour les raisons suivantes.

 

Le demandeur d’asile principal a affirmé que, lorsque des membres de l’ELN ont demandé de les laisser utiliser l’église pour abriter leurs blessés, il a refusé, et ils sont partis après avoir proféré des menaces et volé l’argent de l’église. Le tribunal estime ce récit difficile à croire et, en fait, qu’il est incroyable que les membres de l’ELN n’aient pas tout simplement occupé l’église s’ils en avaient vraiment besoin pour leurs camarades blessés. En outre, le demandeur d’asile principal a affirmé qu’ils sont revenus périodiquement pour prendre l’argent de l’église — l’équivalent de 40 $, de 100 $ ou de 150 $CAN à chaque fois. Il a également admis que l’église était au centre de Cali, où il y a beaucoup de commerce. Le tribunal conclut qu’il est incroyable que des membres de l’ELN perdent leur temps à lui voler l’argent de l’église, une somme dérisoire comparativement à ce qu’ils auraient pu obtenir de l’extorsion des commerces dans la ville. Compte tenu de ce qui précède, le tribunal ne croit pas, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a été ou qu’il est une cible de l’ELN.

 

En outre, le demandeur d’asile principal a affirmé que les membres de l’ELN lui avaient déconseillé de les signaler aux autorités. Toutefois, il a dit qu’il savait que l’ELN avait infiltré les forces policières. Le tribunal considère que ces affirmations apparemment contradictoires sont insensées. Si les membres de l’ELN avaient effectivement infiltré les forces policières, qu’avaient-ils à craindre alors s’il signalait à la police ses problèmes avec l’ELN? Les membres de l’ELN ayant infiltré la police auraient simplement étouffé ou jeté dans une impasse toute enquête qui aurait pu en résulter. En conséquence, le tribunal tire une conclusion défavorable de ce qui précède et le tribunal est porté à ne pas croire qu’il était ou est une cible de l’ELN.

 

Après avoir quitté l’église de Cali, le demandeur d’asile principal a admis qu’un autre pasteur a pris sa relève à l’église. Questionné à savoir si le pasteur remplaçant a eu des problèmes semblables avec l’ELN, il a répondu [traduction] « je ne sais pas ». Compte tenu de l’intérêt apparent dont l’ELN a fait preuve en se présentant périodiquement, en particulier pour prendre l’argent de l’église, le tribunal a demandé si l’ELN ne s’était tout simplement pas rendu au siège de l’église à Bucaramanga pour y extorquer de l’argent, puisqu’ils y auraient vraisemblablement obtenu davantage d’argent que dans une petite église. Il a répondu [traduction] « je ne pense pas ». Le tribunal conclut qu’il n’est pas logique que les membres de l’ELN continuent de se présenter à son église pour le peu d’argent qu’il avait, mais qu’ils ne ciblent pas le siège de l’église, où apparemment ils pouvaient obtenir davantage d’argent. Le tribunal ne croit pas, selon la prépondérance des probabilités, le récit du demandeur d’asile principal selon lequel l’argent de l’église lui a été extorqué et il a été pris pour cible par l’ELN.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Paragraphes 8 à 10 de la décision)

 

[4]               La norme bien établie selon laquelle les conclusions d’invraisemblances de la SPR doivent être évaluées, est formulée par le juge Muldoon dans la décision Istvan Vodics c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 783 :

Le tribunal a fait allusion au principe posé dans l’arrêt Maldonado c. M.E.I., [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), à la page 305, suivant lequel lorsqu’un revendicateur du statut de réfugié affirme la véracité de certaines allégations, ces allégations sont présumées véridiques sauf s’il existe des raisons de douter de leur véracité. Le tribunal n’a cependant pas appliqué le principe dégagé dans l’arrêt Maldonado au demandeur et a écarté son témoignage à plusieurs reprises en répétant qu’il lui apparaissait en grande partie invraisemblable. Qui plus est, le tribunal a substitué à plusieurs reprises sa propre version des faits à celle du demandeur sans invoquer d’éléments de preuve pour justifier ses conclusions.

 

Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le demandeur d’asile le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les demandeurs d’asiles proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

De plus, je confirme la conclusion que j’ai exposée dans Istvan Vodics c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 783 :

Il n’est pas difficile de comprendre que, en toute justice pour la personne qui jure de dire toute la vérité, des motifs concrets s’appuyant sur une preuve forte doivent exister pour qu’on refuse de croire cette personne. Soyons clairs. Dire qu’une personne n’est pas crédible, c’est dire qu’elle ment. Donc, pour être juste, le décideur doit pouvoir exprimer les raisons qui le font douter du témoignage sous serment, à défaut de quoi le doute ne peut servir à tirer des conclusions. La personne qui rend témoignage doit bénéficier de tout doute non étayé.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[5]               À mon avis, il est manifeste que lorsqu’elle a rendu la décision en cause, la SPR n’a pas tenu compte du droit relatif aux conclusions d’invraisemblances. Par conséquent, je conclus que la décision en cause n’est pas justifiée au regard des faits ou du droit, et qu’elle est donc déraisonnable.


ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que :

 

La décision faisant l’objet du contrôle est annulée et l’affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué qui sera chargé de statuer à nouveau sur l’affaire.

 

Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5255-10

 

INTITULÉ :                                       IVAN LUNA ROJAS, SERGIO ANDRES LUNA NINO, ANDREA JULIANA LUNA NINO, OLGA LUCIA NINO PUENTES

c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 JUIN 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 16 JUIN 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

JOHN W. GRICE

 

POUR LES DEMANDEURS

 

PRATHIMA PRASHAD

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DAVIS & GRICE

AVOCATS

NORTH YORK (ONTARIO)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

MYLES J. KIRVAN

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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