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Cour fédérale

 

Federal Court


 


Date : 20110617

Dossier : IMM‑6953‑10

Référence : 2011 CF 718

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 17 juin 2011

En présence de Madame la juge Johanne Gauthier

 

ENTRE :

 

ALI ISIK

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Monsieur Ali Isik demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté sa demande d’asile fondée sur les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27.

 

[2]               Bien que le demandeur ait soulevé de nombreuses questions relativement à cette décision, la Cour ne se penchera brièvement que sur celle de l’équité procédurale puisque, compte tenu des circonstances de l’espèce, cela suffira pour l’annuler.

 

[3]               Les faits fondamentaux dans la présente instance sont sans pertinence, contrairement aux circonstances suivantes.

 

[4]               Au début de l’audience, la SPR a cerné, conformément à son processus habituel, les principales questions à trancher, à savoir la crédibilité et le fait que le demandeur n’a pas demandé l’asile aux États‑Unis.

 

[5]               Le demandeur était représenté par un stagiaire en droit qui, en début d’audience, a demandé l’autorisation de faire témoigner un des neveux de son client d’ailleurs présent, bien qu’une demande écrite en ce sens n’ait pas été présentée 20 jours plus tôt, comme l’exigent les règles de pratique applicables.

 

[6]               Ce témoin a été décrit comme un [traduction] « réfugié admis » dont le témoignage devait porter sur une certaine communication qu’il a eue avec le demandeur avant le départ[1], et sur le fait que leurs demandes d’asile respectives étaient liées [traduction] « [d]u point de vue du fondement ».

 

[7]               Aucun autre détail n’a été fourni et, au mieux, on peut raisonnablement déduire de cet échange que le témoignage du neveu visait à corroborer une partie du témoignage du demandeur, mais sans savoir exactement laquelle. Assurément, le neveu était encore en Turquie lorsque le demandeur aurait été arrêté la première fois et passé à tabac par les policiers parce qu’il était Kurde et partisan actif du parti de la société démocratique (parti kurde). Le demandeur a également indiqué dans son témoignage qu’il n’avait pas présenté de demande d’asile aux États‑Unis puisque le neveu auquel il s’était adressé pour obtenir de l’aide avant de quitter la Turquie se trouvait au Canada et qu’il ne connaissait absolument personne aux États‑Unis.

 

[8]               Vers la fin de l’audience, la SPR a indiqué qu’elle avait le temps d’entendre le neveu tout en faisant remarquer :

[traduction]

Ne le faites pas pour moi. Je ne pense pas que ce soit nécessaire. Donc, si vous n’y tenez pas, laissez tomber. Passez simplement aux observations. Allez‑vous présenter des observations orales[2]?

 

[9]               Après cet échange, le stagiaire a ensuite présenté ses observations orales.

 

[10]           Dans sa décision, principalement sinon intégralement fondée sur le manque de crédibilité, la SPR commence en faisant remarquer que le demandeur n’a pas produit de preuve corroborant sa détention. Elle précise également plus loin : « [Le tribunal] peut tirer une conclusion défavorable à [l’] égard [de la crédibilité] étant donné que le demandeur d’asile n’a pas corroboré ses allégations […] C’est ce que le tribunal a fait dans ce cas-ci. »

 

[11]           Dans Sivaraj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 120 F.T.R. 136, 36 Imm. L.R. (2d) 45 (Sivaraj), le juge McKeown a indiqué ce qui suit au paragraphe 3 :

Il est clair que la Commission ne saurait décourager le témoignage sur un point donné puis fonder sa décision sur l’absence de preuve touchant le même point. La Commission a dissuadé le requérant de poursuivre son témoignage sur son occupation de marin. Elle ne peut pas se fonder ensuite sur l’absence de passeport pour conclure qu’il n’était pas marin de son état (v. Li c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, le 20 juillet 1994, numéro du greffe A‑1657‑92 (CF 1re inst.), [1994] A.C.F. no 1109). Il faut lui renvoyer l’affaire ne serait‑ce que pour cette seule raison.

 

Dans Kaur c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 21 Imm. L.R. (2d) 301, 41 A.C.W.S. (3d) 382 (Kaur), le juge Marc Noël (alors juge de la Cour fédérale) a annulé la décision par laquelle la demande d’asile avait été rejetée au motif que le témoignage de la requérante n’était pas crédible tout particulièrement parce qu’elle [traduction] « n’avait pas présenté de preuve corroborante à l’appui de ses arguments ». Dans cette affaire, le président du tribunal avait laissé entendre qu’il n’était pas nécessaire d’entendre le fils de la requérante si son témoignage devait uniquement servir à corroborer celui de sa mère. Le juge Noël a précisé ce qui suit, au paragraphe 7 de la décision : « Après avoir laissé entendre que le témoignage corroborant du fils de la requérante n’était pas nécessaire, la Commission ne pouvait rendre une décision contre la requérante aux motifs que son témoignage n’avait pas été corroboré. »

 

[12]           Dans Veres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 124, [2000] A.C.F. no 1913 (QL) (Veres), le juge Denis Pelletier (alors juge de la Cour fédérale) a confirmé, après avoir cité Sivaraj et Kaur, précités, que la SPR pouvait décider quelle preuve elle veut entendre de la bouche du témoin et quelle preuve elle le dispense de présenter. Mais, quand elle dit qu’elle n’a pas besoin d’entendre le témoin, elle ne peut par la suite se plaindre qu’elle ne l’a pas entendu. Les circonstances que devait examiner mon collègue dans Veres étaient à l’évidence bien différentes, mais il a fait au paragraphe 32 de sa décision une remarque importante, selon laquelle « [l]e sacrifice à consentir pour la maîtrise de la marche à suivre est l’acceptation de la responsabilité en ce qui concerne les points qui ont été omis », qui vaut pour les commentaires formulés en l’espèce, d’autant plus qu’en général les demandeurs d’asile exposent désormais leurs arguments uniquement après que la SPR a cerné les questions à trancher et mené son propre contre‑interrogatoire.

 

[13]           Comme le montrent les deux décisions sur lesquelles s’est appuyé le défendeur (Ndombele c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1211, notamment le paragraphe 22 où il est question du dépôt de l’affidavit d’un déposant qui n’avait pas témoigné, et Singh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 50 A.C.W.S. (3d) 651, [1994] A.C.F. no 1367, où le principal motif de rejet de la demande d’asile avait trait semble-t-il à l’absence d’éléments cruciaux du récit de l’intéressé dans son formulaire de renseignements personnels), il convient toujours d’examiner les faits propres à l’espèce pour établir si ce qui s’est fait et dit était équitable.

 

[14]           Cela dit, la Cour croit fermement que la SPR devrait s’abstenir de se prononcer sur la nécessité de présenter un témoin, à moins qu’elle ne sache exactement sur quels faits son témoignage portera, et à quel égard précisément le témoignage est censé corroborer celui du demandeur d’asile ou son récit. Si un conseil s’enquiert simplement de l’opportunité de présenter un témoin, la SPR peut toujours refuser de se prononcer à cet égard au motif qu’elle n’a pas fini d’évaluer la preuve. Si elle choisit de le faire, elle doit être parfaitement consciente que cette décision emportera des conséquences.

 

[15]           En l’espèce, la Cour estime que la SPR aurait dû savoir que les représentants juridiques agissant dans ce dossier donneraient certainement suite à son commentaire portant que le témoignage n’était pas nécessaire, et il est manifeste qu’elle a fait ce commentaire sans connaître exactement l’ampleur des faits sur lesquels le témoin proposé devait témoigner.

 

[16]           Même si la SPR s’est fondée sur d’autres éléments dans ses motifs, la Cour n’est pas convaincue que ce manquement à l’équité procédurale n’a eu aucune conséquence sur la décision finale. La Cour doit annuler la décision.

 

[17]           Les parties n’ont présenté aucune question à certifier et la Cour estime que la présente affaire demeure un cas d’espèce.

 

[18]           La demande est accueillie.

 

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que la demande est accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il l’examine.

 

« Johanne Gauthier »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑6953‑10

 

INTITULÉ :                                       ALI ISIK

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 JUIN 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 17 JUIN 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Neeta Logsetty

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 



[1] Dans la transcription, il n’est pas certain si la référence « au départ » se rapporte à celui du neveu ou à celui du demandeur de Turquie.

[2] Dossier certifié, à la page 249, lignes 7‑8.

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