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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110620

Dossier : IMM-6162-10

Référence : 2011 CF 726

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2011

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

 

MARCO ANTONIO MARTINEZ ORTIZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 c. 27 (LIPR), d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 24 septembre 2010, rejetant la demande d’asile du demandeur et concluant qu’il n’a ni la qualité de réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR ni la qualité de personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR.

I. Contexte

 

[2]               Marco Antonio Martinez Ortiz (le demandeur) est originaire du Mexique. Il allègue avoir été victime de menaces de la part du groupe criminalisé « la Familia » dans le contexte suivant. Alors qu’il travaillait dans une épicerie située à proximité d’une école, il aurait vu des individus vendre de la drogue à des adolescents. Lorsqu’il s’est présenté au poste de police local pour faire une dénonciation, il a aperçu ces mêmes individus en train de discuter amicalement avec des policiers. Le demandeur a eu peur et a décidé de ne pas signer de dénonciation. Quelques jours plus tard, des individus portant des masques se seraient présentés à l’épicerie et l’auraient menacé d’un pistolet en lui disant qu’ils savaient qu’il était allé voir les policiers et l’avertissant qu’il ne devait pas s’impliquer dans les affaires de la famille. À l’audience, le demandeur précisera qu’il s’agissait de la « Familia ».

 

[3]               Le demandeur se serait ensuite rendu chez ses parents dans l’État du Morales pour environ 15 jours. Il a alors été informé que des individus auraient été retrouvés morts dans l’État du Morales avec une inscription sur le corps indiquant : « No one should get involved with the family ».

 

II. Décision de la Commission

 

[4]               La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur pour trois motifs. D’abord, elle n’a pas cru le récit du demandeur. La conclusion de la Commission à cet égard est fondée sur plusieurs omissions et contradictions entre l’entrevue du demandeur avec l’agent d’immigration, son formulaire de renseignements personnels (FRP) et son témoignage à l’audience. Les omissions et contradictions portaient principalement sur l’identification de l’agent persécuteur. Alors que lors de son entrevue avec l’agent d’immigration et dans son FRP le demandeur avait toujours fait référence à « the family », il a changé sa version lors de l’audience pour référer à « la Familia » qui est un groupe criminalisé. L’avocate du demandeur a expliqué la modification par des erreurs dans la traduction des notes d’entrevue et du FRP du demandeur. La Commission a aussi noté des omissions et contradictions quant au moment où le demandeur a tenté de faire une plainte, le moment où il a vu les individus parler avec les policiers et le nombre de policiers qui parlaient avec les individus. La Commission a également jugé que la visite du demandeur chez ses parents et l’information relative aux individus qui auraient été retrouvés morts avec des inscriptions sur le corps avaient été inventées par le demandeur pour embellir son récit.

 

[5]               La Commission a également conclu que le demandeur n’avait pas réussi à renverser la présomption de l’État parce que, outre une plainte anonyme à laquelle il n’avait donné aucun suivi, il n’avait pas tenté de rechercher la protection de l’État. La Commission a jugé insuffisante l’explication du demandeur qui a affirmé ne pas avoir sollicité la protection de l’État parce qu’il avait peur. La Commission a jugé que la preuve soumise par le demandeur n’était pas suffisante pour conclure que les policiers étaient complices avec ces individus et que, même si c’était le cas, le fait que quelques policiers rigolaient avec les deux individus n’empêchait pas le demandeur d’entreprendre d’autres démarches auprès des autorités pour obtenir la protection.

 

[6]               La Commission a également conclu qu’il existait pour le demandeur une possibilité de refuge intérieur (PRI). La Commission s’est entre autre appuyée sur le fait que le demandeur avait lui-même admis n’avoir eu aucun problème lorsqu’il avait passé 15 jours dans l’État du Morales chez ses parents.

 

III. Questions en litige

 

[7]               Le demandeur attaque toutes les conclusions de la Commission. Les reproches formulés soulèvent les questions en litige suivantes : la Commission a-t-elle erré en concluant que le demandeur n’était pas crédible, qu’il n’avait pas renversé la présomption de la protection de l’État et qu’il existait pour lui une PRI?

 

IV. Normes de contrôle

 

[8]               La question de la crédibilité appelle un très haut degré de déférence de la part de la Cour car elle se situe au cœur de l’expertise de la Commission. Cette question est assujettie à la norme de la décision raisonnable (Auguste c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1099 au para 17 (disponible sur CanLII); Lin c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 698 au para 11 (disponible sur CanLII)).

 

[9]               La révision d’une conclusion quant à la protection de l’État est une question mixte de fait et de droit qui est également révisable selon la norme de la décision raisonnable (Chaves c Canada ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193 au para 38, 137 ACWS (3d) 392; Nunez c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1661 au para 10 (disponible sur QL).

[10]           Enfin, la conclusion concernant l’existence d’une PRI est elle aussi assujettie à la norme de la décision raisonnable (Guerilus c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 394 au para 10 (disponible sur CanLII).

 

V. Analyse

 

[11]           Je vais débuter avec la question de la crédibilité du demandeur.

 

[12]           Le demandeur soutient que le tribunal a fait preuve d’un zèle excessif en relevant des omissions et contradictions qui n’avaient pas lieu d’être. Je considère que l’analyse de la preuve dans son ensemble, incluant les divergences entre les informations transmises par le demandeur lors de son entrevue avec l’agent d’immigration, celles contenues dans son FRP et son témoignage pouvaient raisonnablement amener la Commission à juger que le récit du demandeur n’était pas crédible et qu’il l’avait embelli au fil du temps. Mais, même si je concluais que la décision de la Commission était déraisonnable à cet égard, j’estime que les conclusions de la Commission quant à la protection de l’État et l’existence d’une PRI sont raisonnables et que chacune de ces questions était suffisante pour rejeter la demande d’asile.

 

[13]           La preuve démontre clairement que le demandeur n’a pas véritablement tenté d’obtenir la protection de l’État.

 

[14]           Dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RCS 689, 709, (disponible sur QL) [Ward], le juge La Forest a expliqué de la manière suivante le principe qui sous-tend le régime de protection des réfugiés et l’importance cruciale de la présomption selon laquelle l’État d’origine offre une protection à ses citoyens :

18        Il est utile d'examiner, au départ, la raison d'être du régime international de protection des réfugiés, car cela influe sur l'interprétation des divers termes à l'étude. Le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu'on s'attend à ce que l'État fournisse à ses ressortissants. Il ne devait s'appliquer que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement. La communauté internationale voulait que les personnes persécutées soient tenues de s'adresser à leur État d'origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d'autres États ne soit engagée. C'est pourquoi James Hathaway qualifie le régime des réfugiés de [TRADUCTION] « protection auxiliaire ou supplétive » fournie uniquement en l'absence de protection nationale; voir The Law of Refugee Status (1991), à la p. 135. Cela étant, j'examinerai maintenant les éléments particuliers de la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » que nous avons à interpréter.

 

[Je souligne]

 

[15]           De façon générale, une personne doit solliciter l’aide des autorités avant de conclure que l’État n’est pas en mesure de lui accorder une protection adéquate, mais ce n’est pas nécessaire dans tous les cas. Le juge Laforest, toujours dans Ward, a précisé que le demandeur n’a pas à mettre sa vie en danger en sollicitant la protection de l’État :

 

Ce n'est pas vrai dans tous les cas. La plupart des États seraient prêts à tenter d'assurer la protection, alors qu'une évaluation objective a établi qu'ils ne peuvent pas le faire efficacement. En outre, le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d'un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l'encontre de l'objet de la protection internationale. (page 724)

 

[16]           Dans Kadenko c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 143 DLR (4th) 532, 68 ACWS (3d) 334 (CAF), le juge Décary a indiqué que le fardeau de la preuve reposait sur la partie demanderesse et qu’il était proportionnel au degré de démocratie du pays en cause.

 

[17]           La présomption concernant la disponibilité de la protection de l’État ne peut être réfutée que lorsque la partie demanderesse apporte la preuve « claire et convaincante » de l’incapacité de son pays d’origine à lui offrir une protection efficace (Ward). Dans Carillo c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 RCF 636, la Cour d’appel fédérale a traité de la qualité de la preuve qui était exigée et précisé, au paragraphe 30 :

[…] Autrement dit, le demandeur d'asile qui veut réfuter la présomption de la protection de l'État doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l'État en question est insuffisante.

 

 

 

 

[18]           Dans Castillo c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 134 (disponible sur CanLII), au para 31, le juge de Montigny a indiqué que la conviction subjective que les autorités auraient agi de connivence avec l’agent persécuteur n’est pas suffisante pour renverser la présomption de la protection de l’état lorsque cette conviction n’est fondée sur aucune preuve objective. Je partage son avis.

 

[19]           En l’espèce, la Commission a très bien énoncé les principes applicables et le fardeau qui incombait au demandeur pour réussir à renverser la présomption de protection de l’État.

 

[20]           Le Mexique est un pays démocratique et le demandeur n’a pas fait la preuve qu’il aurait été déraisonnable pour lui de rechercher la protection des autorités.

 

[21]           La preuve démontre aussi qu’après l’incident au cours duquel il aurait été menacé par des individus masqués, le demandeur n’a fait aucune tentative autre qu’une plainte anonyme à laquelle il n’a apporté aucun suivi. La preuve démontre qu’il a passé 15 jours chez ses parents et une autre période de près de 3 semaines chez lui avant de quitter pour le Canada et aucun incident n’est survenu. La preuve ne démontre pas non plus que les agents persécuteurs ont tenté de retrouver le demandeur depuis qu’il a quitté le Mexique. Il était donc raisonnable pour la Commission de conclure que la seule peur du demandeur n’était pas suffisante pour justifier son omission d’avoir sollicité la protection des autorités ou pour renverser la présomption de la protection de l’État. De plus, la conclusion de la Commission suivant laquelle le demandeur pouvait entreprendre d’autres démarches s’il estimait que les quelques policiers du poste local étaient complices avec les vendeurs de drogue était tout aussi raisonnable.

 

[22]           Je considère également que la conclusion de la Commission relativement à l’existence d’une PRI était raisonnable.

 

[23]           Dans Julien c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 313, 145 ACWS (3d) 137, la Cour a rappelé le concept de PRI et cité la décision de la Cour d’appel fédérale dans Rasaratnam c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1992] 1 C.F. 706 (disponible sur QL):

9          Afin qu'une demande d'asile soit acceptée sous l'article 96 ou 97 de la Loi, il ne doit pas y avoir possibilité de refuge à l'intérieur du pays de nationalité de la demanderesse :

 

En ce qui concerne la troisième, puisque, par définition, le réfugié au sens de la Convention doit être un réfugié d'un pays, et non d'une certaine partie ou région d'un pays, le demandeur ne peut être un réfugié au sens de la Convention s'il existe une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Il s'ensuit que la décision portant sur l'existence ou non d'une telle possibilité fait partie intégrante de la décision portant sur le statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur. Je ne vois aucune raison de déroger aux normes établies par les lois et la jurisprudence et de traiter de la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays comme s'il s'agissait d'un refus d'accorder ou de maintenir le statut de réfugié au sens de la Convention. Pour ce motif, je rejetterais la troisième proposition de l'appelant. (Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.) au paragraphe 8) (je souligne).

 

 

[24]           Il revient au demandeur de prouver qu’il n’est objectivement pas raisonnable qu’il puisse bénéficier d’une PRI dans un autre endroit au pays. Il lui revient aussi de démontrer qu’il risque la persécution partout au pays, tel qu’indiqué dans Guerilus, précité, au para 14:

[…] Il est en effet bien établi qu'un demandeur d'asile doit fournir les éléments de preuve qu'il juge nécessaire pour démontrer que sa demande d'asile est bien fondée (Rahmatizadeh c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration), (1994), 48 A.C.W.S. (3d) 1427, [1994] A.C.F. no 578 (QL) au par. 9). Le fardeau de preuve repose sur le revendicateur d'asile de démontrer qu'il serait déraisonnable pour lui de chercher refuge dans une autre partie du pays ou de prouver l'existence réelle de conditions l'empêchant de se relocaliser ailleurs (Ramirez c. Canada (Ministère de la citoyenneté et de l'immigration), 2008 CF 1214, [2008] A.C.F. no. 1533 (QL); Palacios c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), 2008 CF 816, 169 A.C.W.S. (3d) 619 au par. 9). […]

 

[25]           Dans Perez c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 8 au para 15 (disponible sur CanLII), la Cour fédérale a rappelé que la norme pour éliminer une PRI est rigoureuse. En l’espèce, le Commissaire a demandé au demandeur pourquoi il ne pourrait pas vivre dans une des grandes villes comme Mexico, Guadalajara, Monterrey, Cancun ou Acapulco et le demandeur a répondu ce qui suit : « Parce que tous les États que vous avez mentionnés sont pleins de ces gens‑là. ».

 

[26]           Considérant l’absence de preuve que les agents persécuteurs avaient le désir de retrouver le demandeur et la preuve que le demandeur n’a eu aucun problème lorsqu’il a visité ses parents dans l’État du Morales, je considère qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure à l’existence d’une PRI.

 

[27]           La Commission a également conclu qu’il serait raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur déménage dans une des PRI mentionnées. Cette conclusion, qui d’ailleurs n’a pas été contestée dans la demande ni dans le mémoire du demandeur, était elle aussi raisonnable.

 

[28]           L’intervention de la Cour n’est pas justifiée et la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[29]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et le présent dossier n’en soulève aucune.

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6162-10

 

INTITULÉ :                                       MARCO ANTONIO MARTINEZ ORTIZ c LE MINISTRE

                                                            DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Claudette Menghile

 

POUR LE DEMANDEUR

Anne-Renée Touchette

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Claudette Menghile

Montréal, Québec

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-Procureur Général du Canada

Montréal, Québec

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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