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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110621

Dossier : T-345-11

Référence : 2011 CF 740

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 21 juin 2011

En présence de Me Richard Morneau, protonotaire

 

ENTRE :

 

 

54039 NEWFOUNDLAND AND

LABRADOR LIMITED T/A

GEORGE STREET ASSOCIATION

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE ST. JOHN’S

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               La demanderesse conteste la décision de l’Administration portuaire de St. John’s (l’APSJ) de donner à bail à la Harbour Walk Hospitality Inc. (Harbour Walk) un terrain fédéral situé sur le front de mer dans le port de St. John’s. Le bail visait une parcelle de terrain non bâti sur laquelle la Harbour Walk devait construire et exploiter un restaurant. La parcelle en question porte la désignation « quai 7 ». La demanderesse, la George Street Association (la GSA), est un regroupement local de restaurants et de bars. L’APJS a consenti à la Harbour Walk un bail d’une valeur et d’une durée qui n’ont pas été divulguées, apparemment sans lancer d’appel de propositions.

[2]               La GSA demande à la Cour d’annuler la décision de l’APJS de donner le terrain à bail parce que cette dernière a omis, à tort, de déterminer la juste valeur marchande du bien visé et de louer le terrain à sa pleine valeur marchande, qu’elle a commis une erreur de droit et une violation aux règles d’équité procédurale en n’autorisant pas d’autres parties à présenter des propositions concernant le terrain visé et qu’elle a commis une erreur en accordant à l’actuel preneur à bail un droit de premier refus. Les lettres patentes de l’APJS l’obligent en effet à veiller à ce que les baux ne soient pas consentis pour un loyer moindre que leur juste valeur marchande.

[3]               La GSA soutient qu’elle-même et ceux de ses membres qui sont propriétaires de locaux à proximité du terrain visé sont touchés par le bail et le projet d’aménagement et qu’ils ont un intérêt à l’égard de l’un et de l’autre.

[4]               Le 17 mars 2011, l’APJS a déposé la présente requête en radiation de la demande de la GSA. Le 3 mai 2011, j’ai délivré une ordonnance faisant droit à l’opposition de l’APJS à la production de documents prévue à la règle 317 des Règles des Cours fédérales jusqu’à ce qu’il soit statué sur la requête en radiation.

[5]               Les motifs invoqués à l’appui de la requête sont les suivants :

a.       l’APJS n’est pas un « office fédéral » dont les décisions sont susceptibles de contrôle judiciaire;

b.      la GSA n’a pas qualité pour présenter la demande;

c.       la demande est frappée de prescription suivant le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F‑7.

[6]               Après avoir pris connaissance des documents présentés par les deux parties et entendu leurs observations le 1er juin 2011, j’ai conclu, pour les motifs exposés ci-après, qu’il y avait lieu de faire droit à la requête en annulation de l’APJS.

Juridiction

[7]               Seul un « office fédéral » peut être assujetti au contrôle de la Cour fédérale (art. 18.1, Loi sur les Cours fédérales). Il est bien établi en droit qu’un organisme peut avoir qualité d’office fédéral à certaines fins et non à d’autres; la question qu’il importe de se poser est celle de savoir si l’organisme, lorsqu’il a rendu la décision dont on sollicite le contrôle, agissait en qualité d’office fédéral. C’est ce qui ressort clairement de la définition de l’office fédéral, à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales :

« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[8]               La Cour est consciente du fait que les requêtes en radiation d’une demande de contrôle judiciaire ne doivent pas être accordées à la légère; l’avis de demande doit être « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli » : David Bull Laboratories (Canada) c. Pharmacia, [1995] 1 C.F. 588, au paragraphe 15. Le juge de Montigny a offert des conseils utiles au sujet du caractère exceptionnel des requêtes en radiation de demandes de contrôle judiciaire lorsqu’il écrit, au paragraphe 32 de la décision Esgenoôpetitj (Burnt Church) First Nation c. Canada (Human Resources and Skills Development), 2010 FC 1195 :

[traduction] [...] la requête en radiation constitue un recours exceptionnel, surtout lorsqu’elle vise une demande de contrôle judiciaire. Puisque ce genre de demande est censé être traitée de façon sommaire, il est habituellement préférable de traiter de toute opposition à la demande dans le cadre de l’audition au fond, ne serait-ce que parce qu’il est souvent nécessaire de bien comprendre les faits et le contexte pour statuer sur l’opposition. Par conséquent, je souscris à l’opinion de la demanderesse, qui soutient qu’une requête en radiation ne sera accueillie que dans les cas les plus évidents et exceptionnels, à savoir quand l’avis de demande est manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli : voir, entre autres, David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.); Moses c. R., 2002 CFPI 1088, au paragraphe 6.

[9]               Même au vu du critère exigeant à satisfaire pour obtenir gain de cause lors de la présentation d’une requête en radiation d’une demande de contrôle judiciaire, il y a lieu, sur la base de l’analyse qui suivra, de radier la présente demande, car il est évident que l’APJS n’agissait pas en qualité d’office fédéral lorsqu’elle a donné à bail le terrain visé. Tous les autres faits ou tout le contexte qui pourraient être mis au jour dans le cadre d’une instruction complète de l’affaire ne modifieraient pas cette conclusion. Cela tient au fait que la décision rendue par la juge Mactavish dans l’affaire DRL Vacations Ltd c. Administration portuaire de Halifax, 2005 CF 860, [2006] 3 R.C.F., (DRL Vacations) dispose de manière définitive de la question de savoir si l’APJS a agi à titre d’office fédéral. L’affaire DRL Vacations est justement du genre de celles auxquelles la Cour d’appel fédérale faisait référence lorsqu’elle a parlé des circonstances exceptionnelles nécessaires pour justifier la décision d’accueillir une requête en radiation d’une demande de contrôle judiciaire dans LJP Sales Agency c. Canada (Revenu national), 2007 CAF 114, au paragraphe 8 (LJP Sales) :

[...] l’existence d’un précédent allant directement à l’encontre de la thèse sur laquelle repose la demande de contrôle judiciaire peut être considérée comme une circonstance exceptionnelle si la demande en question n’invoque aucun fait nouveau.

[10]           Tout au long de l’exposé de son argumentation et lors de l’audition de la présente requête, l’APJS a soutenu qu’il n’y avait aucune distinction significative entre DRL Vacations et l’affaire qui nous occupe. Je suis d’accord. Dans DRL Vacations, la demanderesse, DRL, contestait la décision de la défenderesse, l’Administration portuaire de Halifax, de donner à bail à un tiers un immeuble, décrit comme une boutique de cadeaux, un marché ou un point de vente au détail. DRL a demandé le contrôle judiciaire de la décision de l’Administration portuaire au motif que la procédure d’appel d’offres adoptée était viciée. La juge Mactavish a procédé à un examen exhaustif de la jurisprudence applicable. Elle est arrivée, au paragraphe 55, à la conclusion suivante :

À mon avis, une boutique de ce genre constitue purement une entreprise commerciale, qui est accessoire à la responsabilité principale de l’APH, à savoir gérer les activités portuaires liées à la navigation, au transport des marchandises et des passagers, et à l’entreposage des marchandises. Cela étant, je conclus que l’APH n’agissait pas à titre d’« office fédéral » lorsqu’elle a pris la décision ici en cause.

[11]           Pour sa part, la GSA tente d’établir un rapprochement entre la situation actuelle et l’affaire Halterm Ltd. c. Administration portuaire de Halifax, [2000] A.C.F no 937 (1re inst.) (QL) (Halterm), dans laquelle la Cour a conclu que l’Administration portuaire de Halifax agissait en qualité d’office fédéral lorsqu’elle a négocié la location d’un terminal portuaire à conteneurs. Toutefois, comme le signale l’APJS, la juge Mactavish a expressément rejeté le raisonnement proposé dans Halterm au paragraphe 61 de la décision DRL Vacations, où elle conclut que « dans la mesure où il est impossible de faire une distinction entre l’affaire Halterm et la présente espèce, je dois avec égards refuser de suivre la décision rendue dans cette affaire-là ». Même si la juge Mactavish n’avait pas rejeté les conclusions tirées par la Cour dans Halterm, j’estime qu’un restaurant (comme c’est le cas en l’espèce) et une boutique de cadeaux (dans DRL Vacations) sont d’une nature autre que celle d’un terminal portuaire à conteneurs, qui est plus intimement liée aux fonctions essentielles d’une administration portuaire, énoncées dans la Loi maritime du Canada, L.C. 1998, ch. 10.

[12]           L’alinéa 28(2)a) de la Loi maritime du Canada prévoit que l’autorisation donnée à une administration portuaire d’exploiter un port est restreinte « aux activités portuaires liées à la navigation, au transport des passager et des marchandises, et à la manutention et l’entreposage des marchandises ». Ce sont là les attributions essentielles d’une administration portuaire telle que l’APJS. La location de terrains sans lien avec la navigation, le transport et la manutention et l’entreposage n’est pas un pouvoir de nature publique, il fait partie des pouvoirs privés que peut exercer une société privée. Ces pouvoirs de nature privée sont accessoires aux attributions de nature publique de l’APJS.

[13]           La GSA insiste grandement sur l’article 8.3 des lettres patentes de l’APJS, qui oblige cette dernière à ne pas louer des biens en deçà de leur juste valeur marchande. Toutefois, cette obligation fondée sur la juste valeur marchande est en quelque sorte un faux problème puisque la location du terrain en cause ne relève pas d’un pouvoir de nature publique prévu par la Loi maritime du Canada. L’article 8.3 des lettres patentes n’est d’aucune utilité pour ce qui est de déterminer si l’APJS exerce un pouvoir de nature publique et il ne modifie pas la nature, le caractère ou la source du pouvoir exercé par l’APJS.

[14]           À mon sens, les constatations qui précèdent trouvent toutes appui dans les conclusions de la juge Mactavish, exposées aux paragraphes 55 à 62 de DRL Vacations, qui confirment selon moi la position de l’APJS. Les commentaires de la juge Mactavish méritent d’être reproduits ici :

[55]      À mon avis, une boutique de ce genre constitue purement une entreprise commerciale, qui est accessoire à la responsabilité principale de l’APH, à savoir gérer les activités portuaires liées à la navigation, au transport des marchandises et des passagers, et à l’entreposage des marchandises. Cela étant, je conclus que l’APH n’agissait pas à titre d’« office fédéral » lorsqu’elle a pris la décision ici en cause.

[56]      Je suis donc convaincue que la Cour n’a pas compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire.

[57]      En arrivant à cette conclusion, je suis également influencée par le fait qu’en édictant la Loi maritime du Canada et en créant l’APH, le législateur voulait clairement s’assurer que le port de Halifax soit géré d’une façon viable sur le plan commercial. Permettre aux parties de demander le contrôle judiciaire de chaque décision qui est prise à l’égard d’un bien du port appartenant au gouvernement fédéral, aussi accessoire soit-elle à l’exploitation du port lui-même, entraînerait, à mon avis, le genre de résultat absurde et très embarrassant envisagé par le juge Thurlow dans la décision Wilcox; de plus, cela irait à l’encontre de l’intention du législateur lorsqu’il a créé l’APH.

[58]      À mon avis, le fait que le local en question est situé sur une terre fédérale n’est pas déterminant. Certaines décisions susmentionnées portaient sur l’utilisation ou sur la gestion des deniers publics - c’est-à-dire l’argent des contribuables. Or, les sociétés privées ordinaires n’auraient pas accès à de tels fonds. Néanmoins, dans des décisions telles que Wilcox, Cairns et Toronto Independent Dance Enterprises, les tribunaux ont conclu que les institutions en question n’agissaient pas à titre d’office fédéral lorsqu’elles prenaient les décisions en cause.

[59]      Dans l’affaire Halterm, il était question de la location d’immeubles pour un terminal portuaire à conteneurs, alors qu’en l’espèce, c’est l’octroi d’un permis concernant un local à exploiter comme boutique de cadeaux qui est en cause.

[60]      Il est donc probablement possible de faire une distinction entre l’affaire Halterm et le cas qui nous occupe en ce sens que l’opération en question dans cette affaire-là se rattachait d’une façon beaucoup plus directe à l’entreprise de l’APH en tant que port. À mon avis, l’exploitation d’une boutique de cadeaux à l’intention des passagers et des membres de l’équipage des navires de croisière constitue beaucoup plus un accessoire de l’entreprise du port de Halifax.

[61]      Toutefois, pour les motifs qui ont été donnés, dans la mesure où il est impossible de faire une distinction entre l’affaire Halterm et la présente espèce, je dois avec égards refuser de suivre la décision rendue dans cette affaire-là.

[62]      Enfin, je tiens à faire remarquer que ma décision ne doit pas être interprétée comme voulant dire que l’APH ne pourrait jamais être considérée comme un « office fédéral » au sens de la Loi sur les Cours fédérales. Il est clair que la question de savoir si une institution agit à titre d’ « office fédéral » dans un ensemble donné de circonstances doit être réglée sur une base individuelle, compte tenu du statut de l’organisation en cause et de la nature du pouvoir exercé dans ce cas particulier.

[Non souligné dans l’original.]

[15]           Il existe quelques différences entre les faits de l’affaire DRL Vacations et ceux en cause ici. D’abord, dans DRL Vacations, une procédure d’appel d’offres avait été lancée. Ensuite, l’immeuble en cause devait être utilisé pour exploiter une boutique de cadeaux, et non un restaurant. Enfin, comme l’a fait valoir la GSA avec insistance à l’audience, le terrain en cause ici constitue le dernier lot riverain non bâti et les coûts de construction seront considérables. Toutefois, aucune de ces différences ne permet d’établir une distinction entre DRL Vacations et l’affaire en cause en ce qui concerne la principale question en litige : l’administration portuaire, lorsqu’elle donne à bail un bien à d’autres fins que la navigation ou d’autres activités maritimes, agit-elle en qualité d’« office fédéral »? DRL Vacations répond à cette question sans équivoque, et par conséquent, cette décision constitue, avec les adaptations nécessaires, un précédent suffisant pour faire droit à la requête en radiation de l’APJS. À l’instar de l’affaire sur laquelle porte l’arrêt LJP Sales, précité, il n’est pas nécessaire de fouiller davantage les faits pour répondre à la question relative à la compétence de la Cour.

[16]           Fait à souligner, la Cour, au paragraphe 31 de la décision Devil’s Gap Cottagers (1982) Ltd c. Première Nation de Rat Portage no 38B, 2008 CF 812 approuve de manière affirmée la décision DRL Vacations.

[17]           Dans l’arrêt Anisman c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 52 (Anisman), la Cour d’appel fédérale a indiqué, au paragraphe 29, qu’il fallait :

[...] procéder à une analyse en deux étapes pour déterminer si un organisme ou une personne constitue un « office fédéral ». Il est ainsi nécessaire en premier lieu de déterminer la nature de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer. Deuxièmement, il y lieu de déterminer la source ou l’origine de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer.

L’arrêt Anisman ne modifie pas la décision rendue dans DRL Vacations dans la mesure où elle se rapport à l’APJS en l’espèce. La juge Mactavish a clairement jugé que la boutique de cadeaux était une entreprise commerciale et que le bail était accessoire à la responsabilité principale de l’Administration portuaire de Halifax, à savoir de gérer les activités portuaires liées à la navigation. Il ressort clairement de la décision DRL Vacations, au paragraphe 12, ainsi que de la décision rendue par le juge Hughes dans Air Canada c. Administration portuaire de Toronto, 2010 CF 774, aux paragraphes 54 à 56, que l’exercice de pouvoirs susceptibles d’être exercés à titre privé par une société ordinaire créée en vertu d’une loi fédérale et qui ne sont que des éléments accessoires de sa personnalité juridique, de même de ses pouvoirs généraux de gestion et de ses pouvoirs se rapportant aux activités commerciales ordinaires n’est pas assujetti au contrôle de la Cour fédérale. Si on applique l’analyse en deux étapes de l’arrêt Anisman, le pouvoir exercé par l’APJS est celui de donner à bail un terrain destiné à être utilisé pour exploiter un restaurant, soit le type de pouvoir exercé à titre privé dont il est question dans DRL Vacations et Air Canada. Passant à la seconde étape de l’analyse tirée de l’arrêt Anisman, la source de ce pouvoir est la qualité de personne « physique » de l’APJS et ses pouvoirs généraux concomitants de gestion. L’APJS ne tient pas ce pouvoir d’une loi ou d’un décret fédéraux et, partant, l’exercice de ce pouvoir n’est pas susceptible de contrôle judiciaire.

[18]           En prenant la décision dont le contrôle est sollicité, l’APJS n’a pas agi en qualité d’office fédéral. Par conséquent, la Cour n’a pas compétence en la matière et la requête en radiation de l’APJS pourrait être accueillie pour ce seul motif.

Qualité pour présenter la demande

[19]           Même si j’avais tort de conclure que l’APJS n’agissait pas en qualité d’office fédéral en donnant à bail le terrain visé, j’estime que la présente requête en radiation doit être accueillie pour un motif subsidiaire, à savoir que la GSA n’a pas qualité pour présenter la demande parce qu’elle n’est pas directement touchée par la décision contestée. Le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée, confère uniquement la qualité pour présenter une demande de contrôle judiciaire au «  procureur général du Canada ou [...] quiconque est directement touché par l’objet de la demande ».

[20]           Les commentaires que j’ai faits plus haut concernant le caractère exceptionnel de la requête en radiation d’une demande de contrôle judiciaire s’appliquent tout autant ici ; cependant, je soulignerais que, dans la décision Canwest Mediaworks c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 752, conf. 2008 CAF 207, la juge Snider a statué, au paragraphe 10, que le fait pour le demandeur de ne pas avoir qualité pour présenter la demande constitue l’une des exceptions à la règle générale selon laquelle les demandes de contrôle judiciaire ne devraient pas être rejetées sur le fondement d’une requête préliminaire.

[21]           La question de savoir si  une association a qualité pour présenter une demande de contrôle judiciaire au nom de ses membres a en effet été tranchée par l’arrêt Independent Contractors and Business Assn c. Canada (Ministre du Travail), [1998] A.C.F. no 352 (Independent Contractors), la Cour d’appel fédérale ayant déclaré, au paragraphe 31 :

Il est vrai que, dès le début, l’association a tenté de faire modifier la décision de son propre chef. Manifestement, toutefois, son intérêt à cet égard était celui des membres qui la composent, y compris les entrepreneurs. Pour reprendre les termes du juge Marceau, J.C.A. dans l’arrêt Canadian Transit Co. c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique), [1989] 3 C.F. 611 (C.A.F.), à la page 614, l’intérêt de l’association dans le règlement de l’affaire est « simplement indirect ou éventuel ». [...]

On peut dire exactement la même chose dans ce cas-ci. Ce sont les membres de la GSA, et non la GSA même, qui seront directement touchés par la location du terrain visé. Si on applique les principes de l’arrêt Independent Contractors à la présente situation, la GSA n’est pas la partie indiquée pour présenter la demande. La conclusion à laquelle j’arrive est également étayée par les propos de la juge Snider qui, au paragraphe 13 de la décision Canwest, précitée, déclare ce qui suit :

De façon générale, la jurisprudence reconnaît qu’un demandeur est « directement touché » lorsque la demande vise un acte portant atteinte à ses droits, lui imposant des obligations juridiques ou lui causant directement préjudice [...] [Renvois omis.]

Dans le cas présent, la GSA n’est pas directement touchée. Elle est, tout au plus, indirectement touchée par les conséquences que la décision de louer le terrain pourrait avoir sur certains de ses membres.

[22]           La GSA a également revendiqué la qualité pour agir dans l’intérêt public. Compte tenu que ce genre de revendication porte essentiellement sur l’intérêt même qu’elle faisait valoir pour agir directement, à savoir, l’existence d’un intérêt de nature commerciale et ses préoccupations en matière de concurrence, les commentaires faits par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 15 de ses motifs, lors du rejet de l’appel interjeté à l’encontre de la décision rendue par la juge Snider dans Canwest, sont tout à fait à propos :

Dans le cas qui nous occupe, la juge de première instance a conclu que CanWest n’était pas « directement touchée » parce que le tort que le défaut des intimés de faire respecter la loi avait, selon ses dires, causé à ses intérêts commerciaux était trop spéculatif et indirect. CanWest ne peut certainement pas invoquer un intérêt qui ne satisfait pas aux conditions exigées pour se voir reconnaître la « qualité pour agir dans l’intérêt privé » pour établir qu’elle a un « intérêt véritable » lui permettant d’obtenir la qualité pour agir dans l’intérêt public.

[Non souligné dans l’original.]

[23]           En outre, je souscris à l’opinion de l’APJS selon laquelle la GSA n’a pas réussi à démontrer qu’elle « possède un intérêt véritable et direct quant à l’issue du litige », une condition nécessaire pour qu’on lui reconnaisse la qualité pour agir dans l’intérêt public, suivant l’arrêt Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada c. Canada, 2010 CAF 307, au paragraphe 59, citant Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236. Dans le cas présent, la Cour est amenée à comprendre que les 23 membres de la GSA n’ont pas tous un intérêt quant à l’issue du litige, étant donné que seul un petit nombre d’entre eux exploitent des entreprises de restauration, les autres étant des tenanciers de bars. Le terrain visé n’est pas loué pour permettre l’exploitation d’un bar.

[24]           À l’instar de l’APJS, je soulignerais également que même si la GSA prétend qu’aucune autre partie directement touchée par la décision de l’APJS de louer le terrain ne contestera cette décision, elle n’a pu nommer quelque autre partie susceptible d’être directement touchée par la décision. En outre, en avançant ce qui précède, la GSA contredit un autre de ses arguments, à savoir qu’en lui reconnaissant la qualité pour présenter la demande, on éviterait un problème de multiplicité des instances.

[25]           Sur la base de ce qui précède, je conclus que le fait que la GSA n’a pas qualité pour agir constitue un motif subsidiaire permettant d’accueillir la requête de l’APJS en radiation de la présente demande.

[26]           Compte tenu des conclusions auxquelles je suis arrivé sur les questions de compétence et de qualité pour agir, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur l’argument de l’APJS voulant que la demande soit frappée de prescription.

[27]           Pour les motifs susmentionnés, la requête présentée par l’APJS en vue d’obtenir la radiation de la présente demande est accueillie, le tout avec dépens selon le milieu de la fourchette du Tarif B.

ORDONNANCE

La requête en radiation de l’APJS est accueillie, le tout avec dépens selon le milieu de la fourchette du Tarif B.

 

« Richard Morneau »

Protonotaire

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-345-11

 

INTITULÉ :                                       54039 NEWFOUNDLAND AND

LABRADOR LIMITED T/A

GEORGE STREET ASSOCIATION

et

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE ST. JOHN’S

 

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE :

                                                            Montréal (Québec) et St. John’s (Terre-Neuve)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 1er juin 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE PROTONOTAIRE MORNEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      le 21 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

David P. Goodland

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jamie M. Smith

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Goodland O’Flaherty

St. John’s (Terre-Neuve)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Smith Law Offices

St. John’s (Terre-Neuve)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

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