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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110622

Dossier : IMM-4759-10

Référence : 2011 CF 744

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

ENTRE :

 

JORGE EDUARDO PINA GAETE

MARIA TERESA SILVA RIQUELME

JORGE ADRIAN PINA SILVA

YERKO MICHEL PINA SILVA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sont une famille originaire de Santiago, au Chili. Leur demande d’asile était fondée sur le risque qu’un gang de trafiquants de drogue les assassine ou leur cause de graves préjudices. Le père et demandeur principal (le demandeur) est venu au Canada le 4 mars 2005. La mère (la demanderesse) est venue, avec les enfants du couple, le 10 octobre 2007. Le demandeur a tenté sans succès de se faire parrainer par son employeur. La famille a ensuite demandé l’asile le 8 mars 2008.

 

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), de la décision rendue le 15 juillet 2010 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, selon laquelle les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

 

[3]               La Commission a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau d’établir qu’il y avait une possibilité sérieuse qu’ils soient persécutés pour un des motifs visés à la Convention ou que, selon la prépondérance de la preuve, ils seraient personnellement exposés soit au risque d’être soumis à la torture, soit à une menace à leurs vies ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’ils étaient renvoyés au Chili. La Commission a estimé que les éléments de preuve présentés par le demandeur et par la demanderesse n’étaient pas crédibles, et elle a tiré des inférences défavorables de l’absence d’éléments de preuve corroborants et des trois ans écoulés avant que le demandeur demande l'asile.

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

 

[4]               La présente demande soulève les questions suivantes :

1)      Les conclusions de la Commission concernant la crédibilité étaient-elles raisonnables?

 

2)      La Commission a-t-elle raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas de crainte subjective étant donné qu’il avait attendu trois ans avant de demander l'asile?

 

 

ANALYSE

 

 

La norme de contrôle

 

 

[5]               Une cour de révision ne peut pas substituer son opinion à celle du décideur, et elle peut seulement s’immiscer dans les conclusions de fait d’un tribunal, y compris les conclusions concernant la crédibilité, si la décision du tribunal est erronée, ou si le tribunal l’a rendue de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait : Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, alinéa 18.1(4)d); Diabo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1772, au paragraphe 3; Chavarro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1119, au paragraphe 24. La Commission est la mieux placée pour évaluer la crédibilité et la vraisemblance du récit d’un demandeur d’asile et des éléments de preuve factuelle qui lui sont présentés : Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1993] A.C.F. no 732 (QL), 160 N.R. 315.

 

a.      Les conclusions de la Commission concernant la crédibilité étaient-elles raisonnables?

 

La crédibilité du demandeur

 

[6]               La Commission a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du fait qu’il y avait des éléments de preuve documentaire qui corroboraient la participation du demandeur au mouvement scout entre 1988 et 1998, mais rien qui démontrait qu’il avait participé à des activités après cette époque, et surtout en 2004, époque à laquelle aurait eu lieu la campagne antidrogue alléguée. En outre, il n’y avait aucun élément de preuve persuasif établissant qu’il y avait même seulement eu une campagne antidrogue. Une lettre émanant d’un individu qui disait être un dirigeant du groupe de scouts a été produite en preuve. Cette lettre confirmait la participation antérieure du demandeur.

 

[7]               Les demandeurs invoquent la décision Mahmud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 729 (QL), 167 F.T.R. 309, au soutien de la thèse qu’un tribunal doit tenir compte de ce que disent des lettres, et non de ce qu’elles ne disent pas. Dans la décision Mahmud, toutefois, les lettres produites en preuve visaient à établir l’appartenance du demandeur à un groupe social, en l’occurrence le Jatiya Jubo Sanghati, qui était l’aile jeunesse du parti Jatiya au Bangladesh. Ces lettres donnaient également à penser que des accusations avaient été portées contre le demandeur en raison de ses activités politiques. Ces faits se distinguent de ceux de la présente affaire, puisque ici, les lettres produites relativement au mouvement scout semblent l’avoir été pour établir la participation de M. Pina Gaete à ce mouvement à l’époque de la campagne antidrogue prétendue. Or, elles n’établissent pas ce fait.

 

[8]               Le tribunal peut n’accorder aucun poids à une lettre si celle-ci omet d’aborder des éléments centraux d’une demande : Lebbe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1239, 118 A.C.W.S. (3d) 872, au paragraphe 8. 

 

[9]               En l’espèce, la lettre produite par les demandeurs se lit comme suit :

[traduction]


Je certifie par les présentes que M. Jorge Eduardo Pina Gaete, numéro d’identification […], a travaillé activement au sein de notre groupe de 1988 à 1998, à titre d’assistant de troupe.

 

Au cours de cette période, M. Pina s’est avéré être une personne très responsable qui adhérait aux valeurs et principes du mouvement scout.

 

Je vous écris la présente lettre à la demande de la partie intéressée et à toutes les fins juridiques qu’il pourrait estimer indiquées.

 

 

[10]           Cette lettre ne comporte aucune mention d’une campagne antidrogue. Il était donc loisible à la Commission de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité de l’absence d’éléments de preuve relatifs à l’existence d’une telle campagne ou de la participation du demandeur à une telle campagne. Étant donné le caractère central de ces allégations dans le cadre de la demande d’asile des demandeurs, la conclusion de la Commission était raisonnable.

 

[11]           Les demandeurs reprochent également à la Commission de ne pas avoir cru que le demandeur était allé voir le leader du gang de trafiquants de drogue El Cholo ou que le fils du demandeur, Jorge, avait été agressé par le fils d’El Cholo. La Commission a noté que le demandeur n’avait pas dénoncé l’agression de son fils à la police, et elle a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve persuasif établissant que cette agression avait eu lieu. Deuxièmement, la Commission a trouvé que le témoignage du demandeur concernant la question de savoir comment il avait connu El Cholo était confus et incompatible avec le sens commun et la raison :

Comme M. Pina a déclaré ne pas connaître El Cholo avant de le rencontrer; pourquoi avait-il besoin de [traduction] « prendre son courage à deux mains » pour s’entretenir avec le parent d’un enfant puisqu’il ignorait alors que le père de l’enfant était un narcotrafiquant? Il faut garder à l’esprit que l’enfant n’a que 13 ans. Le tribunal attire l’attention sur la réponse de M. Pina lorsqu’on lui a demandé depuis combien de temps il connaissait El Cholo; il a répondu qu’il le connaissait depuis qu’il était allé lui parler. M. Pina a été prié d’indiquer comment il savait qu’El Cholo était un narcotrafiquant et il a dit que tout le voisinage le savait. Le tribunal estime que les réponses prêtent à confusion et vont à l’encontre du bon sens et de la rationalité, car si El Cholo était connu comme un narcotrafiquant dans le voisinage, comment M. Pina peut-il soutenir qu’il ne le connaissait pas lorsqu’il a déclaré que tout le monde le connaissait. Le tribunal rejette donc l’allégation selon laquelle le fils de M. Pina a été agressé et que ce dernier s’est rendu chez les parents de l’agresseur.

 

[12]           Compte tenu du témoignage contradictoire du demandeur quant à savoir comment il avait connu El Cholo et de l’absence de tout élément de preuve susceptible de corroborer l’agression de 2004, il était raisonnable que la Commission rejette l’allégation selon laquelle Jorge avait été agressé et que le demandeur était allé voir les parents de l’agresseur.

 

[13]           Il était également loisible à la Commission de conclure que le demandeur était évasif et manquait de franchise dans ses réponses aux questions touchant la question de savoir s’il avait fait un suivi auprès de la police après que sa maison eut été attaquée. Puisque la Commission est la mieux placée pour évaluer la crédibilité et la vraisemblance du récit d’un demandeur, et compte tenu de la transcription sur ce point, cette conclusion appartient aux issues possibles acceptables qui peuvent se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47.

 

[14]           Dans son témoignage de vive voix, le demandeur a dit qu’il avait reçu quatre notes de menaces entre février et mars 2005. Cependant, en réponse à la question de savoir où se trouvaient ces notes, il a dit qu’elles avaient « disparu, elles avaient été égarées, il ne les avait pas gardées ». Ces notes ne sont mentionnées nulle part dans le formulaire de renseignements personnels (le FRP) du demandeur, et, en réponse à la question de savoir pourquoi elles n’y étaient pas mentionnées, le demandeur a répondu qu’il n’avait jamais pensé qu’elles seraient importantes. Ces notes n’ont pas non plus été portées à l’attention de la police lorsqu’une enquête policière a été menée. Il n’était pas déraisonnable pour la Commission de conclure qu’il n’y avait eu aucune note et de rejeter l’allégation selon laquelle ces notes avaient été glissées sous la porte de la maison du demandeur.

 

[15]           Il était également raisonnable pour la Commission d’admettre que le fils du demandeur avait été attaqué et que sa caméra vidéo avait été volée, mais de conclure que cela n’avait rien à voir avec El Cholo. Premièrement, il n’y avait aucun élément de preuve tendant à établir l’existence d’un tel lien; deuxièmement, c’était la mère d’un des agresseurs, Jorge Ojeda Miranda, l’épouse d’El Cholo, qui avait rapporté la caméra. La Commission a raisonnablement conclu qu’il était incompatible avec le sens commun et la raison que l’épouse d’El Cholo, [traduction] « ce narcotrafiquant dangereux », rende une caméra que leur fils avait volée.

 

La crédibilité de la demanderesse

 

[16]           La Commission n’a pas cru la demanderesse lorsque celle-ci a dit qu’elle avait découvert que quelqu’un avait trafiqué sa ligne téléphonique. Or, la demanderesse avait affirmé que la police avait vérifié son téléphone et avait découvert qu’il ne fonctionnait pas. La Commission a conclu que si la ligne téléphonique avait été trafiquée, la police l’aurait découvert lorsqu’elle avait vérifié le téléphone.

 

[17]           À un autre moment, la demanderesse a affirmé que son fils avait continué d’être harcelé jusqu’en 2006 à cause de son appartenance au mouvement scout. Cependant, comme la Commission l’a noté à juste titre, cela contredisait le témoignage du demandeur, que la demanderesse appuyait expressément. Le demandeur avait affirmé que les choses s’étaient calmées quelques mois après qu’il eut quitté le Chili en 2005. Les éléments de preuve présentés par la demanderesse au sujet du vol commis avec violence contre son fils et ses explications quant à savoir pourquoi elle avait ouvert, fermé, puis rouvert le dossier d’enquête ont également été raisonnablement considérés comme contradictoires, confus et invraisemblables.

 

[18]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis de graves erreurs susceptibles de révision lorsqu’elle a conclu que la demanderesse n’avait pas été agressée sexuellement. Les demandeurs fondent cette prétention sur le fait que la Commission a remis en question le moment où la demanderesse avait crié à l’aide lors de cette agression et le fait qu’elle n’avait pas appelé la police pour signaler cette agression. Cependant, ces conclusions doivent être appréciées dans le contexte de l’évaluation de la crédibilité de la demanderesse par la Commission. Il ressort de l'examen de la décision prise dans son ensemble que l’analyse de la Commission sur ce point était raisonnable.

 

[19]           Le rapport circonstancié du demandeur, qui est également joint au FRP de la demanderesse, expliquait que cette dernière avait crié à l’aide et que deux hommes étaient venus à son secours. D’autres éléments de preuve laissaient entendre qu’il faisait sombre, que c’était l’hiver, et qu’il n’y avait personne dans la rue parce qu’il était très tard le soir. Il était donc raisonnable que la Commission s’interroge quant à savoir d’où étaient soudainement arrivés ces deux hommes qui avaient secouru la demanderesse.

 

[20]           La Commission a également conclu que le fait de ne pas avoir appelé la police ni autorisé les deux hommes qui l’auraient secourue à le faire minait la crédibilité de la demanderesse. Bien que l’on ne puisse pas toujours s’attendre à ce que les demandeurs d’asile signalent des agressions sexuelles, dans les circonstances de la présente affaire, il était loisible à la Commission de s’interroger quant à ce qui s’était produit dans ce cas-ci.

 

[21]           La demanderesse avait appelé la police plusieurs fois lorsqu’elle avait craint pour la sécurité de ses enfants. Des policiers étaient venus voir comment se portaient les enfants et avaient interagi avec la demanderesse à plusieurs occasions. Elle leur avait également signalé la caméra volée. Bien qu’il ne s’ensuive pas nécessairement qu’elle aurait dû signaler l’agression, cela met en perspective les rapports que la demanderesse entretenait avec la police, à savoir des rapports dans le cadre desquels les voies de communication étaient ouvertes et il y avait au moins un certain degré d’aisance. Il était donc loisible à la Commission de ne pas croire que la demanderesse n’avait pas signalé l’agression sexuelle parce qu’elle avait peur.

 

[22]           La Commission a démontré qu’elle était au courant des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe lorsqu’elle a noté que ce n’étaient pas toutes les victimes d’agression sexuelle qui iraient consulter un médecin ou qui signaleraient l'agression à la police. Quoi qu'il en soit, la conclusion concernant la crédibilité de la demanderesse était fondée dans une large mesure sur d’autres facteurs, comme son appui au compte rendu de son époux et les contradictions entre la demanderesse et le demandeur.

 

2)      La Commission a-t-elle raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas de crainte subjective étant donné qu’il avait attendu trois ans avant de demander l'asile?

 

 

[23]           La jurisprudence a établi que le retard à déposer une demande d’asile était lié à l’existence d’une crainte subjective de persécution : Heer c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] A.C.F. no 330 (QL) (C.A.F.); Espinosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1324, aux paragraphes 16 et 21. Un long retard tend à établir l'absence d'une crainte subjective.

 

[24]           En l’espèce, la Commission avait des motifs valables de conclure que le retard important du demandeur à faire une demande d’asile minait son allégation selon laquelle lui et sa famille seraient exposés au risque de subir de graves préjudices au Chili s’ils devaient y retourner. Le demandeur est arrivé au Canada en mars 2005, et ce n’est qu’en mars 2008 qu’il a déposé une demande d’asile, seulement après qu’il eut tenté d’obtenir un parrainage par l’entremise d’une société au service de laquelle il travaillait et que cette démarche eut échoué. Il était raisonnable pour la Commission de remettre en question l’explication du demandeur selon laquelle il ne savait pas qu’il pouvait demander l’asile, et de conclure que le demandeur n’avait pas de crainte subjective.

 

[25]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit : la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4759-10

 

INTITULÉ :                                       JORGE EDUARDO PINA GAETE

MARIA TERESA SILVA RIQUELME

JORGE ADRIAN PINA SILVA

YERKO MICHEL PINA SILVA

 

                                                            c.

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nur Muhammed-Ally

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. CLIFFORD LUYT

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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