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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110623

Dossier : IMM-3917-10

Référence : 2011 CF 756

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

CESAR PEREZ ARIAS

MARIA ANGELICA RODRIGUEZ JEMIO

et KAREN VALERIA PEREZ RODRIGUEZ

et ERLAN AUGUSTO PEREZ RODRIGUEZ

(représentés par leurs tuteurs à l’instance

CESAR PEREZ ARIAS et

MARIA ANGELICA RODRIGUEZ JEMIO)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs demandent le contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue le 17 mai 2010 sur leur demande d’examen des risques avant renvoi. Il s’agissait de la troisième décision rendue dans le cadre d’un examen des risques en rapport avec la demande d’asile des demandeurs, en plus d’une décision relative à la reconnaissance du statut de réfugié. Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée.

 

[2]               Les demandeurs sont des citoyens de la Bolivie. Le demandeur principal, M. Perez, était enseignant à La Paz, en Bolivie, et il militait au sein du syndicat des enseignants. Il était également un militant qui représentait son école auprès de la fédération locale et aidait à organiser des manifestations. Après avoir été ciblés et menacés, selon les allégations du demandeur principal, lui et sa famille sont venus au Canada en 2000, et ils sont demeurés ici jusqu’en février 2005, lorsqu’ils ont été renvoyés.

 

[3]               Au cours de leur séjour ici, les membres de la famille ont fait une demande de reconnaissance du statut de réfugié, qui a été refusée. Leur demande d’autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire de la décision leur refusant la reconnaissance du statut de réfugié a été rejetée. Un examen des risques avant renvoi (ERAR) a été conclu défavorablement. Les demandeurs ont déposé une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire le 17 mai 2004. Cette demande a été refusée le 28 juillet 2006. Dans l’intervalle, ils ont été renvoyés du Canada. Ils sont revenus le 29 septembre 2008, et il a été statué que leur deuxième demande de reconnaissance du statut de réfugié était irrecevable. Ils ont déposé une deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en avril 2009. La demande a été refusée le 17 mai 2010, et elle est l’objet d’une décision rendue au terme d’un contrôle judiciaire dans un dossier distinct de la Cour portant le numéro IMM-3918-10.

 

[4]               À leur retour en Bolivie, le demandeur principal a repris ses activités syndicales. La demanderesse allègue qu’elle a été violée par des représentants du gouvernement qui étaient à la recherche du demandeur principal. Ils ont quitté la Bolivie en mars 2005 et sont allés aux États‑Unis, où ils sont restés jusqu’en septembre 2008. Ils sont alors rentrés au Canada et ont fait une autre demande de reconnaissance du statut de réfugié le 29 septembre 2008. À la même date, une ordonnance d’exclusion a été émise à leur endroit et il a été statué que leur demande de reconnaissance du statut de réfugié était irrecevable.

 

[5]               Les demandeurs ont demandé un deuxième ERAR, qui a été refusé en mars 2009. Cette décision a fait l’objet d’un contrôle judiciaire au terme duquel l’affaire a été renvoyée pour faire l’objet d’une nouvelle décision : Perez Arias et al c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1207. Les demandeurs ont produit des éléments de preuve nouveaux en janvier 2010 pour compléter les documents produits avec leur demande. Une décision défavorable a été rendue le 17 mai 2010. C’est cette décision qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire.

 

[6]               L’agent d’ERAR a conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque de persécution, ni menacés de torture, que leurs vies ne seraient pas menacées, et qu’ils ne seraient pas exposés au risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités s’ils étaient renvoyés en Bolivie. Pour tirer cette conclusion, l’agent a examiné plusieurs rapports sur la situation dans le pays et éléments de preuve documentaire, de même que des lettres et des déclarations notariées produites par les demandeurs. L’agent a conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État et qu’ils ne seraient pas personnellement exposés à un risque s’ils étaient renvoyés.

 

[7]               Les questions soulevées sont celles de savoir si l’agent a commis une erreur d’appréciation des éléments de preuve et si ses conclusions étaient raisonnables.

 

[8]               La norme de contrôle est la raisonnabilité : Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437, 30 Admin. L.R. (4th) 131; Perea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1173, aux paragraphes 22 à 24.

 

[9]               Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a conclu que les femmes victimes de violence en Bolivie pouvaient bénéficier de la protection de l’État. Ils attirent l’attention sur leurs observations détaillées citant des éléments de preuve cohérents et récents au sujet de l’impunité en Bolivie dans les cas d’agression contre des femmes. Les demandeurs reprochent à l’agent de s’être appuyé sur le rapport du Département d’État des États-Unis pour conclure que la Bolivie prenait des mesures sérieuses pour lutter contre le viol et qu’il existait des lois et des services juridiques. Les demandeurs soutiennent également que l’agent a commis une erreur en s’appuyant sur un rapport de 2009 sur les droits des femmes qui émanait de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (la CIDH) plutôt que sur les documents des demandeurs sur ce point, et que l’agent n'a cité d’extraits de ce rapport que s'ils étayaient sa conclusion.

 

[10]           La présomption de protection de l’État s’applique également aux cas où l’agent de persécution est une entité non étatique : Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 282 D.L.R. (4th) 413, au paragraphe 54. Par conséquent, les demandeurs avaient l’obligation de démontrer que la Bolivie ne pouvait pas les protéger adéquatement. L’agent a raisonnablement conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à réfuter cette présomption, et il a raisonnablement cité les éléments de preuve documentaire comme le rapport du Département d’État des États-Unis comme établissant que la protection de l’État était disponible en Bolivie : [traduction] « La Bolivie est une démocratie constitutionnelle multipartite » où [traduction] « les autorités civiles ont généralement conservé un contrôle effectif des forces de sécurité ». Ce rapport dit également que le gouvernement a généralement respecté les droits de la personne de ses citoyens.

 

[11]           L’agent a laissé entendre que si les demandeurs ne voulaient pas chercher à être protégés à La Paz, il y avait d’autres voies de recours qu’ils auraient pu épuiser. Or, ils ne l’avaient pas fait. L’agent a conclu que la Bolivie était une démocratie qui fonctionnait, à tout le moins dans la mesure où il n’y a pas d’effondrement complet de l’appareil étatique. Par conséquent, les demandeurs étaient tenus de chercher à obtenir la protection de l’État.

 

[12]           Les demandeurs contestent la conclusion de l’agent selon laquelle il n’y avait aucun élément de preuve qui pût étayer la conclusion selon laquelle les demandeurs présenteraient un intérêt en Bolivie après en avoir été absents pendant cinq ans. Ils font remarquer que, la dernière fois qu’ils ont été absents pendant cinq ans puis sont retournés, ils ont été de nouveau attaqués. Aussi, ils soutiennent que le temps qu’ils ont passé à l’étranger n’a pas vraiment d’incidence quant à savoir s’ils seraient de nouveau ciblés ou non.

 

[13]           L’agent a noté que les demandeurs étaient entrés en Bolivie et en étaient sortis munis de passeports valides, et qu’à ces moments-là, ils n’avaient jamais eu de problèmes. Il était raisonnable d’inférer qu’ils ne semblaient pas être surveillés ni recherchés. L’agent a également affirmé clairement que, bien que les éléments de preuve aient établi que la demanderesse avait effectivement été violée, ils n'établissaient pas que ce viol avait été commis par des représentants du gouvernement. Il ne s’agissait pas là d’une conclusion voilée quant à la crédibilité, mais plutôt du constat qu’il n’y avait aucun élément de preuve reliant le gouvernement à l’incident, mis à part la conjecture de la demanderesse selon laquelle des représentants du gouvernement en étaient responsables.

 

[14]           Bien que l’agent ait noté les préoccupations des demandeurs concernant les mesures prises par la Bolivie à l’égard de la violence contre les femmes et le grave problème de violence sexuelle dans ce pays, il n’en a pas traité de manière complète. Il a fait ce qui peut raisonnablement être décrit comme étant une analyse sélective du rapport de suivi de la CIDH. Cependant, cette faiblesse n’était pas importante. Mis à part les conjectures de la demanderesse, il n’y a aucun élément de preuve établissant qu'elle aurait été ciblée personnellement ou le serait à l’avenir, ni que les assaillants seraient intéressés à la retrouver.

 

[15]           Il n’y avait aucun élément de preuve reliant le viol au gouvernement, de sorte qu’il ne peut pas être confirmé que l’agression n’était pas un acte de criminalité générale. Contrairement à ce que les demandeurs ont soutenu à l’audience, dans le cadre d’une demande d’asile, il importe de savoir qui sont les assaillants. Subsidiairement, même s’il pouvait être établi ou admis que ce viol était lié à l’activité politique du demandeur principal, il n’y a aucun élément de preuve au dossier qui donne à penser que la demanderesse serait ciblée de nouveau à son retour.

 

[16]           Dans l’ensemble, l’agent a admis les préoccupations des demandeurs et les a prises en compte. Il a consulté un vaste nombre de documents, comme en témoignent ses notes au dossier. Ces notes démontrent sa compréhension des préoccupations soulevées en rapport avec la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. L’agent a également pris en compte des éléments de preuve nouveaux produits par les demandeurs, comme des certificats médicaux et des lettres. Ayant fait cela, il a raisonnablement conclu que les éléments de preuve ne démontraient que les demandeurs seraient personnellement exposés à un risque.

 

[17]           Il ressort clairement de la décision que l’agent a correctement examiné les éléments de preuve documentaire versés au dossier par les demandeurs. Par exemple, il a cité les deux déclarations notariées datées du 8 juillet 2008 faites par le père de la demanderesse et son voisin, relativement à l’incident qui était survenu à La Paz le 21 février 2005. Au vu de ces éléments de preuve, l’agent a admis que la demanderesse avait été agressée, bien qu’il ait raisonnablement noté que les éléments de preuve ne disaient pas par qui. La lettre du prêtre corroborait également l’allégation d’agression.

 

[18]           L’agent a également cité le certificat médical produit par le Dr Ariel Chipana concernant le viol et les deux rapports psychologiques (l’un de 2002 et l’autre de 2009). Il a été noté que celui de 2002 était antérieur au départ des demandeurs du Canada. L’agent a admis ces rapports, mais il a raisonnablement conclu que les éléments de preuve produits n’étayaient pas l'affirmation que les demandeurs ne pourraient pas obtenir de counselling psychologique en Bolivie. Cela a été concédé à l’audience.

 

[19]           Après avoir examiné les éléments de preuve relatifs aux activités politiques syndicales en Bolivie, l’agent a raisonnablement conclu que, bien qu’il y ait des tensions entre les syndicats et le gouvernement, les éléments de preuve n’établissaient pas que les syndicalistes en subissent des répercussions. D’après le rapport de 2009 du Département d’État des États-Unis, l’agent a noté qu’il y avait des lois qui [traduction] « permettent aux travailleurs de s’associer et d’adhérer à des syndicats ». Le même rapport énonce que la loi prévoit la liberté d’association paisible et que, bien qu’il soit interdit aux enseignants de faire la grève, ceux-ci font fréquemment la grève et ne sont pas pour autant pénalisés. À titre d’exemple, l’agent a mentionné la manifestation du syndicat des enseignants contre le gouvernement en 2005 à laquelle le demandeur principal avait participé. L’agent a noté que, bien que la police ait initialement entouré les manifestants, ceux-ci avaient pu négocier le droit d’assemblée. Personne n’avait été blessé, et la manifestation avait duré jusqu’en soirée.

 

[20]           La décision de l’agent, bien qu’elle comporte certaines failles, appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. En conséquence, la demande sera rejetée.

 

[21]           Les demandeurs m’ont demandé de certifier la question suivante :

[traduction]

 

Lorsque des demandeurs que la SPR a trouvés non crédibles présentent des éléments de preuve nouveaux dans le cadre d’une demande d’ERAR que l’agent estime être des éléments de preuve crédibles, celui-ci peut-il (ou doit-il) revenir sur la conclusion de manque de crédibilité de la SPR?

 

 

[22]           Je conviens avec le défendeur que la question proposée ne permettrait pas de trancher un appel puisque la conclusion déterminante dans la décision rendue dans le cadre de l’ERAR concernait la protection de l’État. L’appréciation que l’agent a faite des conclusions de la Section de la protection des réfugiés quant à la crédibilité n’a eu aucune incidence sur la conclusion selon laquelle les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection adéquate de l’État.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit : la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-3917-10

 

INTITULÉ :                                       CESAR PEREZ ARIAS

                                                            MARIA ANGELICA RODRIGUEZ JEMIO

                                                            et KAREN VALERIA PEREZ RODRIGUEZ

                                                            et ERLAN AUGUSTO PEREZ RODRIGUEZ (représentés par leurs tuteurs à l’instance

                                                            CESAR PEREZ ARIAS et MARIA ANGELICA RODRIGUEZ JEMIO)

 

                                                            et

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 juin 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Leigh Salsberg

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Sharon Stewart-Guthrie

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LEIGH SALSBERG

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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