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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110623

Dossier : IMM-3918-10

Référence : 2011 CF 757

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

ENTRE :

 

CESAR PEREZ ARIAS

MARIA ANGELICA RODRIGUEZ JEMIO

et KAREN VALERIA PEREZ RODRIGUEZ

et ERLAN AUGUSTO PEREZ RODRIGUEZ (représentés par leurs tuteurs à l’instance

CESAR PEREZ ARIAS et

MARIA ANGELICA RODRIGUEZ JEMIO)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), de la décision rendue le 17 mai 2010 par un agent de Citoyenneté et Immigration Canada à Niagara Falls (Ontario), refusant la demande de résidence permanente des demandeurs fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (demande CH).

 

[2]               Le contexte factuel relatif aux demandeurs est exposé dans un jugement connexe concernant une décision négative rendue par le même agent dans le cadre d’un examen des risques avant renvoi : Perez Arias c. Canada (Ministre de Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 756.

 

[3]               Le présent jugement concerne la deuxième demande de résidence permanente des demandeurs fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La première a été présentée le 17 mai 2004 et a été refusée le 28 juillet 2006. Dans l’intervalle, les demandeurs ont été renvoyés du Canada. Ils sont revenus le 29 septembre 2008, et il a été statué qu’ils étaient inadmissibles à faire une deuxième demande d’asile. Ils ont fait une deuxième demande CH en avril 2009. Le refus qui est l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire a été émis le 17 mai 2010.

 

[4]               L’agent a conclu que les demandeurs n’avaient pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que leur situation personnelle était telle que les difficultés qu’ils éprouveraient si l’exemption fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne leur était pas accordée seraient inhabituelles et injustifiées ou démesurées.

 

[5]               Les questions en litige sont celles de savoir si l’agent a commis une erreur lorsqu’il a évalué les difficultés qu’éprouveraient les demandeurs, l’établissement des demandeurs et l’intérêt supérieur des enfants. La norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable : Ahmad c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 646, au paragraphe 11.

 

[6]               Lorsqu’il a examiné l’établissement, l’agent a noté le fait que les demandeurs s’étaient comportés en bons citoyens pendant qu’ils étaient ici, qu’ils avaient de la parenté au Canada avec laquelle ils avaient tissé des liens étroits, et qu’ils participaient à la société canadienne en exerçant un emploi, en faisant du bénévolat et en parfaisant leur éducation. L’agent a vu ces efforts d’un œil favorable, mais il a conclu qu’étant donné que les mesures de renvoi prises contre les demandeurs étaient exécutoires depuis septembre 2008, toute difficulté découlant de leur décision de demeurer ici était prévisible et dépendante de leur volonté.

 

[7]               Cette conclusion est raisonnable compte tenu du principe établi selon lequel les demandeurs ne devraient pas être récompensés pour avoir accumulé du temps au Canada alors qu’ils n’ont aucun droit légal de demeurer au pays mais ont néanmoins choisi de le faire : Tartchinska c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2000] A.C.F. no 373 (QL), 185 F.T.R. 161, aux paragraphes 20 et 22; Chau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 107, 26 Imm. L.R. (3d) 100, aux paragraphes 15 à 17; Kawatharani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 162, au paragraphe 18.

 

[8]               Les demandeurs soutiennent que l’agent a omis de tenir compte de toute la durée des séjours des demandeurs au Canada et qu’il n’a évalué leur établissement qu’à partir de 2008. Cet argument puise sa source dans une erreur de lecture de la décision de l’agent.

 

[9]               Au deuxième paragraphe de son analyse relative à l’établissement, l’agent souligne que les demandeurs ont résidé au Canada d’avril 2000 à février 2005, puis de nouveau de septembre 2008 jusqu’à ce jour. Aux paragraphes qui suivent cette affirmation, l’agent évalue les relations des demandeurs, leur engagement au sein de la collectivité et leur expérience de travail qui témoignent de leur établissement. Le dossier indique également que l’agent a dûment pris en compte toute la durée des séjours des demandeurs au Canada, y compris des lettres de leurs employeurs datant de septembre 2003. Aussi, l’on ne peut pas dire que l’agent a seulement tenu compte des deux dernières années lorsqu’il a évalué l’établissement. À mon avis, l’agent a raisonnablement conclu que les demandeurs n’éprouveraient aucune difficulté inhabituelle et injustifiée ou démesurée en raison de leur établissement s’ils étaient renvoyés en Bolivie.

 

[10]           L’agent a noté le fait que les enfants réussissaient bien à l’école, il a admis un rapport d’évaluation qui énonçait que leur établissement ici était suffisamment long pour que les deux enfants, et en particulier le plus jeune, se sentent [TRADUCTION] « chez eux », et que l’espagnol était la langue seconde du fils. Bien que ces facteurs militent en faveur de leur maintien au Canada, l’agent a également postulé que la langue maternelle du demandeur principal et de la demanderesse était l’espagnol, de sorte qu’il serait raisonnable de s’attendre à ce que les enfants, ayant été exposés à la langue et à la culture, s’ajustent à la société bolivienne. Cela est particulièrement vrai lorsque l’on considère le fait qu’ils ont de la parenté en Bolivie qui les aiderait à se réinsérer.

 

[11]           Dans le cadre de son analyse relative aux difficultés, l’agent a pris en compte les éléments de preuve documentaire concernant la Bolivie ainsi que les déclarations notariées, les lettres et les photos présentées par les demandeurs. Il a également cité un rapport de Clinical Assessment Canada, de même qu’une lettre du Toronto Rape Crisis Centre. Lorsqu’il a examiné tous ces éléments de preuve, l’agent a noté que la Bolivie venait en aide aux femmes par l’entremise d’organisations non gouvernementales et que le gouvernement sanctionnait les crimes à caractère sexuel. Aussi, l’agent a inféré à juste titre que les demandeurs pourraient bénéficier d’une protection de l’État et d’un certain degré de ressources sociales s’ils devaient être renvoyés.

 

[12]           Après s’être enquise de l’histoire de la famille et avoir interviewé les demandeurs, Laurie Bell, M.A., a conclu que la demanderesse souffrait d’un trouble de stress post-traumatique et que la condition du demandeur principal, selon sa propre description, répondait aux critères d’un trouble dépressif majeur chronique. Mme Bell a conclu que M. Perez lui était [traduction] « apparu comme un homme en voie de dépérissement », qui [traduction] « vi[vait] dans un état de tourmente psychologique ». Mme Bell a soutenu que [traduction] « [l]e bien-être psychologique de cette famille dépend[ait] des rétablissements individuels et conjugal de M. Perez et de Mme Rodriguez ». Mme Bell a ajouté qu’[traduction] « étant donné l’expérience qu’ils ont vécu dans le passé lorsqu’ils sont retournés en Bolivie, ils n’ont aucune raison de croire qu’ils seront un jour en sécurité dans le pays de leur citoyenneté, et, par conséquent, ils ne sont pas certains qu’ils auront la possibilité de se rétablir ».

 

[13]           Les qualifications que possédait Mme Bell pour faire ces évaluations n’ont pas été présentées en preuve, et l’avocat a été incapable de m’aider à cet égard. L’agent semble avoir présumé que Mme Bell était psychologue clinicienne, mais, si l’on se fie à son papier à en-tête et à la description qu’elle fait dans son rapport des services qu’elle fournit, cela n’est pas clair. Ses rapports sont décrits comme des [traduction] « évaluations psychosociales de réfugiés et d’immigrants ».

 

[14]           Étant donné le caractère discrétionnaire et exceptionnel des décisions statuant sur des demandes CH (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 C.F. 358, au paragraphe 15; Barrak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 962, au paragraphe 27), il aurait été loisible à l’agent de rejeter ces éléments de preuve s’il les avait évalués convenablement puis avait conclu qu’il y avait lieu de leur accorder peu de poids. Par exemple, le dossier ne comporte aucun élément de preuve indiquant que les demandeurs principaux sont suivis par des psychologues.

 

[15]           L’agent a commis une erreur en l’espèce lorsqu’il a invoqué les évaluations sans en analyser le contenu. Je suis conscient qu’une énorme quantité de documents avaient été présentés à l’agent, et qu’il devait les examiner, mais, étant donné la longue et tumultueuse histoire de cette famille, qui comprenait un viol, une fuite et une insécurité générale, l’agent aurait dû procéder à un examen plus approfondi des éléments de preuve relatifs aux difficultés d’ordre psychologique. La question qui a été méconnue n’était pas celle de la disponibilité de services en Bolivie, qui est acquise aux débats, mais plutôt celle de savoir si le retour des demandeurs influerait sur leur stabilité psychologique.

 

[16]           En outre, les premières pages de l’analyse relative aux difficultés sont identiques aux premières pages de l’examen des risques avant renvoi auquel a procédé le même agent. Cela porte à croire que l’agent se souciait davantage des risques aux fins de l’analyse relative aux difficultés. Aussi, cette analyse était trop restreinte. L’agent devait regarder au-delà de la question des risques, dont j’ai conclu dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire connexe qu’il l’avait examinée correctement, pour déterminer si la famille éprouverait des difficultés.

 

[17]           En conséquence, je conclus que la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La présente demande sera accueillie, et l’affaire sera renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen des facteurs d’ordre humanitaire par un agent différent en conformité avec les présents motifs. Aucune question n’est certifiée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est accueillie et l’affaire est renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen par un agent différent. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-3918-10

 

INTITULÉ :                                       CESAR PEREZ ARIAS

                                                            MARIA ANGELICA RODRIGUEZ JEMIO

                                                            et KAREN VALERIA PEREZ RODRIGUEZ

                                                            et ERLAN AUGUSTO PEREZ RODRIGUEZ

                                                            (représentés par leurs tuteurs à l’instance CESAR PEREZ ARIAS et MARIA ANGELICA RODRIGUEZ JEMIO)

 

                                                            et

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 mars 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 ET JUGEMENT :                             LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leigh Salsberg

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Sharon Stewart-Guthrie

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LEIGH SALSBERG

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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