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Cour fédérale

 

Federal Court


 


Date : 20110622

Dossier : IMM-6704-10

Référence : 2011 CF 751

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 22 juin 2011

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

LADISLAV LUKACS

ANNA JULIA LUKACS

LADISLAV LUKACS

ROBERT LUKACS

SEBASTIAN LUKACS

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié datée du 21 septembre 2010, dans laquelle la Commission a statué que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

 

[2]               Ladislav Lukacs est un citoyen de la République tchèque, et il est d’ascendance rom. Son épouse, Anna Julia Lukacs, est une citoyenne de la Pologne et une résidente permanente de la République tchèque. Ses trois fils sont d’ascendance mixte rom et sont tous citoyens de la République tchèque.

 

[3]               Ladislav Lukacs allègue que lui et sa famille ont été victimes de discrimination et de menaces en raison de son ascendance. Il dit qu’ils ont subi ce traitement aux mains d’autres citoyens, de la police et de groupes racistes tels que des néo-nazis et des skinheads en République tchèque. Les demandeurs ont allégué plusieurs incidents de persécution :

(i)                  En février 2005, Ladislav Lukacs, le fils, a été arrêté par un policier qui lui a pris de l’argent et lui a ensuite remis un constat d’infraction. Cet incident a été dénoncé à la police.

(ii)                En mars 2007, Anna Julia Lukacs a été accusée de vol à son lieu de travail, et elle a ensuite démissionné. Elle n’a pas dénoncé cet incident à la police.

(iii)               En octobre 2005, Ladislav Lukacs, le père, a été attaqué et a reçu des coups de poing et des coups de pied de la part de quatre jeunes hommes habillés comme des skinheads, alors qu’il quittait le travail. Il a dénoncé cet incident à la police.

(iv)              Le 11 mai 2008, la résidence des demandeurs a été vandalisée avec les mots [traduction] « mort aux Hongrois », ce qui constitue une allusion aux gitans en République tchèque, et une croix gammée a été dessinée sur la porte.

 

[4]               L’audition des demandeurs s’est déroulée en deux séances tenues deux jours différents. Les demandeurs n’étaient pas représentés au cours de la première séance, mais un avocat les a représentés au cours de la seconde séance. Le demandeur principal et son frère, qui a assisté à l’audience et l’a aidé, ont produit des affidavits alléguant que le droit d’être représentés par un avocat leur avait été refusé et que la commissaire les avait intimidés au cours de la première séance de l’audience.

 

[5]               La question déterminante selon la Commission lorsqu’elle a rejeté les demandes des demandeurs était celle de la protection de l’État.

 

Les questions en litige

[6]               Les demandeurs ont soulevé quatre questions dans leur mémoire; cependant, la veille de l’audience, leur avocat a écrit à la Cour pour l’informer que les demandeurs n’entendaient plus soumettre les troisième et quatrième questions exposées dans leur mémoire. L’avocat a également informé la Cour qu’il demanderait l’autorisation de soulever une nouvelle question qui n’avait pas été soulevée auparavant, soit la question du défaut de la Commission de statuer relativement au pays de citoyenneté d’Anna Julia Lukacs, la Pologne.

 

[7]               Le ministre a contesté la demande d’autorisation de soulever cette nouvelle question. Il a soutenu que les demandeurs avaient reçu le dossier certifié du tribunal le 21 avril 2011, et qu’ils n’avaient fourni aucune explication quant à savoir pourquoi ils soulevaient une nouvelle question la veille de l’audience. L’avocat du défendeur a soutenu que le défendeur subirait un préjudice si cette nouvelle question était autorisée à ce stade avancé de l’instance.

 

[8]               La demande d’autorisation de soulever cette nouvelle question a été refusée. La Cour a déjà statué dans le passé que des arguments ne peuvent pas être soulevés à l’audience s’ils n’ont pas d'abord été soulevés dans le mémoire écrit : Radha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1040, aux paragraphes 16 à 18, et Dunova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 438, aux paragraphes 18 à 20. L’avocat des demandeurs en l’espèce a également agi dans l’affaire Dunova.

 

[9]               En outre, il a été affirmé, au premier paragraphe de la décision attaquée, datée du 21 septembre 2010, que la demanderesse était une citoyenne de la Pologne et une résidente permanente de la République tchèque. Il est évident que la Commission a seulement traité de la persécution et du risque en République tchèque. Comme le défendeur l’a noté, les demandeurs avaient accès depuis le dépôt du dossier certifié du tribunal le 12 avril 2011 aux passages de la transcription qu’ils ont cherché à invoquer au soutien de la question qu’ils souhaitaient soulever. Une demande de modification de l’acte de procédure présentée en temps opportun aux fins de soulever cette question nouvelle aurait peut-être été accueillie favorablement; cependant, une demande de dernière minute de la sorte débouchera presque invariablement sur un refus d’autorisation, comme en l’espèce.

 

[10]           En conséquence, la Cour est saisie des deux questions suivantes :

1.                  Les demandeurs ont-ils été privés du droit d’être représentés par un avocat à leur audience?

2.                  La Commission a-t-elle tiré des conclusions de fait arbitraires lorsqu’elle a conclu que la police avait mené des enquêtes à la suite des plaintes des demandeurs?

 

1.  Le droit d’être représenté par un avocat

[11]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis un manquement à l’équité procédurale lorsqu’elle a refusé de permettre aux demandeurs d’être représentés par le frère du demandeur principal, Tibor Lukacs, à titre de conseil devant la Commission. Ils soutiennent que cette demande a été refusée et qu’ils ont été pressés de participer à l’audience malgré leur intention d’être représentés par un avocat.

 

[12]           Il convient de noter que l’avocat que les demandeurs avaient engagé pour les représenter à l’audience de la Commission, Philip U. Okpala, n’est pas l’avocat qui les a représentés dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Il ressort du dossier que, deux jours avant la date prévue pour l’audience, le bureau de M. Okpala a informé les demandeurs de l’audience à venir et du fait que M. Okpala serait dans l’impossibilité d’y assister puisqu’il était à l’étranger. Il avait demandé un ajournement plus tôt, mais sa demande avait été refusée.

 

[13]           Les demandeurs ont assisté à l’audience en compagnie de Tibor Lukacs, le frère du demandeur principal. Il est affirmé que la commissaire a refusé de permettre à Tibor Lukacs d’agir à titre de représentant des demandeurs. Les allégations sont énoncées avec précision dans les affidavits souscrits par Ladislav Lukacs et Tibor Lukacs, dont les paragraphes pertinents sont les suivants :

[traduction]

 

Mon frère Tibor a fait savoir à la commissaire qu’il souhaitait nous représenter avec notre consentement à notre audience. Tibor est mon frère et, évidemment, il nous représenterait gratuitement. Entre 8 h 30 et 10 h, une conférence préparatoire à l’audience a été tenue sur la question de savoir si notre audience aurait lieu, alors que mon ancien avocat n’était pas présent, et si mon frère serait autorisé à me représenter. J’ai remarqué que des parties de cette conférence préparatoire à l’audience avaient été enregistrées, tandis qu’à d’autres moments, la commissaire avait éteint le dispositif d’enregistrement pendant que la conférence se poursuivait. La commissaire a avisé mon frère que celui-ci pourrait s’asseoir et écouter, mais qu’il ne serait pas autorisé à parler ni même à se lever de son siège, et encore moins à me représenter. J’ai senti que la commissaire exerçait une pression considérable sur moi pour que j’accepte de plaider sans avocat, et, en fin de compte, j’ai senti que je n’avais pas d’autre choix que d’accepter, parce que je ne voulais pas avoir l’air d’essayer de cacher quoi que ce soit. Je crois que le droit à un avocat m’a été refusé parce que mon frère était prêt, disposé et apte à me représenter à l’audience.

[Extrait du paragraphe 5 de l’affidavit de Ladislav Lukacs]

 

L'ancien avocat de mon frère ne se présentant pas à l’audience, j’ai offert de représenter mon frère. […] J’ai été surpris que la commissaire ne m’autorise pas à représenter mon frère et sa famille. En outre, la commissaire m’a traité d’une manière très cavalière et condescendante en me disant que je pourrais m’asseoir et observer, mais que je ne serais pas autorisé à parler ni même à me lever de mon siège.

[Extrait du paragraphe 5 de l’affidavit de Tibor Lukacs]

 

 

[14]           Les auteurs d’affidavits n’ont pas été contre-interrogés sur leurs affidavits, et le ministre n’a produit aucun élément de preuve directe pour contredire ces déclarations. Le ministre soutient que la transcription de l’audience n’étaye tout simplement pas ces affirmations. Je suis d’accord.

 

[15]           Je traiterai tout d’abord de l’affirmation selon laquelle la commissaire n’a pas enregistré toute l’instance. La transcription de la première journée d’audience ne comporte rien qui étaye cette affirmation. Le dialogue et les affirmations qui y sont faites s’enchaînent comme l’on s’y attendrait d’un enregistrement continu. En outre, la longueur de la transcription ne donne pas à penser que des parties de l’audience n’auraient pas été enregistrées. La transcription de la première journée d’audience, le 22 juillet 2010, compte quarante neuf pages. Il ressort du dossier que l’audience ce jour-là a débuté à 8 h 35 et a pris fin à midi. La séance a été suspendue pendant 30 minutes pour que les demandeurs puissent examiner des documents. La transcription de la deuxième journée d’audience, le 25 août 2010, compte cinquante et une pages et demie. Il ressort du dossier que l’audience ce jour-là a débuté à 8 h 35 et a pris fin à 11 h 30. Compte tenu de la suspension le premier jour, les transcriptions donnent à penser que les deux séances ont eu des durées à peu près égales.

 

[16]           J’examine maintenant l’allégation selon laquelle la commissaire a refusé aux demandeurs le droit d’être représentés. La transcription n’étaye pas l’affirmation selon laquelle Tibor Lukacs aurait offert de représenter la famille de son frère et que la commissaire aurait refusé de lui permettre de le faire. En outre, après avoir lu la transcription des deux séances de l'audience, j’estime que la transcription ne révèle aucun comportement de la part de la commissaire qui pourrait raisonnablement être décrit comme étant de nature [TRADUCTION] « cavalière » ou [TRADUCTION] « condescendante », comme Tibor Lukacs l’a affirmé sous serment.

 

[17]           La transcription révèle qu’après que Tibor Lukacs se fut identifié à la commissaire, celle‑ci a demandé : [traduction] « Et vous êtes ici simplement pour observer l’audience, est‑ce exact? », ce à quoi il a répondu : [traduction] « Oui ». Il a ensuite été informé au sujet des règles relatives au rôle d’un observateur, à savoir qu’il devait garder le silence et observer l’instance.

 

[18]           Peu après, la commissaire a remarqué que Tibor Lukacs hochait de la tête, et elle lui a dit : [traduction] « Monsieur, je vais vous demander d’arrêter de hocher de la tête, parce que – parce que vous n’êtes pas partie à l’audience et, vous savez, à moins que – je veux dire, je vais vous demander, allez-vous les représenter aujourd’hui? », ce à quoi il a répondu [traduction] « Peut-être ». La commissaire a alors dit : [traduction] « Eh bien, c’est comme vous voulez. » Il revenait à Tibor Lukacs d’en aviser la commissaire s’il souhaitait assumer le rôle de représentant des demandeurs. Il ne l’a pas fait.

 

[19]           J’examinerai maintenant l’allégation selon laquelle la commissaire a pressé les demandeurs de plaider. Après quelques discussions au sujet de l’absence de l’avocat et de questions relatives à des documents, la question de savoir si les demandeurs étaient prêts à plaider a été abordée comme suit :

[traduction]


COMMISSAIRE : Permettez-moi de vous demander ceci : êtes-vous prêts à plaider sans avocat?

 

DEMANDEUR : Je suis prêt. Je suis ici depuis deux ans, alors je m’y attendais.

 

COMMISSAIRE : Donc, vous souhaitez plaider sans avocat?

 

DEMANDEUR : Sans conseil ou avocat, oui, je peux plaider.

 

Peu après, la commissaire a demandé de nouveau aux demandeurs s’ils souhaitaient plaider sans avocat, et elle a fait savoir que si elle accordait un ajournement, celui-ci serait de courte durée.

[traduction]


COMMISSAIRE : […] maintenant, je vais vous demander de nouveau si vous souhaitez plaider sans avocat.

 

DEMANDEUR : Si c’est pour ajourner, dans ce cas-là, j’aimerais ajourner parce que je n’ai pas les documents, les originaux pour prouver mon point ici, pour prouver ce que je vais dire.

 

COMMISSAIRE : Eh bien, je n’ajourne pas pour cette raison.

 

Monsieur, Monsieur, vous étiez censé avoir les documents prêts aujourd’hui. Je ne peux pas ajourner pour ce motif.

 

Donc, je vous demande ceci : Si vous obtenez tous les documents dont nous disposons et nous faisons une pause, parce que les documents dont vous parlez ne seraient pas prêts pour la prochaine audience non plus, vraisemblablement. Si nous faisons cette pause et vous avez l’occasion d’examiner les documents, êtes-vous prêt à plaider?

 

DEMANDEUR : Certainement.

 

[20]           La transcription ne comporte tout simplement rien qui permette de conclure raisonnablement que les demandeurs se seraient sentis pressés de plaider. Il n’y a eu aucun refus du droit à un représentant ou à un avocat.

 

2.  Conclusions de fait arbitraires

[21]           La Commission a conclu que, des quatre incidents de mauvais traitements allégués par les demandeurs, trois avaient fait l’objet d’une enquête par la police. La Commission a fondé cette conclusion sur le témoignage du fils selon lequel il avait reçu une lettre de la police concernant l’incident, qui l'informait que la police avait fait enquête au sujet de l’affaire mais n’avait obtenu aucun résultat. Il a affirmé qu’il n’avait pas relancé les policiers à la suite de cette lettre. Quant aux autres incidents, la Commission a conclu que les demandeurs soit ne les avaient pas dénoncés, soit ne s’étaient pas enquis du résultat des enquêtes. Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la police avait [traduction] « fait enquête » au sujet de la violence qu’ils avaient subie.

 

[22]           Leur principale prétention est que l’enquête policière alléguée concernant l’incident du constat d’infraction n’a pas été menée régulièrement ou a été menée de manière superficielle étant donné que la personne recherchée était un policier, qui aurait donc dû être facilement identifié. Les demandeurs semblent laisser entendre que le [traduction] « bon sens » amène forcément à conclure qu’il s’agissait d’une enquête bidon. La Commission, quant à elle, conclut que la police a été incapable de retrouver l’auteur de l’infraction et que le demandeur principal n’a pas fait d’autres démarches dans cette affaire. À mon avis, il s’agit là de faits, et l’on ne peut pas dire que la conclusion de la Commission était arbitraire. L’évaluation des éléments de preuve par la Commission était raisonnable, et la Cour ne procédera pas à une nouvelle pondération des éléments de preuve. En conséquence, la présente demande sera rejetée.

 

[23]           Ni l’une ni l’autre partie n’a proposé de question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE comme suit : la demande est rejetée et aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6704-10

 

INTITULÉ :                                       LADISLAV LUKACS ET AL. c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 juin 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Max Berger

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Daniel Engel      

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MAX BERGER PROFESSIONAL

LAW CORPORATION

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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