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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110623

Dossier : T-1203-10

Référence : 2011 CF 764

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2011

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

 

DAVE RUSSO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DES TRANSPORTS, DE L'INFRASTRUCTURE ET DES COLLECTIVITÉS

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 24 juin 2010 (la décision), par laquelle un représentant du ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités (le représentant du ministre) a suivi la recommandation du comité consultatif de Transports Canada (le comité consultatif) de rejeter la demande d'habilitation de sécurité du demandeur en vertu de l'alinéa 509c) du Règlement sur la sûreté du transport maritime, DORS/2004‑144 (le Règlement).

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur travaille comme débardeur à l'Administration portuaire de Vancouver-Fraser depuis 2000. À l'heure actuelle, il se présente chaque jour au centre de répartition de la British Columbia Maritime Employers Association (BCMEA) où les assignations sont attribuées en fonction de l'ancienneté et des aptitudes des employés aux divers lieux de travail des sociétés membres de la BCMEA. Il n'est pas inusité que les débardeurs soient affectés à des lieux de travail différents chaque jour, à l'exception de ceux qui font partie de la main-d'œuvre régulière. Les débardeurs qui font partie de la main-d'œuvre régulière se présentent directement au même lieu de travail chaque jour, et ce, pour toute la durée du chantier.

 

[3]               Le demandeur a fait partie de la main-d'œuvre régulière pendant 18 mois à compter de novembre 2007. Ces superviseurs le qualifiaient de travailleur discipliné et « appliqué » et louaient son attitude très positive. En mai 2009, le demandeur a été délogé par un employé comptant plus d’ancienneté du poste qu'il occupait comme membre de la main-d'œuvre régulière. Il a de nouveau commencé à se présenter au centre de répartition. Comme les affectations comprennent du travail aux terminaux des bateaux de croisière, auxquels seules ont accès les personnes possédant une habilitation de sécurité, et comme le demandeur souhaitait pouvoir se prévaloir de toutes les possibilités d'emploi qui lui étaient offertes au port de Vancouver-Fraser, il a présenté une demande d'habilitation de sécurité le 14 avril 2009.

 

[4]               Le demandeur a un casier judiciaire. Il a notamment été reconnu coupable de conduite dangereuse d'un véhicule automobile, de possession de biens criminellement obtenus d'une valeur de moins de 1 000 $, d’entrave au travail d'un agent de la paix et de production d'une substance visée à l'annexe II (en l'occurrence, de la marijuana). Ce casier judiciaire a constamment fait obstacle à la demande d'habilitation de sécurité du demandeur.

 

[5]               Par lettre datée du 25 juin 2009, le directeur général de la Sécurité du ministère des Transports du Canada a informé le demandeur qu'on avait porté à sa connaissance des [traduction] « renseignements défavorables ayant trait à des activités criminelles » et que ces renseignements soulevaient des doutes quant à son aptitude à obtenir une habilitation de sécurité. Dans cette lettre, le directeur énumérait les condamnations précitées du demandeur et l'informait que sa demande serait révisée par le comité consultatif qui formulerait ensuite une recommandation au ministre. Le directeur a encouragé le demandeur à soumettre au comité consultatif [traduction] « une déclaration écrite exposant les circonstances entourant les déclarations de culpabilité ».

 

[6]               Le 8 juillet 2009, par l'entremise de son avocat, le demandeur a soumis au ministre une déclaration écrite exposant les circonstances dans lesquelles il avait été déclaré coupable des infractions reprochées. Il a déclaré que ses condamnations pour conduite dangereuse d'un véhicule moteur, possession de biens obtenus criminellement d’une valeur de moins de 1 000 $ et entrave à un agent de la paix remontaient toutes au début des années quatre-vingt-dix et qu'elles s'expliquaient toutes par sa décision, à l'époque, de conduire sans permis et sans assurance. Il a ajouté qu'à la suite de sa condamnation pour production de marijuana, pour laquelle il avait été accusé en 2004 et avait été condamné, en 2008, à une peine d'emprisonnement de 20 mois avec sursis, il avait complètement changé de vie en grande partie en raison de la naissance de ses deux enfants. Le demandeur a fait valoir que ses condamnations antérieures n'avaient rien à voir avec la sécurité.

 

[7]               Par lettre datée du 12 août 2009, le directeur général de la Sécurité du ministère des Transports du Canada a informé le demandeur que le comité consultatif avait unanimement recommandé que sa demande d'habilitation de sécurité soit refusée [traduction] « en raison des quatre condamnations criminelles du demandeur dont une condamnation récente reliée à des stupéfiants pour production d'une substance énumérée à l'annexe II ». La lettre portait également ce qui suit :

[traduction] Les renseignements sont suffisants pour pouvoir conclure qu'il existe des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur est dans une position où il risque d'être suborné afin de commettre un acte ou d'aider ou d'encourager toute personne à commettre un acte qui pourrait poser un risque pour la sûreté du transport maritime. Les explications écrites et les documents à l'appui qu'il a soumis ne contiennent pas suffisamment de renseignements pour convaincre le comité consultatif de recommander qu'une habilitation lui soit accordée.

 

[8]               Par lettre datée du 16 septembre 2009 et par demande datée du 18 septembre 2009, le demandeur a saisi le Bureau de réexamen de Transports Canada d’une demande de réexamen du refus du 12 août 2009. Le Bureau de réexamen a informé le demandeur par lettre datée du 22 septembre 2009 qu'il assignerait son dossier à un conseiller en sécurité indépendant.

 

[9]               Le 20 août, le 16 octobre, le 22 octobre et le 30 octobre 2009, l'avocat du demandeur s'est adressé à diverses personnes de Transports Canada pour qu'elles lui communiquent des documents et des renseignements justifiant leur évaluation de la demande d'habilitation de sécurité du demandeur afin de permettre à ce dernier de comprendre les motifs du refus et d'y répondre. Le directeur général de la Sécurité a notamment suggéré à l'avocat de présenter une demande formelle à un coordonnateur de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels de Transports Canada en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le demandeur a finalement présenté cette demande le 4 janvier 2010. Transports Canada a reçu cette demande, mais le demandeur n'a obtenu les documents réclamés qu'en mars 2011.

 

[10]           Transports Canada a confié à deux conseillers en sécurité indépendants (les conseillers) le soin de réviser le dossier du demandeur. Le 9 novembre 2009, les conseillers ont rencontré le demandeur et son avocat. Il ressort de la transcription de cette entrevue que les conseillers ont déclaré que la décision de rejeter la demande d'habilitation de sécurité du demandeur était motivée par son casier judiciaire et surtout sa dernière condamnation, en l'occurrence sa condamnation en 2008 pour production d’une substance énumérée à l'annexe II. Ils ont également déclaré que leur rôle consistait à évaluer de quelle manière cette condamnation se rattachait à la sécurité maritime et portuaire à Vancouver.

 

[11]           Au cours de l'entrevue, le demandeur a expliqué les circonstances entourant ses déclarations de culpabilité. En ce qui concerne sa condamnation pour production d'une substance énumérée à l'annexe II, le demandeur a expliqué qu'il avait commencé à cultiver de la marijuana pour son usage personnel et à en vendre, mais qu'il n'avait pas tiré de profit de cette vente. Il a qualifié cette décision de stupide, mais a admis qu'il fume toujours chaque semaine de la marijuana pour une valeur de 100 $. Lorsqu'on lui a rappelé que l'une des conditions de sa peine était de [traduction] « ne pas troubler l'ordre public et avoir une bonne conduite », le demandeur a répondu au conseiller qu'à son avis, cette condition ne l'empêchait pas de fumer de la marijuana ou de s'en procurer auprès des fournisseurs de son quartier.

 

[12]           Le 17 novembre 2009, les conseillers ont interrogé l'agent de probation du demandeur au téléphone. L'agent de probation était au courant du fait que le demandeur consommait à l'occasion de la marijuana, mais a ajouté qu'il ne pouvait intervenir étant donné que la peine du demandeur n'était assortie d'aucune condition précise quant à la consommation de stupéfiants. L'agent de probation a affirmé que le demandeur [traduction] « a beaucoup de respect pour le système de justice criminelle » et il s'est dit d'avis que les risques de récidive du demandeur en ce qui concerne la production de marijuana étaient peu élevés.

 

[13]           Le 9 décembre 2009, les conseillers ont soumis au Bureau de réexamen un rapport concernant le refus d'accorder une habilitation de sécurité (le rapport). Dans ce rapport, les conseillers affirmaient que le demandeur continuait à [traduction] « se livrer au trafic de stupéfiants en se procurant de la drogue auprès de revendeurs de son quartier et en s'en procurant dans la rue ». Ils ont également fait observer que la condition de sa peine d'emprisonnement avec sursis l'obligeant à ne pas troubler l'ordre public et à avoir une bonne conduite n'obligeait pas le demandeur à cesser de consommer et d'acheter de la marijuana, selon l'interprétation que le demandeur faisait de cette condition. Ils ont recommandé que la décision initiale du comité consultatif de rejeter la demande d'habilitation de sécurité du demandeur soit confirmée, après avoir conclu ainsi :

[traduction] Cette situation suscite à notre avis des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur est dans une position où il risque d'être suborné afin de commettre un acte ou d'aider ou d'encourager toute personne à commettre un acte qui pourrait poser un risque pour la sûreté du transport maritime. Nous ne sommes pas d'accord avec l'affirmation de l'agent de probation du demandeur suivant laquelle ce dernier fait preuve d'un très grand respect envers le système de justice criminelle. Nous sommes donc en désaccord avec l'argument du demandeur.

 

[14]           Le 12 avril 2010, le Bureau de réexamen a transmis le rapport au représentant du ministre. Par lettre datée du 24 juin 2010, le représentant du ministre a informé le demandeur que le ministre avait décidé de confirmer le refus de lui accorder une habilitation de sécurité. C'est la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire.

 

DÉCISION À L'EXAMEN

 

[15]           La décision du 24 juin 2010 par laquelle la demande de réexamen du refus de lui accorder une habilitation de sécurité a été rejetée est brève. Le représentant du ministre déclare que le ministre a reçu le rapport établi par les conseillers en sécurité indépendants et que, vu l'ensemble des renseignements disponibles, la demande du demandeur a été rejetée. Le représentant du ministre a fait observer qu'il existait des renseignements [traduction] « vérifiables, fiables et suffisants » permettant de conclure qu'il existait [traduction] « des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur répond au critère de l'alinéa 509c) du Règlement, à savoir qu’il se trouve dans une position où il risque d'être suborné afin de commettre un acte ou d'encourager toute personne à commettre un acte qui pourrait poser un risque pour la sûreté du transport maritime ».

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[16]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

i.         La décision était-elle fondée sur des renseignements non pertinents qui ne permettaient pas de conclure que le demandeur avait été suborné afin de commettre un acte qui pouvait causer un risque pour la sûreté du transport maritime?

ii.       Le ministre a‑t‑il manqué à un principe d'équité procédurale en ne donnant pas au demandeur un avis suffisant de ce qu’il devait réfuter et en ne motivant pas suffisamment son refus de la demande d'habilitation de sécurité?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[17]           Les dispositions suivantes de la Loi sur la sûreté du transport maritime, L.C. 1994, ch. 40 (la Loi), s'appliquent à la présente demande :

 

Règlements en matière de sûreté

 

5. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, régir la sûreté du transport maritime et notamment :

 

 

a) viser à prévenir les atteintes illicites au transport maritime et, lorsque de telles atteintes surviennent ou risquent de survenir, faire en sorte que des mesures efficaces soient prises pour y parer;

 

b) exiger ou autoriser un contrôle pour la sécurité des personnes, des biens, des bâtiments et des installations maritimes;

 

c) régir l'établissement de zones réglementées; ...

 

Regulations respecting security

 

5. (1) The Governor in Council may make regulations respecting the security of marine transportation, including regulations

 

(a) for preventing unlawful interference with marine transportation and ensuring that appropriate action is taken where that interference occurs or could occur;

 

 

(b) requiring or authorizing screening for the purpose of protecting persons, goods, vessels and marine facilities;

 

(c) respecting the establishment of restricted areas; ...

 

 

[18]           Les dispositions suivantes du Règlement s'appliquent à la présente demande :

 

Vérifications

 

508. Sur réception d’une demande d’habilitation de sécurité dûment remplie, le ministre effectue les vérifications ci-après pour établir si le demandeur ne pose pas de risque pour la sûreté du transport maritime :

 

 

a) une vérification pour savoir s’il a un casier judiciaire;

 

b) une vérification des dossiers pertinents des organismes chargés de faire respecter la Loi, y compris les renseignements recueillis dans le cadre de l’application de la Loi;

 

c) une vérification des fichiers du Service canadien du renseignement de sécurité et, au besoin, une évaluation de sécurité effectuée par le Service;

 

d) une vérification de son statut d’immigrant et de citoyen.

 

 

 

 

 

Décision du ministre

 

509. Le ministre peut accorder une habilitation de sécurité si, de l’avis du ministre, les renseignements fournis par le demandeur et ceux obtenus par les vérifications sont vérifiables et fiables et s’ils sont suffisants pour lui permettre d’établir, par une évaluation des facteurs ci-après, dans quelle mesure le demandeur pose un risque pour la sûreté du transport maritime :

 

a) la pertinence de toute condamnation criminelle du demandeur par rapport à la sûreté du transport maritime, y compris la prise en compte du type, de la gravité et des circonstances de l’infraction, le nombre et la fréquence des condamnations, le temps écoulé entre les infractions, la date de la dernière infraction et la peine ou la décision;

 

b) s’il est connu ou qu’il y a des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur :

 

(i) participe ou contribue, ou a participé ou a contribué, à des activités visant ou soutenant une utilisation malveillante de l’infrastructure de transport afin de commettre des crimes ou l’exécution d’actes de violence contre des personnes ou des biens et la pertinence de ces activités, compte tenu de la pertinence de ces facteurs par rapport à la sûreté du transport maritime,

 

(ii) est ou a été membre d’un groupe terroriste au sens du paragraphe 83.01(1) du Code criminel, ou participe ou contribue, ou a participé ou a contribué, à des activités d’un tel groupe,

 

(iii) est ou a été membre d’une organisation criminelle au sens du paragraphe 467.1(1) du Code criminel ou participe ou contribue, ou a participé ou a contribué, aux activités d’un tel groupe tel qu’il est mentionné au paragraphe 467.11(1) du Code criminel, compte tenu de la pertinence de ces facteurs par rapport à la sûreté du transport maritime,

 

 

(iv) est ou a été un membre d’une organisation qui est connue pour sa participation ou sa contribution — ou à l’égard de laquelle il y a des motifs raisonnables de soupçonner sa participation ou sa contribution — à des activités qui visent ou favorisent la menace ou l’exécution d’actes de violence contre des personnes ou des biens, ou participe ou contribue, ou a participé ou a contribué, aux activités d’une telle organisation, compte tenu de la pertinence de ces facteurs par rapport à la sûreté du transport maritime,

 

(v) est ou a été associé à un individu qui est connu pour sa participation ou sa contribution — ou à l’égard duquel il y a des motifs raisonnables de soupçonner sa participation ou sa contribution — à des activités visées au sous-alinéa (i), ou est membre d’un groupe ou d’une organisation visés à l’un des sous-alinéas (ii) à (iv), compte tenu de la pertinence de ces facteurs par rapport à la sûreté du transport maritime;

 

c) s’il y a des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur est dans une position où il risque d’être suborné afin de commettre un acte ou d’aider ou d’encourager toute personne à commettre un acte qui pourrait poser un risque pour la sûreté du transport maritime;

 

d) le demandeur s’est vu retirer pour motifs valables un laissez-passer de zone réglementée pour une installation maritime, un port ou un aérodrome;

 

e) le demandeur a présenté une demande comportant des renseignements frauduleux, faux ou trompeurs en vue d’obtenir une habilitation de sécurité.

 

[...]

 

 

511. (1) Le ministre avise par écrit le demandeur de son intention de refuser d’accorder l’habilitation de sécurité.

 

 

(2) L’avis indique les motifs de son intention et le délai dans lequel le demandeur peut présenter par écrit au ministre des observations, lequel délai commence le jour au cours duquel l’avis est signifié ou acheminé et ne peut être inférieur à 20 jours suivant ce jour.

 

 

(3) Le ministre ne peut refuser d’accorder l’habilitation de sécurité avant la réception et la prise en considération des observations écrites ou avant que ne soit écoulé le délai indiqué dans l’avis, selon la première de ces éventualités à survenir. Le ministre avise par écrit le demandeur dans le cas d’un refus.

 

[...]

Réexamen

 

517. (1) Tout demandeur ou tout titulaire peut demander au ministre de réexaminer une décision de refuser ou d’annuler une habilitation de sécurité dans les 30 jours suivant le jour de la signification ou de l’envoi de l’avis l’informant de la décision.

 

(2) La demande est présentée par écrit et comprend ce qui suit :

 

a) la décision qui fait l’objet de la demande;

 

b) les motifs de la demande, y compris tout nouveau renseignement qu’il désire que le ministre examine;

 

c) le nom, l’adresse et les numéros de téléphone et de télécopieur du demandeur ou du titulaire.

 

(3) Sur réception de la demande présentée conformément au présent article, le ministre accorde au demandeur ou au titulaire, de manière à trancher les questions de façon équitable, informelle et rapide, la possibilité :

a) lorsque les circonstances le justifient, de présenter des observations oralement ou de toute autre manière;

 

b) dans tout autre cas, de lui présenter par écrit des observations.

 

(4) Après que des observations ont été présentées ou que la possibilité de le faire a été accordée, le ministre réexamine la décision conformément à l’article 509 et, par la suite, confirme ou modifie la décision.

 

 

(5) Le ministre peut retenir les services de personnes qui possèdent la compétence pertinente en matière de sûreté pour le conseiller.

 

(6) Le ministre avise par écrit le demandeur ou le titulaire de sa décision à la suite du réexamen.

 

 

Checks and Verifications

 

508. On receipt of a fully completed application for a security clearance, the Minister shall conduct the following checks and verifications for the purpose of assessing whether an applicant poses a risk to the security of marine transportation:

 

(a) a criminal record check;

 

 

(b) a check of the relevant files of law enforcement agencies, including intelligence gathered for law enforcement purposes;

 

 

(c) a Canadian Security Intelligence Service indices check and, if necessary, a Canadian Security Intelligence Service security assessment; and

 

(d) a check of the applicant’s immigration and citizenship status.

 

 

 

 

 

Minister’s Decision

 

509. The Minister may grant a security clearance if, in the opinion of the Minister, the information provided by the applicant and that resulting from the checks and verifications is verifiable and reliable and is sufficient for the Minister to determine, by an evaluation of the following factors, to what extent the applicant poses a risk to the security of marine transportation:

 

(a) the relevance of any criminal convictions to the security of marine transportation, including a consideration of the type, circumstances and seriousness of the offence, the number and frequency of convictions, the length of time between offences, the date of the last offence and the sentence or disposition;

 

 

(b) whether it is known or there are reasonable grounds to suspect that the applicant

 

(i) is or has been involved in, or contributes or has contributed to, activities directed toward or in support of the misuse of the transportation infrastructure to commit criminal offences or the use of acts of violence against persons or property, taking into account the relevance of those activities to the security of marine transportation,

 

 

(ii) is or has been a member of a terrorist group within the meaning of subsection 83.01(1) of the Criminal Code, or is or has been involved in, or contributes or has contributed to, the activities of such a group,

 

(iii) is or has been a member of a criminal organization as defined in subsection 467.1(1) of the Criminal Code, or participates or has participated in, or contributes or has contributed to, the activities of such a group as referred to in subsection 467.11(1) of the Criminal Code taking into account the relevance of these factors to the security of marine transportation,

 

(iv) is or has been a member of an organization that is known to be involved in or to contribute to — or in respect of which there are reasonable grounds to suspect involvement in or contribution to — activities directed toward or in support of the threat of or the use of, acts of violence against persons or property, or is or has been involved in, or is contributing to or has contributed to, the activities of such a group, taking into account the relevance of those factors to the security of marine transportation, or

 

(v) is or has been associated with an individual who is known to be involved in or to contribute to — or in respect of whom there are reasonable grounds to suspect involvement in or contribution to — activities referred to in subparagraph (i), or is a member of an organization or group referred to in any of subparagraphs (ii) to (iv), taking into account the relevance of those factors to the security of marine transportation;

 

(c) whether there are reasonable grounds to suspect that the applicant is in a position in which there is a risk that they be suborned to commit an act or to assist or abet any person to commit an act that might constitute a risk to marine transportation security;

 

(d) whether the applicant has had a restricted area pass for a marine facility, port or aerodrome removed for cause; and

 

 

(e) whether the applicant has filed fraudulent, false or misleading information relating to their application for a security clearance.

 

[...]

 

 

511. (1) If the Minister intends to refuse to grant a security clearance, the Minister shall advise the applicant in writing to that effect.

 

(2) The notice shall set out the basis for the Minister’s intention and fix a period of time for the applicant to make written representations to the Minister, which period of time shall start on the day on which the notice is served or sent and shall be not less than 20 days from that day.

 

 

(3) The Minister shall not refuse to grant a security clearance until the written representations have been received and considered or before the period of time fixed in the notice has expired, whichever comes first. The Minister shall advise the applicant in writing of any refusal.

 

[...]

Reconsideration

 

517. (1) An applicant or a holder may request that the Minister reconsider a decision to refuse to grant or to cancel a security clearance within 30 days after the day of the service or sending of the notice advising them of the decision.

 

(2) The request shall be in writing and shall set out the following:

 

(a) the decision that is the subject of the request;

 

(b) the grounds for the request, including any new information that the applicant or holder wishes the Minister to consider; and

 

(c) the name, address, and telephone and facsimile numbers of the applicant or holder.

 

(3) On receipt of a request made in accordance with this section, the Minister, in order to determine the matter in a fair, informal and expeditious manner, shall give the applicant or holder

 

(a) where the situation warrants, the opportunity to make representations orally or in any other manner; and

 

(b) in any other case, a reasonable opportunity to make written representations.

 

(4) After representations have been made or a reasonable opportunity to do so has been provided, the Minister shall reconsider the decision in accordance with section 509 and shall subsequently confirm or change the decision.

 

(5) The Minister may engage the services of persons with appropriate expertise in security matters to advise the Minister.

 

 

(6) The Minister shall advise the applicant or holder in writing of the decision made following the reconsideration.

 

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[19]           Dans l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique qu'il n'est pas nécessaire dans tous les cas de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle applicable. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à la question dont est saisie la juridiction de contrôle est bien établie par la jurisprudence, la juridiction de contrôle peut adopter cette norme de contrôle. Ce n'est que lorsque cette quête de la norme de contrôle se révèle infructueuse que la juridiction de contrôle doit entreprendre l'examen des quatre facteurs formant l'analyse relative à la norme de contrôle.

 

[20]           La première question concerne l'appréciation de la preuve. L'appréciation de la preuve relève de la compétence du ministre et elle est donc assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 51 et 53, et Rivet c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1175, au paragraphe 16).

 

[21]           La juridiction qui procède au contrôle d'une décision en appliquant la norme de la décision raisonnable s'attache « à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision était déraisonnable en ce sens qu'elle n'appartenait pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[22]           La seconde question concerne la suffisance de l'avis donné par le ministre au sujet de ce que le demandeur devait réfuter et la suffisance des motifs invoqués par le ministre pour rejeter la demande d'habilitation de sécurité du demandeur. La suffisance de l'avis et la suffisance des motifs sont des questions d'équité procédurale qui donnent lieu à l'application de la norme de la décision correcte (Khosa, précitée au paragraphe 43; Rivet, précitée au paragraphe 16).

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS INVOQUÉS PAR LES PARTIES

            Le demandeur

                        La décision était fondée sur des considérations non pertinentes

 

[23]           La décision du ministre d'accorder ou de refuser une demande d'habilitation de sécurité doit être fondée sur les facteurs énumérés à l'article 509 du Règlement et notamment sur la pertinence de toute condamnation criminelle du demandeur par rapport à la sûreté du transport maritime (alinéa 509a)), et l'existence de motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur peut se trouver dans une position où il risque d'être suborné afin de commettre un acte qui pourrait poser un risque pour la sûreté du transport maritime (alinéa 509c)).

 

[24]           Le demandeur affirme que les renseignements dont il y avait lieu de tenir compte pour apprécier les facteurs en question ont été ignorés. Le ministre n'a pas tenu compte des antécédents professionnels du demandeur, qui s'échelonnaient sur une période de dix ans et qui se caractérisaient par un dossier vierge en matière disciplinaire et de sécurité au travail ainsi que par des recommandations favorables de ses supérieurs. Le ministre a également ignoré l'avis de l'agent de probation du demandeur suivant lequel les risques de récidive du demandeur étaient faibles et suivant lequel le demandeur avait respecté les conditions de sa peine et avait admis sa responsabilité pour ses actes fautifs (le demandeur fait cette affirmation malgré le fait qu'il ressort du dossier que les conseillers ont pris en compte l'avis de l'agent de probation et qu'ils ont expressément déclaré qu'ils étaient en désaccord avec lui).

 

[25]           Le demandeur affirme que le ministre a plutôt fondé sa décision sur un facteur non pertinent, en l'occurrence sa consommation de marijuana, et qu'il a accordé un poids excessif à ce facteur par rapport aux autres considérations. Le règlement ne prescrit pas au ministre de faire enquête sur les demandeurs en examinant leurs habitudes de vie. En remplaçant le facteur approprié par sa propre opinion, le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable, contrairement à la conclusion de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Chamberlain c. Surrey School District No. 36, 2002 CSC 86, aux paragraphes 56 à 71.

 

[26]           Suivant l'alinéa 509c) du Règlement, le refus d'une demande de sécurité est justifié lorsqu'il existe des « motifs raisonnables » de soupçonner que le demandeur risque d'être suborné afin de commettre un acte qui pourrait poser un risque pour la sûreté du transport maritime. Le demandeur soutient qu'il n'existe aucun motif raisonnable de soupçonner qu'il pourrait être suborné. La norme de preuve requise pour établir l'existence de motifs raisonnables exige une « croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi » (Sicuro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 461, aux paragraphes 36 et 37). Dans la décision à l'examen, les supposés liens entre le casier judiciaire du demandeur et sa consommation actuelle de marijuana et l'existence d'un tel risque ne sont jamais expliqués. La conclusion tirée au sujet de l'existence de tels liens est injustifiée.

 

Nature de l'obligation d'équité

 

[27]           Le demandeur affirme que la nature de l'obligation d'équité est contextuelle et qu'elle dépend : a) de la nature de la décision et du processus suivi pour la rendre; b) de la nature du régime législatif et des termes de la loi en vertu de laquelle l'organisme concerné exerce ses activités; c) de l'importance de la décision pour la personne visée; d) des attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; e) des choix procéduraux faits par l'organisme lui-même (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] ACS no 39 (QL), aux paragraphes 21 à 27). Suivant la Cour suprême, « une justice de haute qualité est exigée lorsque le droit d'une personne d'exercer sa profession ou de garder son emploi est en jeu » (Kane c. Conseil d'administration de l'University of British Columbia, [1980] 1 RCS 1105, [1980] ACS no 32 (QL), à la page 7.

 

[28]           Aux termes de l'article 511 du Règlement, la personne qui se voit refuser une habilitation de sécurité reçoit un avis par lequel le ministre indique notamment « les motifs de son intention » de refuser d'accorder l'habilitation de sécurité et la possibilité pour le demandeur de présenter des observations par écrit. Le demandeur soutient que les personnes qui présentent une demande d'habilitation de sécurité ont le droit d'être informées des arguments qu'elles doivent réfuter et des faits qui leur sont reprochés, de formuler des observations sur ces faits et d'être informées des motifs de la décision, surtout lorsque celle‑ci est importante ou constitue l'étape finale du processus de demande (DiMartino c. Canada (Ministre des Transports), 2005 CF 635, au paragraphe 36; Rivet, précité, au paragraphe 25, Baker, précité aux paragraphes 24 et 43 et Clifford c. Ontario Municipal Employees Retirement System, 2009 ONCA 670, au paragraphe 21). Le demandeur soutient que, comme la présente décision porte atteinte à sa capacité de se prévaloir pleinement des possibilités d'emploi qui lui sont offertes et de subvenir aux besoins de sa famille, il a droit à toutes ces protections procédurales.

 

Le demandeur n'a pas été informé de ce qu'il devait réfuter

 

[29]           Le demandeur affirme que la communication des éléments de preuve pertinents constitue [traduction] « un aspect fondamental de la justice naturelle [...] et, dans le contexte administratif, l'équité procédurale requiert généralement ou exige en principe la communication de l'ensemble de la preuve à moins qu'un intérêt contraire l'emporte » (1657575 Ontario Inc. c. Hamilton (City), 2008 ONCA 570, au paragraphe 25). Notre Cour a jugé que, dans le contexte des habilitations de sécurité aux aéroports, le refus d'un comité consultatif de divulguer des documents au demandeur empêchait ce dernier de répondre de manière satisfaisante aux accusations portées contre lui (Xavier c. Canada (Procureur général et ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités), 2010 CF 147, aux paragraphes 12 à 15).

 

[30]           Le demandeur signale qu'entre août et octobre 2009, il a demandé à quatre reprises à diverses personnes travaillant au ministère des Transports du Canada de lui communiquer des copies des documents sur lesquels ces personnes se fondaient pour refuser sa demande d'habilitation de sécurité. Toutes ces personnes lui ont conseillé de présenter au coordonnateur de l'Accès à l'information et de la protection de la vie privée de Transports Canada une demande officielle en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le demandeur affirme que, comme les renseignements avaient trait à sa propre demande, ce conseil était mal avisé et constituait un manquement à l'équité procédurale. Le demandeur soutient que le refus persistant du ministre de lui communiquer les documents en question l'a privé de la possibilité de réagir de manière satisfaisante au refus de sa demande (Confederation Broadcasting (Ottawa) Ltd. c. Canadian Radio-Television Commission, [1971] RCS 906, [1971] ACS no 72 (QL), aux pages 13 et 14 (QL)).

 

[31]           La lettre du 25 juin 2009 du directeur général de la Sécurité du ministère des Transports du Canada comportait également des lacunes en ce qui concerne l'avis exigé. Malgré le fait qu'elle informait le demandeur que l'on avait porté à la connaissance du directeur général des [traduction] « renseignements défavorables ayant trait à des activités criminelles » qui permettaient de douter de son aptitude à obtenir une habilitation de sécurité, la lettre ne mentionnait pas l'alinéa 509c) du Règlement, qui était vraisemblablement la disposition réglementaire en litige. Et, malgré le fait que la lettre incitait effectivement le demandeur à soumettre une déclaration écrite exposant les circonstances entourant ses déclarations de culpabilité, elle n'expliquait pas en quoi ces déclarations de culpabilité pouvaient se rapporter à la sécurité dans les transports maritimes. Elle ne précisait pas non plus de quels renseignements Transports Canada avait besoin pour dissiper ses réserves au sujet des condamnations du demandeur et pour faire droit à sa demande d'habilitation de sécurité.

 

[32]           La lettre du 12 août 2009 informant le demandeur que le comité consultatif avait unanimement recommandé que sa demande d'habilitation de sécurité soit refusée comportait elle aussi des lacunes. Elle n'expliquait pas pourquoi Transports Canada estimait que le demandeur risquait d'être suborné ou pourquoi sa demande d'habilitation de sécurité avait été refusée en vertu de l'alinéa 509c) plutôt qu'en vertu de l'alinéa 509a). Cette lettre était la première communication de Transports Canada à préciser que la condamnation du demandeur relativement à une infraction liée aux stupéfiants revêtait une importance quelconque quant à sa demande d'habilitation de sécurité. Elle n'indiquait pas que la consommation actuelle de drogues par le demandeur aurait des conséquences négatives sur sa demande d'habilitation de sécurité; ce faisant, elle privait le demandeur de la possibilité de cesser de consommer de la marijuana de manière à améliorer ses chances d'obtenir une habilitation.

 

[33]           Lors de leur entrevue du 9 novembre 2009, les conseillers n'ont pas abordé avec le demandeur les préoccupations et les conclusions qu'ils ont par la suite publiées dans leur rapport du 9 décembre 2009. Ils n'ont pas expliqué au demandeur comment, en tant que producteur de marijuana condamné et/ou en tant que consommateur occasionnel de marijuana, il constituait un risque pour la sûreté du transport maritime. Ils ne lui ont pas accordé une possibilité suffisante de faire valoir son point de vue, contrairement à ce qu'exigeait le règlement, pour répondre à leurs préoccupations quant au fait qu'il était dépendant de la marijuana et qu'il posait un risque pour la sûreté du transport maritime. Ils n'ont pas non plus précisé au demandeur quels renseignements il pourrait soumettre à Transports Canada pour apaiser ces craintes et pour ainsi obtenir son habilitation de sécurité.

 

[34]           Comme on lui a refusé l'habilitation de sécurité qu'il demandait, le demandeur ne peut être affecté à toutes les zones où il pourrait éventuellement travailler, ce qui limite ses possibilités de travail et se traduit par un manque à gagner. Le demandeur craint que le fait qu'il ne possède pas d'habilitation de sécurité nuise considérablement à ses capacités de subvenir aux besoins de sa famille.

Les motifs étaient insuffisants

 

[35]           Le demandeur affirme que, lorsqu'il motive sa décision, l'auteur de la décision ne peut se contenter de citer une conclusion sans expliquer les raisons pour lesquelles il arrive à cette conclusion (Johal c. Canada (Agence du revenu), 2009 CAF 276, au paragraphe 43). Les motifs doivent être suffisamment clairs, précis et intelligibles pour permettre à l'intéressé de comprendre pourquoi l'auteur de la décision a rendu celle‑ci. Dans l'arrêt Clifford, précité, la Cour d'appel de l'Ontario précise bien que les motifs doivent permettre à la personne visée par la décision de savoir pourquoi cette décision a été prise; les motifs de la décision doivent être expliqués et les explications doivent être logiquement liées à la décision. Le fil du raisonnement suivi par l'auteur de la décision doit être clair.

 

[36]           En l'espèce, le ministre n'a jamais expliqué pourquoi l'on avait tenu compte de la  consommation actuelle de marijuana du demandeur ou la raison pour laquelle ce facteur avait conduit le ministre à conclure qu'il existait des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur risquait d'être suborné. Il ne suffit pas que, dans sa décision, le ministre affirme que l'habilitation de sécurité du demandeur lui est refusée parce qu'il existe « des renseignements suffisants » pour conclure qu'il existe des « motifs raisonnables de soupçonner » qu’il ne satisfait pas aux critères de l'alinéa 509c). Pour être considérés comme suffisants, les motifs doivent préciser quels étaient les « renseignements suffisants » en question, la nature exacte des « motifs raisonnables » et comment ces éléments se rapportaient avec une éventuelle menace à la sûreté du transport maritime. Les supposés liens entre la consommation actuelle de marijuana du demandeur et le risque qu'il soit suborné ne sont pas expliqués. Le ministre n'explique pas non plus le lien entre la consommation actuelle de marijuana du demandeur ou son casier judiciaire et la sûreté du transport maritime.

 

Le défendeur

            La décision était raisonnable

 

[37]           Le défendeur affirme que la décision était raisonnable compte tenu des circonstances et des objectifs de la loi. S'agissant d'une habilitation de sécurité, la loi vise à réduire les risques pour la sécurité en empêchant toute entrave illicite au transport maritime. Pour ce faire, le ministère procède à des vérifications des antécédents des travailleurs maritimes qui exécutent certaines tâches ou qui ont accès à des zones contrôlées et il n'accorde d'habilitation de sécurité qu'à ceux de ces travailleurs qui satisfont aux critères énoncés dans la Loi et le Règlement.

 

[38]           Les antécédents criminels du demandeur en matière de production de marijuana et le fait qu'il fréquente toujours des criminels auprès de qui il se procure de la marijuana le placent dans une situation où il risque d'être suborné afin de commettre un acte qui pourrait poser un risque pour la sûreté du transport maritime. Dans l'affaire Rivet, précitée, le demandeur soutenait que la révocation de son habilitation de sécurité était déraisonnable parce que sa condamnation pour fraude n'avait rien à voir avec le crime violent, le terrorisme ou les objectifs de la loi. Le juge Yvon Pinard a rejeté cet argument, en faisant observer qu'une règle n'est arbitraire que si elle n'a aucun lien ou est incompatible avec l'objectif qu'elle vise, en l'occurrence la protection des intérêts de la société dans son ensemble et non seulement ceux du demandeur.

 

[39]           En l'espèce, les conseillers expliquent dans leur rapport le lien entre le casier judiciaire du demandeur et le risque qu'il pose pour la sûreté du transport maritime :

[traduction] [...] [le demandeur] se livrait au trafic de stupéfiants en achetant de la drogue de fournisseurs de son quartier et en s'en procurant dans la rue. Ils ont également fait observer que la condition de sa peine d'emprisonnement avec sursis lui faisant obligation de ne pas troubler l'ordre public et d'avoir une bonne conduite n'obligeait pas le demandeur à cesser de consommer et d'acheter de la marijuana, selon l'interprétation que le demandeur faisait de cette condition.

 

Cette situation constitue à notre avis des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur est dans une situation où il risque d'être suborné afin de commettre un acte ou d'aider ou d'encourager toute personne à commettre un acte qui pourrait poser un risque pour la sûreté du transport maritime.

 

 

 

[40]           Il s'ensuit qu'il existe un lien entre le casier judiciaire du demandeur — qui a déjà été condamné pour avoir cultivé de la marijuana et pour s'être associé avec des criminels — et le risque qu'il soit suborné par des criminels afin de commettre un acte qui pourrait poser un risque pour la sûreté du transport maritime. Dans le cas qui nous occupe, les motifs invoqués par le ministre pour rejeter la demande d'habilitation de sécurité du demandeur étaient certainement suffisants, compte tenu de l'objet de la loi.

 

L'obligation d'équité du ministre était minimale

 

[41]           Le défendeur affirme que l'obligation d'équité du ministre était minimale en l'espèce pour deux raisons. En premier lieu, il ne s'agit pas de la révocation d'une habilitation de sécurité déjà accordée, mais bien du refus d'accorder une première demande d'habilitation. Dans le jugement Kahin c. Canada (Ministre du Transport, de l'Infrastructure et des Collectivités), 2010 CF 247, aux paragraphes 11 à 16, le juge Roger Hughes de notre Cour fait observer que, dans le jugement Motta c. Canada (Procureur général) (2000), 180 FTR 292, [2000] ACF no 27 (QL), le juge Pinard avait expliqué que le refus du ministre d'accorder une habilitation de sécurité n'entraînait le retrait d'aucun droit au demandeur et que ce dernier ne pouvait donc avoir d'expectative légitime que l'habitation lui serait accordée. Le juge Hughes a poursuivi en établissant une distinction entre l'affaire Motta, d'une part, et les affaires DiMartino et Xavier précitées, d'autre part, qui portaient toutes les deux sur des situations dans lesquelles l'habilitation de sécurité du demandeur avait été révoquée de sorte que ceux‑ci avaient le droit de prendre connaissance des éléments de preuve se rapportant aux allégations formulées par des tiers contre eux et de formuler des observations à ce sujet.

 

[42]           Ces affaires, qui concernent la révocation d'une habilitation de sécurité (Rivet, DiMartino et Xavier), même si elles sont invoquées par le demandeur, portent sur des faits différents pour les motifs déjà mentionnés. Le défendeur affirme qu'en l'espèce le refus d'une habilitation de sécurité s'apparente davantage à la situation dont il était question dans l'affaire Kahin précitée. Appliquant le raisonnement suivi dans le jugement Kahin, le défendeur affirme que l'obligation d'équité procédurale était minimale en l'espèce. Elle obligeait seulement le ministre à accorder au demandeur la possibilité de se faire entendre et elle obligeait le ministre à motiver sa décision. Le défendeur affirme que le ministre s'est acquitté de cette obligation.

 

[43]           En second lieu, le demandeur n'a pas perdu son emploi par suite du refus. Il peut continuer à se présenter au centre de répartition; le refus de lui accorder une habilitation de sécurité ne l'empêche de travailler que dans les zones contrôlées du port. Le demandeur cite l'affaire Kane, précitée, qui portait sur une suspension disciplinaire, ainsi que les affaires DiMartino, Xavier et Rivet, qui portaient toutes sur la perte d'un emploi à la suite de la révocation d'une habilitation de sécurité. L'obligation d'équité procédurale au respect de laquelle les demandeurs avaient droit dans ces affaires était plus exigeante que celle au respect de laquelle le demandeur avait droit en l'espèce, où seuls ses revenus ont souffert dans une mesure qui n'a pas été précisée.

 

 

Le ministre s'est acquitté de son obligation d'équité et la décision était suffisamment motivée

 

[44]           Le défendeur affirme en outre que le ministre s'est acquitté de l'obligation d'équité que lui imposait le règlement. Le paragraphe 511(2) oblige le ministre à indiquer au demandeur les motifs de sa décision de rejeter la demande d'habilitation de sécurité. Par lettre datée du 25 juin 2009, le directeur général de la Sécurité a énuméré les quatre condamnations du demandeur et précisé qu'il avait été mis au courant de « renseignements défavorables pour cause de criminalité et que ces renseignements soulevaient des doutes quant à son aptitude à obtenir une habilitation de sécurité ». Le 8 juillet 2009, par l'entremise de son avocat, le demandeur a soumis une déclaration écrite dans laquelle il exposait les circonstances de ses condamnations criminelles.

 

[45]           Après le refus du 12 août 2009, le ministre a accepté de réexaminer la demande du demandeur. Le demandeur a par la suite été interrogé en compagnie de son avocat par deux conseillers en sécurité indépendants. Il a à cette occasion eu une autre possibilité de faire valoir son point de vue tant par écrit que verbalement. L'obligation que le paragraphe 517(6) du Règlement imposait au ministre était d'aviser par écrit le demandeur de sa décision à la suite du réexamen. C'est ce que le ministre a fait le 24 juin 2010. Cette lettre indiquait qu'il existait des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur satisfaisait aux critères prévus à l'alinéa 509c) du Règlement de sorte que sa demande a été refusée. Le défendeur affirme que les motifs invoqués par le ministre étaient certainement suffisants dans les circonstances.

 

La communication des documents n'est pas pertinente

 

[46]           Le défendeur affirme, contrairement à ce que prétend le demandeur, que la présente affaire ne porte pas sur la communication de documents. Le demandeur a été informé à plusieurs reprises que le seul document qui était important en ce qui concerne la décision initiale était son casier judiciaire. Contrairement à la situation en cause dans les affaires DiMartino et Xavier, précitées, le demandeur avait accès à ce document en tout temps. De plus, le règlement exige seulement que le demandeur soit mis au courant des motifs de la décision; il n'est pas nécessaire que le document lui soit communiqué intégralement.

 

[47]           Lors du processus de réexamen, le rapport soumis au procureur du ministère public au sujet de l'infraction relative à la marijuana dont le demandeur avait été reconnu coupable et les conditions dont sa peine était assortie étaient également importants. Or, ces éléments ont été communiqués au demandeur. En conséquence, le demandeur avait accès en tout temps aux seuls documents importants en cause dans la présente affaire.

 

ANALYSE

            Le demandeur a-t-il été suffisamment informé de ce qu’il devait réfuter?

 

[48]           Le demandeur affirme qu'on ne lui a pas communiqué les renseignements qui ont été pris en compte pour refuser au départ sa demande, ajoutant qu'on ne lui a pas précisé la nature des « motifs raisonnables » qui permettaient de soupçonner qu'il risquait d'être suborné. Il affirme par conséquent qu'il n'a pas eu véritablement la possibilité de réfuter les arguments et les preuves présentés contre lui.

 

[49]           Il importe d'examiner les questions d'équité procédurale soulevées par le demandeur dans le contexte global de sa demande d'habilitation de sécurité, et ce, parce que, ainsi que la Cour suprême du Canada l'a bien précisé dans l'arrêt Baker, précité, l'étendue de l'obligation d'équité procédurale qui existe dans un cas donné est variable et dépend du contexte ainsi que de l'ensemble des circonstances pertinentes. Parmi les facteurs dont il y a lieu de tenir compte, mentionnons : a) la nature de la décision à rendre ainsi que le processus suivi pour y parvenir, b) la nature du régime législatif ainsi que les termes de la loi régissant l'organisme en question, c) l'importance de la décision pour la personne visée, d) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision, e) les choix de procédure que fait l'organisme décisionnel lui-même.

 

[50]           Le demandeur a été informé des motifs de l'intention du ministre dans la lettre du 25 juin 2009 dans laquelle le directeur général de la Sécurité l'informait qu'il avait été mis au courant de [traduction] « renseignements défavorables ayant trait à des activités criminelles » et que ces renseignements soulevaient des doutes quant à son aptitude à obtenir une habilitation de sécurité. Les quatre déclarations de culpabilité prononcées contre le demandeur étaient expressément mentionnées.

 

[51]           Le demandeur a ensuite soumis des observations écrites au directeur général de la Sécurité le 8 juillet 2009. Le ministre a pris ces observations en compte avant de prendre sa décision de refuser d'accorder l'habilitation de sécurité.

 

[52]           Le demandeur a été informé dans la lettre du 12 août 2009 que ses quatre déclarations de culpabilité, y compris sa condamnation récente pour des infractions liées à des stupéfiants, suffisaient pour conclure qu'il existait des motifs raisonnables de soupçonner qu'il se trouvait dans une position où il risquait d'être suborné afin de commettre un acte ou d'aider ou d'encourager toute personne à commettre un acte qui pourrait poser un risque pour la sûreté du transport maritime. On l'a également informé que les explications qu'il avait fournies par écrit et les documents qu'il avait soumis à l'appui ne renfermaient pas des renseignements suffisants pour convaincre le comité consultatif de recommander l'octroi d'une habilitation.

 

[53]           Lors du réexamen, le demandeur était représenté par un avocat. Il a été en mesure de présenter d'autres observations écrites. On lui a également accordé la possibilité de présenter des observations verbalement devant les conseillers indépendants du Bureau de réexamen et de répondre aux préoccupations soulevées par ces derniers.

 

[54]           Le demandeur a par la suite été informé de la décision rendue à la suite du réexamen.

[55]           Les motifs du refus de sa demande d'habilitation de sécurité ont également été communiqués au demandeur par lettre en date du 24 juin 2010 dans laquelle le sous-ministre expliquait qu'il existait des renseignements suffisants pour pouvoir conclure qu'il y avait des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur satisfaisait aux critères de l'alinéa 509c) du Règlement.

 

[56]           À mon avis, le dossier montre que le demandeur était parfaitement au courant du fait que son casier judiciaire soulevait des préoccupations quant à la question de savoir s'il posait un risque pour la sécurité. On lui a donné amplement l'occasion d'expliquer pourquoi son casier judiciaire ne devait pas être considéré comme une menace pour la sûreté du transport maritime. Il n'y a pas eu omission de divulguer des documents, étant donné que les seuls documents sur lesquels l'auteur de la décision s'est fondé étaient ceux qui se rapportaient au casier judiciaire du demandeur, que ce dernier connaissait très bien. Le demandeur semble laisser entendre qu'il aurait dû être avisé à l'avance des préoccupations en question à l’étape de l'enquête pour être en mesure de réfuter des conclusions qui n'ont été tirées qu'après la tenue de cette enquête et l’examen de l’ensemble des renseignements. Il ne s'agit pas à mon avis d'une question d'équité procédurale. Le demandeur était parfaitement au courant de ce que comportait une vérification de sécurité et les conseillers en sécurité lui ont même dit, lors de son entrevue, qu'il existait des préoccupations au sujet de son casier judiciaire, en plus de lui préciser l'objet du processus. Le demandeur a exposé sans réserve et avec franchise les circonstances entourant sa condamnation pour production d'une substance visée à l'annexe II et sa consommation actuelle de marijuana.

 

[57]           Ainsi que le demandeur le souligne, notre Cour a été appelée à plusieurs reprises à apprécier le contenu de l'obligation d'équité procédurale dans le contexte bien précis des demandes d'habilitation de sécurité. Il ressort de la jurisprudence de notre Cour que le degré d'équité procédurale exigé dans le cas du refus d'une première demande d'habilitation est minimal par rapport à celui qui est exigé dans le cas de la révocation d'une habilitation déjà octroyée.

 

[58]           Dans le jugement Kahin, précité, une décision récente de notre Cour portant sur le refus d'une demande d'habilitation de sécurité dans un aéroport, le juge Hughes fait observer ce qui suit après avoir examiné plusieurs décisions pertinentes :

11     Un nombre étonnant de causes portent sur des personnes employées dans des installations aéroportuaires et les questions d’habilitation de sécurité. Je suppose que l’explication réside dans le fait que les lettres qui transmettent le rejet de la demande d’habilitation de sécurité se terminent, comme c’était le cas de la lettre du 11 juin 2009 visée en l’espèce, par une invitation à demander le contrôle judiciaire de la Cour. Ces causes auxquelles ont renvoyé les avocats sont :

 

Irani c. Canada (Procureur général), 2006 CF 816

Singh c. Canada (Procureur général), 2006 CF 812

Motta c. Canada (Procureur général), (2000), 180 F.T.R. 292

DiMartino c. Canada (Ministre des Transports), 2006 CF 635

Xavier c. Canada (Procureur général), 2010 CF 147

 

12   Les avocats des parties conviennent que, puisque la question en litige a trait à l’équité procédurale, la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de la décision correcte.

 

13   La présente affaire est similaire à celle de Motta. En l’espèce, le demandeur n’a été employé, et en fait seulement au Canada, que pendant quelques mois, et n’a pas reçu l’habilitation de sécurité qui lui aurait permis de garder son emploi à l’aéroport. Dans Motta, au paragraphe 13, le juge Pinard a qualifié l’équité procédurale qui doit être accordée dans de telles circonstances de minime :

[13] Dans le présent cas, nous sommes en présence d’une simple demande d’autorisation ou de permis faite par une personne qui n’a aucun droit existant à cette autorisation ou à ce permis et qui n’est accusée de rien. Le refus du Ministre d’accorder l’autorisation d’accès entraînant le retrait d’aucun droit au demandeur, ce dernier ne pouvait donc avoir d’expectative légitime que l’autorisation lui serait accordée (voir Peter G. White Management Ltd. v. Canada (Minister of Canadian Heritage) et al., 1997 CanLII 5142 (F.C.), (1997), 132 F.T.R. 89 et Cardinal v. Alberta (Minister of Forestry, Lands and Wildlife) (23 décembre 1988), Edmonton 8303-04015 (Alta.Q.B.)). Dans les circonstances, je considère donc que les exigences imposées par l’obligation d’agir équitablement sont minimes et qu’il suffisait au Ministre, après avoir permis au demandeur de présenter sa demande par écrit comme il l’a fait, de rendre une décision qui ne soit pas fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition. Aucune preuve que la décision dûment prise par le Ministre en vertu des pouvoirs à lui conférés par la Loi et le Règlement soit ainsi mal fondée n’ayant été apportée, l’intervention de cette Cour n’est pas justifiée.

 

14    Dans Irani (paragraphe 21) et Singh (paragraphe 20), la Cour a de façon similaire conclu à l’existence d’une obligation minimale.

 

15    Les circonstances dans DiMartinoet Xavier sont différentes. Dans ces deux affaires, une habilitation de sécurité avait été révoquée en raison de rapports de police faisant état d’activités criminelles. Dans ces causes, la Cour a exigé qu’on donne à l’individu l’occasion de prendre connaissance des allégations formulées contre lui et de présenter des observations écrites étant donné que les allégations d’inconduite provenaient de tiers.

 

16   En l’espèce, la décision était fondée sur des renseignements et des documents remis par le demandeur. Celui-ci n’avait pas encore reçu l’habilitation de sécurité et il n’avait travaillé à l’aéroport que pendant quelques mois. J’estime que la présente affaire est similaire au groupe de cas de Motta. L’équité procédurale dont devait bénéficier le demandeur n’était que minime. J’estime que la lettre du 18 juin 2008 est suffisante à cet égard.

[59]           Bien que le demandeur tente de prétendre le contraire, j'estime que, dans la présente affaire, l'habitation de sécurité du demandeur n'a pas été révoquée, mais qu'elle a été refusée au départ comme dans le « groupe de cas de Motta ». Il est vrai que, dans le cas qui nous occupe, le demandeur travaillait comme débardeur depuis 2000, mais le processus d'habilitation de sécurité est assez récent et, à l'instar de toute autre personne souhaitant travailler à bord de navires de croisière, le demandeur devait demander une habilitation. Nul ne pouvait s'attendre légitimement à ce qu'une habilitation de sécurité lui soit accordée du simple fait qu'il avait déjà travaillé au port de Vancouver. En conséquence, le degré d'équité procédurale auquel le demandeur avait droit était minimal dans les circonstances et exigeait seulement qu'à l'instar de toute autre personne souhaitant obtenir une habilitation, il se voie accorder la possibilité de se faire entendre et qu'il existe un fondement justifiant la décision du ministre. Je suis d'avis que ce degré d'équité procédurale a été respecté dans le cas qui nous occupe. Le demandeur affirme que la présente affaire porte sur la révocation de son droit de travailler à bord de navires de croisière et de la perte des divers avantages associés à ce droit. À mon avis, il ne s'agit pas là d'une explication exacte de ce qui s'est produit. Le nouveau régime réglementaire applicable aux habilitations de sécurité exige que quiconque souhaite travailler à bord d'un navire de croisière demande et obtienne l'habilitation de sécurité requise. Dans la présente demande, je ne suis pas appelé à réviser la décision de mettre en œuvre le nouveau régime. C'est cette décision, en supposant qu'elle existe, qui a supprimé le droit de tout débardeur de travailler à bord de navires de croisière sans habilitation de sécurité. Par suite de l'entrée en vigueur du nouveau règlement, le demandeur s'est retrouvé dans la même situation que toute autre personne souhaitant obtenir une habilitation de sécurité : il devait présenter une demande pour en obtenir une.

 

[60]           À mon avis, la situation du demandeur est différente de celle des demandeurs dans les affaires DiMartino et Xavier, lesquelles portaient sur une révocation de l'habilitation accordée aux demandeurs et sur des allégations formulées contre les demandeurs sur la foi de renseignements communiqués par des tiers sur lesquels l'auteur de la décision s'était fondé et que les demandeurs n'avaient pas eu l'occasion de contester. En l'espèce le demandeur s'est vu accorder la possibilité de faire valoir son point de vue au sujet des renseignements sur lesquels l'auteur de la décision s'était fondé avant de rendre sa décision. Il s'agissait de son casier judiciaire et de sa récente déclaration de culpabilité pour une infraction en matière de drogue et du risque qu'il pouvait poser pour la sûreté du transport maritime.

 

[61]           Dans le jugement Rivet, précité, le juge Pinard a conclu que le fait que le demandeur avait été avisé de la tenue de l'enquête du comité consultatif et qu'il avait été invité à faire valoir son point de vue avant que la décision ne soit rendue permettait de conclure qu'il était au courant de ce qu'il devait réfuter et qu'il connaissait la portée de l'enquête. Le juge Pinard a estimé que l'équité procédurale avait été respectée dans cette affaire.

 

[62]           De la même façon, le demandeur a, dans la présente affaire, été informé que ses quatre condamnations criminelles soulevaient des doutes quant à sa capacité d'obtenir une habilitation. Après réexamen, on a permis au demandeur de soumettre des observations après qu’on lui eut fait savoir que ces condamnations, y compris sa condamnation récente pour des infractions en matière de drogue, étaient suffisantes pour conclure qu'il existait des motifs raisonnables de soupçonner qu’il risquait d'être suborné afin de commettre un acte ou d'aider ou d'encourager toute personne à commettre un acte qui pourrait poser un risque pour la sûreté du transport maritime. On l'a également informé que les explications écrites et les documents à l'appui qu'il avait soumis ne contenaient pas suffisamment de renseignements pour convaincre le comité consultatif de recommander qu'une habilitation de sécurité lui soit accordée.

 

[63]           J'estime donc que le demandeur était au courant de ce qu'il devait réfuter et que les exigences de l'équité procédurale ont été respectées en l'espèce.

 

[64]           Le demandeur se plaint également qu'on ne lui a pas communiqué suffisamment de documents. Le document qui était important pour la décision du ministre de rejeter la demande d'habilitation était le casier judiciaire du demandeur. Or, le demandeur a eu accès à ce document depuis le début. Il a été informé à plusieurs reprises que le sujet de préoccupation était son casier judiciaire. Le demandeur est au courant de son propre casier judiciaire.

 

[65]           Dans les observations écrites qu’il a présentées en se fondant sur les documents complémentaires qu’il avait obtenus après en avoir fait la demande en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le demandeur affirme que les documents en question ne parlent pas d'une possibilité de subornation et qu'ils portent exclusivement sur ses condamnations criminelles. Il n'affirme en outre que la décision [traduction] « était fondée sur un jugement moral portant sur la proximité des activités de M. Russo par rapport à la grossesse de sa femme, ce qui était déraisonnable et débordait le cadre du mandat prévu par le Règlement ». Il affirme aussi que [traduction] « les documents renforcent l'opinion de M. Russo que la question de la subornation n'a jamais été examinée par Transports Canada ».

 

[66]           Ces arguments ne me convainquent pas. Pour les motifs que j'ai déjà exposés, j'estime que le demandeur était parfaitement au courant des raisons invoquées pour estimer que ses activités criminelles posaient un risque pour la sécurité, qu'il a eu amplement l'occasion de présenter les pièces et les arguments qu'il souhaitait pour démontrer qu'il ne posait pas un tel risque et qu'il a été considéré comme posant un risque pour la sécurité en raison des motifs invoqués dans la lettre du 12 août 2009 du ministre, sur le fondement du dossier de recommandation du 22 juillet 2009 du comité consultatif, lequel correspondait à l'élément 9 du certificat qui a été communiqué au demandeur en vertu de l'article 318 des Règles. Indépendamment de toute question d'admissibilité des nouveaux documents, je suis d'avis qu'il n'y a rien dans les documents soumis qui change quoi que ce soit aux questions soulevées par le demandeur dans le présent contrôle judiciaire.

 

[67]           À la différence de la situation qui existait dans les affaires DiMartino et Xavier, la décision qui a été rendue dans la présente affaire ne reposait pas sur des renseignements communiqués par des tiers au sujet d'activités criminelles que le demandeur n'avait pas eu l'occasion de contester avant que ne soit rendue la décision révoquant son habilitation de sécurité. En l'espèce, la décision reposait sur diverses déclarations de culpabilité, y compris une condamnation récente, et le demandeur avait déjà eu l'occasion de contester ses accusations criminelles avant d'être condamné. Dans le cas qui nous occupe, le demandeur n'est tout simplement pas d'accord avec l’idée que ses condamnations criminelles suscitent des doutes quant à la sécurité. Il affirme ne pas voir de lien entre ses activités criminelles en rapport avec la marijuana et la sécurité du transport maritime. Il ressort toutefois à l'évidence du dossier que le demandeur était bien au courant de cette préoccupation. En fait, lors de son entrevue, on a évoqué les activités du demandeur en ce qui concerne sa consommation de marijuana et le demandeur a eu amplement l'occasion de faire valoir son point de vue sur les raisons pour lesquelles ses condamnations criminelles en matière de marijuana ne soulevaient pas de préoccupations en ce qui concerne la sécurité. Ce n'est pas parce que les vues du demandeur et celles de son agent de probation n'ont pas été retenues que la décision s'en trouve pour autant déraisonnable ou qu'un manquement à l'équité procédurale s'est produit.

 

[68]           Les deux autres documents qui étaient importants lors de la rédaction du rapport des conseillers et de la décision du ministre étaient le rapport du procureur du ministère public au sujet de l'infraction en matière de drogue du demandeur et les conditions dont était assortie sa peine d'emprisonnement avec sursis. Ces deux documents ont été communiqués à l'avocat du demandeur lors de l'entrevue. En conséquence, le demandeur avait accès en tout temps aux seuls documents importants mentionnés dans la présente affaire.

 

[69]           Les exigences en matière d'équité procédurale étaient par ailleurs peu élevées dans le cas du demandeur parce qu'il n'a pas perdu son emploi par suite du refus de lui accorder une habilitation de sécurité.

 

[70]           Ainsi que le défendeur le souligne, il ressort des pièces soumises par le demandeur que celui‑ci a travaillé de 2000 à 2007 à partir du centre de répartition et qu'il a commencé à faire partie de la main-d'œuvre régulière à compter de novembre 2007 et ce jusqu'en mai 2009. Il n'a tenté d'obtenir une habilitation de sécurité en vertu du nouveau régime réglementaire que le 14 avril 2009. Ce n'est que depuis mai 2009 qu'il doit de nouveau se présenter au centre de répartition du fait qu'un employé possédant plus d'ancienneté que lui l’a délogé du poste qu'il occupait auparavant au sein de la main-d'œuvre régulière.

 

[71]           Le demandeur peut continuer à se présenter au centre de répartition. Le fait que sa demande d'habilitation a été refusée ne l'empêche pas de travailler dans quelque secteur que ce soit du port, hormis les zones contrôlées. Il ne s'agit pas d'une situation qui requiert un degré élevé d'équité procédurale. Le demandeur n'a pas perdu son emploi, même s'il estime que ses chances de promotion ont diminué du fait qu'on lui a refusé l'habilitation de sécurité qu'il demandait.

 

La décision était-elle suffisamment motivée?

 

[72]           Les allégations que formule le demandeur au sujet de l'insuffisance des motifs doivent être situées dans le contexte général des faits de l’espèce.

 

[73]           Le 12 août 2009, le demandeur a été informé par lettre de Transports Canada que le ministre avait refusé de lui accorder son habilitation de sécurité en raison de la recommandation formulée par le comité consultatif. Voici le texte de cette lettre :

[traduction] Le comité consultatif a recommandé à l'unanimité que la demande d'habilitation de sécurité du demandeur soit refusée en raison de ses quatre condamnations criminelles, dont une condamnation récente reliée à des stupéfiants pour production d'une substance énumérée à l'annexe II. Les renseignements sont suffisants pour pouvoir conclure qu'il existe des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur est dans une position où il risque d'être suborné afin de commettre un acte ou d'aider ou d'encourager toute personne à commettre un acte qui pourrait poser un risque pour la sûreté du transport maritime.

 

 

[74]           Ainsi donc, le demandeur a été informé de la nature du problème et des raisons pour lesquelles on ne pouvait lui accorder d'habilitation de sécurité : il avait été reconnu coupable à quatre reprises d’infractions criminelles – et sa récente condamnation pour une infraction relative à une substance énumérée à l'annexe II a surtout été signalée –, ce qui suscitait des motifs raisonnables de soupçonner qu'il risquait d'être suborné afin de commettre un acte ou d'aider ou d'encourager toute personne à commettre un acte qui pourrait poser un risque pour la sûreté du transport maritime.

 

[75]           Le demandeur peut prétendre que le lien qui est ainsi établi entre ses activités criminelles et la sûreté du transport maritime est abusif, mais je ne crois pas qu'il puisse prétendre qu’on n’a pas motivé suffisamment la décision de refuser de lui accorder une habilitation de sécurité.

 

[76]           Ainsi qu’il en avait le droit, le demandeur a réclamé le réexamen de cette décision. Il s'est soumis à une entrevue et au processus d'enquête au cours desquels le risque qu'il posait pour la sécurité par suite de sa condamnation pour une infraction relative à une substance visée à l'annexe II et le fait qu'il continuait à se procurer et à consommer de la marijuana ont été examinés, et on lui a permis de faire valoir son point de vue.

 

[77]           La décision finale a été rendue par le ministre par lettre datée du 24 juin 2010. En voici le texte :

[traduction] En réponse à la demande que vous avez soumise le 17 septembre 2009 au bureau de réexamen, nous souhaitons vous  informer que les conseillers indépendants qui ont été affectés à l'examen de votre dossier ont soumis leur rapport au ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités.

 

Après avoir examiné tous les renseignements qui ont été portés à sa connaissance, le ministre a décidé de confirmer le refus de vous accorder une habilitation de sécurité. Au cours de cet examen, le ministre disposait de suffisamment de renseignements qu'il considérait vérifiables, fiables et suffisants pour pouvoir conclure qu'il existait des motifs raisonnables de soupçonner que vous répondez effectivement au critère prévu à l'alinéa 509c) du Règlement sur la sécurité dans les transports maritimes qui dispose :

 

Alinéa 509c) [...] s'il y a des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur est dans une position où il risque d'être suborné afin de commettre un acte ou d'aider ou d'encourager toute personne à commettre un acte qui pourrait poser un risque pour la sûreté du transport maritime.

 

Vous avez le droit de demander le contrôle judiciaire de cette décision en vous adressant à la Cour fédérale du Canada dans les trente (30) jours suivant la réception du présent avis, ainsi qu'il est précisé dans les publications de la Gazette du Canada se rapportant à la Loi sur la sûreté du transport maritime. Pour de plus amples informations, rendez-vous au site suivant : http://cas-ncr-nter03.cas-satj.gc.ca/fct-cf/index.html.

 

[78]           Ainsi qu'il est souligné dans cette lettre, la décision ne faisait que « confirmer » le refus antérieur du 12 août 2009 et reprendre les motifs raisonnables de craindre une subornation. Les obligations imposées au ministre par le Règlement sur la sûreté du transport maritime en cas de réexamen sont énoncées à l'article 517 du Règlement.

 

[79]           Aux termes du paragraphe 517(4), le ministre doit examiner la décision « conformément à l'article 509 et, par la suite, confirme[r] ou modifie[r] la décision ». Le paragraphe 517(6) oblige ensuite le ministre à aviser le demandeur de sa décision.

 

[80]           C'est précisément ce qui s'est produit en l'espèce. Le ministre a suivi le Règlement et l'a appliqué. Le demandeur affirme que cela n'était pas suffisant parce qu'on ne lui a pas communiqué des motifs suffisants. À mon avis, ce n'est pas le cas.

 

[81]           Le ministre explique qu'il confirme la décision du 12 août 2009 au sujet de laquelle le demandeur avait déjà été informé des motifs, et la raison qu’invoque le ministre pour confirmer cette décision est précisée dans la lettre du 24 juin 2010 : on craignait que le demandeur ne soit suborné.

 

[82]           Si l’on revient en arrière pour considérer l'ensemble du processus suivi, il n'y a pas de doute ou de confusion quant aux raisons pour lesquelles on a refusé d'accorder une habilitation de sécurité au demandeur : les motifs raisonnables invoqués pour soupçonner que le demandeur risquait d'être suborné tenaient à ses condamnations criminelles et en particulier au fait qu'il continuait à se procurer et à consommer de la marijuana. Là encore, le demandeur peut soutenir que sa consommation de marijuana ne constitue pas un motif raisonnable permettant de tirer pareille conclusion, mais je ne crois pas qu'il puisse dire qu'il n'a pas été mis parfaitement au courant des raisons pour lesquelles on refusait de lui accorder une habilitation de sécurité, d'autant plus qu'en l'espèce les exigences en matière d'équité procédurale étaient peu élevées.

 

[83]           À mon avis lorsqu'il parle de « motifs insuffisants », le demandeur veut en réalité dire qu'il n'est pas d'accord avec les motifs invoqués. À son avis, ses démêlés avec la justice en raison de sa consommation de marijuana ne constituent pas des motifs raisonnables de conclure qu'il pose un risque pour la sécurité. Il s'agit d'une question de caractère raisonnable.

 

Caractère raisonnable

 

[84]           J'estime également que la décision rendue à la suite du réexamen était raisonnable dans les circonstances compte tenu de l'objet de la loi, des antécédents criminels du demandeur en matière de culture de stupéfiants et du fait qu'il continuait à s'associer avec des criminels auprès de qui il se procurait de la drogue. Le lien est évident. Le demandeur souhaite pouvoir travailler à bord d'un navire de croisière qui franchit des frontières internationales. Il admet acheter et consommer de la marijuana et ce, même après avoir été condamné pour possession d'une substance visée à l'annexe II. Je ne crois pas que le lien avec un risque éventuel de subornation pouvant nuire à la sûreté du transport maritime soit difficile à comprendre ou puisse être qualifié de déraisonnable.

 

[85]           Il ne s'ensuit pas pour autant que j'aurais personnellement conclu à l'existence de ce risque. Je ne peux toutefois affirmer que les conclusions tirées par le ministre en l'espèce à la suite d'une enquête approfondie n'appartiennent pas aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il se peut que la décision ait nui aux chances professionnelles du demandeur, mais la sécurité du public est également en jeu et il faut laisser au ministre le soin de se prononcer en la matière. Ainsi que notre Cour l'a répété à plusieurs reprises, la Cour ne peut substituer sa propre opinion en ce qui concerne l'affaire à celle du ministre ou de ceux à qui est délégué le pouvoir d'évaluer les demandes en matière de sécurité et d'habilitation, à moins que la Cour ne conclue à un manquement aux principes de justice naturelle ou d'équité procédurale ou que la décision soit déraisonnable ou déborde le cadre précisé dans l'arrêt Dunsmuir. Bien que le refus de lui accorder une habilitation de sécurité nuise quelque peu aux objectifs de carrière du demandeur, je ne puis conclure qu'une erreur justifiant le contrôle judiciaire de la décision a été commise en l'espèce.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens en faveur du défendeur.

 

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1203-10

 

INTITULÉ :                                       DAVE RUSSO

                                                           

                                                            et

                                                           

                                                            MINISTRE DES TRANSPORTS DE L'INFRASTRUCTURE ET DES COLLECTIVITÉS

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 9 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT               Le juge Russell

ET JUGEMENT :                             

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joanna Gislason

Gary Caroline

POUR LE DEMANDEUR

 

Malcolm Palmer

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Caroline + Gislason Lawyers

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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