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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110624

Dossier : IMM-4290-10

Référence : 2011 CF 771

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

CHAOHUI LIN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est un citoyen de la Chine. Sa demande d’asile a été refusée à deux occasions par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR). Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 26 juillet 2010 par une agente d’exécution de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), à Toronto, en Ontario, laquelle rejetait la demande du demandeur de reporter son renvoi.

 

[2]               Le demandeur était un membre d’équipage d’un navire chinois. Il a quitté le navire lorsqu’il a accosté au Canada et il a présenté une demande d’asile au motif d’une crainte d’être ciblé en raison de son appartenance à une église chrétienne clandestine en Chine. Le tribunal a conclu, dans sa première décision, que le demandeur n’était pas un vrai chrétien. La Cour a renvoyé cette décision pour réexamen : Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 558. Dans la deuxième décision, le tribunal a conclu que le demandeur était un vrai chrétien, mais il a rejeté la demande au motif qu’il n’y avait aucun rapport précis qui montrait que des membres de maisons-églises avaient été appréhendés dans la province du Fujian, où le demandeur résidait. Cette décision a été maintenue lors du contrôle judiciaire : Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 FC 108.

 

[3]               Le 17 avril 2010, le demandeur a été informé de son droit de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Il affirme qu’il a retenu les services de Mme Elizabeth Cheung, une conseillère en immigration pour Mississauga Immigration Services Corporation. Il n’a pas été clairement établit que Mme Cheung ait accepté de représenter le demandeur. Il affirme qu’elle a soumis la demande le 11 mai 2010. Cependant, le 5 juillet 2010, l’ASFC a informé M. Lin qu’elle n’avait pas reçu la demande d’ERAR. Il affirme que lorsqu’il a questionné Mme Cheung à ce sujet, elle lui a assuré qu’elle avait valablement soumis les documents.

 

[4]               Aux alentours du 9 juillet 2010, le demandeur a été convoqué par l’ASFC au centre d’exécution de la loi du Toronto métropolitain, où on l’a informé que la date de son renvoi serait bientôt arrêtée. Il s’est vu demander de se présenter de nouveau à l’ASFC le 19 juillet 2010. Le 15 juillet 2010, le demandeur a engagé un autre conseiller, Peter Lam, pour l’aider dans ses démarches. M. Lam a référé le demandeur à sa présente avocate, laquelle a été engagée la journée même par le demandeur.

 

[5]               Le 20 juillet 2010, après un examen du dossier, le bureau des ERAR a informé l’avocate du demandeur qu’aucune demande n’avait été présentée. Une seconde demande d’ERAR a été envoyée par télécopieur et par messager au bureau des ERAR le 22 juillet 2010. La même journée, le demandeur a présenté une demande pour faire reporter son renvoi en Chine. Sa demande était fondée sur l’ERAR ainsi que sur sa demande de résidence permanente dans la catégorie d’époux ou de conjoint de fait au Canada. M. Lin avait épousé Mme Xiaomei Chen le 21 mars 2010 et, le 9 avril 2010, Mme Chen avait présenté une demande pour parrainer la demande de résidence permanente du demandeur.

 

[6]               L’agente a considéré que la demande pour faire reporter le renvoi n’était pas justifiée par la récente demande d’ERAR, et elle a conclu que le demandeur n’était pas admissible à un report administratif en tant que personne qui a présenté une demande dans la catégorie d’époux, parce que la demande avait été présentée après qu’il eut été visé par le renvoi. De plus, l’agente a conclu que la preuve du demandeur ne corroborait pas ses allégations de risques.

 

[7]               Un sursis de renvoi a été accordé le 3 août 2010, en attendant l’issue de la présente demande.

 

[8]               L’audience a porté sur l’étendue du pouvoir discrétionnaire de l’agente à propos du report du renvoi et sur la question de savoir si elle l’avait exercé de façon raisonnable dans les circonstances. Bien que l’effet du parrainage dans la catégorie d’époux ait été soulevé dans les observations écrites du demandeur, il n’a pas été mentionné lors de la plaidoirie.

 

[9]               L’agente a correctement fait remarquer que [traduction] « l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution est très limité en ce qui concerne le report d’un renvoi et il a l’obligation, en application de l’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, d’exécuter les mesures de renvoi dès que les circonstances le permettent ». Cependant, il existe certaines circonstances lors desquelles un report est justifié : « [les] affaires où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain » : Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 R.C.F. 311, au paragraphe 51.

 

[10]           La question soulevée est la suivante : la présente affaire est-elle l’une de ces situations où l’omission de l’agent de reporter le renvoi engendre ce haut degré de risques?

 

[11]           Le principal risque précisé dans la demande d’ERAR était de savoir si le demandeur ferait face au risque de violations des droits de la personne, d’une détention prolongée et de traitements inhumains pour avoir déserté le navire, pour avoir porté atteinte à [traduction] « l’honneur ou aux intérêts » de la Chine, pour avoir rompu son contrat de travail en tant que membre d’équipage du Guangzhou China Ocean Shipping, pour avoir violé les lois concernant l’usage et la gestion des passeports des affaire publiques chinoises et pour avoir commis toute autre infraction dont on pourrait le déclarer coupable en Chine. En évaluant ce risque, l’agente a noté ce qui suit :

 

[traduction]

 

J’ai également tenu compte des préoccupations de M. Lin en ce qui concerne sa sécurité s’il retournait en Chine, lesquelles ont été énoncées dans l’affidavit que son l’avocat a déposé. Bien que je comprenne les appréhensions de M. Lin et que je sois sensible à sa situation, je conclus néanmoins que la preuve présentée ne corrobore pas ces allégations de risque. La Section de la protection des réfugiés a déjà évalué la situation personnelle de M. Lin et, le 17 avril 2010, elle a conclu qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention. Je fais également remarquer que M. Lin s’est déjà prévalu du recours légal de la Cour fédérale, à la suite du réexamen de sa demande d’asile qui s’est conclu défavorablement le 27 janvier 2009. La demande de M. Lin d’autorisation et de contrôle judiciaire a également été rejetée le 1er février 2010.

 

 

[12]           Ce n’était pas la responsabilité de l’agente de procéder à cette évaluation du risque. En fait, comme l’a fait remarquer le juge Denis Pelltier, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 50, dans Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, 13 Imm. L.R. (3d) 289, récemment cité par le juge Sean Harrington dans ses motifs de jugement et jugement dans la demande de sursis de Shpati c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 367, 89 Imm. L.R. (3d) 25 (Shpati I), au paragraphe 41 :

Le pouvoir discrétionnaire à exercer ne correspond pas à une évaluation du risque. Le pouvoir discrétionnaire à exercer consiste à savoir s’il faut déférer à une autre procédure qui peut rendre la mesure de renvoi nulle ou de nul effet, l’objectif de cette procédure étant de déterminer si le renvoi de la personne en cause l’exposerait à un risque de mort ou de sanctions extrêmes.

 

Voir également Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 741, 106 A.C.W.S. (3d) 1092, au paragraphe 15, affaire dans laquelle le juge Edmond Blanchard décrit le pouvoir discrétionnaire d’un agent de renvoi de la façon suivante :

Je suis également d'avis que le pouvoir discrétionnaire que doit exercer l'agente de renvoi ne comprend pas l'évaluation du risque mais inclut plutôt l'identification de circonstances spéciales qui pourraient la justifier de surseoir au renvoi.

 

[13]           Bien que le dossier montre que la question concernant la désertion du navire a été soulevée devant la SPR, il est impossible de savoir avec certitude si la preuve, laquelle donne à penser que le demandeur éprouverait, en raison de sa désertion, de mauvais traitements ou de graves violations des droits de la personne s’il retournait en Chine, a dûment été évaluée. Comme le demandeur l’a reconnu, cela s’est peut-être produit parce que son avocat d’alors n’a pas cherché à pousser la question plus avant. Toutefois, les deux décisions rendues par le tribunal et le contrôle judiciaire traitent de la question de la persécution au motif de la religion et non du risque lié à la désertion du navire.

 

[14]           Il est prévu, à l’article 4 de la loi chinoise concernant la gestion des entrées et sorties des citoyens, reproduit dans un document versé au dossier, que [traduction] « [a]près avoir quitté le pays, les citoyens chinois ne peuvent pas commettre d’acte portant atteinte à la sécurité, à l’honneur ou aux intérêts de leur pays ». L’article 14 de la même loi prévoit les peines encourues pour l’entrée ou sortie illégale du pays. Les peines peuvent inclure : un avertissement, une détention ou, pour des crimes plus sérieux, une responsabilité criminelle.

 

[15]           Dans un autre document, lequel cite le Tribunal d’appel pour les réfugiés de l’Australie, il est prévu à l’article 109 de la loi pénale qu’une infraction est commise par un employé de l’État s’il [traduction] « fait défection lorsqu’il se trouve hors du pays, compromettant ainsi la sécurité du pays ». Le navire sur lequel le demandeur travaillait appartenait à l’État et, en raison de cela, le demandeur soutient qu’il pourrait être condamné à des peines en tant qu’employé du gouvernement de la Chine. La Cour d’appel des États-Unis du septième circuit a également fait remarquer, dans Yi-Tu Lian c. John D. Ashcroft, 379 F.3d 457 (7e circ. 2004), qu’il était impossible de savoir avec certitude quel serait le sort des individus qui avaient quitté la Chine de façon illégale mais qui avaient été rapatriés pour quelque raison que ce soit.

 

[16]           Le demandeur a présenté des documents supplémentaires à l’agente à propos des violations des droits de la personne commises par la Chine. Il était loisible à l’agente de tenir compte de cette preuve afin d’évaluer si le renvoi devait être reporté jusqu’à ce qu’une décision au sujet de la demande d’ERAR soit rendue. Dans les circonstances particulières à la présente affaire, je crois qu’il était déraisonnable de la part de l’agente de ne pas avoir exercé son pouvoir discrétionnaire à cet égard. Le traitement de la question était trop complexe pour une agente d’exécution à l’étape du renvoi. Il se peut qu’un agent d’ERAR, dûment informé, puisse en venir à la conclusion que le risque de préjudice n’équivaut pas à celui envisagé dans Wang et Baron, précités. Cependant, l’agente d’exécution n’avait pas les compétences requises pour rendre cette décision.

 

[17]           Dans les circonstances particulières à la présente affaire, l’avis du juge Harrington dans Shpati I, précitée, au paragraphe 45, est particulièrement approprié. Il a affirmé qu’il éprouvait une certaine difficulté à accepter que « le législateur ait entendu que « dès que les circonstances le permettent », un agent d’exécution, qui n’a pas acquis une formation en la matière, puisse priver un demandeur du recours même qu’il lui avait accordé ». L’agente aurait dû estimer que les circonstances ne permettaient pas le renvoi tant qu’une évaluation spécialisée du risque n’avait pas été faite. Pour ce motif, j’accueillerai la présente demande et infirmerai la décision de l’agente. Le demandeur a présenté une demande d’ERAR, et il a le droit, en vertu du droit canadien, d’obtenir une évaluation adéquate du risque. Cela, bien entendu, sans présumer quelle sera l’issue de cette évaluation.

 

[18]           Lors de la plaidoirie, le demandeur a proposé la question suivante pour certification :

 

[traduction]

 

Lorsqu’un demandeur a devant la Cour un litige en instance concernant un ERAR, ce litige en instance exige-t-il qu’il soit autorisé à demeurer au Canada jusqu’à sa conclusion, compte tenu de l’article 72 de la LIPR, du paragraphe 31(2) de la Loi d’interprétation, de l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, et du Guide PP3 du défendeur, sans qu’il soit nécessaire de présenter une demande de sursis à la mesure de renvoi?

 

[19]           Il s’agit là de la même question qui fut proposée pour certification par le demandeur dans Shpati c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 1046, 93 Imm. L.R. (3d) 117 (Shpati II), une affaire dans laquelle il est question de demandes de contrôle judiciaire à l’encontre d’un ERAR, d’une demande CH et du rejet par l’agent d’une demande de report. Le demandeur m’a également référé à Omar c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1740, 44 Imm. L.R. (3d) 114, une décision du juge Yvon Pinard sur une affaire dans laquelle l’avocat du demandeur avait cherché à faire certifier quatre questions relativement à l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés, aux obligations internationales du Canada, à la Convention contre la torture et à la situation en Cisjordanie ou les Territoires occupés.

 

[20]           Dans Shpati II, le juge Harrington a accueilli la demande concernant le rejet de la demande de report, mais a choisi de ne pas certifier la question mentionnée ci-haut. Plutôt, il a certifié deux autres questions, proposées par le défendeur : Shpati II, précité, au paragraphe 55. Dans Omar, le juge Pinard a conclu que les questions proposées n’étaient pas de portée générale aux termes de l’alinéa 74d) de la LIPR.

 

[21]           L’exigence préliminaire qui s’applique à la certification est de savoir s’il existe une question grave de portée générale qui permette de régler l’appel : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89, 318 N.R. 365. La certification n’est pas nécessaire lorsque la question a déjà été débattue et que la Cour a accepté de façon constante un précédent : Thurasingham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1332, 39 Imm. L.R. (3d) 74. Ayant tranché en faveur du demandeur et vu les graves risques que le demandeur pourrait éprouver s’il retournait en Chine, je suis d’accord avec le défendeur qu’il n’est pas nécessaire de certifier la question. 

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR statue comme suit : la demande est accueillie. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4290-10

 

INTITULÉ :                                       CHAOHUI LIN

 

                                                            c.

 

                                                            MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Martin Anderson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Barbara Jackman

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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