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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110624

Dossier : IMM-4397-10

Référence : 2011 CF 770

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

PARDEEP KUMAR

AMARJIT KAUR JASSI

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 3 juin 2010 par laquelle N. Gautam, agent d’immigration désigné (l’agent), a rejeté la demande de résidence permanente au Canada présentée par les demandeurs au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés. En raison des résultats obtenus au test du Système international de tests de la langue anglaise (International English Language Testing System ou IELTS) par le demandeur principal, l’agent n’était pas convaincu qu’il serait en mesure d’exercer les fonctions de son emploi réservé au Canada et qu’il accepterait vraisemblablement de les exercer.

 

[2]               Pour les motifs que je vais exposer, la présente demande sera accueillie.

 

I.          Le contexte

 

A.        Les faits pertinents

 

[3]               Le demandeur principal, Pardeep Kumar, est un citoyen de l’Inde. En août 2009, il a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés. Il appuyait sa demande sur l’obtention d’un emploi réservé au Canada comme surveillant de la construction pour une entreprise de construction de Brampton, en Ontario. Le 22 avril 2009, l’employeur éventuel avait reçu un avis favorable sur l’emploi réservé de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC).

 

[4]               Par lettre datée du 3 juin 2010, le demandeur principal a été informé du rejet, par le bureau des visas du haut-commissariat du Canada à New Delhi, de sa demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés.

 

B.         La décision contestée

 

[5]               L’agent, en raison des résultats obtenus par le demandeur principal au test IELTS, n’était pas convaincu que celui-ci serait [traduction] « en mesure d’exercer les fonctions de l’emploi [réservé] au Canada et qu’il accepterait vraisemblablement de les exercer ». Pour le facteur de l’emploi réservé, par conséquent, le demandeur principal ne s’est vu décerner aucun point. On a attribué au total 59 points au demandeur principal, soit moins que le minimum requis de 67 points pour être admissible à la résidence permanente au Canada.

 

II.         Les questions en litige

 

[6]               Le demandeur principal soulève une seule question, soit celle de savoir si était raisonnable, au vu des éléments dont il disposait, la décision de l’agent, en l’absence d’entrevue, de ne lui attribuer aucun point pour le facteur « emploi réservé ». La meilleure façon d’examiner cette question est de répondre aux deux suivantes :

a)         Était-il raisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur principal avait des compétences linguistiques de base, et n’avait donc pas les aptitudes requises pour occuper l’emploi réservé?

b)         Pour en arriver à sa conclusion, l’agent a-t-il enfreint le droit du demandeur principal à l’équité procédurale en ne lui faisait pas passer d’entrevue?

 

III.       La norme de contrôle

 

[7]               L’exercice par un agent des visas de son pouvoir discrétionnaire d’évaluer une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés constitue une question mixte de fait et de droit qui appelle la norme de la raisonnabilité (Roberts c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 518, paragraphe 15).

 

[8]               Les questions touchant la justice naturelle et l’équité procédurale sont des questions de droit, qui commandent la norme de la décision correcte; aucune déférence particulière n’est alors nécessaire à l’endroit du décideur (Malik c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1283, paragraphe 22).

 

IV.       Argumentation des parties et analyse

 

A.        Était-il raisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur principal avait des compétences linguistiques de base?

 

[9]               Le demandeur principal soutient que l’agent a rejeté sa demande après avoir conclu qu’il n’avait pas les aptitudes requises pour occuper son emploi réservé. L’agent semble en être arrivé à cette conclusion parce qu’il a estimé – la connaissance de l’anglais du demandeur principal étant de base d’après les résultats de l’IELTS – que celui-ci ne connaissait pas assez bien l’anglais pour exercer les fonctions de cet emploi. Or, soutient le demandeur principal, si l’on étudie les résultats qu’il a obtenus, soit 4,5 pour ce qui est de lire, 5 pour ce qui est d’écrire et d’écouter et 5,5 pour ce qui est de parler, tout en consultant le guide de l’immigration pertinent, il est possible de constater qu’on aurait dû considérer comme « moyenne » sa connaissance de l’anglais. En effet, selon le Guide de traitement des demandes à l’étranger 6 – Travailleurs qualifiés (fédéral) (le Guide OP 6), un résultat de 5 ou plus dénote la connaissance moyenne d’une langue officielle.

 

[10]           Le défendeur soutient que le demandeur principal fait valoir une ancienne version, datée du 28 octobre 2004, du Guide OP 6. La version actuelle, datée du 4 août 2010, renferme un tableau d’équivalence des résultats des tests pour les demandes reçues le ou après le 28 novembre 2008 et les rapports de tests portant la date du 28 novembre 2008 ou une date postérieure. Les résultats du test IELTS subi par le demandeur principal portaient la date de l’examen, soit le 23 juillet 2009, tandis que la demande de résidence permanente a été reçue, d’après les notes versées au Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI), le 30 septembre 2009. La section 12.9 du Guide OP 6, en sa version actuelle, serait ainsi applicable au demandeur principal selon le défendeur. Or, en fonction des résultats obtenus, il ressort clairement de cette section que, pour ce qui est d’écouter, de lire et d’écrire, la connaissance du demandeur principal est « de base » et, pour ce qui est de parler, cette connaissance correspond à la fourchette inférieure du niveau « moyen ». L’agent n’aurait donc pas évalué erronément les compétences linguistiques du demandeur principal.

 

[11]           J’ai examiné les sections pertinentes du Guide OP 6, en ses versions antérieure et actuelle. Il est vrai qu’en fonction de la version antérieure, la connaissance de l’anglais du demandeur principal aurait été de niveau moyen, sauf pour ce qui est d’écrire. En fonction toutefois de la version actuelle, tout comme le prétend le défendeur, la connaissance du demandeur principal serait du niveau de base pour ce qui est de lire, d’écrire et d’écouter. La question devient donc de savoir quelle version du Guide OP 6 il convient d’appliquer en l’espèce.

 

[12]           Je souscris aux observations du demandeur principal sur ce point. Les notes versées au STIDI font état d’une décision rendue le 3 juin 2010 dans le dossier du demandeur principal. Cette date est antérieure à celle de la version actuelle du Guide OP 6. C’était donc la version antérieure du guide qui était en vigueur. En fonction de cette version, la connaissance de l’anglais du demandeur principal était de niveau moyen pour trois des quatre catégories. Si l’agent s’est fondé sur la version actuelle pour statuer sur la demande du demandeur principal, alors qu’à la date de réception de celle-ci cette version n’était pas encore accessible au public, un problème d’équité procédurale se pose. Compte tenu toutefois de ma conclusion, exposée ci-après, sur une autre question d’équité procédurale, je n’ai pas à décider si était ou non raisonnable la conclusion de fait tirée par l’agent quant au niveau à attribuer en fonction du test linguistique subi par le demandeur principal. Il est ainsi fort peu pertinent de savoir si, d’après les résultats du test, la connaissance de l’anglais du demandeur principal était simplement de base, ou de base-moyenne.

 

B.         L’agent a-t-il manqué à son devoir d’équité procédurale envers le demandeur principal?

 

[13]           Le demandeur principal soutient que, compte tenu des faits en l’espèce et des éléments dont il disposait, l’agent aurait dû le convoquer pour une entrevue s’il avait des inquiétudes particulières quant à savoir s’il avait les compétences linguistiques requises pour occuper l’emploi réservé. Le défaut d’avoir été ainsi convoqué a constitué, selon le demandeur principal, un manquement aux principes de justice naturelle. Je suis du même avis.

 

[14]           Pour sa part, le défendeur présente des observations très élaborées et convaincantes sur les circonstances où un agent est tenu de fournir l’occasion à un demandeur de dissiper ses inquiétudes. Une entrevue n’est pas de mise lorsqu’un agent a des inquiétudes quant aux compétences linguistiques d’un demandeur. La section 12.12 du Guide OP 6 est sans aucune ambiguïté sur ce point : « L’objectif de l’entrevue n’est pas d’évaluer la compétence linguistique. L’agent ne peut pas changer le pointage accordé à cet égard ou effectuer lui-même une nouvelle évaluation de la compétence linguistique en fonction de ce qu’il découvre au cours de l’entrevue ».

 

[15]           J’estime que le défendeur a raison de soutenir que, selon la jurisprudence constante de la Cour, c’est au demandeur qu’il incombe de présenter des renseignements suffisants pour que soit rendue une décision favorable, et qu’un agent des visas n’a pas à lui demander des renseignements additionnels pour dissiper les préoccupations soulevées par la preuve soumise (Roberts, précitée, paragraphe 21; Pacheco Silva c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 733, 63 Imm. L.R. (3d) 176, paragraphe 20). Je reconnais également que le Guide OP 6 incite les agents des visas à évaluer les cas simples grâce aux renseignements fournis, et laisse entendre que, dans la plupart des cas, l’agent devrait être en mesure de prendre des décisions relatives à la sélection en fonction des seuls documents fournis (se reporter à la section 13.2 de la version actuelle). Le demandeur principal m’a toutefois convaincu lorsqu’il a soutenu que la présente affaire n’était pas dépourvue d’ambiguïtés sur lesquelles l’agent aurait dû se pencher.

 

[16]           Pour l’emploi réservé du demandeur principal, il y avait comme exigences du poste la connaissance de l’anglais et de l’hindi, la connaissance du pendjabi étant considérée être un atout. On ignore sur quelle version du Guide OP 6 l’agent s’est fondé mais, quoiqu’il en soit, le demandeur principal a obtenu 5,5 points pour l’aptitude à parler l’anglais, un niveau estimé moyen dans l’une et l’autre versions du guide. Quant aux fonctions associées à l’emploi réservé, on fait état dans le dossier certifié du tribunal (DCT) de ce qui suit : [traduction] « superviser et planifier les activités des travailleurs, tenir des réunions pour les horaires de travail, coordonner les activités professionnelles, régler les problèmes et recommander la prise de mesures pour améliorer la productivité et la qualité des produits [….] » (DCT, page 12). Le demandeur principal soutient que son niveau moyen d’aptitude à parler l’anglais suffisait pour l’exercice des fonctions de l’emploi réservé. En conséquence, ajoute le demandeur principal, il était impossible pour l’agent, sans lui faire passer une entrevue ni demander des éclaircissements, d’établir s’il pouvait vraisemblablement remplir les exigences du poste.

 

[17]           Dans ce contexte, selon le demandeur principal, il était déraisonnable pour l’agent de ne pas procéder à une évaluation indépendante de sa connaissance de l’anglais, et son défaut de ce faire a constitué une erreur susceptible de contrôle. Je ne puis souscrire à cette observation. Il ne fait aucun doute qu’un agent ne peut pas évaluer de manière indépendante les aptitudes linguistiques d’un demandeur lors d’une entrevue, ni n’est autorisé à le faire.

 

[18]           On enjoint aux agents, toutefois, de faire passer une entrevue si des précisions sont nécessaires quant à savoir si un demandeur sera en mesure d’accepter et d’occuper l’emploi réservé. De fait, selon la section 12.15 de la version du Guide OP 6 sur laquelle se fonde le défendeur, si l’agent a des doutes se rapportant à l’emploi réservé, il doit « communique[r] ces doutes au demandeur et lui donne[r] la possibilité de les dissiper ». Il ressort clairement de la lettre de décision que le demandeur principal n’a pas eu l’occasion d’expliquer s’il pouvait ou non exercer les fonctions de l’emploi réservé.

 

[19]           Il importe de se rappeler qu’aucun point n’a été accordé au demandeur principal pour le facteur de l’emploi réservé. La seule explication donnée quant à l’incapacité perçue du demandeur principal d’exercer les fonctions de l’emploi réservé concernait les résultats obtenus au test IELTS et, malgré cela, ironiquement, le demandeur principal a obtenu 4 points pour sa connaissance de l’anglais. On ne mentionne aucunement dans les notes versées au STIDI ni dans la lettre de décision comment le niveau linguistique du demandeur principal pouvait l’empêcher d’occuper l’emploi réservé, et on n’y reconnaît aucunement non plus que l’employeur exigeait des compétences non seulement en anglais, mais aussi en hindi et en pendjabi, alors même que le demandeur principal avait des compétences dans ces deux autres langues.

 

[20]            Il était inéquitable pour l’agent de rejeter la demande du demandeur principal sans procéder à une nouvelle évaluation plus détaillée. Je juge insuffisants les motifs énoncés dans la lettre de décision. J’estime par conséquent qu’il convient de renvoyer l’affaire pour nouvel examen.

 

V.        Conclusion

 

[21]           Aucune question n’a été proposée en vue de sa certification et aucune question n’a à être certifiée.

 

[22]           Compte tenu des conclusions qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4397-10

 

INTITULÉ :                                       KUMAR ET AL. c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 2 MARS 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 24 JUIN 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Naseem Mithoowani

 

POUR LES DEMANDEURS

Sybil Sakle Thompson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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