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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110624

Dossier : IMM-5544-10

Référence : 2011 CF 749

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2011

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

ADRIANA MARTINEZ CAICEDO; JOAN JOSE ZAPATA; JOSE DOMINGO ZAPATA LONDONO; KIMBERLY LORYET PULIDO

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande visant à faire annuler une décision datée du 2 septembre 2010, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a déterminé que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).   

 

[2]               À mon avis, les conclusions touchant à la crédibilité de la demanderesse principale (Adriana Martinez Caicedo, ci‑après, la demanderesse) ne sont pas étayées par la preuve et, par conséquent, ne sont pas raisonnables. En particulier, la Commission n’a pas tiré de conclusions claires et sans équivoque sur la crédibilité en ce qui concerne un incident directement lié à la persécution alléguée, soit l’enlèvement du père de la demanderesse. Pour ces raisons, la demande sera accueillie.

 

Les faits – La demanderesse

[3]               La demanderesse et son époux, Jose Domingo Zapata Londono (le demandeur) sont tous deux citoyens de la Colombie. Les deux demanderesses mineures, Kimberly et Joan, sont citoyennes des États‑Unis.

 

[4]               Les quatre demandeurs sont arrivés au Canada à des moments différents en 2008 et ont présenté des demandes d’asile.

 

[5]               La demanderesse a quitté la Colombie en 1991 et s’est rendue aux États‑Unis. À l’époque, elle ne craignait aucune persécution en Colombie. La demanderesse communiquait avec les membres de sa famille en Colombie et leur disait qu’elle voulait retourner en Colombie. Elle a appris que sa grand‑mère était victime d’extorsion par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC) parce qu’elle était propriétaire de bétail et riche. La demanderesse n’avait aucun statut aux États‑Unis, mais elle estimait qu’il n’était pas sécuritaire pour elle de retourner en Colombie alors que sa famille était devenue une cible des FARC.

 

[6]               En 1998, la demanderesse a rencontré son époux, également un Colombien vivant aux États‑Unis. Elle est restée dans ce pays dans l’espoir qu’il y aurait une amnistie et qu’elle et son époux pourraient y régulariser leur statut.

 

[7]               En 2002, la demanderesse a donné naissance à son deuxième enfant. Elle voulait élever ses enfants en Colombie, mais sa famille persistait à dire qu’il n’était pas sécuritaire pour elle de revenir. Les demandeurs adultes ont consulté un groupe appelé Caridades Catolicas, organisation caritative catholique, mais on leur a dit qu’ils ne pouvaient pas demander l’asile aux États‑Unis parce qu’ils y vivaient depuis trop longtemps.

 

[8]               En juillet 2007, la demanderesse a appris que sa grand‑mère était décédée. La demanderesse et son père ont hérité des biens, et son père a repris l’administration du ranch puisque la demanderesse se trouvait toujours aux États‑Unis. En octobre 2007, le père de la demanderesse aurait été enlevé par les FARC pour avoir refusé de continuer à payer un [traduction] « impôt de guerre » que la grand‑mère de la demanderesse avait payée jusque‑là. La demi‑sœur de la demanderesse a signalé l’enlèvement de leur père à la Fiscalia (Fiscalia General de la Nacion est le bureau du procureur général en Colombie, et il a pour mandat d’enquêter et de poursuivre les criminels). Après l’enlèvement de son père, la demanderesse a décidé de demander l’asile au Canada.

 

 

Les faits – Le demandeur

 

[9]               Le demandeur, Jose Domingo Zapata Londono, est un ancien joueur de soccer qui a grandi en Colombie. Selon son Formulaire de renseignements personnels (FRP), il a commencé à avoir des démêlés avec les FARC vers l’âge de 21 ans. Il a été abordé par un homme disant être un représentant des FARC. Cet homme a expliqué que les FARC s’intéressaient à quelques équipes de soccer et voulaient recruter le demandeur afin qu’il utilise son influence auprès de ses coéquipiers pour les recruter également. Il a reçu de nombreux appels de représentants des FARC et il a fini par avoir peur en raison de la pression qu’ils exerçaient sur lui. Le demandeur a renoncé au soccer, mais a continué de subir les pressions des FARC. Le demandeur s’est donc enfui aux États‑Unis en 1985 et y est resté jusqu’à ce qu’il vienne au Canada avec la demanderesse.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[10]           La Commission a examiné séparément la demande de chaque membre de la famille. Elle a établi que les demanderesses mineures sont nées aux États‑Unis et n’ont aucune crainte de persécution alléguée dans ce pays. Par conséquent, elles ne sont pas des réfugiés.

 

a) Le demandeur

 

[11]           La Commission a conclu que la question déterminante était la crédibilité. Les actions des demandeurs adultes ne reflétaient pas une crainte fondée de persécution. Le demandeur a vécu aux États‑Unis pendant 23 ans et n’a jamais tenté d’obtenir l’asile durant tout ce temps. La Commission a également remarqué que le demandeur n’a pas demandé l’asile lorsqu’il résidait au Mexique, même si ce pays est signataire de la Convention relative au statut des réfugiés. La Commission estimait que le demandeur n’avait pas donné suffisamment de détails au sujet des tentatives alléguées d’enrôlement par les FARC, et que son témoignage était incohérent à certains égards. Enfin, la Commission a signalé que le demandeur avait omis un détail important dans son FRP, soit le fait qu’il a vécu dans la clandestinité l’année précédant son départ de la Colombie. Pour ces motifs, la Commission a conclu que le demandeur n’était pas crédible.

 

b) La demanderesse

 

[12]           La Commission a entamé l’analyse de la demande d’asile de la demanderesse principale en soulignant qu’il ne s’agissait pas purement d’une demande d’asile sur place, la demanderesse ayant témoigné que sa crainte à l’égard des FARC avait commencé en 1994 ou 1997 (la Commission n’était pas certaine), lorsqu’elle avait téléphoné à ses parents pour leur dire qu’elle pensait leur rendre visite et qu’ils lui avaient dit de ne pas venir. La demanderesse principale a également témoigné qu’elle avait vu un avocat en 2002, de sorte qu’elle devait éprouver une crainte quelconque en 2002.

 

[13]           La Commission croit qu’il a été recommandé à la demanderesse principale de ne pas demander l’asile parce qu’elle avait attendu plus d’un an, mais elle a conclu que « le retard d’un an n’est absolument pas fatal, et il existe suffisamment d’exceptions, dont l’une porte sur un changement de circonstances, ce qui est possiblement le cas en l’espèce ». La Commission a jugé qu’elle aurait eu le temps d’aller voir un avocat et de faire une demande d’asile après l’enlèvement de son père en 2007. Elle est plutôt restée aux États‑Unis sans statut pendant une autre année. Si la demanderesse principale avait réellement éprouvé une crainte, elle aurait fait des démarches pour régulariser son statut après l’enlèvement de son père.

 

[14]           La Commission a jugé qu’il n’avait pas été démontré que la mère et la sœur de la demanderesse principale faisaient l’objet de menaces, comme d’autres personnes qui se trouvent dans une situation semblable à Cali.

 

[15]           Si le père de la demanderesse principale a été enlevé pour des motifs économiques ou en raison d’une vendetta, ces motifs ne permettent pas d’établir un lien avec la Convention. La Commission a exprimé des préoccupations face à la documentation produite pour prouver l’enlèvement du père. Le seul document à ce sujet est l’affidavit de la mère et une prétendue confirmation de la part de la Fiscalia, sur laquelle on ne trouve aucune adresse ni aucun numéro de téléphone ou de télécopieur. En ce qui concerne la confirmation de la Fiscalia, la Commission était indécise quant au poids à y accorder. Pour ces raisons, elle a conclu que la demanderesse principale n’avait pas démontré qu’elle éprouvait une crainte fondée de persécution.

 

Les questions en litige

[16]           Les demandeurs ont soulevé sept questions dans leur exposé des arguments, et huit autres dans un exposé additionnel. Aux fins des présentes cependant, j’analyserai seulement les questions suivantes :

a.       La Commission a‑t‑elle fait fi de certains éléments de preuve ou tiré des conclusions de fait déraisonnables?

b.      Les conclusions de la Commission sur la crédibilité sont‑elles déraisonnables?

c.       La Commission a‑t‑elle fait une analyse déraisonnable de la demande d’asile sur place?

d.      La conclusion de la Commission quant à l’absence de lien avec la Convention était‑elle déraisonnable?


La norme de contrôle

[17]           La jurisprudence a établi que la norme applicable aux conclusions sur la crédibilité et aux conclusions de fait est celle de la décision raisonnable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 46. La norme de la décision raisonnable s’applique également à l’analyse de la demande d’asile sur place et du lien avec l’un des motifs prévus par la Convention : Girmaeyesus c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 53 et Mejia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 530, au paragraphe 10.

 

Analyse

 

a)      Les conclusions de la Commission sur la crédibilité ne sont pas raisonnables

 

[18]           Les demandeurs affirment que l’analyse de la Commission portant sur des personnes dans une situation semblable à la leur ne tient pas compte de la disparition de la demi‑sœur de la demanderesse. Le premier FRP de la demanderesse indique ce qui suit : [traduction] « [M]a demi‑sœur, qui faisait campagne pour qu’il y ait enquête sur notre père, est disparue par la suite ». Sur le deuxième FRP, dans la section « Renseignements sur la famille », il est indiqué que sa demi‑sœur est disparue. Toutefois, le deuxième énoncé des faits indique simplement ceci : [traduction] « [M]a demi‑sœur et ma mère se sont rendues à la Fiscalia pour signaler l’enlèvement de mon père », sans aucune mention de la disparition de sa demi‑sœur. À l’audience, ni le commissaire ni le conseil de la demanderesse n’ont posé de questions au sujet de la demi‑sœur. La seule mention de cette personne dans la transcription se trouve à la page 288 du dossier certifié du tribunal, où la demanderesse confirme que sa demi‑sœur vit à Cali. 

 

[19]           Certes, il est déplorable que la disparition de la demi‑sœur n’ait pas été abordée à l’audience. L’absence de questions au sujet d’un fait très important incite à penser que la Commission n’a tout simplement pas remarqué les mentions de la disparition de la demi‑sœur dans les FRP. Comme toutes les parties ont négligé ce qui semble être un fait possiblement important, le défaut de la Commission d’analyser ce fait ne constitue pas une erreur susceptible de révision. 

 

[20]           La Commission a conclu que la demanderesse n’éprouvait pas une crainte subjective puisqu’elle n’a pas cherché à régulariser son statut aux États‑Unis après avoir découvert que son père avait été enlevé.

 

[21]           La Commission a reconnu que la demanderesse ne pouvait pas demander l’asile aux États‑Unis en raison de l’interdiction d’un an, mais elle croyait que cette restriction n’était « absolument pas fatale » et que l’une des exceptions prévues pouvait « possiblement » s’appliquer à sa situation. On ne trouve aucun commentaire quant à la nature des exceptions, à savoir si la demanderesse les connaissait ou quelles en seraient les conséquences pour elle.

 

[22]           Il était donc déraisonnable de la part de la Commission de conclure que le défaut d’obtenir un autre avis juridique au sujet des exceptions à l’interdiction d’un an est irréconciliable avec une crainte subjective. Soulignons que la Commission a ajouté foi à la déclaration de la demanderesse selon laquelle elle croyait qu’elle n’avait pas droit à l’asile aux États‑Unis. C’est, au mieux, en se fondant sur des spéculations que la Commission a conclu que la demanderesse pouvait possiblement bénéficier d’une exception à l’interdiction d’un an. Le point important, c’est que la demanderesse avait une explication convaincante qui n’a pas été remise en question. La Commission a commis une erreur susceptible de révision en tirant une conclusion défavorable sur la crédibilité à partir de déductions spéculatives non étayées par l’exposé des faits : Frimpong c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1989] A.C.F. no 441

 

b)      Ambiguïté concernant un élément clé

 

[23]           La Commission n’a pas tiré de conclusions claires au sujet de l’enlèvement du père de la demanderesse. Dans Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. n228, arrêt de la Cour d’appel fédérale souvent citée, le juge Heald a établi que les commissaires de la CISR doivent formuler leurs conclusions sur la crédibilité dans des termes clairs et sans équivoque :

L’appelant est la seule personne qui a témoigné verbalement devant la Commission; son témoignage n’a pas été contredit. Les seules observations concernant sa crédibilité figurent dans le bref passage cité ci-dessus, dont l’ambiguïté rend la situation difficile. En effet, le tribunal ne rejette pas catégoriquement le témoignage de l’appelant mais semble douter de la crédibilité de ce dernier. Selon moi, la Commission se trouvait dans l’obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crédibilité de l’appelant.

 

 

[24]           Dans Hilo, la Cour d’appel était préoccupée par le fait que la Commission, ayant qualifié le témoignage du demandeur de vague et incohérent, n’avait pas indiqué quels étaient les détails manquants ou incohérents. En l’espèce, la Commission a commis l’erreur inverse – le commissaire a relevé une lacune particulière dans le témoignage, soit l’absence de coordonnées sur le rapport de la Fiscalia, mais n’a tiré aucune conclusion au sujet de l’enlèvement. Le résultat est le même que dans Hilola Commission n’a pas rejeté le témoignage de la demanderesse au sujet de l’enlèvement de son père, mais elle semble douter de la crédibilité de cette dernière.

 

[25]           La Commission a dit qu’elle avait « quelques préoccupations » au sujet des documents présentés à l’appui du récit de l’enlèvement, et qu’elle ne savait pas quel poids accorder au document de la Fiscalia. Bien qu’elle n’ait pas tenu compte de ce rapport, la Commission n’a pas formulé de conclusions claires au sujet du témoignage de la demanderesse et de l’affidavit de sa mère concernant l’enlèvement. Si la Commission a décidé de rejeter le témoignage ou l’affidavit, elle devait le dire et donner des motifs à l’appui. La Commission n’a souligné aucune omission, contradiction ou incohérence par rapport à ces éléments de preuve. 

 

[26]           Au bout du compte, on ne sait pas si la Commission a cru ou non à l’enlèvement du père de la demanderesse. Cet incident est pourtant l’événement culminant qui a amené la demanderesse à demander l’asile. C’est l’élément central de la demande d’asile de la demanderesse principale. La Commission devait tirer des conclusions claires sur ce point; en ne le faisant pas, elle a commis une erreur susceptible de révision.

 

c)      Erreur donnant lieu à révision durant l’interrogatoire du demandeur

 

[27]           Les demandeurs soutiennent que le demandeur n’a pas eu la possibilité d’éclaircir les problèmes de crédibilité cernés par la Commission, y compris l’omission dans son FRP et le manque de détails concernant le recrutement par les FARC.

 

[28]           J’accepte aisément l’argument du défendeur selon lequel il incombe au demandeur d’établir le bien‑fondé de sa demande d’asile et ce, du début à la fin du processus. En l’espèce toutefois, la Commission a posé un certain nombre de questions superficielles, imprécises, auxquelles le demandeur a répondu. Le commissaire a posé deux questions au sujet du retard, d’abord au Mexique, puis aux États‑Unis. Le demandeur a donné des réponses qui, à première vue, ont semblé plausibles et le commissaire n’a pas posé d’autres questions. On ne peut raisonnablement statuer sur la crédibilité et s’appuyer sur le fait que le demandeur a fourni des [traduction] « détails limités » si les questions qui lui ont été posées n’incitaient pas à donner des précisions ou plus d’explications.

 

[29]           Là encore, bien que j’admette volontiers l’argument de M. Doyle selon lequel un tel retard serait normalement concluant (voir, par exemple, Espinosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1324 ou Nyayieka c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 690), en l’espèce, le dossier n’indique pas pourquoi les explications fournies au sujet du retard n’ont pas été acceptées. De toute évidence, les réponses fournies offrent, à première vue, une explication logique. Le commissaire n’a pas posé beaucoup de questions au demandeur. Son interrogatoire ne représente que trois pages de la transcription. On ne saurait retenir la conclusion selon laquelle le demandeur n’est pas crédible parce qu’il n’a pas donné de détails si, justement, des précisions ne lui ont pas été demandées ni n’étaient raisonnablement attendues en réponse à la question posée.

 

d)      La Commission a‑t‑elle fait une analyse déraisonnable de la demande d’asile sur place?

 

[30]           Dans l’exposé supplémentaire des faits et du droit, les demandeurs soutiennent que la Commission a fait une analyse déraisonnable de leur demande d’asile sur place. La demanderesse a quitté la Colombie en 1991 et ce n’est qu’en 1998 qu’elle a appris que sa famille était une cible des FARC. Elle a commencé à craindre les FARC après son départ de la Colombie. Il s’agit donc réellement d’une demande d’asile sur place, et le fait qu’elle est allée voir un avocat en 2002 n’est d’aucune pertinence aux fins de l’analyse.

 

[31]           Les demandeurs s’opposent à la conclusion de la Commission selon laquelle la demande d’asile de la demanderesse n’est pas une véritable demande d’asile sur place. Le défendeur soutient que, lorsqu’elle vivait aux États‑Unis, la demanderesse principale n’a participé à aucune activité qui donnerait lieu à un risque raisonnable de persécution, de sorte qu’il ne pouvait s’agir d’une demande d’asile sur place dans son cas.

 

[32]           Selon le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié des Nations Unies (le Guide du HCR), la personne « qui n’était pas réfugié lorsqu’elle a quitté son pays, mais qui devient refugié par la suite » a qualité de réfugié sur place.

 

[33]           À l’instar des demandeurs, je crois que la Commission a eu tort de dire que la demande d’asile de la demanderesse principale n’était pas une véritable demande d’asile sur place. Le fait que la demanderesse a consulté un avocat lorsqu’elle vivait aux États‑Unis n’a aucune incidence sur la nature de sa demande puisqu’elle a commencé à éprouver une crainte après avoir quitté la Colombie.

 

[34]           Bien que la Commission se soit méprise sur l’objet de la demande d’asile sur place, cette erreur n’entache pas son analyse. La Commission a examiné la demande de la demanderesse principale comme s’il s’agissait d’une demande d’asile sur place, analysant l’absence de revendication aux États‑Unis, l’enlèvement du père et les personnes se trouvant dans une situation semblable à celle de la demanderesse. Je ne crois pas que cette erreur d’identification justifie une intervention de la Cour.

 

[35]           En terminant, je souligne que si l’arrêt Girmaeyesus, précité, sert à appuyer l’argument qu’une personne peut seulement devenir un réfugié sur place par suite des actions qu’elle pose à l’étranger, il s’agit d’une erreur. Une personne peut devenir un réfugié sur place en raison d’un changement de situation survenu dans le pays d’origine pendant son absence, ou par suite de ses propres actions, comme s’associer à des réfugiés qui ont déjà été reconnus comme tels ou exprimer des opinions politiques. Il se trouve que Girmaeyesus concerne le deuxième type de réfugié sur place, mais la jurisprudence établit clairement qu’une personne peut aussi faire une demande d’asile sur place à la suite d’événements qui se sont déroulés dans son pays de citoyenneté.

 

e)      La conclusion de la Commission quant à l’absence de lien avec la Convention était‑elle déraisonnable?

 

[36]           La Commission a déterminé que le père avait été enlevé, s’il l’a réellement été, pour des motifs économiques, ce qui ne permet pas d’établir un lien avec un motif de la Convention. La question du lien est principalement une question de fait qui relève de l’expertise de la Commission : Prato c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1088, au paragraphe 9. Il est bien établi dans la jurisprudence que l’extorsion pour des motifs économiques ne permet pas de créer un lien avec un motif prévu par la Convention : Saint Hilaire c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 178. Dans d’autres cas encore, il a été déterminé que la perception d’un impôt de guerre ou l’extorsion par des groupes paramilitaires ne figuraient pas parmi les motifs reconnus par la Convention. Par exemple : Ospina c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1035; Montoya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 63.

 

[37]           Compte tenu de la jurisprudence qui existe sur ce point, et à la lumière des faits qui ont été présentés à la Commission quant à la nature de la crainte de la demanderesse principale, il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure que l’enlèvement du père n’était lié à aucun des motifs visés par la Convention.

 

[38]           Ceci dit, l’analyse en l’espèce n’est pas conforme au cadre établi dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RCS 689, selon lequel elle devrait aborder la question du point de vue de l’agent de persécution, soit les FARC. Dans le cas présent, vu les liens étroits, incontestés, qui existent entre les FARC, l’extorsion et l’enlèvement, la Commission se devait au moins d’examiner la question selon la perspective de Ward au lieu de la rejeter au motif que la richesse n’est pas, en soi, un motif reconnu par la Convention.

 

 

f)       La Commission aurait dû appliquer l’article 97

 

[39]           Ayant conclu à l’absence de lien avec un motif de la Convention, la Commission ne s’est pas attachée à vérifier si la demanderesse pouvait avoir qualité de personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR. Dans son exposé des arguments supplémentaire, le défendeur affirme que la Commission n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas compte de l’article 97, parce que la demanderesse éprouvait seulement une crainte généralisée des FARC et n’avait pas convaincu le commissaire qu’elle faisait face à un risque de persécution « personnalisé », tel qu’il est établi dans la décision Saint Hilaire, précitée, au paragraphe 11.

 

[40]           En l’espèce, le risque découle du fait que la demanderesse a hérité de la ferme bovine. La preuve présentée à la Commission indique que la grand‑mère de la demanderesse était une cible des FARC et que son fils, ayant hérité de son ranch, a été enlevé par les FARC pour avoir refusé de payer l’impôt de guerre. La demanderesse a allégué qu’elle serait exposée à un risque puisqu’il semble que le propriétaire du ranch, quel qu’il soit, soit toujours une cible des FARC. Ce risque est suffisamment personnel pour qu’on se demande au moins si l’article 97 s’applique. Nulle part dans ses motifs le commissaire n’a‑t‑il précisé s’il s’est interrogé à savoir si la demanderesse pouvait être une personne à protéger aux termes de l’article 97.

 

 

Conclusion

[41]           Les conclusions de la Commission concernant les demanderesses mineures et le demandeur adulte sont raisonnables, et la Cour ne voit aucune raison d’intervenir.

 

[42]           Les conclusions de la Commission au sujet de la crédibilité de la demanderesse principale ne sont pas raisonnables. En particulier, la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse principale n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis après qu’on lui eut dit qu’elle n’était pas admissible s’appuie sur des spéculations déraisonnables. Plus important encore, la Commission ne s’est pas prononcée clairement sur la vraisemblance de l’incident à l’origine de l’allégation de persécution, soit l’enlèvement du père.

 

[43]           Si la Commission a choisi de ne pas prêter foi à cet incident, le commissaire aurait dû l’indiquer clairement et expliquer pour quels motifs il a rejeté le témoignage sous serment de la demanderesse principale ainsi que l’affidavit de la mère.

 

[44]           Si la Commission a jugé qu’il était inutile d’établir la vraisemblance de l’incident de l’enlèvement vu l’absence de lien avec l’un des motifs visés par la Convention, alors elle aurait dû vérifier si la demanderesse principale était une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR. La Commission a eu tort de ne pas évaluer l’applicabilité de l’article 97 après s’être abstenue de se prononcer sur l’enlèvement en raison de l’absence de lien avec la Convention.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que :

1.             La demande de contrôle judiciaire est accueillie. 

2.             La décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour nouvelle décision. 

3.             Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5544-10

 

INTITULÉ :                                       ADRIANA MARTINEZ CAICEDO; JOAN JOSE ZAPATA; JOSE DOMINGO ZAPATA LONDONO; KIMBERLY LORYET PULIDO c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 31 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. Byron M. Thomas

POUR LES DEMANDEURS

 

Kevin Doyle

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

J. Byron M. Thomas

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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