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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110628

Dossier : IMM-5583-10

Référence : 2011 CF 790

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

GUO MING LU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demande parrainée par Guo Ming Lu pour la délivrance d’un visa de résidente permanente à son épouse, Xia Li Zheng, a été rejetée. M. Lu a interjeté appel de cette décision auprès de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. L’appel a été rejeté par décision rendue verbalement le 13 septembre 2010. Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision, présentée par M. Lu en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               Le mariage du demandeur avec Mme Zheng a été jugé ne pas être authentique aux termes de l’article 4, en sa version en vigueur lors de la décision, du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). L’article 4 a été modifié après le prononcé de la décision de la SAI. En vertu de l’ancienne version de l’article, un mariage était considéré avoir été contracté de mauvaise foi si on estimait qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR et qu’il n’était pas authentique. Les éléments du critère étaient conjonctifs (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tirer, 2010 CF 414, paragraphe 12). En vertu de la version actuelle, les éléments du critère sont disjonctifs, de sorte qu’on pourrait considérer un mariage avoir été contracté de mauvaise foi s’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR ou s’il n’est pas authentique (Wiesehahan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 656, paragraphe 3).

 

LE CONTEXTE

 

[3]               Le demandeur est né en Chine et, parrainé à titre d’enfant à charge, il a acquis la citoyenneté canadienne en 1996. Il est actuellement cuisinier dans un restaurant chinois de Vancouver (Colombie-Britannique) où il prépare le dim sum. L’épouse du demandeur, Mme Zheng, est comptable de profession. M. Lu et Mme Zheng ont chacun eu un précédent mariage. M. Lu a épousé sa première femme en 2001, mais les époux se sont séparés en juin 2003. Ils ont officiellement divorcé en septembre 2006. Le mois précédant l’obtention de ce divorce, M. Lu et Mme Zheng ont été présentés l’un à l’autre par un ami commun par l’entremise de QQ, un site Web servant aux communications électroniques en Chine.

 

[4]               Du Canada, le demandeur s’est rendu en Chine le 26 octobre 2006 pour rencontrer Mme Zheng en personne. Il est de nouveau allé en Chine aux environs du 10 novembre 2006. Le demandeur a fait sa demande de mariage à Mme Zheng en août 2007, et tous deux se sont mariés le 25 septembre de la même année. Le demandeur est rentré au Canada le 7 octobre 2007. Depuis, le demandeur n’est retourné qu’une fois en Chine, soit du 16 novembre au 2 décembre 2009; durant ce séjour, M. Lu et Mme Zheng sont allés ensemble à Hong Kong pour rencontrer la tante de ce dernier.

 

[5]               Le 16 septembre 2009, la demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie du « regroupement familial » présentée par l’épouse du demandeur, en application du paragraphe 12(1) de la LIPR, a été rejetée.

 

LA DÉCISION À L’EXAMEN

 

[6]               L’agent a relevé un certain nombre d’incohérences se rapportant à des questions importantes comme la situation financière et les conditions de logement du demandeur, un sujet sur lequel les divergences entre les témoignages prêtaient à confusion, l’intérêt pour le jeu du demandeur, les projets futurs du couple et les visites en Chine du demandeur. L’agent a en outre conclu que le demandeur était un témoin réticent qui ne voulait pas répondre franchement aux questions. En particulier, il demandait que des questions lui soient répétées alors que cela n’était pas nécessaire. L’agent a tiré une inférence défavorable de ce comportement. Il n’avait pas été démontré selon la prépondérance des probabilités, a conclu l’agent, que le motif du mariage n’était pas l’acquisition d’un statut ou d’un privilège, ni que le mariage était authentique.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

Les questions soulevées dans la présente demande sont les suivantes :

 

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’il s’est agi, tel que requis par la loi, de tirer des conclusions relativement aux deux volets conjonctifs du critère?

 

  1. La Commission a-t-elle mal interprété la preuve?

 

  1. Était-il raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur était un témoin réticent?

 

 

 

ANALYSE

 

 

La norme de contrôle judiciaire

 

[7]               Les conclusions quant à savoir si une relation est authentique et visait l’acquisition d’un statut sous le régime de la LIPR sont des conclusions de fait qui appellent, par conséquent, la norme de contrôle de la raisonnabilité (Kaur c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 417, paragraphe 14). Dans l’examen de la présente affaire, la Cour se penchera sur les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, et sur l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, paragraphe 59). Le caractère authentique ou non d’un mariage, en particulier, est une pure question de fait et, à ce titre, la Cour doit faire preuve d’une grande déférence face à la décision.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’il s’est agi de tirer des conclusions relativement aux deux volets conjonctifs du critère?

 

[8]               On l’a dit, les deux volets de l’article 4 de l’ancien Règlement étaient conjonctifs, le mariage en cause devant à la fois ne pas être authentique ni viser principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR (Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1490, 59 Imm. L.R. (3d) 251, paragraphe 5).

 

[9]               Dans Sharma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1131, la juge Judith Snider a conclu (aux paragraphes 17 et 18) qu’il existait un lien entre les deux volets du critère et que le « manque d’authenticité constitu[ait] une preuve convaincante que le mariage visait principalement à acquérir » la résidence permanente au Canada. La Cour a aussi statué que l’absence d’authenticité pouvait faire présumer que le mariage visait l’acquisition d’un statut (Kaur, précitée, paragraphe 16).

 

[10]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en analysant seulement le premier volet du critère et en procédant à un examen au microscope ne tenant pas compte de la situation dans son ensemble. Il ressort toutefois clairement de la transcription et des motifs que la Commission a pris en compte de nombreuses incohérences dans les témoignages, qui avaient une grande incidence sur la demande d’asile dans son ensemble.

 

[11]           Certaines incohérences se rapportaient à la situation financière du demandeur. Quant aux épargnes, par exemple, le demandeur a dit que sa sœur lui avait récemment rendu la somme de 30 000 $ qu’il lui avait prêtée en vue de l’achat d’une maison. Mme Zheng a plutôt déclaré dans son témoignage que le demandeur avait déjà des économies de 10 000 $ à 20 000 $ au moment de leur rencontre en août 2006, et qu’il avait économisé le reste grâce à son salaire. Il était raisonnable pour la Commission de mettre en doute le témoignage de Mme Zheng et de se demander comment le demandeur avait pu économiser pareille somme alors qu’il gagnait 1 800 $ par mois.

 

[12]           Mme Zheng a en outre déclaré que le demandeur n’avait pas de dette de carte de crédit, tandis que celui-ci a indiqué avoir une dette de quelques milliers de dollars.

 

[13]           Mme Zheng a déclaré que le demandeur avait loué un véhicule japonais noir d’une valeur de 45 000 $ en 2008, pour lequel il effectuait des versements de 800 $ par mois. L’agent a conclu que cela constituait un passif financier important pour une personne ayant les revenus du demandeur. Celui-ci, en outre, avait déclaré qu’il ne possédait pas de véhicule.

 

[14]           La Commission a également conclu que portaient à confusion les divergences entre les témoignages des deux époux quant aux conditions de logement. Le demandeur a déclaré qu’il habitait à une nouvelle adresse sur la East 28th Avenue depuis dix mois. Lorsqu’on lui a demandé à l’audience pourquoi il avait déménagé à ce nouvel endroit, il a répondu que c’était parce que sa [traduction] « sœur aînée a[vait] acheté cette maison ». Le demandeur a aussi confirmé qu’il avait fait part du déménagement à son épouse, Mme Zheng. Celle-ci a par contre déclaré que le demandeur habitait à la nouvelle adresse depuis une année ou deux et qu’elle ne savait pas pourquoi. Il était raisonnable pour la Commission de conclure que ces témoignages portaient à confusion, et d’en tirer une conclusion défavorable. Même lorsque deux époux vivent chacun dans des lieux éloignés, l’un devrait vraisemblablement savoir quand l’autre change de lieu de résidence et pourquoi. Les réponses données par Mme Zheng ont laissé planer un sérieux doute sur l’authenticité de la relation des époux.

 

[15]           Les témoignages étaient également contradictoires quant au problème de jeu du demandeur. Ainsi, le demandeur a déclaré spontanément qu’il avait une dépendance, et précisé qu’il avait pu la surmonter grâce à son organisation religieuse et en s’inscrivant lui-même volontairement au registre d’interdiction d’entrée que tiennent les casinos. Le demandeur a aussi indiqué que sa dépendance au jeu avait conduit à son premier divorce en 2005, tout en ajoutant qu’il avait cessé de jouer plus tôt. Mme Zheng a pour sa part déclaré dans son témoignage que le demandeur avait continué de jouer jusqu’à ce que tous deux se rencontrent en août 2006; elle avait alors dit au demandeur qu’il devait cesser de jouer, et il l’avait fait. Les deux récits ne sont même pas semblables l’un à l’autre.

 

[16]           Les projets d’avenir du couple ont aussi donné lieu à des récits différents de la part du demandeur et de son épouse. Le demandeur a déclaré que son épouse, après une période où elle pourrait s’établir et apprendre l’anglais au Canada, tout en travaillant peut-être comme serveuse, ferait des études de comptabilité en vue de travailler dans ce domaine. Mme Zheng a par contre déclaré qu’elle et le demandeur avaient pour projet à long terme d’ouvrir un restaurant ensemble, sans aucunement évoquer la possibilité de travailler dans le domaine de la comptabilité.

 

[17]           Il y avait aussi des incohérences dans les témoignages quant aux visites du demandeur en Chine. Mme Zheng a dit qu’elle avait rencontré le demandeur dès qu’il était arrivé en Chine, le 26 octobre 2006. Le demandeur a dit pour sa part qu’il était arrivé en Chine le 24 octobre 2007, comme en attestait son passeport, et qu’il avait rencontré Mme Zheng deux jours plus tard. Or celle-ci a expressément déclaré que le demandeur n’avait passé la nuit nulle part ailleurs en Chine avant qu’elle et lui ne se soient rencontrés. En outre, quand le demandeur a raconté que Mme Zheng et lui  étaient allés visiter sa tante à Hong Kong, il a déclaré qu’ils étaient restés trois jours dans la demeure de cette tante, qui était divorcée et qui vivait avec sa fille. Selon Mme Zheng, leur séjour avait duré cinq jours, et ils étaient restés chez cette tante, qui vivait seule. La contradiction avec le témoignage de son époux lui ayant été signalée, Mme Zheng a tenté de se corriger.

 

[18]           La Commission s’est appuyée sur cette preuve pour en arriver à sa conclusion sur le caractère authentique du mariage, et quant à savoir s’il avait été contracté en vue de l’acquisition d’un statut ou d’un privilège. Il était raisonnable pour la Commission de recourir à cette preuve pour tirer une conclusion défavorable quant à l’un et l’autre volets du critère.

 

La Commission a-t-elle mal interprété la preuve?

 

 

[19]           Le demandeur soutient que la Commission a mal interprété la preuve relative à la somme de 30 000 $ lorsqu’elle a fait remarquer que sa sœur avait utilisé cette somme pour lui acheter une maison. Le demandeur affirme que ce n’était pas là ce qu’il avait déclaré lors de son témoignage. Il ne semble pas, toutefois, que la Commission ait mal interprété la preuve sur ce point. Ce que la Commission avait compris c’était que le demandeur avait prêté 30 000 $ à sa sœur pour qu’elle achète la maison dans laquelle il réside maintenant, et que celle-ci lui avait rendu cette somme en juin 2010.

 

[20]           Quoi qu’il en soit, l’incohérence relevée sur ce point pour tirer une conclusion défavorable n’avait pas trait à l’utilisation de l’argent par la sœur en vue de l’achat de la maison du demandeur. La Commission a mentionné la somme de 30 000 $ à titre d’exemple des différences existant entre les témoignages du demandeur et de Mme Zheng. Ce qu’a dit le demandeur, c’était que l’argent provenait du remboursement d’un prêt, tandis que Mme Zheng a déclaré que le demandeur disposait déjà d’une somme de 10 000 $ à 20 000 $ qu’il avait réussi à économiser peu à peu. Ce n’était là qu’une des nombreuses incohérences que la Commission a décelées entre les témoignages au sujet des finances du couple. À mon avis, le point ainsi mentionné par le demandeur n’a eu aucune incidence particulière.

 

[21]           Le demandeur soutient également que la Commission n’a pas tenu compte du fait que les projets futurs de son épouse n’étaient pas arrêtés en ce qui concernait ses études de comptabilité. Quoi que cela puisse être vrai, le demandeur a bel et bien confirmé lorsqu’on le lui a demandé que son épouse souhaitait faire des études de comptabilité. Cela différait de ce que Mme Zheng a déclaré au sujet de leurs projets d’avenir, soit que le demandeur et elle allaient ouvrir ensemble un restaurant. Mme Zheng n’a pas même fait allusion à la comptabilité.

 

Était-il raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur était un témoin réticent?

 

[22]           Le demandeur soutient que c’était sans fondement que la Commission avait conclu qu’il était un témoin réticent, en faisant valoir que l’avocate du ministre avait cherché à l’intimider en lui posant des questions très pointues. La transcription permet bien de constater la frustration de  l’avocate à quelques reprises à l’audience. Mais c’est aller trop loin que de dire que le demandeur a été intimidé.

 

[23]           La Cour ne dispose pas d’une information adéquate pour évaluer si la Commission était fondée de conclure que le demandeur était un témoin récalcitrant. La Cour, en outre, n’a pas à intervenir face aux questions touchant l’appréciation des témoins par le tribunal administratif (Fletcher c. Société d’assurance publique du Manitoba, [1990] 3 R.C.S. 191, 116 N.R. 1; Aguebor c. (Canada) Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (C.A.F.) (1993), 160 N.R. 315, 42 A.C.W.S. (3d) 886, paragraphe 4).

 

[24]           Je ne vois donc aucune raison d’intervenir à l’égard de la décision de la SAI. La présente demande sera rejetée. Aucune question n’a été proposée en vue de sa certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5583-10

 

INTITULÉ :                                       GUO MING LU

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 mai 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 28 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nimanthika Kaneira

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

KRASSINA KOSTADINOV

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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