Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110628

Dossier : IMM-6211-10

Référence : 2011 CF 788

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

S. K.

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), relativement à la décision, datée du 4 octobre 2010, par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a rejeté la demande d’ERAR du demandeur.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur, âgé de 41 ans, est un citoyen du Sri Lanka d’origine tamoule. Il est arrivé au Canada le 8 juillet 2007 et a demandé l’asile peu après son arrivée. Il a par la suite été orienté vers la Section de l’immigration en vue de la tenue d’une enquête, qui a eu lieu le 9 décembre 2009 et le 11 février 2010.

 

[3]               Le 16 avril 2010, le demandeur a été déclaré interdit de territoire, en application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, pour cause d’appartenance à une organisation terroriste. Cette conclusion était fondée sur le récit de l’épouse du demandeur, récit qu’a accepté la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, à savoir que son époux avait été membre à temps plein des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET) de 1988 jusqu’à 2004 au moins et qu’il avait un nom de code. Elle a déclaré qu’il transportait à la fois des personnes et des armes, surtout au camp de Thundy, et qu’il avait combattu au front avant 1996. Elle a ajouté qu’il était autorisé à agir comme espion, qu’il avait été blessé à la poitrine par des éclats d’obus et qu’il était rémunéré par les TLET. Le demandeur nie ces allégations.

 

[4]               La Cour fédérale a rejeté, le 8 septembre 2010, une demande d’autorisation de contrôle judiciaire concernant cette décision. La demande d’ERAR du demandeur a été rejetée le 4 octobre 2010. Le 15 mars 2011, la Cour a sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur à Colombo, au Sri Lanka, qui était prévue pour le 22 mars 2011, en attendant que soit tranchée la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[5]               L’agent d’ERAR a conclu que le demandeur, dans le cadre de sa preuve documentaire, n’avait pas produit de rapports plus récents que ceux de 2010. Il a conclu que la preuve que le demandeur avait produite avait trait aux conditions en temps de guerre au Sri Lanka plutôt qu’à la situation postérieure à la guerre, plus récente et bien documentée. L’agent a également fait remarquer que le demandeur n’avait pas fourni un exposé personnel des expériences qu’il avait vécues ou des risques qu’il avait courus au Sri Lanka, pas plus qu’il n’avait dit qu’il avait été déclaré coupable ou accusé de crimes ou qu’il était recherché par la police ou l’armée dans un pays quelconque.

 

[6]               L’agent n’a pas voulu croire que le demandeur avait été gardé en détention des années durant par les autorités avant d’arriver au Canada, et il a conclu que le demandeur avait omis d’indiquer de quelle façon le fait d’être identifié par le Canada comme un ancien membre ou partisan des TLET pouvait être porté à la connaissance des autorités sri lankaises. Aucune preuve émanant d’Interpol, du SCRS ou du gouvernement sri lankais ne dénotait que le nom ou l’identité du demandeur étaient liés aux TLET. Enfin, rien ne semblait vraiment indiquer que le demandeur avait un profil susceptible d’intéresser les autorités s’il retournait au Sri Lanka.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[7]               Les questions soulevées dans la présente demande sont les suivantes :

 

1.      L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en prenant en considération le profil de risque du demandeur?

2.      L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en concluant qu’au Sri Lanka, on ne soupçonnerait pas le demandeur d’être un partisan des TLET?

3.      L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en se fondant sur la décision Sittampalam?

 

ANALYSE

 

La norme de contrôle applicable

 

[8]               Les décisions d’un agent d’ERAR doivent être contrôlées selon la norme de la raisonnabilité : Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437, 30 Admin. L.R. (4th) 131; Perea c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1173, aux paragraphes 22 à 24.

L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en prenant en considération le profil de risque du demandeur?

 

[9]               Le demandeur soutient qu’en examinant la version mise à jour du document du HCNUR intitulé Eligibility Guidelines for Assessing International Protection Needs of Asylum-Seekers from Sri Lanka (2010), daté de juillet 2010, l’agent a commis une erreur en faisant abstraction du fait qu’il avait le profil d’une personne exposée à un risque. La preuve indique que le nombre de personnes que les autorités gardent en détention au Sri Lanka diminue, mais ce nombre demeure élevé, et bien des personnes détenues ne sont pas des suspects importants.

 

[10]           L’agent n’a pas fait abstraction du risque que le demandeur puisse être maltraité en tant que présumé partisan des TLET. Il a reconnu que les Tamouls que l’on soupçonne de soutenir les TLET risquent d’être maltraités s’ils sont gardés en détention par les autorités sri lankaises et que le Service des enquêtes criminelles étudie de plus près le cas des demandeurs d’asile déboutés qui retournent au pays. Il a toutefois conclu qu’aucune preuve ne donnait à penser que les autorités considéreraient le demandeur comme un partisan des TLET, ou comme un partisan soupçonné d’avoir commis des crimes graves et qui s’exposerait au risque d’être détenu.

 

[11]           L’agent a fondé cette opinion en partie sur le fait que le demandeur n’avait pas fourni un exposé personnel des expériences qu’il avait vécues ou des risques qu’il avait courus au Sri Lanka, et qu’il avait indiqué n’avoir jamais été déclaré coupable ou accusé de crimes et n’avoir jamais été recherché par la police, l’armée ou d’autres autorités dans un pays quelconque. L’agent s’est également fondé sur l’amélioration de la situation au Sri Lanka depuis la fin de la guerre, telle qu’elle est décrite dans les lignes directrices du HCNUR ainsi que dans la UK Home Office Operational Guideline Note d’août 2009. Il s’agissait là de conclusions raisonnables, au vu des faits et des éléments de preuve dont disposait l’agent.

 

[12]           Le demandeur soutient par ailleurs que l’agent a commis une erreur en fondant l’évaluation de risque sur la présomption selon laquelle il était capable de mentir avec succès si on l’interrogeait. À cette fin, il invoque l’affaire Donboli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 883, 30 Imm. L.R. (3d) 49, à l’appui de la thèse selon laquelle il ne convient pas de fonder une évaluation de risque sur la présomption que l’intéressé mentira avec succès ou sera capable de mentir si on l’interroge. Il semble évident que, si le demandeur révèle le motif pour lequel sa demande d’asile a été rejetée, il s’exposera à un examen plus approfondi et à une détention probable au Sri Lanka.

 

[13]           Dans Donboli, il était question d’un citoyen de l’Iran qui prétendait figurer sur une liste de personnes à supprimer. Il avait quitté le pays illégalement et demandé l’asile du fait de ses opinions politiques. La Cour a conclu que la Commission avait commis une erreur de droit en omettant d’examiner si M. Donboli risquait de subir un traitement sévère ou extrajudiciaire de la part d’un régime répressif à cause de sa sortie illégale du pays et du fait qu’il avait été débouté de sa demande d’asile.

 

[14]           La décision Donboli ne s’applique pas directement à la présente espèce, premièrement parce que, ici, le demandeur n’a pas quitté le pays illégalement et n’a pas fourni de preuve indiquant qu’il était recherché par les autorités. Deuxièmement, l’erreur que la Commission a commise dans l’affaire Donboli n’a été soulignée que par sa conclusion selon laquelle M. Donboli avait une « bonne explication à fournir »; il ne s’agissait pas, en soi, d’une erreur cruciale. Voir : Rafipoor c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 615, au paragraphe 19.

 

[15]           Dans la présente affaire, la seule preuve qu’avait la Section de l’immigration à propos des activités prétendues du demandeur était les déclarations de l’épouse. Rien n’indique que les autorités sri lankaises seraient au courant de ces déclarations, car les procédures étaient confidentielles. L’agent a tenu manifestement compte du fait que le demandeur serait interrogé à son retour. Il n’était pas nécessaire de faire des conjectures à propos des informations que l’on obtiendrait à cette occasion ou de ce que le demandeur déciderait de dire.

 

L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en concluant qu’au Sri Lanka, on ne soupçonnerait pas le demandeur d’être un partisan des TLET?

 

[16]           D’après le demandeur, l’agent a commis une erreur en limitant cette partie de l’analyse aux informations que le gouvernement canadien communiquera aux autorités sri lankaises. À son retour au pays, les autorités l’interrogeront sur les activités qu’il a menées au Sri Lanka, ainsi qu’au Canada.

 

[17]           Bien qu’il soit raisonnable de présumer que les autorités sri lankaises interrogeront le demandeur à son retour, sa prétention selon laquelle il sera considéré comme un partisan des TLET et qu’il aura à mentir aux agents frontaliers au sujet du but de son retour n’est qu’une simple conjecture. Le demandeur n’a soumis aucune preuve à l’appui de sa prétention selon laquelle il allait devoir discuter des détails de sa demande d’asile déboutée au Canada. De plus, et comme l’a signalé l’agent, [traduction] « elles [les autorités sri lankaises] sont peut-être bien au courant que le requérant a présenté une demande d’asile, mais, à l’instar de nombreux Tamouls et non-Tamouls ayant vécu des années à l’étranger, rien n’indique vraiment que ce fait, en soi, présente, pour les rapatriés, un risque en cas de retour ». Il s’agissait là d’une conclusion logique.

 

[18]           Par ailleurs, l’agent a signalé avec raison que les audiences de la Section de l’immigration se déroulent en privé et que la décision par laquelle le demandeur a été déclaré interdit de territoire n’est pas accessible au public. Il n’existe non plus aucune preuve émanant d’Interpol, du SCRS ou du gouvernement sri lankais qui dénote que le nom et l’identité du demandeur sont liés aux TLET. Il était donc loisible à l’agent de conclure que rien ne semblait vraiment indiquer que le demandeur aurait un profil qui intéresserait les autorités s’il retournait au Sri Lanka.

 

L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en se fondant sur la décision Sittampalam?

 

[19]           Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en se fondant sur la décision Sittampalam c. Canada (Citizenship and Immigration), 2010 FC 562, 89 Imm. L.R. (3d) 280, comme preuve de la situation régnant dans le pays. Il invoque la décision Pathmanathan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 885, [2010] 3 R.C.F. 395, pour faire valoir qu’il n’y a pas lieu d’utiliser la jurisprudence comme preuve des conditions régnant dans un pays.

 

[20]           Dire de l’agent qu’il s’est fondé sur la décision Sittampalam serait une manière erronée de qualifier les conclusions de l’agent. Au début de la décision, ce dernier a tout d’abord analysé le risque auquel s’exposait le groupe ayant le profil du demandeur, soit les personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET, et il s’est ensuite reporté plus tard à la décision Sittampalam. Cela n’a été fait que pour renforcer l’idée qu’il avait été reconnu dans d’autres décisions récentes que les conditions liées à ce groupe avaient changé. L’agent ne se fondait pas sur cette décision comme une preuve des conditions régnant dans le pays.

 

[21]           La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question n’a été proposée en vue de la certification. Le demandeur a demandé que les présents motifs du jugement et jugement soient rendus anonymes en remplaçant son nom par des initiales dans l’intitulé. Le défendeur n’a pas pris position sur cette demande. Le principe de la publicité des débats exige habituellement que les noms des parties soient indiqués dans l’intitulé, mais les tribunaux ont reconnu des exceptions à ce principe, comme dans les cas où la décision contient des informations hautement personnelles ou ferait courir des risques à une partie. Vu la nature des éléments de preuve mentionnés plus tôt et la conclusion tirée, je souscrirai à la requête du demandeur en l’espèce.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.      la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      le nom du demandeur sera remplacé par des initiales dans l’intitulé des présents motifs du jugement et jugement;

3.      aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6211-10

 

INTITULÉ :                                       S.K.

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 28 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Martin Anderson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MICHEAL CRANE

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.