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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110630

Dossier : IMM-5603-10

Référence : 2011 CF 807

Ottawa (Ontario), ce 30e jour de juin 2011

En présence de l’honorable juge Lemieux

ENTRE :

Oswaldo Daniel LEON ALMAGUER

Adriana VILLEDA CHAVEZ

 

Demandeurs

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit ici d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27. Le tribunal a rejeté la demande d’asile et de protection des demandeurs, un couple marié de citoyenneté mexicaine, le 23 août 2010.

[2]          L’allégation principale du demandeur Oswaldo Daniel Leon Almaguer est qu’il est recherché par les agents de la police judiciaire à cause de son implication dans un mouvement social dont le but est d’aider les paysans de l’État d’Oaxaca contre les abus du gouvernement central.

 

[3]          Selon le tribunal, la question déterminante est de savoir « si les demandeurs ont fait le nécessaire dans les circonstances pour réclamer et obtenir la protection des autorités mexicaines, par rapport aux menaces qui pesaient sur eux, et aux agressions qu’ils allèguent avoir subies ». Le tribunal a jugé les demandeurs crédibles.

 

I.  Survol

[4]          Le demandeur témoigne avoir adhéré, en janvier 2006, à un mouvement solidaire d’appui à Oaxaca, s’occupant de la propagande et de la collecte de fonds dans la capitale du Mexique. Il a également participé aux manifestations dans la ville de Mexico, distribué des pamphlets dans le centre-ville et recueilli de l’argent auprès du public.

 

[5]          En janvier 2008, il s’aperçoit que la police judiciaire le surveille et recherche des renseignements à son égard auprès de ses collègues ainsi qu’à la direction de l’hôtel où il travaille. En mai 2008, le demandeur se dit menacé de mort à deux reprises s’il ne quitte pas le mouvement.

 

[6]          Le tribunal a questionné le demandeur afin de savoir s’il avait déposé une plainte auprès des autorités. L’échange se lit ainsi aux pages 175 et 176 du dossier du tribunal :

Q. Alors, c’est au mois de mai que vous pensez quitter, après la deuxième menace. Avez-vous pensé déclarer les événements à la police ou à d’autres autorités?

 

R. Mais monsieur, c’était eux-mêmes qui me recherchaient, qui étaient après moi, la police judiciaire. Comment pouvais-je aller prêter des déclarations auprès de la police judiciaire?

 

Q. Attendez, attendez, attendez. C’est pas ça ma question. Avez-vous pensé déclarer l’événement à quelqu’un ou chercher de l’aide?

 

R. Non.

 

Q. Pourquoi vous n’avez pas pensé à déclarer ces gens-là à des autorités? Ça peut être la police, ça peut être à des Commissions des droits de la personne au Mexique… Attendez. Pourquoi, pourquoi vous n’avez pas pensé à ça?

 

R. Parce que depuis que monsieur Felipe Calderon a pris le pouvoir au Mexique, il a criminalisé la lutte sociale et la police faisait exactement la même chose, ils n’auraient pas pu m’aider, au contraire.

 

Q. Mais pourquoi vous dites que la police peut pas rien faire?

 

R. La police n’allait rien faire, au contraire.

 

Q. Non, non, mais pourquoi vous dites qu’ils ne peuvent rien faire?

 

R. Parce que ce sont les policiers que je cherchais à dénoncer, donc je

 

Q. Alors, vous dites que la police ne fait rien au Mexique?

 

R. Contre la police, non. La police contre la police, non, on ne peut rien faire.

 

Q. Avez-vous pensé vous référer à d’autres organismes, comme des Commissions des droits de la personne?

 

R. J’y ai pensé, oui, au moment où je m’apprêtais pratiquement à voyager ici au Canada. Ce qui m’intéressait, c’était de jouir de la protection et de la sécurité pour moi et pour mes enfants, c’était donc de quitter le pays. Pardon, de ma femme. Pour moi et ma femme.

 

Q. Alors, vous avez pensé à la Commission des droits de la personne, mais vous n’avez rien fait?

 

R. Non, je n’ai rien fait. Parce que j’étais déjà…à ce moment-là, j’étais déjà sur le point de partir, je craignais que quelque chose puisse m’arriver déjà, là, qu’on puisse s’en prendre à moi, j’étais déjà (inaudible).

 

Q. Alors, vous n’avez fait aucune démarche auprès d’aucune organisation, ou police, ou autorité quelconque avant de quitter.

 

R. Non.

                                                                  (Je souligne.)

 

 

 

II.  La décision du tribunal

 

[7]          Le tribunal, au paragraphe 7 de sa décision, écrit :

. . . le tribunal se doit de se référer au principe de jurisprudence fort établi selon lequel un demandeur d’asile se doit d’avoir demandé la protection de son pays avant de s’adresser à la protection internationale. Sauf dans le cas de l’effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer qu’un État est capable de protéger ses citoyens. Cette présomption ne peut être renversée qu’au moyen d’une preuve « claire et convaincante » de l’incapacité de l’État d’assurer sa protection. La Cour d’appel fédérale a aussi indiqué qu’un demandeur d’asile doit aller plus loin que de simplement démontrer qu’il s’est adressé à certains membres du corps policier, et que ses démarches ont été infructueuses. « Plus les institutions de l’État sont démocratiques, plus le demandeur doit avoir cherché à épuiser tous les recours qui s’offrent à lui », peut-on lire dans l’arrêt Kadenko [c. Canada (Solicitor General) (1995), 32 Imm.L.R. (2d) 275 (C.F. 1re inst.)].

                                                                  (C’est moi qui souligne.)

 

 

 

[8]          Le tribunal rejette les explications du revendicateur principal et estime que ce dernier « n’a pas démontré qu’il avait agi de manière raisonnable en refusant d’initier une demande de protection auprès des autorités mexicaines. » Toujours selon le tribunal :

[10]     Le Mexique, bien qu’ayant certains problèmes de corruption, ne peut être décrit comme un pays où il y a effondrement complet de l’appareil étatique et où il est impossible d’obtenir protection de l’État.

 

 

[9]          À l’appui de cette affirmation, le tribunal énumère les mesures législatives prises pour combattre la corruption, la liste des organisations financières pour le gouvernement qui aident les personnes ayant de la difficulté à obtenir la protection de l’État, les recours offerts aux victimes de corruption par des fonctionnaires fédéraux, y compris les organismes auxquels il est possible de signaler de la corruption et sur la protection offerte par l’État, la possibilité de déposer une plainte auprès de la police dans un État différent de celui où le crime a été commis ainsi que la procédure a suivre pour déposer une plainte auprès du bureau du Procureur général fédéral.

 

[10]      Le tribunal s’inspire de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm.L.R. (2d) 130, pour conclure que le Mexique « fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens victimes ou menacés d’actes criminels » et, qu’en l’espèce, le demandeur n’avait pas renversé la présomption que les autorités mexicaines étaient en mesure de le protéger.

 

[11]      En dernier lieu, le tribunal conclut que les demandeurs pouvaient bénéficier d’une possibilité de refuge interne (« PRI »). Je remarque cependant que le tribunal n’a pas traité de la prétention du demandeur que la police pourrait le retrouver facilement au moyen de sa carte électorale.

 

[12]      Je note aussi que le tribunal n’a pas fait mention du fait que le demandeur avait indiqué que, le 29 mai 2008, alors qu’il vivait caché à Toluca, il avait essayé de contacter une organisation qui défend les droits humains pour le protéger mais les bureaux étaient fermés pour une semaine (notes au point d’entrée, dossier du tribunal, à la page 95).

 

III.  Prétentions des parties

[13]      Les parties invoquent une jurisprudence reconnue. D’une part, la prétention des demandeurs repose sur le principe qu’une démonstration que l’État ou la police est l’agent de persécution crée une exception en matière du droit des réfugiés qu’un revendicateur doit rechercher la protection de son pays avant de s’adresser à la protection internationale et dans ce contexte d’avoir raisonnablement épuisé tous les recours disponibles.

 

[14]      Ce principe découle de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, où le juge La Forest écrit, à la page 724 :

     Comme Hathaway, je préfère formuler cet aspect du critère de crainte de persécution comme suit : l’omission du demandeur de s’adresser à l’État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l’État [TRADUCTION] « aurait pu raisonnablement être assurée ». En d’autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l’expression « réfugié au sens de la Convention » s’il est objectivement déraisonnable qu’il n’ait pas sollicité la protection de son pays d’origine; autrement, le demandeur n’a pas vraiment à s’adresser à l’État.

                                                                  (Je souligne.)

 

 

 

[15]      Le juge La Forest avait précédemment indiqué qu’il n’était pas raisonnable qu’un demandeur d’asile doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d’un État simplement pour démontrer son inefficacité, ce qui serait le cas si l’État est l’agent persécuteur ou complice dans cette persécution.

 

[16]      Les demandeurs citent en autres les arrêts suivants : Zepeda c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 491; Soto c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 1183; Chaves c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 193; De Leon c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 1307; Nieves c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 497 et Yanez c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 1059.

 

[17]      D’autre part, le procureur du défendeur prétend que la décision du tribunal est bien fondée parce que les demandeurs n’ont pas pris toutes les mesures raisonnables pour rechercher la protection de l’État. Il soutient que le Mexique a réalisé qu’il existe dans ce pays un problème de corruption au niveau de la police, ce qui l’a incité à mettre en place des dispositifs efficaces. Il cite les causes sur lesquelles le tribunal s’est appuyé ainsi que les arrêts suivants : Valencia c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1136; Castaneda c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 393; Sanchez c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 696; Monroy c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 834 et Soto c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1654.

 

IV.  Analyse

[18]      Il est établi que les questions relatives au caractère adéquat de la protection de l’État constituent des questions mixtes de fait et de droit qui sont assujetties à la norme de la décision raisonnable (Hinzman c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CAF 171). L’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47, nous enseigne comment appliquer cette norme de contrôle :

. . . La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

 

[19]      Les questions de la possibilité de refuge interne sont des questions de fait. En vertu de l’arrêt Dunsmuir, ci-dessus, la norme de contrôle applicable est aussi celle de la décision raisonnable.

 

V.  Conclusion

[20]      Cette demande de contrôle judiciaire doit être accordée. J’estime que le problème soulevé par la décision du tribunal est qu’il a omis ou a mal apprécié la vraie nature de la crainte exprimée par les demandeurs – une crainte de persécution par l’État et sa police du fait que le demandeur principal appuyait un mouvement que l’État voulait réprimer. La jurisprudence est claire que, lorsque l’État ou la police est l’agent persécuteur, l’analyse sur la nécessité de rechercher la protection doit être adaptée en conséquence, ce que le tribunal n’a pas fait.

 

[21]      La décision du tribunal sur la PRI souffre de la même infirmité. Le tribunal n’a pas analysé si la police pouvait le retrouver dans le territoire de refuge interne si le demandeur principal continuait d’appuyer le mouvement.

 

[22]      La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie. La question d’importance suggérée par les demandeurs n’a aucune pertinence étant donné le résultat.

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision rendue le 23 août 2010 par un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est cassée et l’affaire est retournée à la Commission pour reconsidération par un tribunal différemment constitué.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5603-10

 

INTITULÉ :                                       Oswaldo Daniel LEON ALMAGUER, Adriana VILLEDA CHAVEZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Lemieux

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 30 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Dorin Cosescu                               POUR LES DEMANDEURS

 

Me Mario Blanchard                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dorin Cosescu                                                              POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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