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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110630

Dossier : IMM-5961-10

Référence : 2011 CF 797

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2011

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

TESSY DANIEL

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande porte sur la validité de la décision d’un agent des visas de refuser la demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire (demande CH) présentée par la demanderesse conformément à l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. La demande a été refusée par l’agent, et la Cour est appelée à procéder au contrôle judiciaire de cette décision.

 

Décision de l’agent

[2]               Après avoir exposé les arguments invoqués à l’appui de la demande CH ainsi que le point de vue de la demanderesse sur les risques liés à son renvoi, l’agent a commenté les éléments de preuve. Premièrement, la demanderesse affirme être de confession chrétienne et la veuve d’un homme dont la famille est musulmane. Il est allégué que la famille de son défunt époux a des relations et qu’elle a menacé la demanderesse et son fils pour ces motifs religieux. La demanderesse, cependant, n’a pas été jugée crédible lors de la première demande d’asile. Une première demande pour motifs d’ordre humanitaire (demande CH) a également été refusée. La demanderesse n’a donc pas été jugée crédible lorsqu’elle a demandé l’asile, car elle n’avait pas prouvé qu’elle était réellement veuve. Elle a maintenant établi son identité et souhaite faire reconnaître les mêmes motifs (soit les menaces faites par la famille de son époux et sa situation au Nigeria en tant que veuve et chrétienne). Dans son examen de la demande CH antérieure et de la demande d’ERAR, l’agent a jugé pertinent de se fonder sur les [traduction] « observations valables » de la Commission et sur la crédibilité de la demanderesse.

 

[3]               L’agent n’a pas cru que la demanderesse était veuve et que ce statut était source de « difficultés injustifiées ou démesurées ». S’appuyant sur ces conclusions, et ayant déterminé qu’elle n’était pas crédible sur ce point, l’agent a conclu que la demanderesse ne courait personnellement aucun risque par suite du décès de son mari prétendu. En outre, la demanderesse n’ayant pas prouvé qu’elle était mariée, l’agent n’a pas tenu compte du risque découlant de son mariage avec un musulman. La demanderesse n’a pas démontré qu’elle subirait de mauvais traitements du fait qu’elle est une femme parce qu’il s’agit d’un risque généralisé qui, selon la preuve présentée, ne la touche pas personnellement.

 

[4]               Deux lettres provenant d’églises du Nigeria et du Canada qui ont été produites par la demanderesse n’ont pas été jugées probantes parce qu’elles ne laissaient pas transparaître une connaissance indépendante des événements. De plus, la demande d’ERAR indiquait que la demanderesse avait utilisé la propriété de son époux comme garantie pour financer son voyage au Canada. Cette déclaration n’est pas compatible avec son allégation selon laquelle les veuves sont maltraitées et n’ont aucun droit de propriété au Nigeria.

 

[5]               En outre, la documentation produite établissait seulement l’existence de risques de violence généralisés au Nigeria, et l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré en quoi ce risque la touchait personnellement.

 

[6]               L’intérêt supérieur de l’enfant né au Canada a été pris en compte dans le contexte de la demande CH. Le fils de la demanderesse a subi une chirurgie au genou et a besoin de physiothérapie. Il est possible qu’il doive subir une chirurgie à l’autre genou. Il a été jugé que la physiothérapie et la possibilité d’une deuxième chirurgie forment des facteurs trop hypothétiques pour être acceptés comme motifs d’ordre humanitaire. Il a également été allégué qu’il n’est pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant de séparer ce dernier de sa mère. Un coordonnateur de clinique a fourni une lettre faisant état des conditions lamentables des écoles du Nigeria. L’agent a toutefois estimé qu’il n’avait pas été établi que cet enfant en particulier n’aurait pas accès à une éducation adéquate. Les difficultés éventuelles ne seraient pas démesurées.

 

[7]               Le fils de la demanderesse présente également un trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention, pour lequel il existe un traitement aujourd’hui. La demanderesse n’a cependant fait aucun effort pour démontrer les démarches particulières qu’elle a effectuées afin de déterminer quels services médicaux et éducatifs leur seraient offerts à elle et à son fils au Nigeria. Il n’a pas été prouvé que le traitement du THADA est coûteux ou non disponible au Nigeria. Le plan d’intervention proposé par l’école du fils a été jugé [traduction] « vague » et ne montre pas que les services requis ne sont pas disponibles au Nigeria.

 

[8]               En somme, la demanderesse a le choix d’emmener son fils avec elle si elle est renvoyée du pays, et le renvoi n’entraînerait pas des difficultés démesurées pour elle ou son fils. 

 

[9]               La demanderesse a fait valoir qu’elle est bien établie au pays, qu’elle possède une propriété et occupe un emploi. Elle s’implique auprès de son église et de ses amis. Ses compétences linguistiques sont suffisantes. L’agent a cependant déclaré qu’aucun de ces éléments ne lui occasionnerait une difficulté démesurée advenant un renvoi. La dispense de visa n’a donc pas été accordée. Il a été jugé que la demanderesse ne courait aucun risque par suite d’un renvoi.

 

Norme de contrôle

[10]           La demande CH est fondée sur l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

[11]           La demande CH vise à obtenir du ministre qu’il lève l’exigence habituelle voulant que la demande de résidence permanente soit faite à l’étranger. Lors du contrôle d’une décision CH, la Cour, dans son analyse, part du fait que la dispense sollicitée constitue une mesure exceptionnelle et discrétionnaire (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125). Dans Mirza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 50, au paragraphe 1, on trouve un commentaire éclairant du juge Shore concernant la nature de la demande CH :

La prise de décision dans les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire relève d’un pouvoir hautement discrétionnaire accordé au décideur, à qui il appartient de déterminer si une dispense se justifie dans un cas particulier. Il est généralement reconnu que ce n’est qu’à titre exceptionnel que peut être invoqué le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et que cette disposition n’est pas simplement un autre moyen d’obtenir le statut de résident permanent au Canada (Barrak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 962, 333 FTR 109, aux paragraphes 27 et 29; Doumbouya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1186, 325 FTR 186, au paragraphe 7; Pannu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1356, 153 ACWS (3d) 195, au paragraphe 26).

 

[12]           À cet égard, il est clair que la norme de contrôle applicable à l’étude d’une demande CH par un agent est la décision raisonnable (Mirza, précité; Hernandez Malvaez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 129).

 

Le risque objectif

[13]           Les motifs de persécution allégués par la demanderesse sont les mêmes que ceux invoqués à l’appui de la demande d’asile. Elle prétend être une veuve d’un mariage interconfessionnel. Elle allègue qu’à ce titre, elle serait victime de persécution au Nigeria, son pays natal. La demande d’asile a toutefois été rejetée au motif que la demanderesse manquait de crédibilité. Cette conclusion a ensuite été confirmée durant l’audience d’ERAR. L’agent a conclu qu’[traduction] « en l’absence d’éléments de preuve pour corroborer les allégations de fait quant aux difficultés auxquelles la demanderesse se trouverait personnellement exposée, les déclarations faites par la demanderesse au sujet du risque personnel ne sont toujours pas crédibles dans l’ensemble ». De plus, le risque allégué pour une célibataire au Nigeria a été considéré comme étant un risque généralisé, et la demanderesse n’a pas convaincu l’agent que ce risque la touchait personnellement.

 

[14]           Le fardeau d’établir le bien‑fondé d’une demande d’ERAR repose sur le demandeur (Hailu c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 229; Guergour c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1147). Contrairement à ce qu’a prétendu par écrit l’avocat de la demanderesse, une demande d’ERAR n’est pas un mécanisme permettant de réexaminer l’appréciation antérieure de la crédibilité de la demanderesse, que celle‑ci ait été jugée crédible ou non. Les conclusions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié concernant la crédibilité de la demanderesse dans sa demande d’asile n’ont pas fait l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour, pas plus que la demande CH précédente. Par conséquent, il n’est pas opportun de demander à la Cour de réexaminer ces conclusions pour déterminer si la demanderesse court un risque personnalisé en tant que veuve et chrétienne au Nigeria. Il ne s’agit pas ici de déterminer si les difficultés que vivent les veuves au Nigeria ont fait l’objet d’une analyse appropriée. Il se trouve plutôt que la demanderesse n’a pas prouvé qu’elle était réellement une veuve et ce, auprès de différentes instances.

 

[15]           L’agent a tiré des conclusions raisonnables au sujet du risque objectif découlant du renvoi. La Cour est convaincue que ces conclusions appartiennent « aux issues [...] acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Les conclusions tirées sont conformes au mandat de l’agent en tant que juge des faits, et aucune erreur susceptible de contrôle n’a été commise à cet égard. Par souci de clarté, il convient de répéter que l’ERAR n’est pas un mécanisme permettant de réexaminer une demande d’asile qui a été rejetée pour des motifs liés à la crédibilité (voir, par exemple, Nation-Eaton c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 294).

 

La décision CH

[16]           La décision que rend l’agent sur une demande CH est effectivement de nature discrétionnaire, mais l’importance d’un certain nombre de facteurs a été reconnue par la jurisprudence. Ces facteurs ont d’ailleurs été consignés dans le guide IP‑5 mis à la disposition des agents des visas. Il incombe au demandeur de prouver l’existence de « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées », un critère qui exclut les difficultés inhérentes au fait de quitter le Canada (Doumbouya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1186; Serda c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 356).

 

[17]           Lorsqu’il a évalué si le fait de demander un visa de résident permanent à l’étranger constitue une « difficulté inhabituelle et injustifiée ou démesurée » pour la demanderesse, l’agent a tenu compte des facteurs suivants : le degré d’établissement et d’intégration de la demanderesse au Canada; le risque qu’elle court au Nigeria; l’intérêt supérieur de son enfant né au Canada.

 

[18]           Le degré d’établissement de la demanderesse a été pris en compte dans la mesure où elle est propriétaire d’une maison conjointement avec son deuxième époux, duquel elle est maintenant séparée. Elle s’implique activement dans sa collectivité et auprès de son église, et elle occupe un emploi stable depuis 2005. L’agent a jugé que les renseignements concernant l’établissement, [traduction] « quoique favorables, ne montrent pas qu’un départ du Canada entraînera des difficultés démesurées pour la demanderesse ou n’importe qui d’autre ».

 

[19]           Comme le ministre l’a souligné, compte tenu de la nature exceptionnelle d’une demande CH, « [l]e fait que la demanderesse travaille à temps plein, paye ses impôts et soit appréciée de ses amis ne saurait donc suffire pour lui octroyer la résidence permanente sur cette base » (Quijano c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1232, au paragraphe 45). Il ressort en outre que l’établissement de la demanderesse, eu égard, notamment, à ses biens immobiliers, repose sur un statut précaire, soit celui d’une demanderesse d’asile déboutée. Sa première demande d’asile a été rejetée en 2005 et sa demande de prêt hypothécaire a été acceptée en 2008. Bien qu’ils s’inscrivent dans un contexte de sursis au renvoi, les commentaires formulés par le juge Shore dans Duran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 738, au paragraphe 48, sont pertinents en l’espèce :

Ultimement, la demanderesse et son conjoint connaissaient le statut précaire de la demanderesse lorsqu’ils auraient pris des engagements financiers, qui n’ont par ailleurs pas été prouvés devant la Cour, et ont pris leurs décisions en toute connaissance de cause. Dans les termes du Juge Paul Rouleau, ils l’ont fait à leurs propres risques :

[16]     Je ne vois pas en quoi le ministre aurait agi irrégulièrement ou aurait suscité des attentes chez le demandeur; si celui-ci a décidé de se marier alors que sa situation n’avait pas encore fait l’objet d’une décision favorable de la part des autorités canadiennes, c’est à ses propres risques, et non à ceux du ministre qui a l’obligation de faire respecter les lois du Canada.

(Banwait c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 522 (1e inst.) (QL).)

 

[20]           En l’espèce, les engagements financiers avaient été présentés en preuve à l’agent. Dans son examen du degré d’établissement cependant, l’agent a conclu que l’établissement et l’intégration de la demanderesse ne constituaient pas des facteurs déterminants dans la demande CH. Ses conclusions à cet égard sont raisonnables : aucun facteur important n’a été laissé de côté et la Cour ne doit pas apprécier de nouveau les facteurs qui ont été examinés par l’agent (voir, entre autres, Adams c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1193).

 

[21]           L’intérêt supérieur de l’enfant de la demanderesse a également été pris en compte. Il est bien établi que l’agent doit être « réceptif, attentif et sensible » à ces questions dans le cadre d’une demande CH. Dans Baker, précité, la Cour suprême a donné, au paragraphe 75, son point de vue sur l’appréciation de la question par l’agent :

[...] pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants. Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.

 

 

[22]           Aussi claire que soit cette directive, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont dû nuancer la position de la Cour suprême sur l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant dans les demandes CH. C’est dans cette optique que la Cour d’appel fédérale a formulé le commentaire suivant dans Legault, précité, au paragraphe 12 :

[...]  La présence d’enfants, contrairement à ce qu’a conclu le juge Nadon, n’appelle pas un certain résultat. Ce n’est pas parce que l’intérêt des enfants voudra qu’un parent qui se trouve illégalement au Canada puisse demeurer au Canada (ce qui, comme le constate à juste titre le juge Nadon, sera généralement le cas), que le ministre devra exercer sa discrétion en faveur de ce parent. Le Parlement n’a pas voulu, à ce jour, que la présence d’enfants au Canada constitue en elle-même un empêchement à toute mesure de refoulement d’un parent se trouvant illégalement au pays (voir Langner c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1995), 29 C.R.R. (2d) 184 (C.A.F.), permission d’appeler refusée, [1995] 3 R.C.S. vii).

 

 

[23]           Par conséquent, dans une demande CH, l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas considéré comme un facteur déterminant, mais il s’agit d’un élément important que l’agent doit examiner avec soin (Legault, précité; Garcia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 677; Hussain c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 334). Par ailleurs, il incombe à la demanderesse de produire les éléments de preuve établissant le bien‑fondé de sa demande CH (Sharma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1006; Barrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 962; Owusu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CAF 38). 

 

[24]           À cet égard, il ne peut être allégué que l’agent a complètement fait fi ou n’a pas par ailleurs tenu compte de la preuve produite relativement à l’intérêt supérieur de l’enfant né au Canada, et en particulier à ses besoins sur le plan médical. Il s’agit ici de déterminer si les conclusions appartiennent aux « issues acceptables au regard des faits et du droit », parce que l’agent n’a pas manqué à son obligation d’équité en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents.

 

[25]           Il s’ensuit que la Cour doit se prononcer sur la façon dont l’agent a apprécié les éléments de preuve présentés à l’appui des problèmes de santé de l’enfant. Les éléments de preuve suivants établissent, selon la demanderesse, le bien‑fondé de la demande CH :

a.       L’enfant est atteint d’un trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention (THADA). Il prend des médicaments pour traiter ce trouble.

b.      Le THADA de l’enfant requiert également un [traduction] « plan d’intervention » de son école. Ce plan d’intervention précise les besoins de l’enfant, notamment le besoin d’être aimé, apprécié et estimé et d’avoir des amis.

c.       Une lettre de Mission communautaire de Montréal, présentée en preuve, aborde plusieurs des motifs invoqués à l’appui de la demande CH. La lettre fait également état des répercussions probables d’une séparation sur l’enfant si sa mère est renvoyée du pays. On y trouve aussi des statistiques concernant les services de santé et d’éducation au Nigeria.

d.      Pour prouver la piètre condition alléguée des services de santé et d’éducation du Nigeria, des rapports d’organisations internationales ont été produits ainsi que des statistiques pertinentes sur l’état lamentable des services d’éducation et de santé. D’autres rapports plus récents soulignent une certaine amélioration à cet égard.

e.       Des lettres de deux médecins qui expliquent les troubles médicaux du fils. Son souffle cardiaque est jugé bénin. Il [traduction] « pourrait » avoir besoin d’une chirurgie au genou gauche, et son genou droit a nécessité une chirurgie et de la physiothérapie.

 

[26]           Il est reconnu que l’enfant s’est presque entièrement rétabli de la chirurgie au genou droit. Des renseignements récents sur les traitements actuels de physiothérapie n’ont pas été présentés. L’élément de preuve le plus précis concernant les soins de santé additionnels requis pour les genoux indique que l’enfant commence à ressentir de la douleur au genou gauche, mais il n’y a pas de diagnostic ni de pronostic. Selon une lettre datée du 8 juin 2010 provenant de l’un des médecins traitants, [traduction] « des examens sont en cours » afin de déterminer si le même problème qui a nécessité une chirurgie au genou droit pourrait toucher le genou gauche. L’agent a conclu que la probabilité d’une intervention au genou gauche n’avait pas été établie. En outre, le besoin de physiothérapie n’est pas [traduction] « assez précis pour prouver qu’un traitement de ce genre serait nécessaire après le départ de la demanderesse du Canada, et même s’il devenait nécessaire suivant le retour au Nigeria, la demanderesse n’a pas dûment établi qu’elle ne pourrait avoir accès aux services requis pour son enfant, si elle décidait d’emmener Ayomide avec elle au Nigeria ». De plus, selon l’agent, la demanderesse n’a pas prouvé que le médicament requis pour traiter le THADA n’est pas disponible au Nigeria.

 

[27]           En somme, l’agent semble avoir conclu que la demanderesse n’a pas établi le caractère personnel de sa demande CH au moyen d’éléments de preuve applicables à sa situation et aux besoins de son fils. Il n’a pas été démontré que les services de santé et d’éducation particuliers jugés nécessaires ne sont pas accessibles au Nigeria. La preuve produite au sujet du traitement courant et futur n’a pas été jugée satisfaisante par l’agent, parce qu’elle était vague et hypothétique. De plus, l’agent a indiqué que même si le renvoi de la demanderesse est exécutoire, l’enfant est né au Canada et peut demeurer au pays.

 

[28]           Cette décision est raisonnable. Encore une fois, la Cour ne peut réexaminer les éléments de preuve qui ont été présentés à l’agent. Il ne fait aucun doute que la preuve a été prise en considération et analysée, mais elle n’a pas été jugée suffisamment claire pour justifier la prise de la mesure exceptionnelle demandée pour motifs d’ordre humanitaire. Il incombe à la demanderesse d’établir le caractère personnel de sa demande. L’agent a conclu qu’elle n’avait pas démontré en quoi la preuve s’appliquait particulièrement à sa situation et à celle de son enfant. Il n’appartient évidemment pas à l’agent de déduire quels éléments de preuve s’appliquent au cas du demandeur. Par exemple, des statistiques générales sur les soins de santé ne dégagent pas le demandeur du fardeau de préciser la nature des soins requis, ce dont la demanderesse ne s’est pas acquittée à la satisfaction de l’agent. Il en va de même pour les besoins de l’enfant sur les plans médical et scolaire. Il importe ici de souligner que l’enfant peut demeurer au Canada de plein droit.

 

[29]           Comme l’avocate du ministre l’a fait remarquer à la Cour, l’examen de la demande CH vise à déterminer non pas si le demandeur est un candidat idéal à l’immigration, mais si les circonstances du cas justifient la levée de l’obligation d’obtenir un visa à l’étranger. Par souci d’équité envers tous les autres demandeurs à l’étranger, et pour une application équitable de la LIPR, il était raisonnable de la part de l’agent de ne pas accorder à la demanderesse une dispense pour motif d’ordre humanitaire.

 

Proposition de question pour certification et jugement déclaratoire

[30]           L’avocat de la demanderesse souhaite faire certifier la question suivante :

[traduction] Les garanties énoncées aux articles 23 et 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques quant à la protection de la famille et la protection de l’enfant rendent-elles obligatoire l’acceptation de demandes de résidence fondées sur des motifs d’ordre humanitaire lorsqu’un conjoint ou des enfants canadiens sont touchés par la décision en l’absence de facteurs défavorables d’envergure?

 

[31]           Essentiellement, il est allégué que la séparation d’une famille constitue une violation du droit international, qu’une juste importance doit donc être accordée au facteur d’ordre humanitaire qu’est la vie familiale et qu’une telle décision est conforme aux obligations internationales du Canada.

 

[32]           L’avocate du ministre remarque que cette question a déjà été proposée par le même avocat dans Choudhary c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 412. Le juge Lagacé a tranché la question en citant les arrêts applicables en la matière, soit Legault et Langner, précités, et Baker, précité. Le juge Lagacé a clairement établi que « la présence d’enfants canadiens n’impose pas un certain résultat dans le cadre d’une demande présentée en vertu de l’article 25 de la Loi ».

 

[33]           La question proposée tente d’abolir des principes bien établis en droit de l’immigration, comme la nature discrétionnaire et exceptionnelle des demandes CH. À cet égard, l’orientation fournie par les arrêts précités et l’intention de la loi sont suffisamment claires pour qu’un poids approprié soit accordé à l’intérêt supérieur des enfants dans le cadre d’une demande CH. La question proposée pour certification laisse également sous‑entendre que la LIPR pose des principes qui ont été rejetés par les tribunaux et, plus important encore, par le législateur. La même conclusion s’applique à la demande de jugement déclaratoire.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Simon Noël »

Juge

                                                                                                             

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5961-10

 

INTITULÉ :                                       TESSY DANIEL c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE S. NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 30 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stewart Istvanffy

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Patricia Nobl

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart Istvanffy

1450, rue City Councillors

Bureau 450

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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