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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110705


Dossier : IMM-4434-10

Référence : 2011 CF 818

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 5 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

VIRGINIA MIHURA TORRES

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Introduction

[1]                L’immigration est un privilège, et non un droit (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711). Il incombe à la personne qui demande la résidence permanente de démontrer qu’elle a droit à un visa. Le demandeur a également la responsabilité de fournir les renseignements et les documents requis à l’appui de sa demande (Baybazarov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 665, aux paragraphes 11 et 12).

 

[2]                La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) et le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR) établissent clairement les exigences auxquelles le demandeur doit satisfaire pour pouvoir immigrer au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Le demandeur doit prouver qu’il possède l’expérience de travail requise dans la profession qu’il souhaite exercer au Canada.

 

[3]                Dans la présente affaire, une lettre datée du 19 mars 2010 a été envoyée à la demanderesse. Conformément au cadre législatif, cette lettre invitait la demanderesse à fournir des lettres d’emploi et une description de travail de son employeur (dossier du tribunal [DT], à la page 16). En réponse à cette lettre, la demanderesse a déposé des documents et fourni les renseignements requis concernant ses antécédents professionnels et son expérience. Il s’agit de déterminer si les renseignements fournis répondent de façon satisfaisante aux exigences prescrites par la Loi.

 

II.  Procédure judiciaire

[4]                Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 21 juillet 2010 par un agent d’immigration du Centre de traitement des demandes pilote d’Ottawa (le CTDP‑O), de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC). La décision précise que la demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) a été refusée en application du paragraphe 11(1) de la LIPR, parce que la demanderesse a fourni une seule lettre de recommandation d’un ancien employeur qui ne contient aucun détail au sujet de ses fonctions.

 

III.  Contexte

[5]                La demanderesse, Mme Virginia Mihura Torres, est une citoyenne du Venezuela âgée de 33 ans. Elle connaît l’anglais et détient une maîtrise en administration des affaires ainsi qu’un baccalauréat en sciences administratives. La demanderesse prétend avoir accumulé plus de cinq années continues d’expérience de travail à temps plein à Caracas, au Venezuela, en tant que directrice de la planification financière et de la rentabilité chez Sodexho, société multinationale d’installations et de services alimentaires.

 

[6]                Le 23 mars 2007, la demanderesse a présenté à l’ambassade du Canada à Caracas une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), et elle a reçu un accusé de réception le 4 avril 2007. La lettre de l’ambassade indique ce suit : [traduction] « Votre dossier ne sera pas traité avant 36 mois environ. » (Dossier de la demanderesse [DD], à la page 20.) La lettre précise aussi que la demanderesse doit fournir des [traduction] « [l]ettres de recommandation / lettres de confirmation d’emploi originales » ainsi qu’une [traduction] « [d]escription détaillée [de ses] responsabilités professionnelles (passées et courantes) » (DD, à la page 24).

 

[7]                Le 30 septembre 2008, l’ambassade du Canada à Caracas a écrit à la demanderesse pour l’inviter à produire des formulaires et des documents à l’appui de sa demande, notamment des [traduction] « [l]ettres de recommandation / lettres de confirmation d’emploi », ainsi qu’une [traduction] « [d]escription détaillée [de ses] responsabilités professionnelles (passées et courantes) » (DD, à la page 28). La lettre précise qu’à défaut de recevoir les renseignements requis, l’agent d’immigration [traduction] « ne peut conclure qu[e la demanderesse] répond aux critères de sélection et d’admissibilité ». La lettre explique aussi que les documents qui ne sont pas rédigés dans l’une des langues officielles du Canada doivent être accompagnés d’une traduction certifiée faite par un traducteur agréé.

 

[8]                Entre les mois de septembre 2008 et juin 2009, l’avocate de la demanderesse a demandé pour ses [traduction] « nombreux clients du Venezuela » une dispense de l’obligation de faire traduire les documents rédigés en espagnol (DD, mémoire des faits et du droit, au paragraphe 5). Le 2 juin 2009, l’avocate de la demanderesse a reçu du gestionnaire du programme d’immigration un courriel l’avisant que ses clients étaient dispensés de l’exigence relative à la traduction et qu’elle disposait d’un délai de 120 jours pour produire les documents requis (DD, à la page 36).

 

[9]                La demanderesse allègue que, le 6 août 2009, elle a déposé les formulaires et les documents non traduits à l’appui de sa demande à l’ambassade du Canada à Caracas.

 

[10]            Le 19 mars 2010, l’ambassade du Canada à Caracas a envoyé une lettre à la demanderesse, lui demandant encore une fois de transmettre au CTDP‑O, dans un délai de 120 jours, les formulaires et documents requis à l’appui de sa demande.

 

[11]            Le 15 juillet 2010, la demanderesse a envoyé les formulaires et documents requis à l’appui de sa demande au CTDP‑O.

 

[12]            Après examen de la demande au CTDP‑O, l’agent a conclu que la demanderesse ne remplissait pas les conditions d’immigration au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Une lettre de refus a été envoyée par courrier électronique le 21 juillet 2010.

IV.  Décision faisant l’objet du contrôle

[13]            Selon l’agent d’immigration, comme les lettres d’emploi présentées au nom de la demanderesse ne contenaient aucun détail au sujet de ses fonctions réelles au lieu de travail, il ne pouvait établir que la demanderesse satisfaisait aux exigences de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Il a conclu que Mme Mihura Torres n’avait pas qualité de travailleur qualifié parce qu’il n’était pas convaincu qu’elle avait rempli les première, deuxième et troisième conditions énoncées au paragraphe 75(2) de la LIPR :

[traduction] […] [V]ous avez fourni une seule lettre de recommandation d’un ancien employeur (Sodexho), et la lettre ne donne aucun détail sur vos fonctions. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que vous avez rempli les fonctions de directrice de la planification financière (CNP 0111), selon la description fournie dans la CNP (Classification nationale des professions). Je ne suis donc pas convaincu que vous possédez au moins une année d’expérience de travail à plein temps dans une profession appartenant aux genre de compétence O ou niveaux de compétence A ou B, tel qu’il est requis pour faire une demande à titre de travailleur qualifié (fédéral). (Décision de l’agent d’immigration, DD, à la page 4.)

 

V.  Position des parties

[14]            La demanderesse affirme qu’elle veut fuir la tourmente politique et économique qui existe au Venezuela et commencer une nouvelle vie au Canada, réunie avec sa sœur. Elle soutient que l’agent d’immigration a commis une erreur de droit lorsqu’il a rendu sa décision parce qu’il a manqué à son obligation d’équité procédurale.

 

[15]            Selon la demanderesse, l’agent d’immigration s’est fondé davantage sur les instructions fournies dans une lettre de l’ambassade du Canada à Caracas (la lettre datée du 19 mars 2010) que sur les exigences de la LIPR et du RIPR. À cet égard, la demanderesse soutient que l’agent n’a pas rendu une décision indépendante sur le bien‑fondé de sa demande en raison des contraintes imposées par les directives strictes énoncées dans la lettre de l’ambassade du Canada à Caracas.

 

[16]            La demanderesse souligne qu’elle a attendu plus de trois ans pour connaître la décision sur sa demande et que l’agent ne lui a jamais offert la possibilité de dissiper les doutes qu’il avait au sujet de son expérience de travail et de sa capacité à satisfaire aux exigences de la fonction de directrice de la planification financière, décrite dans la Classification nationale des professions (la CNP). La demanderesse mentionne qu’elle n’a jamais reçu un courriel, une télécopie ou une lettre de l’agent du CTDP‑O l’invitant à dissiper les doutes qui ont motivé son refus.

 

[17]            La demanderesse soutient également que sa demande n’a pas été traitée de la même façon que d’autres demandes semblables et qu’elle n’a pas bénéficié d’un traitement juste et équitable. Elle fait valoir que la façon dont l’agent d’immigration a traité sa demande a donné lieu à de multiples violations des principes d’équité procédurale qui ont nui à son appréciation, privant ainsi le Canada d’une immigrante hautement qualifiée, précisément le type d’immigrant que le pays cherche à attirer.

 

[18]            Le défendeur affirme que l’agent d’immigration n’a commis aucune erreur et que la demanderesse n’a pas prouvé que l’intervention de la Cour était justifiée.

 

VI.  Questions en litige

[19]            La demanderesse soumet les trois questions suivantes :

(1) L’agent a‑t‑il manqué aux principes d’équité procédurale parce qu’il a, à tort, restreint son pouvoir discrétionnaire en tenant compte de la lettre d’instructions concernant la transmission la demande au CTDP‑O à l’exclusion d’autres facteurs pertinents?

(2) CIC a‑t‑il enfreint les principes d’équité procédurale parce qu’il n’a pas fait preuve de diligence dans le traitement de la demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral)?

(3) L’agent a‑t‑il manqué aux principes d’équité procédurale parce qu’il n’a pas traité le dossier de la demanderesse de la même façon que d’autres demandes semblables?

 

[20]            Pour sa part, le défendeur souhaite que la Cour tranche les deux questions suivantes :

(1) Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale en l’espèce?

(2) La décision de l’agent d’immigration était‑elle raisonnable?

 

[21]            Le défendeur soulève une question préliminaire, faisant valoir que la demanderesse fait référence à de nouveaux éléments de preuve qui n’ont pas été présentés à l’agent d’immigration.

 

[22]            La Cour se prononcera sur l’ensemble des questions de la manière qu’elle jugera appropriée pour régler le fondement même de l’affaire en effectuant une analyse globale (reconnaissant que certains aspects sont non pertinents pour les questions se trouvant au cœur du litige).

 

VII.  Dispositions législatives pertinentes

[23]            Conformément au paragraphe 11(1) de la LIPR, l’agent d’immigration a le pouvoir discrétionnaire de délivrer un visa à l’étranger qui n’est pas interdit de territoire et qui se conforme à la LIPR.

Formalités préalables à l’entrée

 

Visa et documents

 

 

11.      (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

Requirements Before Entering Canada

 

Application before entering Canada

 

11.      (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

 

 

[24]            L’article 75 et le paragraphe 76(1) du RIPR sont directement pertinents en l’espèce. En voici le libellé :

 

Travailleurs qualifiés (fédéral)

 

Catégorie

 

75.      (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada, qui sont des travailleurs qualifiés et qui cherchent à s’établir dans une province autre que le Québec.

 

 

 

Qualité

 

(2) Est un travailleur qualifié l’étranger qui satisfait aux exigences suivantes :

 

a) il a accumulé au moins une année continue d’expérience de travail à temps plein au sens du paragraphe 80(7), ou l’équivalent s’il travaille à temps partiel de façon continue, au cours des dix années qui ont précédé la date de présentation de la demande de visa de résident permanent, dans au moins une des professions appartenant aux genre de compétence 0 Gestion ou niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions — exception faite des professions d’accès limité;

 

b) pendant cette période d’emploi, il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession dans les descriptions des professions de cette classification;

 

 

c) pendant cette période d’emploi, il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession figurant dans les descriptions des professions de cette classification, notamment toutes les fonctions essentielles.

 

Exigences

 

(3) Si l’étranger ne satisfait pas aux exigences prévues au paragraphe (2), l’agent met fin à l’examen de la demande de visa de résident permanent et la refuse.

 

 

 

Critères de sélection

 

76.      (1) Les critères ci-après indiquent que le travailleur qualifié peut réussir son établissement économique au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) :

 

 

a) le travailleur qualifié accumule le nombre minimum de points visé au paragraphe (2), au titre des facteurs suivants :

 

 

 

 

(i) les études, aux termes de l’article 78,

 

 

(ii) la compétence dans les langues officielles du Canada, aux termes de l’article 79,

 

(iii) l’expérience, aux termes de l’article 80,

 

 

(iv) l’âge, aux termes de l’article 81,

 

(v) l’exercice d’un emploi réservé, aux termes de l’article 82,

 

 

(vi) la capacité d’adaptation, aux termes de l’article 83;

 

b) le travailleur qualifié :

 

(i) soit dispose de fonds transférables — non grevés de dettes ou d’autres obligations financières — d’un montant égal à la moitié du revenu vital minimum qui lui permettrait de subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille,

 

 

(ii) soit s’est vu attribuer le nombre de points prévu au paragraphe 82(2) pour un emploi réservé au Canada au sens du paragraphe 82(1).

Federal Skilled Worker Class

 

 

Class

 

75.      (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the federal skilled worker class is hereby prescribed as a class of persons who are skilled workers and who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who intend to reside in a province other than the Province of Quebec.

 

 

 

Skilled workers

 

(2) A foreign national is a skilled worker if

 

 

(a) within the 10 years preceding the date of their application for a permanent resident visa, they have at least one year of continuous full-time employment experience, as described in subsection 80(7), or the equivalent in continuous part-time employment in one or more occupations, other than a restricted occupation, that are listed in Skill Type 0 Management Occupations or Skill Level A or B of the National Occupational Classification matrix;

 

 

 

 

(b) during that period of employment they performed the actions described in the lead statement for the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification; and

 

 

(c) during that period of employment they performed a substantial number of the main duties of the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification, including all of the essential duties.

 

Minimal requirements

 

(3) If the foreign national fails to meet the requirements of subsection (2), the application for a permanent resident visa shall be refused and no further assessment is required.

 

 

 

Selection criteria

 

76.      (1) For the purpose of determining whether a skilled worker, as a member of the federal skilled worker class, will be able to become economically established in Canada, they must be assessed on the basis of the following criteria:

 

(a) the skilled worker must be awarded not less than the minimum number of required points referred to in subsection (2) on the basis of the following factors, namely,

 

 

(i) education, in accordance with section 78,

 

(ii) proficiency in the official languages of Canada, in accordance with section 79,

 

(iii) experience, in accordance with section 80,

 

(iv) age, in accordance with section 81,

 

(v) arranged employment, in accordance with section 82, and

 

(vi) adaptability, in accordance with section 83; and

 

(b) the skilled worker must

 

(i) have in the form of transferable and available funds, unencumbered by debts or other obligations, an amount equal to half the minimum necessary income applicable in respect of the group of persons consisting of the skilled worker and their family members, or

 

(ii) be awarded the number of points referred to in subsection 82(2) for arranged employment in Canada within the meaning of subsection 82(1).

 

VIII.  Norme de contrôle

[25]            Dans Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 41, 155 A.C.W.S. (3d) 168, la Cour a confirmé que la décision correcte est la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale ou de justice naturelle (au paragraphe 10). S’il y a manquement à l’obligation d’équité, la décision de l’instance administrative doit être annulée.

[26]            En ce qui concerne la décision discrétionnaire de l’agent d’immigration, la Cour doit faire preuve d’une retenue considérable lorsqu’elle examine l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire; la norme de contrôle applicable est donc la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, et Hanif c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 68, 176 A.C.W.S. (3d) 509.

 

IX.  Analyse

Nouveaux éléments de preuve

[27]            Le défendeur soutient que la demanderesse s’appuie sur de nouveaux éléments de preuve qui n’ont pas été présentés à l’agent d’immigration.

1)      Une description détaillée des fonctions que la demanderesse remplit pour son employeur, Sodexho. (Ce document n’est pas daté, mais la traduction certifiée est datée du 29 juillet 2010, date postérieure à l’examen de la demande.);

 

2)      Des allégations portant qu’il est difficile d’obtenir des lettres d’emploi détaillées au Venezuela, et que, selon ce que comprend la demanderesse, l’ambassade du Canada accepte des lettres non descriptives.

 

3)      Des renseignements concernant la sœur de la demanderesse, Marifran Mihura, qui a obtenu la résidence permanente au Canada en 2009, un affidavit de la sœur signé le 14 septembre 2009, ainsi que des affidavits de Luis Angel Soto Rosal et de M. Alexander Adolfo [] Rendon Barroso, autres clients de l’avocate de la demanderesse qui ont obtenu la résidence permanente au Canada;

 

 

 

4)      Des allégations selon lesquelles un autre client de l’avocate de la demanderesse a eu la possibilité de dissiper les doutes de l’agent d’immigration.

 

(Mémoire supplémentaire du défendeur, au paragraphe 20.)

 

[28]            Le défendeur souligne que, sauf circonstances exceptionnelles, les éléments de preuve qui n’ont pas été présentés au décideur ne sont pas admissibles en Cour lors d’un contrôle judiciaire (Bekker c. Canada, 2004 CAF 186, 2004 DTC 6404, au paragraphe 11).

[29]            Les allégations et les renseignements qui concernent la sœur de la demanderesse ne constituent pas nécessairement de nouveaux éléments de preuve en tant que tels; il revient à la Cour de déterminer le poids qu’elle y accordera.

 

[30]            Quant à la description des fonctions de la demanderesse chez l’employeur Sodexho, la demanderesse soutient que, lorsqu’elle a appris que sa demande à titre de travailleur qualifié était refusée, elle a obtenu une description de ses responsabilités professionnelles actuelles (mémoire de la demanderesse en réplique, au paragraphe 16).

 

Équité procédurale

[31]            Dans une affaire portant sur l’obligation de l’agent d’informer le demandeur de ses doutes, la Cour a confirmé que le décideur n’a aucune obligation de la sorte :

[37]      Je partage l’avis du défendeur sur cette question. Il ressort clairement du dossier que l’agente a posé de nombreuses questions à la demanderesse et lui a donné de nombreuses occasions de décrire son expérience de travail, les tâches de son emploi, etc. Il est également bien établi qu’un agent n’est pas tenu de faire part à un demandeur de ses doutes ou de donner à un demandeur l’occasion de dissiper ces doutes : Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. n940 (C.F. 1re inst.). Il incombe au demandeur de fournir tous les renseignements exigés dans une demande de cette nature. La Cour dans Aqeel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 1498, a confirmé cette affirmation de la manière suivante :

 

 

12.        De plus, il incombe au demandeur de démontrer quels sont les facteurs pertinents dont il faut tenir compte dans l’évaluation afin que l’agent puisse justifier qu’il existe des motifs humanitaires pertinents (Guide IP 5 : Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (le Guide), Citoyenneté et Immigration Canada, 5.29). Le juge Evans, au nom de la Cour d’appel fédérale dans Owusu c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2004] A.C.F. no 158, 2004 CAF 38, a écrit au paragraphe 8 :

 

[...] Et, puisque le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose, c’est à ses risques et périls qu’il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1189, 172 A.C.W.S. (3d) 195.)

 

Question additionnelle – les nouvelles règles

[32]            La demanderesse a également déclaré que la lettre du 19 mars 2010 n’est pas conforme au cadre législatif, parce qu’il y est clairement indiqué que le dossier de la demanderesse a été transmis au CTDP‑O pour accélérer le traitement de sa demande, dans le cadre du Plan d’action pour accélérer l’immigration du gouvernement du Canada. Selon la demanderesse, sa demande a été examinée au regard des nouvelles règles établies sous le Plan d’action pour accélérer l’immigration, lesquelles ne doivent s’appliquer qu’aux demandes de travailleurs qualifiés (fédéral) reçues depuis le 27 février 2008, alors que toutes les demandes présentées avant cette date doivent être traitées sous le régime des règles en vigueur à ce moment‑là. La demanderesse répète que sa demande au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) a été présentée le 4 avril 2007.

 

[33]            Le défendeur maintient pour sa part que les nouvelles règles n’ont pas été appliquées au cas de la demanderesse. Le défendeur a présenté en preuve l’affidavit de M. James McNamee, directeur intérimaire à CIC qui connaît très bien le contexte de politique et de programme qui sous‑tend le Plan d’action pour accélérer l’immigration. M. McNamee a confirmé que, comme la demande visée a été reçue le 4 avril 2007, elle a été examinée au regard des conditions de recevabilité qui étaient en place avant l’entrée en vigueur des instructions ministérielles.

La décision de l’agent d’immigration était‑elle raisonnable?

[34]            La demanderesse soutient que le titre du poste de gestion qu’elle occupe chez Sodexho indique implicitement en quoi consistent ses fonctions. Elle affirme également que le régime en place au Venezuela n’est clairement pas favorable aux affaires et a créé un climat où la sécurité d’emploi est toujours précaire et ne peut être tenue pour acquise. Selon la demanderesse, le fait de demander une lettre d’emploi faisant état des fonctions liées au poste, selon les exigences du CTDP‑O, a souvent pour effet de soulever des doutes au sujet de la loyauté de l’employé et pourrait constituer un motif de renvoi.

 

[35]            La demanderesse affirme en outre que l’agent d’immigration n’a pas examiné chacun des documents qui accompagnaient sa demande. L’agent d’immigration fait référence à [traduction] « une seule lettre de recommandation d’un ancien employeur (Sodexho), et la lettre ne donne aucun détail ». La demanderesse soutient toutefois qu’elle a produit une lettre de Televen datée du 11 mars 2005 et une lettre de RCTV datée du 1er novembre 2006. Tous ces documents ne constituent pas, selon elle, de nouveaux éléments de preuve. (Mémoire de la demanderesse en réplique, au paragraphe 6.)

 

[36]            La Cour souligne également que la lettre datée du 19 mars 2010 invitait la demanderesse à fournir des lettres d’emploi donnant des précisions au sujet des fonctions réelles exécutées. La lettre mentionnait aussi que le CTDP‑O [traduction] « […] n’est aucunement tenu de demander d’autres lettres d’emploi détaillées » (DT, à la page 14).

 

[37]            À première vue, la présente affaire ne semble pas appartenir à la catégorie des cas où il existerait une obligation de donner au demandeur la possibilité de dissiper les doutes de l’agent d’immigration. La Cour reconnaît parfaitement qu’il incombe à la personne qui demande la résidence permanente au Canada de fournir des renseignements adéquats et suffisants à l’appui de sa demande (Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 121, 164 A.C.W.S. (3d) 855, au paragraphe 14; Nabin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 200, 165 A.C.W.S. (3d) 341, au paragraphe 7). Toutefois, il est certainement évident que la demanderesse avait fourni plus de renseignements que ce que l’agent d’immigration avait demandé.

 

[38]            Par ailleurs, tel qu’il a été établi dans d’autres affaires, la Cour précise que, lorsqu’un agent d’immigration se fonde sur une preuve extrinsèque, le demandeur n’a aucun moyen de savoir si, dans les faits, une telle preuve sera utilisée à son désavantage; l’agent doit alors s’assurer de donner au demandeur la possibilité de réfuter cette preuve. En outre, lorsque l’agent a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements, il a l’obligation de donner au demandeur la possibilité de les dissiper (Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, 152 A.C.W.S. (3d) 898, au paragraphe 24). La Cour ayant analysé l’ensemble des questions, tel qu’il est indiqué ci‑dessus, le présent paragraphe est déterminant et sur lui la Cour fait porter l’essentiel de sa décision après avoir dûment examiné tous les points en litige.

 

[39]            La Cour reconnaît aussi que le défaut de fournir une preuve fiable à l’appui crée un « fait accompli » qui compromet sérieusement les chances du demandeur :

[24] Selon la jurisprudence, il incombe au demandeur de présenter une demande assortie de tous les documents justificatifs pertinents et de fournir, à l’appui de cette demande, une preuve crédible suffisante. Le demandeur doit présenter « la meilleure preuve possible » : Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1123, au paragraphe 26; Dardic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 150, [2001] A.C.F. no 326 (QL); Tahir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 159 F.T.R. 109, [1998] A.C.F. no 1354 (QL); Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 152 F.T.R. 316, [1998] A.C.F. no 1239 (QL).)

 

(Oladipo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 366, 166 A.C.W.S. (3d) 355.)

 

[40]            En l’espèce, la demanderesse semble avoir fourni, compte tenu des conditions actuelles dans le pays et de sa situation personnelle, « à l’appui de [la] demande, une preuve crédible suffisante » et « la meilleure preuve possible », tel qu’il a été établi dans la jurisprudence précitée (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1123 (QL/Lexis), 171 F.T.R. 265, au paragraphe 26).

 

X.  Conclusion

[41]            Les arguments de la demanderesse montrent qu’il existe des motifs sérieux de croire que l’agent d’immigration a commis une erreur de droit ou que sa décision est fondée sur des conclusions de fait erronées. Par conséquent, la réparation demandée est accordée.

 

[42]            Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un agent d’immigration différent pour nouvelle décision.

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un agent d’immigration différent pour nouvelle décision. Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                         IMM-4434-10

 

INTITULÉ :                                       VIRGINIA MIHURA TORRES c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                Le 30 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                        Le 5 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Geneviève Hénault

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Gretchen Timmins

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gomberg Dalfen S.E.N.C.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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