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Date : 20110706


Dossier : T-1271-07

Référence : 2011 CF 825

Montréal (Québec), le 6 juillet 2011

En présence de Me Richard Morneau, protonotaire

 

ENTRE :

 

ROLAND ANGLEHART SR. ET AL.

 

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

 

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La Cour est saisie en l’espèce d’une requête des demandeurs pour faire trancher des engagements pris sous réserve par le défendeur lors de l’interrogatoire au préalable de son représentant désigné, monsieur Jim Jones; interrogatoire qui s’est déroulé sur une période de dix-huit (18) jours, soit du 27 septembre au 26 octobre 2010.

[2]               Cette requête s’inscrit dans le cadre d’une action en responsabilité entreprise en 2007 par les quelque 96 demandeurs. Il apparaît raisonnable de cadrer ce litige en reprenant un résumé passé offert par le défendeur dans le cadre d’une ordonnance refusant aux demandeurs la production d’un affidavit de documents plus complet :

… L’acte fautif reproché par les demandeurs à l’origine du litige entre les parties a débuté le 2 mai 2003 lorsque le ministre des Pêches et des Océans (ci-après le « ministre ») a émis le plan de gestion triennal de la pêche au crabe des neiges dans la zone 12 du Golfe St‑Laurent. Il est allégué que par l’annonce de ce plan de gestion, le ministre a décidé de réduire unilatéralement la portion du total autorisé des captures (ci-après le « TAC ») des demandeurs pour l’allouer aux autochtones, aux pêcheurs d’autres espèces de poissons, et aux pêcheurs d’autres zones de pêches.

(Omission des notes en bas de page.)

Analyse

I ‑        Questions à répondre et documents à produire lors d’un interrogatoire au          préalable : Principes généraux applicables

[3]               Dans l'arrêt Reading & Bates Construction Co. and al v Baker Energy Resources Corp. and al (1988), 24 C.P.R. (3rd) 66, le juge McNair, dans un rappel général en six points, définit dans un premier temps aux points 1 à 3 les paramètres qui font qu'une question (ici un engagement) ou un document est pertinent pour ensuite énoncer aux points 4 à 6 une série de circonstances ou d'exceptions qui font qu'à tout hasard, qu'en bout de course, une question n'a pas à être répondue ou un document n'a pas à être produit.

[4]               La Cour s'exprime comme suit en pages 70 à 72 :

1.   The test as to what documents are required to be produced is simply relevance. The test of relevance is not a matter for the exercise of the discretion. What documents parties are entitled to is a matter of law, not a matter of discretion. The principle for determining what document properly relates to the matters in issue is that it must be one which might reasonably be supposed to contain information which may directly or indirectly enable the party requiring production to advance his own case or to damage the case of his adversary, or which might fairly lead him to a train of inquiry that could have either of these consequences: Trigg v. MI Movers Int'l Transport Services Ltd. (1986), 13 C.P.C. (2d) 150 (Ont. H.C.); Canex Placer Ltd. v. A.-G. B.C. (1975), 63 D.L.R. (3d) 282, [1976] 1 W.W.R. 644 (B.C.S.C.); and Compagnie Financiere et Commerciale du Pacifique v. Peruvian Guano Co. (1882), 11 Q.B.D. 55 (C.A.).

2.   On an examination for discovery prior to the commencement of a reference that has been directed, the party being examined need only answer questions directed to the actual issues raised by the reference. Conversely, questions relating to information which has already been produced and questions which are too general or ask for an opinion or are outside the scope of the reference need not be answered by a witness: Algonquin Mercantile Corp. v. Dart Industries Canada Ltd. (1984), 82 C.P.R. (2d) 36 (F.C.T.D.); affirmed 1 C.P.R. (3d) 242 (F.C.A.).

3.   The propriety of any question on discovery must be determined on the basis of its relevance to the facts pleaded in the statement of claim as constituting the cause of action (...)

4.   The court should not compel answers to questions which, although they might be considered relevant, are not at all likely to advance in any way the questioning party's legal position: Canex Placer Ltd. v. A.-G. B.C., supra; and Smith, Kline & French Laboratories Ltd. v. A.-G. Can. (1982), 67 C.P.R. (2d) 103 at p. 108, 29 C.P.C. 117 (F.C.T.D.).

5.   Before compelling an answer to any question on an examination for discovery, the court must weigh the probability of the usefulness of the answer to the party seeking the information, with the time, trouble, expense and difficulty involved in obtaining it. Where on the one hand both the probative value and the usefulness of the answer to the examining party would appear to be, at the most, minimal and where, on the other hand, obtaining the answer would involve great difficulty and a considerable expenditure of time and effort to the party being examined, the court should not compel an answer. One must look at what is reasonable and fair under the circumstances: Smith, Kline & French Ltd. v. A.-G. Can., per Addy J. at p. 109.

6.   The ambit of questions on discovery must be restricted to unadmitted allegations of fact in the pleadings, and fishing expeditions by way of a vague, far-reaching or an irrelevant line of questioning are to be discouraged: Carnation Foods Co. Ltd. v. Amfac Foods Inc. (1982), 63 C.P.R. (2d) 203 (F.C.A.); and Beloit Canada Ltee/Ltd. v. Valmet Oy (1981), 60 C.P.R. (2d) 145 (F.C.T.D.).

[Je souligne.]

[5]               De plus, la liste d'exceptions aux points 2 et 4 à 6 de l'arrêt Reading & Bates ne se veut pas strictement, à mon avis, exhaustive.

[6]               Dans bien des situations, l'équilibrage auquel réfère la Cour dans Reading & Bates au point 5 s'imposera.

[7]               En effet, bien qu’il fut énoncé dans un domaine de droit autre que celui qui occupe les parties en l’espèce, il apparaît à la Cour qu’il soit utile de rappeler néanmoins ici l’extrait suivant de l'arrêt Faulding Canada Inc. v Pharmacia S.p.A. (1999), 3 C.P.R. (4th) 126, page 128 :

[...] the general tendency of the courts to grant broad discovery must be balanced against the tendency, particularly in industrial property cases, of parties to attempt to engage in fishing expeditions which should not be encouraged.

[8]               La règle 242 des Règles des Cours fédérales (les règles) qui s’applique à tous les litiges contient un avertissement à cet effet. En effet, les alinéas 242(1)b) à d) des règles se lisent :

242. (1) A person may object to a question asked in an examination for discovery on the ground that


(…)

(b) the question is not relevant to any unadmitted allegation of fact in a pleading filed by the party being examined or by the examining party;


(c) the question is unreasonable or unnecessary; or

(d) it would be unduly onerous to require the person to make the inquiries referred to in rule 241.

242. (1) Une personne peut soulever une objection au sujet de toute question posée lors d’un interrogatoire préalable au motif que, selon le cas :

(…)

b) la question ne se rapporte pas à un fait allégué et non admis dans un acte de procédure déposé par la partie soumise à l’interrogatoire ou par la partie qui l’interroge;

c) la question est déraisonnable ou inutile;

d) il serait trop onéreux de se renseigner auprès d’une personne visée à la règle 241.

[9]               La Cour n’ajouterait enfin ici que le commentaire qui suit. Le défendeur fait grand état qu’en août 2009 la Cour d’appel fédérale ait indiqué dans le présent dossier que les demandeurs eux-mêmes ont reconnu dans un débat interlocutoire que leur action ne reposait pas sur l’illégalité des décisions du ministre des Pêches et Océans. Suivant le défendeur, cet aveu lierait toujours les demandeurs.

[10]           Je pense plutôt que la donne mérite d’être grandement nuancée. Les propos des demandeurs ont été énoncés au moment où les principes de l’arrêt Canada c Grenier, 2005 CAF 348 (l’arrêt Grenier) avaient toujours cours. Toutefois, le 23 décembre 2010, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’arrêt Canada (Procureur général) c TeleZone Inc., 2010 CSC 62 (l’arrêt TeleZone).

[11]           Sans vouloir couler dans le bronze ici la portée de cet arrêt, la Cour suprême du Canada appert y avoir reconnu que la légalité d’une décision administrative peut être examinée dans le cadre d’une action en dommages et intérêts en autant qu’un demandeur ne demande pas en chef comme remède l’invalidité de cette même décision. Aux paragraphes 4, 6 et 47 de cette décision, la Cour indique :

[4]        Le principe énoncé dans Grenier irait à l’encontre de l’art. 17 de la LCF, qui confère aux cours supérieures provinciales une compétence concurrente « dans les cas de demande de réparation contre la Couronne », et de l’art. 21 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50, qui a le même effet à l’égard des actions en responsabilité délictuelle. Dans certaines actions en dommages-intérêts intentées contre la Couronne fédérale (mais non dans toutes), la question de la « légalité » de la décision administrative censée avoir causé la perte est primordiale. L’arrêt Grenier nierait aux cours supérieures provinciales la compétence nécessaire pour examiner cette question fondamentale lorsqu’un demandeur s’adresse à elles pour obtenir des dommages-intérêts. Si l’on adoptait le principe formulé dans cet arrêt, la compétence de ces cours ne serait plus concurrente, mais subordonnée et conditionnelle. Elle deviendrait en effet subordonnée à la décision de la Cour fédérale sur la demande de contrôle judiciaire et conditionnelle à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur.

[6]        …[L]a LCF n’écarte pas en termes clairs et directs la compétence des cours supérieures provinciales pour statuer sur ces demandes en common law et en equity, y compris sur la question de l’« illégalité » des décisions administratives. …

[47]      …L’article 18 n’interdit pas qu’un litige sur la légalité de l’exercice d’un pouvoir d’origine législative soit tranché lors d’un procès tenu en vertu de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif devant la cour supérieure provinciale ou en vertu de l’art. 17 de la LCF elle-même. [Je souligne.]

II ‑       Les engagement à trancher

[12]           Bien que les parties aient fait des efforts très louables afin de réduire de beaucoup les nombreux engagements pris sous réserve au lendemain du long interrogatoire de monsieur Jones, il demeure néanmoins sous la requête à l’étude un nombre certain de tels engagements à trancher.

[13]           Tel que requis par cette Cour, les parties ont produit un tableau conjoint qui reflète aux yeux de la Cour l’essentiel des motifs favorisant ou non la production de tout engagement restant.

[14]           Ainsi, la Cour a repris ce tableau et l’a intitulé le « Tableau des engagements ».

[15]           Après avoir considéré les dossiers de requêtes des parties et avoir écouté leurs procureurs et ayant en tête les principes jurisprudentiels pertinents, dont ceux cités plus avant ainsi que ceux soulevés par les parties, la Cour a noté au Tableau des engagements par un trait double («  ») dans la marge à l’égard de tout ou partie du raisonnement d’une partie pour chaque engagement à être adjugé si, en bout de course, cet engagement devait ou non être répondu. Le trait dans la marge se retrouve ainsi dans l’une ou l’autre des deux dernières colonnes du Tableau des engagements à moins qu’un engagement doive être répondu qu’en partie, auquel cas le trait double peut parfois se retrouver en partie à l’une et l’autre colonne ou bien l’engagement faire l’objet d’une mention en ce sens à la liste se retrouvant au paragraphe [16] ci-après.

[16]           Ainsi la requête des demandeurs est accueillie en partie comme suit et le défendeur devra donc répondre aux engagements pour lesquels le défendeur s’est déjà engagé à répondre ainsi qu’aux engagements suivants :

- 179 :  en partie seulement par la production des deux ébauches visées.

- 167

- 203

- 204

- 208

- 163 :  en partie seulement suivant l’approche du défendeur en début du

            Tableau des engagements.

- 154 :  en partie seulement suivant l’approche du défendeur en début du    Tableau des engagements.

- 186 :  en partie seulement suivant l’approche du défendeur en début du

            Tableau des engagements.

- 291

- 292

- 298

- 299

- 300

- 301

- 302

- 303 :  en partie seulement pour la production de la pièce jointe à la lettre.

- 305

- 307

- 308

- 309

[17]           Vu la longueur du Tableau des engagements, ce tableau est réputé faire partie des présents motifs de l’ordonnance et ordonnance mais sera transmis par courriel sous pli séparé par le greffe aux procureurs des parties.

[18]           Quant aux dépens sur la présente requête, vu que le succès est partagé, il n’y aura pas d’adjudication de dépens.

[19]           Par ailleurs et tel que discuté en Cour le 29 juin 2011, les parties verront à transmettre de façon conjointe sous forme de projet d’ordonnance à la Cour, le ou avant le 27 juillet 2011, un échéancier qui visera, pour un futur raisonnable, les étapes restantes à compléter par suite de la présente ordonnance. La Cour verra s’il y a lieu à adapter les dates ou autres modalités proposées en fonction de ses besoins et disponibilités.

[20]           Enfin pour les fins des présents motifs de l’ordonnance et ordonnance ainsi que dorénavant, l’intitulé de cause à adopter dans le présent dossier sera le suivant :

 

ROLAND ANGLEHART SR. ET AL.

 

 

 

demandeurs

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

 

« Richard Morneau »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1271-07

 

INTITULÉ :                                       ROLAND ANGLEHART SR. ET AL.

                                                            et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               29 juin 2011

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE PROTONOTAIRE MORNEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      6 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bernard Jolin

 

POUR LES DEMANDEURS

Edith Campbell

Nicole Arsenault

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Heenan Blaikie

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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