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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

Date : 20110708


Dossier : IMM-5056-10

Référence : 2011 CF 846

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

SAMIRAH MOHAMED NEHEID
SWALHA AMER SALMIN

 

demanderesses

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET
DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.                    INTRODUCTION

[1]               Le présent contrôle judiciaire a trait à de graves erreurs d’interprétation du swahili, lesquelles ont mené à des conclusions défavorables quant à la crédibilité ainsi qu’au rejet de la demande d’asile sous-jacente.

 

II.                 LE CONTEXTE

[2]               La demanderesse, une citoyenne du Kenya âgée de 50 ans, et sa fille âgée de 22 ans, ont demandé l’asile, craignant principalement d’être persécutées à cause de l’appartenance du fils de la demanderesse à un groupe d’opposition politique.

 

[3]               La décision défavorable de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a été fondée sur la crédibilité :

Le témoignage donné de vive voix par la demandeure d’asile principale était vague et parfois incohérent. Pour évaluer la crédibilité des deux demandeures d’asile, le tribunal prend en considération leur nervosité, la difficulté de témoigner par l’entremise d’un interprète et les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Dans le cas du témoignage de la demandeure d’asile principale, le tribunal a pris en considération son témoignage donné de vive voix par rapport à son faible niveau d’instruction. Toutefois, même en lui accordant le bénéfice du doute quant à la façon dont elle a témoigné à l’audience, le tribunal juge, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle ne serait pas exposée à un risque si elle retournait au Kenya et qu’elle n’a pas été prise pour cible par les policiers en raison de la prétendue appartenance de son fils à l’ODM.

 

[4]               La Commission a fait maintes références au témoignage de la demanderesse et au fait qu’elle n’avait pas fourni de preuves cohérentes ou ne s’était pas expliquée quant on lui avait posé des questions. La Commission a également conclu que la fille de la demanderesse n’était pas digne de foi.

 

[5]               Dans sa conclusion, la Commission a réitéré que les éléments de base de la demande d’asile étaient dénués de crédibilité.

 

III.               ANALYSE

[6]               Dans le présent contrôle judiciaire, la question essentielle est le déni d’équité procédurale. Cette question est soumise à la norme de contrôle de la décision correcte et, s’il est conclu qu’il y a eu manquement à l’équité, la décision sera, sauf dans le plus rare des cas, infirmée (Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539).

 

[7]               Dans l’arrêt Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191, la Cour d’appel prescrit qu’une interprétation fournie « doit satisfaire à la norme de la continuité, de la fidélité, de la compétence, de l’impartialité et de la concomitance ».

 

[8]               Une lecture objective des notes sténographiques de l’audience révèle que l’interprétation a posé des problèmes. La Commission a été clairement agacée par ce qu’elle entendait par l’entremise de l’interprète. La demanderesse et sa fille ont elles aussi été agacées par l’interprétation et par la réaction de la Commission, qui les ont laissées perplexes.

 

[9]               Dans la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1161, au paragraphe 3, le juge Lemieux résume les principes pertinents qui s’appliquent aux problèmes d’interprétation :

a.                   L’interprétation doit être continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante.

b.                  Il n’est pas nécessaire de prouver l’existence d’un préjudice réel pour obtenir une réparation.

c.                   L’interprétation doit être adéquate, mais n’a pas à être parfaite. Le principe le plus important est la compréhension linguistique.

d.                  Il y a renonciation au droit lorsque la qualité de l’interprétation n’est pas contestée par le demandeur à la première occasion, chaque fois qu’il est raisonnable de s’y attendre.

e.                   La question de savoir s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une plainte soit présentée à l’égard de la mauvaise qualité de l’interprétation est une question de fait, qui doit être déterminée dans chaque cas.

f.                    Si l’interprète a de la difficulté à parler la langue du demandeur ou à se faire comprendre par lui, il est clair que la question doit être soulevée à la première occasion.

 

[10]           La position du défendeur en l’espèce repose principalement sur le fait que la demanderesse n’a pas soulevé de manière suffisante le problème de l’interprétation. Même si la renonciation est un principe qui s’applique au droit à des services d’interprétation, comme le fait remarquer le juge Lemieux la question de savoir s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une plainte soit présentée à l’égard de la mauvaise qualité de l’interprétation est une question de fait, qui doit être déterminée dans chaque cas.

 

[11]           En l’espèce, il y avait des signes évidents que l’interprétation posait un problème. La fille de la demanderesse a tenté d’évoquer la question à deux reprises et on lui a ordonné de se taire. L’objection n’a peut-être pas été formulée de façon aussi directe mais, compte tenu de la position de dépendance dans laquelle se trouve un demandeur d’asile devant la Commission, et du fait que les avocats dépendent entièrement du service d’interprétation, il était déraisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse en fasse plus.

 

[12]           La question d’ordre procédural qu’invoque le défendeur ne peut faire obstacle à l’équité et aux erreurs d’interprétation établies qui ont été d’une importance déterminante pour la décision.

 

[13]           La demanderesse a produit l’avis d’un expert, M. Hussein Tamini, un enseignant et traducteur anglais-swahili apparemment très qualifié, qui a exposé toute l’ampleur des divergences et des problèmes que le service d’interprétation a présentés. Ils sont nombreux et importants.

Le défendeur n’a produit aucune preuve pour réfuter l’affidavit de M. Tamini.

 

[14]           La Cour conclut donc qu’à cause d’un service d’interprétation déraisonnable, qui a été d’une importance déterminante pour la décision de la Commission, il y a eu manquement à l’équité.

 

[15]           Il est impossible de savoir à partir du dossier si, de façon générale, l’interprète n’est pas assez compétent dans les langues en question pour fournir des services d’interprétation. La Cour s’attendrait à ce que la Commission examine la question et, s’il est jugé que l’interprète n’est pas qualifié, qu’elle vérifie quel effet cela a pu avoir dans d’autres affaires.

 

 

IV.              CONCLUSION

[16]           Le présent contrôle judiciaire sera accueilli, la décision de la Commission annulée et l’affaire renvoyée en vue d’un nouvel examen devant un tribunal différemment constitué. Il n’y a pas de question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, la décision de la Commission annulée et l’affaire est renvoyée en vue d’un nouvel examen devant un tribunal différemment constitué.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5056-10

 

INTITULÉ :                                       SAMIRAH MOHAMED NEHEID

SWALHA AMER SALMIN

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 5 AVRIL 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 8 JUILLET 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Raoul Boulakia

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

RAOUL BOULAKIA

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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