Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110711

Dossier : T-1006-10

Référence : 2011 CF 866

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

 

PREMIÈRE NATION DE BURNT CHURCH (ESGENOÔPETITJ)

 

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

ANDREW CURTIS BARTIBOGUE

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, la Première nation de Burnt Church (Esgennoôpetitj), conteste la légalité de la décision qu’a rendue le 28 mai 2010 M. E. Thomas Christie (l’arbitre), un arbitre désigné en vertu de l’article 242 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le Code); cet arbitre a fait droit à la plainte pour congédiement injuste que le défendeur, M. Bartibogue, avait déposée et il a ordonné que celui-ci soit dédommagé de la perte de sa rémunération à titre de coordonnateur des jeunes pour la période indiquée dans la décision.

 

LE LITIGE

[2]               La demanderesse est d’avis que l’arbitre a commis une erreur en acceptant d’entendre l’affaire ou, par ailleurs, qu’il a manqué aux règles de justice naturelle ou d’équité procédurale. Elle conteste également la décision selon laquelle le défendeur était au service de la demanderesse à titre de coordonnateur des jeunes et que la cessation de la rémunération a été motivée par la mauvaise foi.

 

[3]               Par contraste, le défendeur est d’avis que l’arbitre était compétent pour entendre la plainte, qu’il n’y a pas eu de manquement aux règles de justice naturelle ou d’équité procédurale et que les conclusions de fait de l’arbitre étaient raisonnables et étayées par la preuve.

 

[4]               En principe, l’application par l’arbitre de l’article 240 du Code aux faits précis de l’affaire est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Delisle c. Conseil des Mohawks de Kanesatake, [2007] A.C.F. no 62, au paragraphe 27). Cependant, pour ce qui est des questions de pure compétence qui mettent en cause l’interprétation du Code et l’équité procédurale, la norme de contrôle appropriée est la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 42 et 43).

 

[5]               Pour les motifs qui suivent, la Cour conclut que l’arbitre était compétent pour entendre et trancher la plainte, qu’il n’y a pas eu de manquement aux règles de justice naturelle ou d’équité procédurale et que sa décision sur le fond est raisonnable et appartient aux issues possibles, au regard du droit et des faits.

 

LE CADRE JURIDIQUE APPLICABLE

[6]               Les articles 240 à 242 du Code prescrivent les conditions régissant le dépôt d’une plainte pour congédiement injuste, de même que la façon dont cette plainte est traitée par un inspecteur et le ministre, lequel peut désigner un arbitre pour l’entendre et la trancher :

240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur si :

 

a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

 

b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.

 

 

 

 

 

 

(2) Sous réserve du paragraphe (3), la plainte doit être déposée dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date du congédiement.

 

 

(…)

 

241. (1) La personne congédiée visée au paragraphe 240(1) ou tout inspecteur peut demander par écrit à l’employeur de lui faire connaître les motifs du congédiement; le cas échéant, l’employeur est tenu de lui fournir une déclaration écrite à cet effet dans les quinze jours qui suivent la demande.

 

 

 

 

 

(2) Dès réception de la plainte, l’inspecteur s’efforce de concilier les parties ou confie cette tâche à un autre inspecteur.

 

 

 

(3) Si la conciliation n’aboutit pas dans un délai qu’il estime raisonnable en l’occurrence, l’inspecteur, sur demande écrite du plaignant à l’effet de saisir un arbitre du cas :

 

 

 

 

 

 

 

 

a) fait rapport au ministre de l’échec de son intervention;

 

 

 

b) transmet au ministre la plainte, l’éventuelle déclaration de l’employeur sur les motifs du congédiement et tous autres déclarations ou documents relatifs à la plainte.

 

 

 

 

1977-78, ch. 27, art. 21.

 

242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d’arbitre la personne qu’il juge qualifiée pour entendre et trancher l’affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l’éventuelle déclaration de l’employeur sur les motifs du congédiement.

 

 

 

(2) Pour l’examen du cas dont il est saisi, l’arbitre :

 

 

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

 

 

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier, d’autre part;

 

(…)

 

240. (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

 

 

 

 

 

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

 

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,

 

may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

 

(2) Subject to subsection (3), a complaint under subsection (1) shall be made within ninety days from the date on which the person making the complaint was dismissed.

 

(…)

 

241. (1) Where an employer dismisses a person described in subsection 240(1), the person who was dismissed or any inspector may make a request in writing to the employer to provide a written statement giving the reasons for the dismissal, and any employer who receives such a request shall provide the person who made the request with such a statement within fifteen days after the request is made.

 

 (2) On receipt of a complaint made under subsection 240(1), an inspector shall endeavour to assist the parties to the complaint to settle the complaint or cause another inspector to do so.

 

 (3) Where a complaint is not settled under subsection (2) within such period as the inspector endeavouring to assist the parties pursuant to that subsection considers to be reasonable in the circumstances, the inspector shall, on the written request of the person who made the complaint that the complaint be referred to an adjudicator under subsection 242(1),

 

(a) report to the Minister that the endeavour to assist the parties to settle the complaint has not succeeded; and

 

(b) deliver to the Minister the complaint made under subsection 240(1), any written statement giving the reasons for the dismissal provided pursuant to subsection (1) and any other statements or documents the inspector has that relate to the complaint.

 

1977-78, c. 27, s. 21.

 

242. (1) The Minister may, on receipt of a report pursuant to subsection 241(3), appoint any person that the Minister considers appropriate as an adjudicator to hear and adjudicate on the complaint in respect of which the report was made, and refer the complaint to the adjudicator along with any statement provided pursuant to subsection 241(1).

 

 (2) An adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1)

 

(a) shall consider the complaint within such time as the Governor in Council may by regulation prescribe;

 

(b) shall determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the complaint to present evidence and make submissions to the adjudicator and shall consider the information relating to the complaint; and

 

(…)

 

 

[7]               En gardant ce cadre juridique à l’esprit, la Cour va maintenant examiner le contexte factuel qui a mené au dépôt de la plainte pour congédiement injuste et le renvoi de cette dernière à un arbitre.

 

LE CONTEXTE FACTUEL

[8]               Le défendeur est membre de la Première nation de Burnt Church (Esgenoôpetitj) (la demanderesse); il a été élu au poste de conseiller de bande en 2004 et réélu en 2008 et en 2010. Chaque élection était pour un mandat de deux ans. À titre de conseiller de la bande, le défendeur touchait des honoraires annuels de 7 000 $.

 

[9]               Selon la preuve que l’arbitre a examinée dans la décision contestée, le chef de la bande a le pouvoir discrétionnaire d’affecter des conseillers à des portefeuilles, pour lesquels ces derniers touchent une rémunération additionnelle. Le défendeur a exercé les fonctions de coordonnateur des jeunes pendant de courtes périodes en 2004 et en 2006, et il touchait pour ce travail la somme de 600 $ par semaine, en sus des honoraires annuels reçus à titre de conseiller. Lorsque ses fonctions prenaient fin, il recevait de la demanderesse un relevé d’emploi (RE), qui le désignait comme un employé et indiquait qu’il avait touché des gains de 600 $ par semaine.

 

[10]           En avril 2007, on a de nouveau confié au défendeur les fonctions de coordonnateur des jeunes. Il les a exercées jusqu’en septembre 2008, date à laquelle il a été supprimé de la liste de paye. Il a une fois de plus reçu un RE, qui le désignait comme un employé et indiquait qu’il avait été [traduction] « mis à pied ».

 

[11]           Parallèlement à ces faits, le défendeur s’est porté candidat au poste de chef de la demanderesse, contre le titulaire, le chef Dedam, dans le cadre de l’élection de mai 2008. Défait, il a porté en appel les résultats auprès d’Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC), qui l’a informé au milieu du mois de septembre 2008 que son appel était rejeté. Peu après, la rémunération qu’il touchait pour ses fonctions de coordonnateur des jeunes a pris fin.

 

[12]           Le défendeur est entré en contact avec Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) et il a rempli un formulaire de plainte. Il a indiqué que le poste qu’il occupait auprès de la demanderesse était celui de [traduction] « conseiller de la bande », il a joint les RE de 2004, 2005 et 2008 ainsi qu’un talon de paye à titre de coordonnateur des jeunes, et il a renvoyé le tout à RHDCC.

 

[13]           Quelque temps après avoir reçu la plainte du défendeur, RHDCC a ajouté les titres de poste suivants : [traduction] « coordonnateur des jeunes » et [traduction] « gestionnaire des pêches ». La demanderesse n’a pas répondu aux demandes de motifs que RHDCC lui a envoyées en décembre 2008 et en février 2009, et le ministre a transmis la plainte à un arbitre.

 

PAS D’ERREUR DE COMPÉTENCE OU DE MANQUEMENT À LA JUSTICE NATURELLE

 

[14]           L’audience devant l’arbitre a débuté le 27 janvier 2010, date à laquelle on a découvert l’anomalie dans le formulaire de plainte. Le défendeur a proposé de poursuivre l’affaire en se fondant sur la plainte initiale dans laquelle le poste indiqué était celui de [traduction] « conseiller de la bande », mais la demanderesse a soutenu que cela ne règlerait pas le problème. Elle a plutôt demandé un ajournement afin de découvrir qui avait modifié le formulaire, et pourquoi. L’arbitre a fait droit à la demande mais, pour utiliser efficacement le temps déjà alloué, quelques témoins ont été interrogés les 27 et 28 janvier 2010.

 

[15]           Quand l’audience a repris le 22 mars 2010, la demanderesse a sollicité une fois de plus un ajournement, et ce, pour trois raisons : 1) l’arbitre n’avait pas été saisi d’une plainte en vertu de l’article 240 du Code, 2) le processus d’audition s’orientait vers un déni de justice naturelle, et 3) le fait de poursuivre l’audition à la lumière des demandes de contrôle judiciaire qui avaient été déposées constituait aussi un déni de justice naturelle.

 

[16]           L’arbitre a refusé d’ajourner l’audience. Son raisonnement était que, même si une suspension avait été demandée, la Cour fédérale ne s’était pas prononcée sur la question, et il n’avait entendu rien de nouveau qui l’amènerait à refuser d’entendre la plainte. Il a conclu qu’il fallait que l’affaire se poursuive pour éviter tout retard, et il a par la suite entendu le reste de la preuve.

 

[17]           La Cour conclut que l’arbitre n’a pas commis d’erreur de compétence en entendant l’affaire et en rejetant l’objection préliminaire de la demanderesse.

 

[18]           Pour ce qui est des formulaires de plainte, l’arbitre a conclu avec raison que les ajouts faits par les représentants de DRHCC ne le privaient pas de compétence. La Cour conclut que cela est exact car le formulaire de plainte initial a été dûment rempli et présenté par le défendeur dans le délai de 90 jours que prescrit le paragraphe 240(2) du Code.

 

[19]           De plus, les ajouts faits par les représentants de DRHCC n’ont pas eu pour résultat de changer fondamentalement la plainte. En fait, l’arbitre a fait remarquer que l’information ajoutée au formulaire était directement tirée des RE, délivrés par la demanderesse. L’arbitre a souscrit à l’explication du défendeur, à savoir qu’il avait inscrit [traduction] « conseiller de la bande » sur le formulaire de plainte parce que c’était ce qu’il était, même après la cessation de la rémunération qu’il touchait pour ses fonctions de portefeuille.

 

[20]           Cela dit, l’arbitre a prévenu que la modification apportée par DRHCC au formulaire de plainte n’était pas une pratique à encourager, mais qu’elle était compréhensible dans les circonstances de l’affaire, vu qu’il incombe au personnel de DRHCC de faire en sorte que les plaintes suivent leur cours au sein du système et de transmettre au ministre toutes les informations nécessaires pour qu’il puisse désigner un arbitre ou non. Même s’il pouvait concevoir qu’il y avait des erreurs qui pourraient priver le ministre de la compétence requise pour désigner un arbitre, l’arbitre a conclu que la modification de la plainte en l’espèce n’en faisait pas partie.

 

[21]           L’arbitre a également rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel le ministre était privé de compétence parce que le formulaire de plainte qui lui avait été transmis n’était pas « la » plainte au sens de l’alinéa 241(3)b) du Code, au motif qu’il s’agissait d’une interprétation exagérément restrictive de la disposition. Par ailleurs, il a jugé que si l’alinéa 242b) permet à l’arbitre de tenir compte de « l’information contenue dans le dossier », il est raisonnable d’étendre la même latitude au ministre. Là encore, la Cour se doit de souscrire à l’interprétation que fait l’arbitre du Code, qui est correcte.

 

[22]           L’allégation de la demanderesse selon laquelle les changements apportés au formulaire de plainte n’ont pas été faits dans le délai de 90 jours que prévoit le paragraphe 240(2) du Code a elle aussi été rejetée avec raison, car il n’en existe aucune preuve. En fait, cela ressort clairement du libellé de l’allégation elle-même, où la demanderesse dit qu’il est [traduction] « probable que l’inspecteur a ajouté cette information importante […] après l’expiration du délai de 90 jours ». La Cour est d’avis qu’aucune des contestations de compétence que la demanderesse a évoquées à l’audition de la plainte n’est justifiée. Comme l’arbitre le dit avec raison dans sa décision : [traduction] « [c]onclure autrement reviendrait à dire qu’il faudrait privilégier “la forme par rapport au fond” ».

 

[23]           Il n’y a pas eu non plus de manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale.

 

[24]           L’arbitre a conclu avec raison que la découverte à l’audience du formulaire de plainte modifié ne violait pas le droit de la demanderesse à la justice naturelle et à l’équité procédurale. Celle-ci a demandé et obtenu un ajournement de trois mois pour régler cette question précise. Par ailleurs, comme l’écrit l’arbitre : [traduction] « le fait de savoir quelle était la question fondamentale dans la plainte déposée par [le défendeur] n’a pas dû être une surprise pour [la demanderesse]. Le chef de la bande a mis fin à la rémunération [du défendeur]. [La demanderesse] a délivré un RE indiquant que [le défendeur] était un employé. [Le défendeur] porte plainte ». Comme il n’existe aucune preuve que la demanderesse a subi un préjudice quelconque par suite de l’admission des deux formulaires de plainte, la Cour conclut que l’ajournement a atteint son objectif, lequel consistait à sauvegarder le droit de la demanderesse à la justice naturelle et à l’équité procédurale.

 

LE CARACTÈRE RAISONNABLE DE LA DÉCISION SUR LE FOND

[25]           La décision de l’arbitre selon laquelle le défendeur travaillait comme coordonnateur des jeunes et a été injustement congédié est elle aussi raisonnable.

 

[26]           Parmi les nombreux documents que les parties ont présentés au cours de l’audience figuraient les RE de 2004, 2005 et 2008. Ces documents, délivrés par un membre du personnel administratif de la demanderesse, indiquent de façon claire et non équivoque que le défendeur était un employé et la demanderesse son employeur. Quand on lui a demandé pourquoi il avait inscrit la mention [traduction] « conseiller de la bande » comme titre de poste, le défendeur a déclaré que comme il avait été congédié de son poste de coordonnateur des jeunes, il n’avait pas eu d’autre choix que d’inscrire son poste continu de conseiller de la bande. Cependant, il n’a pas pu expliquer pourquoi il était indiqué sur l’un des RE qu’il travaillait comme [traduction] « gestionnaire des pêches ». L’arbitre a accepté les explications du défendeur, et la Cour conclut qu’il n’y a rien de déraisonnable à cela.

 

[27]           Tout en reconnaissant que le concept des portefeuilles existe au sein de la structure de la bande, le défendeur a dit croire qu’il exerçait un emploi lorsqu’il touchait son salaire en tant que coordonnateur des jeunes. Il n’y avait aucune description de tâches écrite et aucun contrat de travail écrit, mais c’était bel et bien le chef de la bande qui avait le pouvoir d’embaucher et de congédier les employés. Le défendeur a donc soutenu qu’il y avait eu une relation d’emploi et un congédiement à l’égard desquels l’arbitre était compétent. Il avait été employé pendant plus de 12 mois consécutifs, et cet emploi avait pris fin. La preuve en était les RE que la demanderesse avait établis et transmis au gouvernement fédéral. De plus, la demanderesse n’avait jamais informé le défendeur que sa rémunération pouvait être interrompue à tout moment, sans motif ou avis. Les exigences énoncées à l’article 240 du Code étaient donc remplies. Sur le fond, il a fait valoir aussi qu’il fallait considérer le fait que le chef de la bande n’avait pas témoigné à l’audience comme une indication de la nature précaire de la position de la demanderesse, et qu’il ne fallait pas faire abstraction du moment suspect où le versement de la rémunération a pris fin.

 

[28]           Pour ce qui est du bien-fondé de la plainte pour congédiement injuste, l’argument principal de la demanderesse est que la suppression de la rémunération liée au poste de coordonnateur des jeunes était principalement une question de gouvernance de la bande qu’il ne fallait pas contrôler sur le fond. Selon la demanderesse, le système des portefeuilles a pris naissance dans le cadre de la tradition orale de gouvernance de la bande. L’absence de preuves documentaires sur le système des portefeuilles ne diminuait en rien son importance cruciale. Le chef de la bande, qui exerçait le pouvoir délégué du Conseil, avait manifestement le pouvoir d’accorder ou de retirer des fonctions liées à un portefeuille, de même que la rémunération qui y était normalement associée. À cet égard, la demanderesse a fait valoir que toute suppression de fonction ou de rémunération pouvait avoir lieu sans motif ou avis. Dans le cas présent, le défendeur est resté saisi de ses fonctions de portefeuille, malgré la cessation de sa rémunération.

 

[29]           De ce fait, la demanderesse a fait valoir devant l’arbitre que si le défendeur n’était pas d’accord avec la décision du chef de la bande, il aurait dû soulever la question devant le Conseil au lieu de déposer une plainte. Faisant écho à ces propos, l’avocat de la demanderesse a déclaré à la Cour, à l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, qu’au lieu de déposer une plainte en vertu du Code, si le défendeur était insatisfait du résultat, il lui était toujours loisible de contester la légalité de la décision prise par le Conseil de cesser de le rémunérer à titre de coordonnateur des jeunes en déposant une demande de contrôle judiciaire. Cependant, l’avocat n’a invoqué aucune affaire particulière montrant qu’une décision de ce genre, prise par un conseil de bande, avait déjà été contrôlée par la Cour fédérale.

 

[30]           De l’avis de la Cour, l’arbitre pouvait raisonnablement conclure que le défendeur était bel et bien un employé au sens de l’article 240 du Code. À l’appui de cette conclusion, il pouvait se fonder sur les trois RE figurant dans le dossier. Il pouvait se fonder sur le fait qu’en remplissant les RE, l’employeur certifiait que toutes les déclarations faites étaient véridiques, vu la présence de la mise en garde selon laquelle [traduction] « [l’employeur] est conscient que toute inscription fausse constitue une infraction et [il atteste] par la présente la véracité de toutes les déclarations faites sur le présent formulaire ». En l’espèce, le RE pertinent comprenait les informations suivantes : 1) le nom de l’employeur était la Première nation de Burnt Church, 2) l’employé était le défendeur, 3) l’employé a touché une rémunération du 23 avril 2007 au 19 septembre 2008, et 4) le défendeur était le « coordonnateur des jeunes ». À défaut d’une preuve contraire, il était loisible à l’arbitre d’accorder une importance considérable aux RE en tant que preuve d’emploi.

 

[31]           L’arbitre a exercé sa fonction en évaluant tous les éléments de preuve pertinents. Il incombait à la demanderesse de présenter une preuve contradictoire qui réfuterait les affirmations contenues dans les RE, de même que les allégations du défendeur selon lesquelles la cessation de la rémunération liée au poste de coordonnateur des jeunes était une mesure punitive que la demanderesse avait prise parce qu’il s’était présenté comme candidat contre le chef de la bande.

 

[32]           L’arbitre a tenu dûment compte du témoignage de M. Clark Dedam, un conseiller élu depuis 2001. Selon ce dernier, le défendeur n’avait fait aucun compte rendu verbal ou écrit au Conseil à propos de son travail de coordonnateur des jeunes, pas plus qu’il n’existait une description précise des fonctions liées à ce portefeuille. Quand on lui a demandé à l’audience devant l’arbitre pourquoi il n’y avait pas eu de réponse aux deux lettres recommandées dans lesquelles DRHCC demandait qu’on lui fournisse les motifs écrits du congédiement, M. Dedam a simplement répondu que la demanderesse n’était pas obligée d’y répondre car le défendeur n’avait pas été congédié d’un poste de [traduction] « conseiller de la bande ». Le défendeur occupait toujours ce poste et, en fait, il exerçait encore les fonctions de coordonnateur des jeunes. On avait simplement réduit sa rémunération pour refléter le fait qu’il n’exerçait pas ses fonctions de manière importante. Il incombait à l’arbitre d’évaluer le témoignage de M. Dedam à la lumière de ses propres admissions et du reste de la preuve figurant dans le dossier.

 

[33]           Dans sa décision, l’arbitre signale notamment que M. Dedam agissait comme contrôleur pour la demanderesse. Ce dernier a confirmé que les fonctions de portefeuille pouvaient être retirées par le chef de la bande ou le Conseil s’ils étaient insatisfaits du travail accompli, ou si le conseiller n’était pas réélu. M. Dedam a également déclaré que son bureau délivrait systématiquement des RE quand les tâches de portefeuille d’un conseiller prenaient fin. Le RE était un moyen de permettre à cette personne de recevoir des prestations d’assurance-emploi. Cette preuve semble indiquer que la délivrance de RE n’était pas accidentelle, que le chef de la bande ou le Conseil exerçait un certain contrôle sur la qualité du travail effectué et que la sanction était le retrait du portefeuille ou la cessation de la rémunération.

 

[34]           Il est évident aussi que l’arbitre a pris dûment en compte et rejeté les arguments que la demanderesse a invoqués. L’arbitre avait essentiellement pour tâche de déterminer si le défendeur remplissait les conditions énumérées au paragraphe 240(1) du Code. Les employés bénéficient de certains droits en cas de congédiement sans avis ou motif, et l’arbitre l’a confirmé dans sa décision. Il était loisible à ce dernier de conclure que l’existence du système des portefeuilles au sein de la structure de gouvernance de la bande ne plaçait pas le chef de la bande ou le Conseil en dehors du cadre de la loi, et ces derniers n’étaient donc pas exemptés des obligations juridiques applicables (Nation Crie de Long Lake c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] A.C.F. n1020, au paragraphe 31 (1re inst.)). L’arbitre pouvait raisonnablement conclure que si la demanderesse délivrait des RE aux titulaires d’un portefeuille une fois que ceux-ci cessaient d’être rémunérés pour les fonctions connexes, ces personnes étaient donc des employés aux yeux de la loi.

 

[35]           En dernière analyse, la Cour rejette l’argument de la demanderesse selon lequel l’arbitre n’a pas pris en considération les arguments qu’elle a invoqués ni accordé de l’importance aux éléments de preuve qu’elle a déposés. Dans sa décision, l’arbitre a analysé les éléments de preuve qui lui ont été soumis, et il a motivé en détail les conclusions auxquelles il est arrivé. Il n’était pas tenu d’énumérer chacun des éléments de preuve qu’il avait en main, ni d’indiquer l’importance qu’il accordait à chacun. C’était à lui de décider l’importance qu’il accordait à des éléments de preuve particuliers, dans la mesure où le processus était équitable et la décision raisonnable.

 

[36]           Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et, compte tenu du résultat, le défendeur a droit à ses dépens.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire de demanderesse soit rejetée, avec dépens en faveur du défendeur.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil




COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1006-10

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            PREMIÈRE NATION DE BURNT CHURCH (ESGENOÔPETITJ) c.

                                                            ANDREW CURTIS BARTIBOGUE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 FREDERICTON (NOUVEAU-BRUNSWICK)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 14 JUIN 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 11 JUILLET 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Harold L. Doherty

 

POUR LE DEMANDERESSE

Daniel P.L. Leger

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet Doherty

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

POUR LE DEMANDERESSE

Pink Larkin

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.