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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110708

Dossier : IMM-6089-10

Référence : 2011 CF 847

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

SHAMDAI MOHAN

RUPAN MOHAN

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET
DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Je ne suis pas convaincu que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté de façon déraisonnable la demande d’asile des demandeurs, mais je ne puis conclure que son analyse fondée sur l’article 96 a porté sur la demande dans son ensemble ou constituait des motifs suffisants. Cela étant, je ferai droit à la présente demande.

 

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), relativement à la décision qui a été rendue oralement le 28 juillet 2010 – avec motifs écrits à suivre le 10 septembre 2010 – et par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), à Toronto, a rejeté la demande d’asile à titre de réfugiés au sens de la Convention des demandeurs.

 

LE CONTEXTE

 

[3]               La demanderesse principale, Mme Shamdai Mohan, et son ex-conjoint de fait, Rupan Mohan, sont citoyens de la Guyana. Ils possédaient 110 acres de terres, dont 51 bordaient Buxton, un village à prédominance afro-guyanaise. Les demandeurs sont indo-guyanais et disent craindre d’être persécutés par la communauté afro-guyanaise. À cause de leur origine indienne, soutiennent-ils, leurs bêtes de ferme ont été volées, maltraitées et tuées et, en 2005, leur maison a été incendiée. En 2006, l’époux de la demanderesse principale a été victime d’un vol à main armée commis par deux hommes afro-guyanais. La demanderesse principale a été volée et menacée pendant qu’elle circulait à bord d’un autobus en compagnie d’autres personnes d’origine indo-guyanaise.

 

[4]               La demanderesse principale est venue au Canada à plusieurs reprises pour y passer des vacances : du mois d’août au mois de septembre 2000, du mois d’août au mois de septembre 2003 et du mois de mars au mois d’avril 2005. En 2003, elle a sollicité le statut de résident permanent à titre de membre de la catégorie « immigration économique », mais sa demande a été rejetée. Les demandeurs sont ensuite arrivés au Canada le 11 juillet 2007 et ils ont demandé l’asile le 9 septembre suivant.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

 

[5]               La Commission a tiré une conclusion défavorable à propos de la crainte subjective des demandeurs. Cela était dû au fait que, même si leur vie avait été menacée et si leurs biens avaient été endommagés pendant dix ans, ils étaient rentrés en Guyana après chaque visite au Canada. Elle a également conclu qu’il n’existait aucun lien entre le préjudice que craignaient les demandeurs et les motifs énoncés dans la Convention. Elle a jugé que le risque qu’ils couraient était un crime généralisé auxquels faisaient face d’autres citoyens en Guyana. Elle a conclu, dans ce contexte, que les demandeurs ne satisfaisaient pas aux critères relatifs à l’obtention du droit d’asile qui sont énoncés aux articles 96 et 97 de la LIPR.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[6]               La présente demande repose sur la question de savoir si la Commission a commis une erreur en omettant de motiver convenablement sa décision selon laquelle il n’existait aucun lien avec l’un des motifs énoncés dans la Convention.

 

ANALYSE

Le commissaire a-t-il commis une erreur en omettant de motiver convenablement la décision selon laquelle il n’existait aucun lien avec l’un des motifs énoncés dans la Convention?

 

 

[7]               Il est bien établi que « des motifs sont suffisants lorsqu’ils remplissent les fonctions pour lesquelles l’obligation de motiver a été imposée » : Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports (C.A.), [2001] 2 C.F. 25, [2000] A.C.F. no 1685 (QL), au paragraphe 21. Dans le contexte du droit administratif, il existe certains objectifs qui sous-tendent l’obligation de donner des motifs : l’équité envers les parties, la justification, la transparence et l’intelligibilité : Administration de l’aéroport international de Vancouver c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, 9 Admin. L.R. (5th) 79, au paragraphe 13, citant Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 43, ainsi que Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47. Cela dit, un décideur administratif n’est nullement tenu « d’écrire des motifs relativement à des arguments qui, compte tenu du dossier et de la loi en vigueur, n’ont aucune chance de succès » : Ralph c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 256, 410 N.R. 175, au paragraphe 19. Le fait de ne pas fournir de motifs appropriés est une erreur de droit et, de ce fait, aucune déférence n’est requise de la part de la présente Cour lorsqu’elle contrôle à cette fin la décision d’un office ou d’un tribunal : Via Rail, précitée, au paragraphe 33.

 

[8]               Selon les demandeurs, l’analyse fondée sur l’article 96 que la Commission a effectuée a donné lieu à des motifs insuffisants pour décider qu’il n’y avait pas de lien avec l’un des motifs énoncés dans la Convention. Le texte de l’article 96 est le suivant :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

[9]               L’analyse que fait la Commission au sujet du lien se trouve aux paragraphes 9 à 11 de sa décision :

[9]        La question déterminante liée à cette analyse relative à l’article 96 concerne l’existence d’un lien, c’est-à-dire qu’il s’agit d’évaluer si le préjudice que vous craignez de subir est lié à l’un des motifs prévus dans la Convention. J’estime que tel n’est pas le cas.

[10]      L’activité que vous craignez constitue une activité criminelle. La Cour fédérale a statué que les victimes d’actes criminels, de corruption ou de vendettas ne réussissent généralement pas à établir un lien entre leur crainte de persécution et l’un des motifs prévus dans la Convention. La conclusion de la Commission a été confirmée concernant l’absence de lien lorsqu’une personne a été la cible d’une vendetta personnelle ou victime d’un acte criminel.

[11]      Vous craignez des criminels et des actes criminels. Votre crainte en l’espèce n’est liée ni à la race, ni à la religion, ni à la nationalité, ni aux opinions politiques ni à l’appartenance à un groupe social. Par conséquent, j’estime que vous êtes victimes d’un acte criminel, ce qui ne permet pas d’établir un lien avec l’un des motifs prévus dans la Convention. Ainsi, vos demandes d’asile doivent être rejetées aux termes de l’article 96 de la LIPR. Toutefois, une analyse distincte effectuée à la lumière de l’article 97 de la LIPR figure ci-après.

[Références omises.]

 

[10]           Je conviens avec les demandeurs que cette analyse n’est ni justifiée ni un reflet des éléments de preuve produits. Plus précisément, elle ne traite pas du formulaire de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse principale, dans lequel cette dernière fait explicitement référence au fossé ethnique qui existe en Guyana entre les communautés indo-guyanaise et afro‑guyanaise :

[traduction

Malheureusement, la population guyanaise demeure extrêmement divisée pour des motifs ethno-raciaux, et elle se compose à la fois des Indo-guyanais, ou des personnes d’origine ethnique indo-orientale/hindoue, et des Afro-guyanais, ou des personnes d’origine africaine/chrétienne. À cause de cet ensemble particulier de circonstances, notre famille et moi-même, y compris nos enfants, avons connu de graves difficultés et conflits, comme divers incidents de ciblage, de sévices, d’abus et une menace d’enlèvement visant ma fille.

[…]

Quand nous habitions en Guyana, où nous exploitions une ferme laitière de 51 acres, nous étions souvent pris pour cible par des membres de la communauté afro-guyanaise et, de ce fait, nous avons été victimes de multiples attaques et incidents de vol, d’abus et de dommages matériels.

[Souligné dans l’original.]

 

 

[11]           La décision ne traite pas non plus de la raison pour laquelle les incidents de menaces et de violence n’ont aucun lien avec l’origine ethnique des demandeurs. Leur demande d’asile reposait sur la crainte d’être victimes d’actes criminels à cause de leur richesse, et du fait de leur appartenance à la communauté indo-guyanaise.

 

[12]           La Commission a signalé avec raison que les victimes d’actes criminels, de corruption ou de vendettas ne parviennent généralement pas à faire un lien entre leur crainte de persécution et l’un des motifs énoncés dans la Convention. Cependant, la Cour a également statué que le fait d’être victime d’une vendetta privée et celui d’être un réfugié au sens de la Convention ne sont pas mutuellement et nécessairement exclusifs : Pepa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 834, 222 F.T.R. 315, au paragraphe 9. La demande d’asile étant fondée principalement sur l’origine ethnique des demandeurs en tant que membres de la communauté indo-guyanaise, il aurait fallu que la Commission analyse pourquoi, ou en quoi, la criminalité dont ils étaient victimes n’était pas attribuable à leur appartenance à ce groupe particulier. Comme la Commission a omis de le faire, on ne peut pas conclure que ses motifs sont suffisants.

 

[13]           Aucune question à certifier n’a été proposée, et aucune ne le sera.

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et l’affaire renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6089-10

 

INTITULÉ :                                       SHAMDAI MOHAN

RUPAN MOHAN

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 MAI 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 8 JUILLET 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bahman Motamedi

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Bradley Bechard

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BAHMAN MOTAMEDI

Green and Spiegel LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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