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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110711

Dossier : T-1528-10

Référence : 2011 CF 884

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

ENTRE :

EDWIN SIGGELKOW

 

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les présents motifs de l’ordonnance et ordonnance font suite à une ordonnance datée du 28 mars 2011 par laquelle le protonotaire Lafrenière, de la présente Cour, a rejeté l’action du demandeur (T-1528-10). Ce dernier souhaitait soumettre à un contrôle judiciaire la délivrance de mandats de perquisition et saisie en vertu de l’article 487 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46. Il sollicitait également un jugement déclaratoire au sujet de la capacité de l’Agence du revenu du Canada d’obtenir des mandats de perquisition au moment de faire enquête sur des infractions à la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) et à la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15, en vertu de l’article 487 du Code criminel, plutôt que des dispositions précises de la Loi de l’impôt sur le revenu et de la Loi sur la taxe d’accise en matière de mandats. Pour les motifs exposés en détail ci-après, le protonotaire Lafrenière a radié la demande au motif que celle-ci n’avait aucune chance de succès.

 

[2]               Comme les mêmes questions ont été soulevées dans les dossiers T-1523-10 et T‑1524‑10, la présente ordonnance traite de la présente requête déposée devant la Cour conformément aux dispositions de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, de la même façon qu’elle est traitée dans les autres dossiers.

 

I. L’ordonnance du 28 mars 2011 du protonotaire Lafrenière

 

[3]               Le protonotaire Lafrenière a rendu une ordonnance dans laquelle a été exercée la compétence inhérente de la Cour pour annuler une demande à un stade préliminaire. Se fondant sur l’arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc, [1995] 1 CF 588 (CA) (David Bull Laboratories), la Cour a décrété que les demandes [traduction] « n’avaient manifestement aucune chance de succès ». Les trois avis de demande faisaient état de nombreux motifs de contrôle et de jugement déclaratoire concernant non seulement les mandats particuliers des demandeurs eux-mêmes, mais aussi des actions et des politiques de l’Agence du revenu du Canada (ARC).

 

[4]               Premièrement, le protonotaire Lafrenière s’est dit convaincu que la décision de l’ARC de présenter une demande de mandat de perquisition et de saisie était une [traduction] « mesure administrative et procédurale » et que, cela étant, elle ne pouvait pas être contrôlée par la Cour (FK Clayton Group Ltd c. Canada (Ministre du Revenu national), (1988) 24 FTR 162) (FK Clayton Group). Deuxièmement, il a insisté sur le fait que c’était des juges de paix qui délivraient les mandats. C’est donc dire que ces décisions n’étaient pas susceptibles de contrôle par la Cour fédérale car la question de la délivrance des mandats relevait [traduction] « bien clairement de la compétence des tribunaux provinciaux ».

 

II. Analyse

 

[5]               Ceci étant dit avec égards, la requête visant à faire infirmer l’ordonnance du protonotaire Lafrenière est accueillie. L’ordonnance de ce dernier est valable en droit et dans les faits. Comme nous le verrons plus loin, s’il convient de l’infirmer c’est uniquement parce que les documents que le demandeur a produits à l’appui de la requête fondée sur l’article 51 des Règles traitaient de questions que le protonotaire Lafrenière, dans son ordonnance, n’a pas prises en considération.

 

[6]               Quant au fait de solliciter le contrôle judiciaire de la décision de délivrer les mandats eux‑mêmes, l’ordonnance du protonotaire Lafrenière expose les bons éléments du droit. Pour dire les choses simplement, la Cour n’a pas compétence pour contrôler les décisions que prennent les juges de paix des provinces. La délivrance de mandats de perquisition et de saisie sous le régime du Code criminel est une décision qui, effectivement, relève clairement de la compétence des tribunaux provinciaux. Contrairement à ce que laissent entendre certains des documents présentés, il n’existe aucune hiérarchie implicite entre la compétence des juges, et la Cour se méfie de telles insinuations. Le même raisonnement s’applique à la compétence dont sont investis les protonotaires de la Cour. Dans ce contexte, la présente requête n’est pas accueillie pour une raison qui aurait trait à la compétence du protonotaire, dont l’interprétation inexacte, par le demandeur, de l’article 50 des Règles des Cours fédérales, ou la compétence d’un juge quelconque.

 

[7]               La Cour a bénéficié de mémoires complémentaires à l’appui de la requête fondée sur l’article 51 des Règles, mémoires dans lesquels le demandeur reconnaît qu’il n’a pas accès à un grand nombre des motifs de recours initialement demandés. Dans ce contexte, il est possible que les questions qui se situent au cœur même de l’affaire n’aient pas été soumises clairement au protonotaire Lafrenière. Cependant, elles l’ont été clairement devant la Cour et, pour les motifs suivants, l’ordonnance du 28 mars 2011 est infirmée.

 

[8]               Il est maintenant évident que ce qui doit être considéré comme des motifs de recours aux termes des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales n’est pas la délivrance des mandats de perquisition et de saisie en tant que tels. L’argument invoqué est plutôt que la pratique qu’a l’ARC de demander ces mandats en vertu de l’article 487 du Code criminel est illégale car elle « contourne » les procédures relatives aux mandats que prévoient la Loi de l’impôt sur le revenu et la Loi sur la taxe d’accise. Les procédures établies en vertu de ces deux lois sont, fait-on valoir, plus strictes et aussi plus sensibles aux droits que la Charte confère au demandeur. La question n’est donc pas la délivrance de mandats dans le cas particulier du demandeur, mais celle de savoir si, par principe, dans la pratique ou en tant que simple question de fait, la pratique qu’a l’ARC de recourir à l’application de l’article 487 du Code criminel est légale.

 

[9]               En premier lieu, le contrôle judiciaire de la pratique qu’a l’ARC, s’il s’agit bel et bien d’une pratique répandue, de recourir à l’article 487 du Code criminel concorde avec une notion de plus en plus répandue au sujet de ce qui doit être considéré comme une décision ou une ordonnance et une affaire à contrôler en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. À l’appui de cette perspective plus vaste du contrôle judiciaire, le pouvoir que confère la Cour d’appel fédérale dans un arrêt récent, May c. CBC/Radio Canada, 2011 CAF 130, est des plus pertinents.

 

[10]           En second lieu, le défendeur soutient, en invoquant les décisions suivantes : Canada (Gendarmerie royale du Canada) c. Canada (Procureur général), [2007] A.C.F. no 752 (GRC); R. c. Multiform Advertising Co, [1990] 2 R.C.S. 624 (Multiform Advertising Co); R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223 (Grant); et FK Clayton Group, que les questions de droit qui découlent des demandes ont été tranchées antérieurement par les tribunaux, et cela a pour effet de priver ces dernières de toute chance de succès. À l’appui de cet argument, le défendeur cite l’arrêt LJP Sales Agency Inc. c. Ministre du Revenu national, 2007 CAF 114, où il est décrété que, pour que l’on puisse tirer une telle conclusion, il faut que les faits des affaires « ne s’écarte[nt] pas sensiblement des faits de l’arrêt » (paragraphe 4), car ils doivent aussi n’exiger « aucun fait nouveau » (paragraphe 8).

 

[11]           À première vue, les décisions GRC, Multiform Advertising Co, Grant et FK Clayton Group s’écartent sensiblement de la présente espèce et requièrent des faits nouveaux. Comme cela constituera probablement une question litigieuse au procès, il suffit de dire que l’on n’a pas satisfait à cet égard au critère très rigoureux qui s’applique à l’annulation d’une demande à un stade préliminaire. Un argument à l’appui de cela est l’existence unique d’un litige relatif à la constitutionnalité des demandes de mandat de perquisition et de saisie sous le régime de la version antérieure de la Loi de l’impôt sur le revenu, que la Cour suprême a considérées comme inconstitutionnelles dans l’arrêt Baron c. R, [1993] 1 RCS 416.

 

[12]           Qui plus est, on peut dire que les dossiers, en leur état actuel, n’étayent pas l’argument selon lequel ils n’exigent aucun fait nouveau. Cela peut être dit à la lumière des lois interprétées en l’espèce qui sont différentes de celles qui étaient pertinentes dans les affaires susmentionnées. De plus, on peut dire qu’il faut fournir plus de renseignements quant à la nature de la « décision » que prend l’ARC de demander des mandats en vertu de l’article 487 du Code criminel.

 

[13]           On ne peut faire mieux que citer les propos du juge Strayer dans l’arrêt David Bull Laboratories, où il est dit que « le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d’instance qu’elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l’audition de la requête même ». On peut dire la même chose de la présente requête en radiation de la demande. Certes, les deux parties semblent présenter des causes défendables, et il n’est pas question ici d’une demande qui n’a « clairement aucune chance de succès », quand on la considère sous l’angle de l’obtention de mandat en vertu de l’article 487 du Code criminel, plutôt qu’en vertu des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu et de la Loi sur la taxe d’accise.

 

[14]           Comme l’a reconnu le défendeur, les questions que soulève la requête en radiation étaient cruciales pour les dernières questions de l’affaire, et il est justifié que la Cour procède à un nouveau contrôle. De plus, comme nous l’avons vu plus tôt, l’annulation complète de la demande elle-même était fondée sur une mauvaise compréhension, faite de bonne foi, des faits et des questions litigieuses de l’affaire David Bull Laboratories. Là encore, de nombreuses prétentions relevées dans l’avis de demande initial devaient bel et bien être radiées du dossier. Mais on ne peut pas dire la même chose de la question sous-jacente à juger, soit la légalité de la pratique qu’a l’ARC (si pratique il y a) de recourir à l’article 487 du Code criminel lorsqu’elle demande des mandats de perquisition et de saisie.

 

[15]           Dans ce contexte, la requête déposée en vertu de l’article 51 des Règles est accueillie, et l’ordonnance datée du 28 mars 2011 du protonotaire Lafrenière est infirmée.

 

[16]           Comme l’affaire comporte les mêmes questions de droit, la procédure suivie pour celle-ci ainsi que pour les dossiers T-1523-10 et T-1524-10 se déroulera sous la forme d’une procédure de gestion d’instance, et ces affaires seront entendues conjointement, comme le décidera le juge chargé de la gestion de l’instance.

 

[17]           Le protonotaire Lafrenière a ordonné des dépens fixes à l’encontre du demandeur. Compte tenu de ce qui précède ainsi que des premiers documents que le demandeur a soumis, la Cour exercera le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 400 des Règles des Cours fédérales; aucuns dépens ne seront accordés pour la présente requête ou la requête en radiation et ils suivront l’issue de la cause.

 

[18]           Comme il sera probablement nécessaire de parfaire les dossiers afin qu’ils reflètent la présente ordonnance et traitent mieux des questions qui seront analysées au procès, le juge chargé de la gestion de l’instance fixera un délai dans lequel seront produites des observations supplémentaires.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

-          la requête présentée en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales est accueillie;

-          l’ordonnance datée du 28 mars 2011 du protonotaire Lafrenière est infirmée;

-          la procédure se poursuivra sous la forme d’une procédure de gestion d’instance, de pair avec les dossiers T-1523-10 et T-1524-10;

-          le protonotaire Lafrenière est par la présente désigné comme juge chargé de la gestion de l’instance;

-          les dépens suivront l’issue de la cause.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil

 

 

 

 

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