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Date : 20110622

Dossier : T‑1515‑10

Référence : 2011 CF 736

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2011

En présence de monsieur le juge Crampton

 

 

ENTRE :

 

ABBAS MAMNUNI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, M. Abbas Mamnuni, se trouvait à l’aéroport international de Vancouver, après avoir quitté Toronto à destination de la Chine, lorsqu’un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) qui procédait à des contrôles relatifs à l’exportation d’espèces s’est adressé à lui. L’agent de l’ASFC a en fin de compte saisi les euros, les dollars canadiens et les dollars américains, dont la valeur globale se chiffrait à environ 53 000 $ CA, qu’il avait en sa possession. L’agent soupçonnait qu’il s’agissait de produits de la criminalité, comme le prévoient les articles 12 et 18 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17 (la Loi). M. Mamnuni a alors demandé au ministre d’examiner la validité de la saisie, conformément à l’article 25 de la Loi.

 

[2]               En août 2010, la directrice de la division des appels de la direction des recours, agissant au nom du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (la représentante du ministre), a conclu, en vertu de l’article 27 de la Loi, qu’il y avait eu contravention à la Loi. Conformément à l’article 29 de la Loi, elle a également confirmé la confiscation des espèces.

 

[3]               Le demandeur sollicite l’annulation de cette décision parce que la représentante du ministre a fait erreur :

i)    en lui imposant un fardeau de preuve impossible; 

 

ii)   en prenant sa décision sans tenir compte du fait que les espèces saisies constituaient un ensemble et une accumulation d’espèces dont la déclaration n’était pas obligatoire;

 

iii)   en ne tenant pas compte des prescriptions de l’article 14 de la Loi;

 

iv)  en ne respectant pas les principes de justice naturelle pour rendre sa décision.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

 


I. Le contexte

[5]               M. Abbas Mamnuni est un homme d’affaires qui possède et exploite un magasin de vêtements et une entreprise d’importation de vêtements appelée Montberg Ltd. Le 26 février 2009, il a quitté Toronto à destination de la Chine, faisant escale à l’aéroport international de Vancouver.

 

[6]               Pendant qu’il attendait son vol de correspondance à l’aéroport international de Vancouver, et après avoir franchi les contrôles de sécurité habituels, il a été abordé par un agent de l’ASFC qui l’a informé qu’il procédait à un contrôle de l’exportation des espèces. La Cour a obtenu deux versions très différentes de ce qui s’est alors produit.

 

[7]               Selon M. Mamnuni, l’agent lui a demandé s’il avait en sa possession des espèces dont la valeur était égale ou supérieure à 10 000 $, ce à quoi il a immédiatement répondu par l’affirmative. Il prétend que, lorsqu’on lui a demandé quel était le montant qu’il avait en sa possession, il a répondu qu’il avait avec lui environ 32 500 euros et quelques centaines de dollars canadiens et américains. Lorsqu’on lui a ensuite demandé s’il avait déclaré ces espèces avant son départ, il a répondu par la négative. Il a alors été escorté jusqu’à un bureau où on lui a demandé de produire toutes les espèces qu’il avait avec lui. M. Mamnuni a alors produit 32 520 euros, 940 dollars canadiens, 151 dollars américains, 2 220 yuans chinois et 110 000 wons coréens. Les devises chinoises et coréennes lui ont été restituées pour des raisons d’ordre humanitaire. Le reste de l’argent a été saisi par l’agent.

 

[8]               Selon le défendeur, on a d’abord demandé à M. Mamnuni s’il était au courant de la Loi et quelle était la destination de son voyage. Il a répondu qu’il était au courant de la Loi et qu’il se rendait en Chine par affaires. On lui a ensuite demandé s’il avait fait une déclaration à l’ASFC avant son départ. Il a répondu qu’il n’en avait pas fait. On ne lui a pas demandé s’il avait de l’argent à déclarer. Il a plutôt été escorté jusqu’au bureau du contrôle de l’exportation des espèces, pour un interrogatoire plus approfondi, où il a produit toutes les devises qu’il avait en sa possession. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas déclaré cet argent, comme la Loi l’exige, il a dit qu’il avait tout simplement oublié de le faire. Dans les observations écrites qu’il a soumises par la suite, il a attribué cet oubli, du moins en partie, au fait qu’il avait acheté son billet d’avion seulement la veille de son départ de Toronto. Compte tenu des réponses que M. Mamnuni avait données aux diverses questions qu’il lui avait posées, l’agent a saisi les euros et les dollars canadiens et américains que celui‑ci avait en sa possession.

 

[9]               Le 16 avril 2009, M. Mamnuni a sollicité une révision ministérielle de la décision de l’agent. Après avoir reçu de nombreuses observations écrites de M. Mamnuni et un rapport écrit détaillé de l’agent en question, l’arbitre de l’ASFC (l’arbitre) a recommandé à la représentante du ministre de conclure qu’il y avait eu contravention à la Loi et de confirmer la confiscation des espèces.

 

II. Les dispositions législatives pertinentes

[10]           Les dispositions législatives applicables en l’espèce figurent dans la Loi et sont jointes comme annexe A aux présents motifs.

 

[11]           En résumé, comme le précise son article 3, la Loi a pour objet de mettre en œuvre des mesures visant à détecter et décourager le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et à faciliter les enquêtes s’y rapportant, de combattre le crime organisé et d’aider le Canada à remplir ses engagements internationaux dans la lutte contre le crime transnational et les activités terroristes. Conformément à ces objectifs, le paragraphe 12(1) exige que les personnes décrites au paragraphe 12(3) déclarent à un agent de l’ASFC l’importation ou l’exportation des espèces ou effets d’une valeur égale ou supérieure au montant réglementaire, qui est actuellement établi à 10 000 $ sous le régime du Règlement sur la déclaration des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets, DORS/2002‑412.

 

[12]           Les personnes qui quittent le Canada et qui ont des espèces en leur possession sont visées par le paragraphe 12(3).

 

[13]           En vertu du paragraphe 18(1), l’agent qui a des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1) peut saisir à titre de confiscation les espèces ou effets en question. Le paragraphe 18(2) prévoit que l’agent de l’ASFC doit restituer les espèces ou effets saisis sur réception du paiement de la pénalité réglementaire, sauf s’il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu’il s’agit de produits de la criminalité.

 

[14]           En vertu de l’article 25, la personne entre les mains de qui ont été saisies des espèces peut, dans les 90 jours suivant la saisie, demander au ministre de décider s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1). Le ministre doit alors décider s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1) (article 27). Si le ministre conclut qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), il peut : (i) décider de restituer les espèces ou effets, ou un montant équivalent, sur réception du paiement de la pénalité ou sans pénalité; (ii) décider de restituer tout ou partie de la pénalité déjà versée; (iii) confirmer la confiscation en question (article 29).

 

[15]           La personne qui n’est pas satisfaite de la décision rendue par le ministre en vertu de l’article 27, relativement à la question de la contravention, peut en appeler par voie d’action à la Cour fédérale en vertu du paragraphe 30(1).

 

[16]           En plus de ce qui précède, l’article 14 de la Loi prévoit que, si la personne indique à l’agent qu’elle a des espèces ou effets à déclarer en application du paragraphe 12(1), mais que la déclaration n’a pas encore été remplie, l’agent peut, après avoir donné avis à la personne selon les modalités réglementaires, retenir les espèces ou effets en question jusqu’à ce qu’il constate qu’ils ont été déclarés en conformité avec le paragraphe 12(1) ou jusqu’à ce que l’importateur ou l’exportateur des espèces ou effets informe l’agent qu’il a renoncé à poursuivre leur importation ou exportation (paragraphes 14(1) et (3)).

 

III. La recommandation de l’arbitre

[17]           Après avoir résumé la version de l’agent quant aux premiers propos qu’il a échangés avec M. Mamnuni, telle qu’elle a été exposée précédemment, l’arbitre a décrit ce qui s’est ensuite passé entre l’agent et M. Mamnuni. Selon l’arbitre, M. Mamnuni a expliqué qu’il se rendait en Chine afin d’acheter des vêtements pour son magasin, qu’il s’était procuré les euros qu’il avait en sa possession au cours des trois dernières années et que les espèces en question faisaient partie de ses économies et qu’il les gardait chez lui. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il ne les avait pas déposées dans un compte bancaire, le demandeur a répondu qu’il s’agissait de son argent et qu’il pouvait en faire ce qu’il voulait. À la question de savoir pourquoi il avait avec lui des euros alors qu’il se rendait acheter des vêtements en Chine, le demandeur a répondu que les euros sont plus faciles à transporter que les autres monnaies et qu’il pouvait en obtenir un meilleur taux en Chine.

 

[18]           L’arbitre a souligné que l’entrevue révélait que le demandeur avait un train de vie élevé. Il possédait deux véhicules et une maison, dont le solde à payer s’élevait à 410 000 $. Il payait un loyer de 4 900 $ par mois pour son magasin et, même s’il disait connaître des difficultés financières, il possédait deux comptes bancaires personnels dont le solde s’élevait à 18 000 $ et 9 000 $ respectivement. Les comptes bancaires de l’entreprise affichaient également des soldes de 2 000 $ et de 50 000 $ respectivement. De plus, le demandeur possédait des comptes en Chine, lesquels présentaient des mouvements [traduction] « inhabituels » de fonds américains, bien qu’il n’y ait eu aucune opération dans ces comptes depuis mai 2008.

 

[19]           L’arbitre a aussi mentionné que M. Mamnuni [traduction] « se contredisait continuellement » au cours de l’entrevue. Ainsi, il a d’abord affirmé qu’il conservait ses économies chez lui, mais il a par la suite expliqué que quelques semaines auparavant, il avait pris l’argent qui se trouvait dans son coffret de sûreté pour le conserver chez lui. Il s’est également contredit concernant la question de savoir si son épouse était au courant qu’il gardait cet argent à la maison.

 

[20]           L’arbitre a ensuite affirmé que, puisqu’il soupçonnait qu’il s’agissait de produits de la criminalité, l’agent a saisi les espèces en se fondant sur 19 motifs dont les suivants :

i)       Il y avait à l’aéroport des affiches informant les voyageurs sur les mesures législatives applicables en matière d’importation et d’exportation des espèces, mais M. Mamnuni a choisi de ne produire aucune déclaration.

 

ii)      M. Mamnuni a affirmé être au courant de ces mesures législatives.

 

iii)      Il a admis avoir voyagé avec des espèces dont la valeur dépassait le montant réglementaire à deux autres occasions et avoir alors fait la déclaration requise en bonne et due forme.

 

iv)     Il a admis avoir déjà été interrogé par des agents de l’ASFC auparavant.

 

v)      Il voyageait avec des billets achetés le jour précédent.

 

vi)     Il a fait des déclarations contradictoires quant à savoir si son épouse était au courant au sujet des espèces.

 

vii)     Il a fait des déclarations contradictoires concernant le fait qu’il gardait l’argent chez lui.

 

viii)    Il avait en sa possession 65 billets de 500 euros; ces coupures sont souvent utilisées dans le blanchiment de l’argent parce qu’il est plus facile de transporter de grosses sommes d’argent avec moins de billets pour éviter la détection.

 

ix)     Il était nerveux, se balançait d’une jambe à l’autre et avait la bouche sèche.

 

x)      Il ne connaissait pas les montants de revenu qu’il avait déclarés ou touchés dans les années précédentes, alors que ceux qui touchent un revenu légitime en connaissent le montant.

 

xi)     Il voyageait en vue de faire des achats, sans liste d’achats ni liste de fournisseurs, sans savoir ce qu’il voulait acheter et sans savoir combien il dépenserait.

 

[21]           L’arbitre a ensuite examiné les observations présentées par M. Mamnuni à l’appui de sa demande de révision ministérielle. Elle a entre autres résumé sa version de la conversation qu’il avait eue avec l’agent. Elle a également pris acte de certains renseignements qui indiquaient qu’il avait souvent voyagé en Chine, qu’il avait déjà importé des vêtements de la Chine et qu’il y avait des comptes d’épargne dans lesquels toutes les opérations étaient faites en devises américaines ou chinoises.

 

[22]           De plus, elle a noté que M. Mamnuni avait produit les déclarations fiscales de son entreprise pour les années d’imposition allant de 2002 à 2008, sur lesquelles figuraient les résultats suivants : (i) 11 993 $ pour l’exercice 2002‑2003; (ii) 15 846 $ pour l’exercice 2003‑2004; (iii) 17 749 $ pour l’exercice 2004‑2005; (iv) 21 453 $ pour l’exercice 2005‑2006; (v) ‑ 271,40 $ pour l’exercice 2007‑2008. Quant à son revenu personnel, la preuve indiquait qu’il était passé de 25 597 $ à 39 638 $ entre 2006 et 2008. En ce qui a trait aux fonds provenant d’autres sources, elle a noté que M. Mamnuni avait fourni des relevés de virements électroniques faits par son frère pour un montant de 123 000 $ qu’il avait, a‑t‑il affirmé, hérité de son père et ensuite utilisé pour faire un versement comptant sur sa résidence.

 

[23]           Le 16 octobre 2009, l’arbitre a envoyé à M. Mamnuni une lettre dans laquelle elle précisait que les documents qu’il avait fournis faisaient la preuve des liquidités, mais qu’aucun lien ne pouvait raisonnablement être établi entre l’argent saisi en février 2009 et les documents datés de 2007. Elle a ajouté, entre autres choses, qu’aucune explication n’avait été donnée relativement aux contradictions relevées antérieurement. À ce propos, elle a fait remarquer ce qui suit : (i) les déclarations fiscales personnelles de M. Mamnuni démontraient que son revenu était insuffisant pour soutenir son train de vie; (ii) au moment de la saisie, M. Mamnuni a déclaré que l’argent qu’il avait reçu de son frère avait été utilisé pour faire un paiement comptant sur sa maison, et non pour acheter des vêtements en Chine; (iii) M. Mamnuni a affirmé initialement qu’il conservait l’argent chez lui et ce n’est que par la suite qu’il a dit qu’il venait de le retirer de son coffret de sûreté.

 

[24]           Au sujet de la déclaration en bonne et due forme des espèces, l’arbitre a conclu dans son rapport que la preuve permettait d’établir qu’il y avait eu contravention à la Loi, parce que M. Mamnuni n’avait pas produit la déclaration écrite exigée par la Loi avant sa rencontre avec l’agent. Elle a fait état des versions contradictoires de l’agent et de M. Mamnuni concernant leur conversation et elle a mentionné qu’il était possible que le demandeur ait eu l’intention de faire une déclaration mais qu’il n’ait pas eu le temps de la faire avant sa rencontre avec l’agent. Elle a toutefois fait remarquer que le demandeur avait dit qu’il avait oublié de produire une déclaration, et non qu’il avait l’intention de la produire.

 

[25]           De façon similaire, l’arbitre a rejeté les observations de M. Mamnuni sur la légitimité de la provenance des espèces. À cet égard, elle a répété certains des facteurs que l’agent avait mentionnés, notamment certaines incohérences dans la preuve de M. Mamnuni.

 

[26]           Elle a souligné que les documents fournis par M. Mamnuni portaient essentiellement sur son revenu annuel et sur la situation financière de son entreprise et qu’ils ne démontraient pas la provenance légitime des espèces saisies.

 

[27]           Compte tenu de tout ce qui précède, l’arbitre a fait les recommandations suivantes : (i) la représentante du ministre devrait conclure, en vertu de l’article 27 de la Loi, qu’il y a eu contravention à la Loi ou au Règlement quant aux espèces saisies; (ii) la représentante du ministre devrait conclure, en vertu de l’article 29, que la confiscation des espèces saisies devraient être « confirmée ».

 

IV. La décision visée par le contrôle

[28]           Le 23 août 2010, la représentante du ministre a rendu une décision qui correspondait de façon générale aux conclusions et aux recommandations de l’arbitre. Pour expliquer les motifs de sa décision, elle a commencé par résumer la version du défendeur quant à la conversation qu’il avait eue avec M. Mamnuni à l’aéroport international de Vancouver. Elle a ensuite énuméré les 19 points mentionnés précédemment et qui, selon l’agent, constituaient des motifs raisonnables de soupçonner que les espèces en question étaient des produits de la criminalité. Elle a ensuite constaté que ces motifs avaient été reconnus comme des motifs valables dans l’établissement des motifs raisonnables de soupçonner qu’il s’agissait de produits de la criminalité.

 

[29]           La représentante du ministre a ensuite examiné les observations de M. Mamnuni concernant la provenance des espèces. Elle a noté qu’il avait expliqué que l’argent devait servir en grande partie à acheter des vêtements en Chine et que la preuve présentée incluait des déclarations fiscales de l’entreprise de M. Mamnuni, des documents d’importation et d’autres documents à l’appui de l’explication voulant que son revenu soit faible et tiré uniquement des activités de son entreprise. Par ailleurs, elle a conclu que cette preuve n’établissait pas un lien tangible entre les espèces saisies et la légitimité de leur provenance. Elle a également fait remarquer que les relevés de conversion monétaire soumis par le demandeur portaient une date entre août 2006 et septembre 2008, soit bien avant le voyage de M. Mamnuni en Chine, un pays où il a dit avoir voyagé une ou deux fois par année depuis plusieurs années.

 

[30]           De plus, elle a mentionné que, selon la deuxième explication donnée par M. Mamnuni concernant la provenance des espèces, l’argent constituait l’héritage reçu de son père qui lui avait été envoyé par sa famille en Iran. Elle a fait remarquer qu’il n’avait présenté aucune preuve à l’appui de cette affirmation et que, au moment de la saisie des espèces, il avait mentionné que l’argent dont il avait hérité avait été utilisé pour faire un versement comptant sur sa maison. Par conséquent, elle a affirmé que cette explication ne pouvait être acceptée et ne démontrait pas la légitimité de la provenance des espèces saisies.

 

[31]           Compte tenu de ce qui précède, la représentante du ministre a conclu que les explications données et la preuve soumise ne permettaient pas de dissiper le doute qu’il s’agissait de produits de la criminalité. Elle a ajouté que, en raison de cette conclusion, elle ne pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire d’annuler la confiscation. Par conséquent, la confiscation des espèces a été maintenue.

 

V. La norme de contrôle applicable

[32]           La norme de contrôle applicable à la première question soulevée, concernant le fardeau de preuve imposé à M. Mamnuni, est celle de la décision raisonnable (Sellathurai c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 255, par. 51; Yang c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CAF 281, par. 9 à 13 (Yang (C.A.F.)). Cette même norme s’applique également à la deuxième question soulevée, à savoir si la représentante du ministre a fait erreur en prenant sa décision sans tenir compte du fait que les espèces constituaient un ensemble et une accumulation d’espèces dont la déclaration n’était pas obligatoire (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, par. 51 à 55).

 

[33]           À mon avis, la question de savoir si la représentante du ministre a fait erreur en ne tenant pas compte des prescriptions de l’article 14 de la Loi est également assujettie à la norme de la décision raisonnable, car il s’agit essentiellement d’une question touchant à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ministériel (Dunsmuir, précité, par. 53) et, le cas échéant, à l’interprétation des circonstances dans lesquelles la loi habilitante ou « constitutive » en question prévoit l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire (Dunsmuir, précité, par. 54 et 59; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 44; Celgene Corp. c Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, par. 34; Smith c. Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, par. 26, 37 et 38). Cela dit, cela n’a aucune incidence, puisque j’ai déterminé que le législateur ne voulait pas que le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 14 de la Loi soit exercé dans des circonstances où, comme en l’espèce, une personne n’a pas indiqué qu’elle avait des espèces à déclarer avant de franchir les contrôles de sécurité au point de départ du Canada et avant d’être abordée par un agent des douanes.

 

[34]           La quatrième question soulevée est plutôt mal formulée, mais il s’agit en fait de déterminer si le pouvoir discrétionnaire du ministre a été exercé en conformité avec les principes d’équité procédurale. Cette question est susceptible de contrôle suivant la norme de la décision correcte (Dunsmuir, précité, par. 55 et 79; Khosa, précité, par. 43).

 

VI. Analyse

A.  La représentante du ministre a‑t‑elle fait erreur en imposant un fardeau de preuve impossible au demandeur?

 

 

[35]           M. Mamnuni a soutenu que la représentante du ministre avait commis une erreur de droit en lui imposant un fardeau et une norme de preuve trop stricts. À cet égard, il a mentionné que l’arbitre avait affirmé, dans une lettre qu’elle lui avait adressée le 1er octobre 2009, que l’explication relative à la provenance des espèces [traduction] « doit être étayée par suffisamment de détails et par une preuve suffisamment crédible, fiable et indépendante pour établir qu’aucune autre explication raisonnable n’est possible » (non souligné dans l’original). De même, dans une lettre datée du 16 octobre 2009, elle a affirmé que [traduction] « le défaut de fournir une explication crédible permettant de dissiper tous les doutes concernant la nature légitime des espèces saisies » était susceptible d’entraîner le maintien de la confiscation des espèces (non souligné dans l’original). M. Mamnuni a également signalé que, dans sa recommandation à la représentante du ministre, l’arbitre a décrit le fardeau de la preuve essentiellement dans les mêmes termes.

 

[36]           À l’appui de sa position, M. Mamnuni a invoqué la décision Yusufov c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 453, selon laquelle les conclusions de l’arbitre font partie intégrante de la décision de la représentante du ministre. En ce qui a trait au fardeau de la preuve, il s’est appuyé sur la décision Qasem c. Canada (Ministre du Revenu national), 2008 CF 31.

 

[37]           Je ne souscris pas aux arguments de M. Mamnuni.

 

[38]           Dans Yusufov, précité, les parties ont reconnu que le résumé de l’affaire et les motifs de décision de l’arbitre faisaient partie intégrante des motifs de la décision ministérielle. La juge Judith A. Snider n’a donc pas analysé davantage cette question dans ses motifs. Par ailleurs, dans une décision subséquente, Yang c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 158 (Yang (C.F.)), la juge Snider a rejeté la thèse voulant que ce soit l’arbitre qui avait en fait rendu la décision contestée parce que le représentant du ministre s’était contenté de l’approuver automatiquement. Elle est parvenue à sa décision après avoir constaté qu’il existait des différences entre la décision du représentant du ministre et les recommandations faites dans le résumé de l’affaire et les motifs de l’arbitre. Elle a fait remarquer que cela indiquait que le représentant du ministre ne s’était pas contenté de reproduire automatiquement le résumé de l’affaire et que, au contraire, il avait exercé son pouvoir discrétionnaire et son pouvoir décisionnel. La conclusion de la juge Snider sur ce point n’a pas été examinée dans l’arrêt de la Cour d’appel fédérale confirmant sa décision (Yang (C.A.F.), précité).

 

[39]           Comme dans Yusufov, précité, la représentante du ministre dans la présente affaire a fourni ses propres motifs de décision. Elle a résumé les observations et la preuve de M. Mamnuni avant de conclure qu’ils [traduction] « ne permettaient pas de dissiper le doute qu’il s’agissait de produits de la criminalité ». Sur la foi des renseignements contenus dans la lettre, incluant les motifs sur lesquels l’agent s’était appuyé pour saisir les espèces, je suis convaincu que la représentante du ministre ne s’est pas contentée d’approuver automatiquement les recommandations de l’arbitre et qu’elle a plutôt exercé son propre pouvoir discrétionnaire et son pouvoir décisionnel. Ma conclusion sur ce point est renforcée par le fait que, dans sa décision, la représentante du ministre a expressément déclaré qu’elle avait [traduction] « examiné entièrement les documents fournis [par M. Mamnuni] ainsi que les rapports de l’agent ».

 

[40]           La situation de la représentante du ministre en l’espèce est qualitativement très différente des situations dans lesquelles le rapport d’un agent administratif peut être considéré comme faisant partie intégrante d’une décision susceptible de contrôle qui a été rendue par le représentant du ministre ou par une autre personne. Dans ces situations, la décision du représentant du ministre ou de l’autre personne consiste essentiellement à approuver automatiquement la décision de l’agent, sans donner d’explications quant à son fondement. Par exemple, en matière d’immigration, on considère parfois que les notes consignées par les agents administratifs dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI) font partie intégrante de la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire, parce que la lettre informant le demandeur de la décision n’en explique pas les motifs et que le notes contenues dans le STIDI constituent en principe le compte rendu de ces motifs. Pour les motifs exposés précédemment, la décision de la représentante du ministre en l’espèce faisait état de ces motifs et témoignait d’un exercice complet et véritable du pouvoir discrétionnaire prévu par la Loi.

 

[41]           La représentante du ministre n’a parlé du fardeau que vers la fin de sa décision, après avoir résumé la preuve de M. Mamnuni et avoir énuméré les motifs de l’agent de soupçonner que les espèces en question étaient des produits de la criminalité. Elle a alors conclu que [traduction] « les documents ne démontraient pas la légitimité de la provenance des espèces saisies » et que [traduction] « les explications données et la preuve soumise ne permettaient pas de dissiper le doute qu’il s’agissait de produits de la criminalité ». Elle a ajouté ce qui suit : [traduction] « compte tenu de ce qui précède, je ne peux exercer mon pouvoir discrétionnaire d’annuler la confiscation des espèces et, par voie de conséquence, la confiscation est maintenue ».

 

[42]           Les formulations [traduction] « ne démontraient pas la légitimité de la provenance des espèces saisies » et [traduction] « ne permettaient pas de dissiper le doute qu’il s’agissait de produits de la criminalité » employées par la représentante du ministre sont très semblables aux termes employés par le représentant du ministre dans l’arrêt Sellathurai, précité (voir par. 14) et dans la décision Yang (C.F.), précité (voir par. 23). Ces décisions ont été rendues après la décision de la Cour dans l’affaire Qasem, précitée, et reflètent davantage le droit actuel sur cette question.

 

[43]           Dans l’arrêt Sellathurai, précitée, au paragraphe 43, la Cour d’appel fédérale a souligné que cette formulation situe de façon erronée la nature du pouvoir discrétionnaire exercé en vertu de l’article 29, parce qu’elle laisse entendre que la décision de l’agent qui a procédé à la saisie est réévaluée. Or, « dès lors que la contravention à l’article 12 est confirmée, la seule question qu’il reste à trancher est celle de savoir si le ministre annulera ou non la confiscation ».

 

[44]           La Cour d’appel a ensuite établi la norme de preuve applicable aux décisions prises en application de l’article 29 de la Loi. Au paragraphe 51, elle a déclaré ce qui suit :

 

[…] À quelle norme de preuve le demandeur doit‑il satisfaire pour convaincre le ministre que les fonds saisis ne sont pas des produits de la criminalité? À mon avis, pour y répondre, il faut d’abord répondre à la question de la norme de contrôle. La norme de contrôle qui s’applique à la décision du ministre prévue à l’article 29 est celle de la décision raisonnable. Il s’ensuit que, si la conclusion du ministre au sujet de la légitimité de la provenance des fonds est, vu l’ensemble de la preuve dont il disposait, raisonnable, sa décision n’est pas susceptible de contrôle judiciaire. Dans le même ordre d’idées, si la conclusion du ministre n’est pas raisonnable, sa décision est susceptible de contrôle et la Cour doit intervenir. Il n’est ni nécessaire ni utile de tenter de définir à l’avance la nature et le type de preuve que le demandeur doit soumettre au ministre.

 

 

[45]           Ce raisonnement a été adopté peu de temps après, dans l’arrêt Yang (C.A.F.), précité, au paragraphe 13, où, après avoir longuement cité l’opinion de la majorité dans Sellathurai, précité, la Cour d’appel a affirmé ce qui suit :

 

[13]     Le ministre, à bon droit, a cherché à obtenir de l’appelante des renseignements additionnels quant à la légitimité des fonds. Il n’a pas été convaincu que des renseignements crédibles avaient été présentés à cet égard. Il a conclu que l’appelante n’avait pas [traduction] « produit de preuve documentaire légitime ou de renseignement montrant que les fonds ont été obtenus par des moyens légitimes » et que « le soupçon subsiste » (dossier d’appel, p. 06). Pour reprendre les mots employés par le juge Pelletier au paragraphe 50, le ministre n’étant pas convaincu « que les fonds saisis ne sont pas des produits de la criminalité », il lui était raisonnablement loisible de confirmer la confiscation.

 

 

[46]           Compte tenu de ce qui précède et de la preuve dont disposait la représentante du ministre, je suis convaincu qu’il lui était raisonnablement loisible de refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de confirmer la confiscation des espèces en question. On a demandé de façon répétée et constante à M. Mamnuni de fournir suffisamment de détails pour établir la légitimité de la provenance des espèces. Il ne l’a pas fait et il doit maintenant en subir les conséquences.

 

B.   La représentante du ministre a‑t‑elle fait erreur en prenant sa décision sans tenir compte du fait que les espèces constituaient un ensemble et une accumulation d’espèces dont la déclaration n’est pas obligatoire?

 

[48]           M. Mamnuni a présenté divers arguments à l’appui de ce motif visant à contester la décision de la représentante du ministre. Essentiellement, il estime qu’il n’était pas raisonnable de rejeter ses explications sur les raisons pour lesquelles il était incapable d’étayer suffisamment son affirmation que les espèces saisies représentaient les économies qu’il avait accumulées sur une période de trois ans. En bref, il avait expliqué que ces économies avaient été converties en euros lors de plusieurs opérations dont la déclaration n’était pas individuellement obligatoire parce que la valeur monétaire de chacune ne dépassait pas 10 000 $. Étant donné que les opérations de change étaient inférieures à cette limite, il n’avait conservé aucun document concernant la provenance des fonds.

 

[49]           Je ne souscris pas aux arguments de M. Mamnuni à cet égard qui, en résumé, ne tiennent pas compte du fait qu’il lui incombait de convaincre la représentante du ministre que les espèces saisies n’étaient des produits de la criminalité (Sellathurai, précité, par. 50). Comme l’a souligné la représentante du ministre, les relevés de conversion monétaire, tout comme les autres documents fournis par M. Mamnuni, [traduction] « ne démontraient pas la légitimité de la provenance des espèces saisies ». Par conséquent, il était tout à fait raisonnable que la représentante du ministre refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire, même si M. Mamnuni lui avait fourni ces relevés de conversion.

 

[50]           À mon avis, cette décision faisait bien partie des issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La décision de la représentante du ministre sur ce point était également bien justifiée, transparente et intelligible (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

C.  La représentante du ministre a‑t‑elle fait erreur en ne tenant pas compte des prescriptions de l’article 14 de la Loi?

 

[51]           M. Mamnuni semble prétendre dans ses observations écrites que l’arbitre et la représentante du ministre ont toutes les deux fait erreur en décidant qu’il y avait eu contravention à l’article 12, sans tenir compte de la [traduction] « déclaration de vive voix » qu’il allègue avoir faite à l’agent avant d’entrer dans la salle de vérification à l’aéroport international de Vancouver.

 

[52]           En réponse, le défendeur a soutenu que la Cour n’a pas compétence pour examiner ce motif de contrôle. Il estime qu’il s’agit en bref de déterminer si une déclaration, écrite ou non, a été faite conformément au paragraphe 12(1) de la Loi. Par ailleurs, la question de savoir s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1) repose sur l’article 27, et l’article 30 prévoit qu’il peut être interjeté appel de cette décision par voie d’action devant notre Cour.

 

[53]           Je souscris à la position adoptée par le défendeur sur ce point, laquelle est bien étayée par la jurisprudence de la Cour (voir, par exemple, Dupre c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 1177, par. 24 et 25; Dokaj c. Canada (Ministre du Revenu national), 2005 CF 1437, par. 32 à 38; Tourki c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 50, par. 34 et 35; Ondre c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 454, par. 15).

 

[54]           Quoi qu’il en soit, je tiens à signaler que l’avocat de M. Mamnuni a reconnu dans sa plaidoirie que M. Mamnuni avait contrevenu au paragraphe 12(1).

 

[55]           M. Mamnuni a également avancé que l’agent avait l’obligation d’examiner la possibilité d’exercer en sa faveur le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 14 après la [traduction] « déclaration de vive voix » qu’il lui avait faite. À cet égard, il a fait référence aux dispositions contenues dans le Mémorandum D19‑14‑1 et le Manuel d’exécution de l’ASFC, qui répètent essentiellement ce qui est énoncé au paragraphe 14(1). Il a également souligné que ce dernier document indique qu’« [a]vant de prendre une décision concernant l’établissement d’une pénalité, l’agent devrait prendre en considération des facteurs tels que la négligence, l’insouciance ou l’ignorance de la personne ayant produit la déclaration ». Il faut alors se demander si M. Mamnuni était « une personne ayant produit la déclaration » et si le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 14(1) était censé être appliqué dans des circonstances telles que celles de l’espèce. Qui plus est, s’agissant de l’extrait du Manuel d’exécution de l’ASFC est concerné, il faut dire qu’il apparaît dans une section du manuel traitant de la modification des déclarations, et non de la production tardive des déclarations.

 

[56]           M. Mamnuni a tenté d’invoquer un autre passage du manuel portant sur la procédure à suivre durant une fouille. Or, il allègue avoir fait sa [traduction] « déclaration de vive voix » au début de sa conversation avec l’agent. À ce moment‑là, l’agent avait simplement une conversation préliminaire avec M. Mamnuni.

 

[57]           M. Mamnuni affirme également que, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en application de l’article 29, la représentante du ministre a fait erreur en omettant [traduction] « d’examiner et d’analyser les questions concernant le défaut d’exercice par l’agent du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 14 et les conséquences de ce défaut ».

 

[58]           À l’appui de sa position, M. Mamnuni a affirmé que la [traduction] « simple lecture » de l’article 14 révèle que le législateur a édicté cette disposition afin que les personnes qui informent [traduction] « avec franchise et sans hésitation » l’agent des douanes qu’elles [traduction] « ont des espèces à déclarer et qu’elles ont oublié de remplir la déclaration » ne se voient confisquer leur argent. S’appuyant sur la décision de la Cour suprême dans Maple Lodge Farms Ltd c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, il a soutenu que, dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, les ministres ont l’obligation [traduction] « d’agir de bonne foi et de tenir compte de toutes les considérations pertinentes, de ne pas se laisser influencer par celles qui sont dépourvues de pertinence et de ne pas prendre leurs décisions de façon abusive ou arbitraire » (soulignement dans l’original).

 

[59]           Encore là, il s’agit de déterminer : (i) si M. Mamnuni a informé [traduction] « avec franchise et sans hésitation » l’agent qu’il avait des espèces à déclarer et qu’il avait tout simplement oublié de remplir la déclaration; (ii) si l’agent et la représentante du ministre ont omis d’agir de bonne foi et de tenir compte de toutes les considérations pertinentes; (iii) si l’agent et la représentante du ministre se sont laissés influencer par des considérations dépourvues de pertinence ou ont pris leur décision de façon abusive ou arbitraire. À mon avis, la preuve ne corrobore aucune de ces propositions.

 

[60]           J’estime qu’en acceptant la version de l’agent concernant la conversation qu’il a eue avec M. Mamnuni, la représentante du ministre a implicitement rejeté celle de M. Mamnuni sur le même sujet. Les différences entre la version de M. Mamnuni et la version de l’agent sont décrites clairement dans le document renfermant le résumé de l’affaire et les motifs de décision de l’arbitre (le résumé de l’affaire). On précise de plus dans ce document que l’arbitre a expressément demandé que l’agent réponde à l’affirmation de M. Mamnuni selon laquelle, [traduction« lorsqu’on lui a demandé s’il avait de l’argent à déclarer, il a répondu par l’affirmative ». Il est également indiqué que l’agent a confirmé qu’il n’avait jamais demandé au demandeur s’il avait des espèces à déclarer. Il lui a plutôt demandé s’il avait produit une déclaration et M. Mamnuni a répondu par la négative. De l’avis de l’agent, [traduction] « le point d’irrévocabilité avait été atteint ».

 

[61]           Je suis convaincu que la représentante du ministre s’est penchée sur les différences entre les deux versions des faits, parce qu’elle a clairement indiqué au début de sa décision qu’elle avait [traduction] « examiné la mesure d’exécution, la preuve et les règles de droit applicables en l’espèce » et qu’elle avait [traduction] « pris en considération tous les documents fournis [par M. Mamnuni] ainsi que les rapports de l’agent ».

 

[62]           En décrivant ensuite la version de l’agent concernant la conversation qu’il avait eue avec M. Mamnuni, la représentante du ministre a implicitement rejeté la version de M. Mamnuni. Par conséquent, il ne lui restait plus rien à examiner au sujet de la [traduction] « déclaration de vive voix ». Bref, elle était de toute évidence convaincue que la déclaration prévue à l’article 14 n’avait pas eu lieu. Par conséquent, rien à l’article 14 ne lui permettait d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 29.

 

[63]           Quoi qu’il en soit, je ne vois pas comment la déclaration de vive voix alléguée aurait pu être utile à la représentante du ministre qui, pour prendre la décision qu’elle était appelée à prendre en vertu de l’article 29, devait conclure que les espèces saisies n’étaient pas des produits de la criminalité (Sellathurai, précité, par. 50). Le fait qu’une déclaration de vive voix ait pu être faite concernant les fonds dont M. Mamnuni était en possession n’aurait pas aidé la représentante du ministre à conclure que les espèces saisies n’étaient pas des produits de la criminalité.

 

[64]           En outre, je suis convaincu que le législateur n’avait pas l’intention de permettre que le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 14 soit exercé dans des circonstances comme celles de l’espèce. En particulier, des affiches à l’aéroport international de Vancouver renseignaient les voyageurs sur l’application de la Loi; M. Mamnuni a reconnu qu’il connaissait la Loi et qu’il avait déjà produit des déclarations par le passé. Il a reconnu qu’il n’avait pas produit la déclaration exigée par la Loi à l’égard des espèces qu’il transportait avant d’être abordé par l’agent, même s’il avait eu la possibilité de le faire avant son départ à Toronto et ensuite à Vancouver. De plus, il avait déjà franchi les contrôles de sécurité.

 

[65]           Contrairement à ce qu’il a affirmé, à savoir qu’il avait informé l’agent [traduction] « avec franchise et sans hésitation » qu’il avait des espèces à déclarer, rien ne porte à croire qu’il ait eu l’intention de déclarer ou de laisser savoir [traduction] « avec franchise et sans hésitation », de quelque façon que ce soit, qu’il avait des espèces à déclarer avant d’être abordé par l’agent. Sa thèse semble être la suivante : (i) il avait le droit de ne pas déclarer les espèces en sa possession ou de ne fournir aucune indication sur le fait qu’il avait des espèces à déclarer tant que l’agent ne s’adressait pas à lui; (ii) il avait le droit à ce moment de bénéficier de l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 14, pourvu qu’il dise ensuite à l’agent qu’il avait des espèces à déclarer.

 

[66]           Je ne suis pas d’accord.

 

[67]           À mon avis, le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 14(1) ne peut plus être exercé lorsqu’une personne qui a franchi les contrôles de sécurité et qui n’a pas encore fait savoir qu’elle avait des espèces ou des effets à déclarer est abordée par un agent des douanes. À mon avis, interpréter le paragraphe 14(1) de manière qu’il puisse s’appliquer dans ces circonstances minerait considérablement les objectifs énoncés à l’article 3 de la Loi. Il incombe à la personne qui exporte des espèces dont la valeur est égale ou supérieure à 10 000 $ de les déclarer. Cette obligation est proactive et la personne doit s’y conformer avant que l’agent des douanes ne l’aborde dans la zone suivant les contrôles de sécurité de l’aéroport.

 

[68]           Même si je faisais erreur et qu’il était possible de dire que le paragraphe 14(1) continue de s’appliquer dans ces circonstances, je suis convaincu que, compte tenu des autres facteurs pertinents en l’espèce, l’agent n’a pas fait erreur en ne considérant pas expressément l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 14(1) en faveur de M. Mamnuni. Je suis également convaincu que la représentante du ministre n’a pas fait erreur en ne prenant pas en considération, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 29 de la Loi, [traduction] « les questions concernant le défaut d’exercice par l’agent du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 14 et les conséquences de ce défaut », même si l’allégation de M. Mamnuni suivant laquelle il avait fait une [traduction] « déclaration de vive voix » à l’agent est tenue pour véridique.

 

[69]           Bref, les autres facteurs pertinents en l’espèce sont tels qu’il était raisonnable et tout à fait approprié : (i) que l’agent ne considère pas l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 14(1); (ii) que la représentante du ministre ne tienne pas compte de la pertinence du défaut d’exercice par l’agent du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 29 de la Loi.

 

[70]           Ces autres facteurs comprennent : (i) les diverses déclarations contradictoires que M. Mamnuni a faites à l’agent; (ii) son comportement nerveux; (iii) la conclusion de l’agent voulant que M. Mamnuni ait un train de vie élevé, bien qu’il ait affirmé connaître des difficultés financières et qu’il ait produit par la suite des copies de déclarations fiscales indiquant qu’il avait des revenus personnels [traduction] « relativement faibles »; (iv) le fait que M. Mamnuni a affirmé qu’il se rendait en Chine pour faire des achats, alors qu’il n’avait avec lui aucune liste d’achats ou de fournisseurs chinois, qu’il ne savait pas ce qu’il voulait acheter et dans quelle quantité et qu’il ne savait pas combien il dépenserait pour acheter des vêtements.

 

[71]           En résumé, je suis convaincu que ni l’agent ni la représentante du ministre n’ont commis d’erreur comme M. Mamnuni l’a laissé entendre, en ce qui concerne l’article 14 de la Loi.

 

D.  La représentante du ministre a‑t‑elle fait erreur en ne respectant pas les principes de justice naturelle pour rendre sa décision?

 

[72]           M. Mamnuni fait valoir que la représentante du ministre a fait erreur en ne tenant pas compte du fait qu’il y avait eu manquement aux principes de justice naturelle lorsque l’ASFC a demandé un avis juridique et ne lui a pas communiqué cet avis ou ne lui a pas donné la possibilité de participer au processus décisionnel. Sur ce dernier point, M. Mamnuni prétend que le résumé de l’affaire produit par l’arbitre aurait dû lui être communiqué bien avant qu’il ne le reçoive après avoir déposé la présente demande de contrôle judiciaire et demandé une copie du dossier certifié du tribunal en vertu de l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

 

[73]           M. Mamnuni fait de plus valoir que l’arbitre et la représentante du ministre avait toutes les deux l’obligation : (i) de lui transmettre l’avis juridique et le résumé de l’affaire; (ii) de lui donner la possibilité de répondre aux opinions et aux recommandations de l’arbitre, qui constituaient pour la représentante du ministre des sources externes de preuve et qui nuisaient à sa thèse. À son avis, le fait qu’on ne lui ait pas transmis ces documents ni informé de leur existence l’a empêché de savoir clairement ce qui lui était reproché et de présenter des observations convenables en réponse. Entre autres choses, il a affirmé que la date de l’avis juridique et le fait que cet portait sur les [traduction] « déclarations de vive voix » démontraient que la version de l’agent concernant la conversation avec M. Mamnuni manquait de crédibilité.

 

[74]           Je ne souscris à aucun de ces arguments ni à aucunes de ces affirmations.

 

[75]           L’avis juridique, reçu le 20 mars 2009, soit environ trois semaines après la rencontre de M. Mamnuni avec l’agent, était protégé par le secret professionnel, si l’on tient pour acquis que les parties à cette communication entendaient en préserver la confidentialité (Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2004] 1 R.C.S. 809, par. 19 à 21 et 27; Maax Bath Inc. c. Almag Aluminum Inc., 2009 CAF 204, par. 14). M. Mamnuni n’a présenté aucune preuve indiquant que l’on entendait pas préserver la confidentialité de l’avis juridique. Bien que le privilège puisse avoir été levé lorsque le résumé de l’affaire, qui comportait des extraits de l’avis juridique, a été transmis à M. Mamnuni à la suite de la demande qu’il a présentée en vertu de l’article 317 des Règles, il ne l’a pas été avant que la représentante du ministre n’ait rendu la décision contestée.

 

[76]           Quoi qu’il en soit, même si l’avis juridique aurait dû être transmis à M. Mamnuni, je suis d’avis qu’il n’a subi aucun préjudice du fait qu’on ne lui a pas transmis, du moins pour les besoins de la présente demande de contrôle judiciaire. Cet avis juridique indiquait essentiellement que les [traduction] « déclarations de vive voix » faites à un agent ne sont pas des déclarations au sens du paragraphe 12(1). L’avocat de M. Mamnuni a reconnu ce point précis au cours de l’audience.

 

[77]           Qui plus est, l’avis juridique portait sur la question de savoir si une [traduction] « déclaration de vive voix » était une déclaration au sens du paragraphe 12(1). Comme je l’ai indiqué dans la partie IV.C, il appartenait à la représentante du ministre, en vertu de l’article 27 de la Loi, de déterminer s’il y avait eu violation du paragraphe 12(1), et la Cour n’a pas compétence pour procéder au contrôle judiciaire de cette décision.

 

[78]           Quant à l’importance potentielle de la date de l’avis juridique, plusieurs raisons peuvent expliquer que cet avis ait pu être demandé par l’agent avant que M. Mamnuni ne présente sa demande initiale en vertu de l’article 25 de la Loi en vue d’obtenir une décision quant à savoir s’il y avait eu contravention au paragraphe 12(1). Je ne suis pas d’accord pour dire que le fait que l’avis juridique a été demandé avant ce moment démontre qu’une [traduction] « déclaration de vive voix » avait effectivement été faite par M. Mamnuni et que la version des faits de l’agent n’était donc [traduction« pas crédible ». En fait, il n’est même pas certain que l’avis juridique ait été demandé par l’agent et à ce propos plus particulièrement. Même en supposant que c’est l’agent qui a demandé l’avis sur cette question, plusieurs raisons peuvent expliquer cette demande, notamment la simple possibilité que la question soit soulevée par M. Mamnuni. À mon avis, il était raisonnablement loisible, tant pour l’arbitre que pour la représentante du ministre, d’accepter la version des faits de l’agent, compte tenu en particulier de toutes les circonstances de l’espèce, y compris celles qui sont résumées au paragraphe 70 des présents motifs.

 

[79]           Je suis convaincu que le défaut de communiquer à M. Mamnuni l’avis juridique et le résumé de l’affaire, lequel était également protégé par le secret professionnel (Maax Bath, précité, par. 14), n’a pas porté atteinte à ses droits en matière d’équité procédurale (Pritchard, précité, par. 31). Comme je l’ai mentionné précédemment, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 29, il s’agissait avant tout pour la représentante du ministre de déterminer si elle était convaincue que les espèces n’étaient pas des produits de la criminalité (Sellathurai, précité, par. 50). M. Mamnuni a eu de nombreuses occasions de discuter de cette question et des lacunes que l’arbitre a décelées dans ses observations et dans sa preuve. Même s’il n’a en définitive pas réussi à convaincre l’arbitre ou la représentante du ministre sur ce point, il ne s’ensuit pas que ses droits relatifs à l’équité procédurale aient été violés. Au contraire, je suis convaincu qu’ils ne l’ont pas été.

 

[80]           Comme la Cour l’a mentionné dans Dag c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 427, au paragraphe 52 :

[52]     […] la nécessité de produire une preuve au soutien de l’affirmation des demandeurs concernant l’origine des fonds leur a toujours été clairement signifiée et [ils] ont eu réellement l’occasion de le faire, lors de leur rencontre avec l’arbitre et à la faveur de leurs prétentions écrites additionnelles. Puisqu’ils contestaient également la conclusion des agents des douanes selon laquelle ils avaient contrevenu au paragraphe 12(1) de la Loi, la nécessité pour eux de présenter leurs prétentions en ce sens m’apparaît évidente, tout comme la nécessité pour eux de justifier leur décision de transporter les sommes sur eux plutôt que de s’en remettre à une opération par l’entremise d’une institution financière, ce qui est la pratique habituelle pour des propriétaires d’entreprise comme eux. Toutes les conclusions tirées par l’arbitre se fondaient sur les faits constatés par les agents des douanes et sur la preuve produite par les demandeurs. Les demandeurs ont eu la possibilité de présenter toutes les prétentions qu’ils souhaitaient présenter, et ils ont obtenu des prolongations de délai pour ce faire, mais ils n’ont pas produit la preuve nécessaire au soutien de leur prétention selon laquelle les fonds en cause avaient une provenance légitime. Je partage donc l’avis du défendeur pour qui la communication du rapport de l’arbitre aux demandeurs avant que ne soit rendue une décision finale n’aurait profité ni aux demandeurs, ni au décideur.

 

 

VII. Conclusion

[81]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[82]           Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

« Paul S. Crampton »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


ANNEXE A

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1515‑10

 

INTITULÉ :                                                   ABBAS MAMNUNI c.
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 1er juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 22 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Ali M. Amini

POUR LE DEMANDEUR

 

Christopher Parke

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ali M. Amini

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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