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Cour fédérale

Federal Court

 


Date : 20110718

Dossier : IMM-6617-10

Référence : 2011 CF 894

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

JESUS RENE LOPEZ ALFARO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision datée du 10 septembre 2010 par laquelle Berto Volpentesta, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

 

I.          Le contexte

 

A.        Le contexte factuel

 

[3]               Jesus Rene Lopez Alfaro (le demandeur) est citoyen du Salvador. Il est originaire de Tejutepeque et il est né le 25 avril 1990. Au début de l’année 2008 (en février, en avril ou en juin, cela varie), des membres du gang Mara 18 (aussi appelé le Ms 18) sont entrés en contact avec lui. Ils lui ont dit qu’il fallait qu’il se joigne à leur gang, sans quoi ils le tueraient. Plusieurs semaines plus tard, des membres différents du même gang sont entrés en contact avec le demandeur et, une fois de plus, ils ont menacé de le tuer s’il ne joignait pas leurs rangs. Le demandeur en a parlé à sa mère, qui l’a amené à la police pour qu’il signale les menaces proférées.

 

[4]               En juin 2008, le demandeur et un cousin ont pris la fuite vers les États-Unis, où ils ont été mis en détention et ensuite expulsés au Salvador. Le demandeur s’est enfui de nouveau à destination des États-Unis en août 2008, et il est parvenu à se rendre au Canada. Il est arrivé ici le 14 octobre 2008 et a demandé l’asile à cause des menaces du Mara 18.

 

[5]               Douze jours avant l’audience, le demandeur a fourni à la Commission des documents additionnels à l’appui de sa demande, dont une lettre du maire de Tejutepeque ainsi que de la Police civile nationale de cette ville.

 

B.         La décision contestée

 

[6]               La Commission a conclu que la demande du demandeur n’était pas digne de foi parce que celui-ci avait indiqué de manière contradictoire le moment où les membres du gang étaient entrés en contact avec lui pour la première fois et qu’il n’avait pas fournit le rapport de police original. La Commission a pris en considération les lettres du commandant de la police et du maire, mais elle les a rejetées parce que celles-ci ne faisaient que répéter ce que la mère du demandeur avait dit à leurs auteurs, plutôt que d’énoncer ce que ces derniers savaient personnellement. La Commission a conclu que le demandeur, même si sa demande était digne de foi, n’avait pas établi l’existence d’un lien avec un motif prévu dans la Convention et que le risque auquel il s’exposait était de nature généralisé.

 

II.         Les questions en litige

 

[7]               Les questions soumises à la Cour sont les suivantes :

a)         La décision de la Commission au sujet de la crédibilité est-elle raisonnable?

b)         La décision de la Commission selon laquelle le risque auquel s’expose le demandeur est généralisé est-elle raisonnable?

c)         La décision que la Commission a rendue en vertu de l’article 97 viole-t-elle l’article 7 de la Charte et, dans l’affirmative, est-elle sauvegardée par l’article premier?

 

III.               La norme de contrôle applicable

 

[8]               Les observations du demandeur ne traitent pas de la norme de contrôle, mais le demandeur soutient que la décision relative à la crédibilité est déraisonnable. Quant à la deuxième question, le demandeur soutient que la décision relative au risque est inexacte, déraisonnable et inconstitutionnelle.

 

[9]               Le défendeur soutient que la norme de la raisonnabilité s’applique, citant l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47, où il est dit qu’une décision raisonnable est une décision justifiable, transparente et intelligible et qui appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[10]           Plus précisément, je signale que les conclusions relatives à la crédibilité commandent la déférence et sont donc susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (voir Ukleina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1292, 2009 CarswellNat 4343, au paragraphe 7), tout comme les décisions concernant la question de savoir si un risque est généralisé (voir De Parada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 845, 2090 CarswellNat 2944, au paragraphe 19). J’ajouterais aussi que les questions de nature constitutionnelle sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir Dunsmuir, au paragraphe 58).

 

IV.       Les arguments et l’analyse

 

A.        La décision de la Commission au sujet de la crédibilité est raisonnable

 

[11]           Le demandeur soutient que la décision relative à la crédibilité est déraisonnable à cause de la lettre du maire, qui fait référence au rapport de police indiquant que le demandeur a été pris pour cible par le Mara 18. Le demandeur allègue qu’en raison de cette référence au rapport de police, il était déraisonnable de la part de la Commission de rejeter la lettre du maire parce qu’elle ne faisait que répéter ce que sa mère avait dit. Le demandeur a dit qu’il était loisible à la Commission de rejeter pour cette raison la lettre de la police. Il soutient que la Commission n’a pas mis en doute l’authenticité de la lettre du maire, et que cette dernière constitue donc une preuve fiable qu’il avait été pris pour cible par le gang Mara 18.

 

[12]           Le demandeur ajoute qu’il était déraisonnable que la Commission tire une inférence défavorable du fait qu’il n’avait pas produit le rapport de police original. La Commission, dit-il, aurait dû tenir compte du fait qu’il n’était âgé que de 18 ans quand il a fui le Salvador, et qu’il ignore pourquoi sa mère n’a pas obtenu le rapport de police original.

 

[13]           Le demandeur soutient de plus que son témoignage a été honnête et cohérent, et que l’accent mis par la Commission sur une seule incohérence (c’est-à-dire le moment où le Mara 18 est entré pour la première fois en contact avec lui) est exagérément microscopique. Il cite les arrêts Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 NR 168, 15 ACWS (3d) 344 (CAF) et Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 8 Imm LR (2d) 106, 98 NR 312 (CAF), où il est dit que la Commission ne doit pas évaluer trop à la loupe les éléments de preuve d’un demandeur d’asile. Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour la Commission de s’attendre à ce qu’il se souvienne du mois où le groupe était entré en contact avec lui, citant une étude qui démontre l’inexactitude de la mémoire et qui n’a pas été soumise à la Commission.

 

[14]           Le défendeur soutient que la décision relative à la crédibilité est raisonnable compte tenu du fait que le demandeur n’a pas expliqué ses réponses contradictoires au sujet du moment où le gang est entré en contact avec lui pour la première fois et du fait qu’il n’a pas fourni une copie du rapport de police. Il ajoute qu’il était loisible à la Commission d’accorder peu de poids aux lettres. Le fait que la Commission ait rejeté la lettre du maire est raisonnable parce que cette lettre ne donne pas de détails, et ce rejet est sans conséquence parce que la Commission a admis que le demandeur avait été menacé par le gang. (Page 7, paragraphe 19, du mémoire du défendeur.)

 

[15]           Dans sa réplique, le demandeur signale que la déclaration du défendeur selon laquelle la Commission a admis les menaces est erronée, et que la Commission a en fait conclu que [traduction] « le demandeur n’a pas été lui-même menacé par des membres du gang » (au paragraphe 9). Il soutient que le défendeur ne peut ajouter à la décision, citant la décision Qi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 195, 79 Imm LR (3d) 229, au paragraphe 35.

 

[16]           Bien qu’elle soit intéressante, l’étude sur la mémoire n’a pas été soumise à la Commission et ne devrait donc pas faire en sorte que la décision relative à la crédibilité soit jugée déraisonnable. Le formulaire d’examen de la Section de la protection des réfugiés (SPR) (qui figure aux pages 46 et 47 du dossier certifié du tribunal) informait le demandeur que sa crédibilité serait en litige à l’audience et il aurait pu soumettre cette preuve à la Commission, mais il ne l’a pas fait.

 

[17]           La lettre est reproduite dans le dossier du demandeur, et la traduction certifiée figure à la page 36. La partie à laquelle fait référence le demandeur est la déclaration selon laquelle ce dernier [traduction] « a été menacé par les membres d’un gang, selon un rapport de la police nationale de cette ville ». Même s’il est vrai que la lettre du maire atteste l’existence du rapport de police, il était quand même loisible à la Commission de tirer une inférence défavorable du fait que le demandeur n’avait pas produit le rapport lui-même. Même si l’on considère la lettre du maire comme une preuve de l’existence de rapport de police, ce document ne donne pas assez de détails pour qu’on soit sûr que le rapport est lié aux mêmes incidents que ceux qui constituent le fondement de la demande d’asile du demandeur.

 

[18]           Même si le demandeur a fait valoir que son témoignage était honnête et cohérent, il ressort des notes sténographiques plusieurs réponses contradictoires de la part du demandeur (voir, par exemple, les pages 190, 191 et 194 du dossier certifié du tribunal). La Commission était la mieux placée pour évaluer le comportement du demandeur à l’audience, et ces contradictions étayent le caractère raisonnable de la décision relative à la crédibilité.

 

[19]           Il était loisible à la Commission de ne pas ajouter foi à la demande d’asile du demandeur, compte tenu des réponses contradictoires à propos du moment où les menaces avaient commencé. La prétention du demandeur est simple : on n’est entré en contact avec lui qu’à deux reprises au cours d’une période de quelques mois, avant qu’il prenne la fuite vers le Canada. Sa situation n’est pas analogue à celles dont il est question dans les décisions qu’il a citées, où la demande d’asile était fondée sur une situation factuelle plus complexe et où la Commission s’était concentrée sur un détail parmi de nombreux autres.

 

[20]           Le demandeur n’a pas établi que la décision relative à la crédibilité est déraisonnable.

 

[21]           Compte tenu de la conclusion que j’ai tirée au sujet de la décision de la Commission quant à la crédibilité, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres questions que le demandeur a soulevées en l’espèce. L’avocat du demandeur a admis avec raison que la question relative au risque généralisé et celle qui était liée à la Charte étaient toutes deux subordonnées à une contestation fructueuse du caractère raisonnable de la conclusion de l’agent au sujet de la crédibilité. Il peut être tentant de joindre le débat portant sur les limites possibles de ce qui constitue réellement un risque généralisé au sens de l’article 97, mais il est évident que chaque affaire dépendra des faits qui lui sont propres et, dans le cas présent, il n’existe pas de fondement factuel de ce genre.

 

V.        Conclusion

 

[22]           Aucune question à certifier n’a été proposée, et l’affaire n’en soulève aucune.

 

[23]           Au vue des conclusions qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6617-10

 

INTITULÉ :                                       JESUS RENE LOPEZ ALFARO c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 7 JUIN 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 28 JUILLET 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aviva Basman

 

POUR LE DEMANDEUR

Deborah Drukarsh

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aviva Basman

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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