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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20110720


Dossier : IMM-7295-10

Référence : 2011 CF 908

Montréal (Québec), le 20 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

MARIA ARACELI LOPEZ AGUILAR

SAIRI LIZBETH CHAVARRIA LOPEZ

ABRAHAM CHAVARRIA LOPEZ

ANGEL URIEL CHAVARRIA LOPEZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Madame Lopez Aguilar, son époux (maintenant son ex-époux), ainsi que leurs trois enfants, sont venus du Mexique au Canada, par l’intermédiaire des États-Unis, afin d’y revendiquer leur statut de réfugié. Leur revendication était originalement fondée sur la crainte de persécution de l’époux, telle qu’indiquée sur son formulaire de renseignements personnels (FRP). Alors qu’elle était au Canada, Mme Lopez Aguilar a été victime de violence familiale. Par la suite, elle et son époux ont divorcé. Par après, elle a séparé sa revendication, ainsi que celle de ses enfants, de celle de son ex‑époux. Elle a fourni un FRP révisé contenant des détails non fournis lors de son FRP original. Plus particulièrement, elle y mentionne avoir été violée au Mexique et, aussi, qu’elle craint son ex-époux. Elle y précise aussi une date ultérieure d’arrivée aux États-Unis. Si les renseignements contenus dans le FRP de l’ex-époux s’avèrent exacts, Mme Lopez Aguilar était déjà aux États-Unis la journée où elle soutient avoir été violée au Mexique.

 

[2]               Sa demande, ainsi que celles de ses enfants, ont été rejetées par un commissaire de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[3]               À la fin de l’audience, j’ai confirmé aux parties que j’allais accorder le contrôle judiciaire sur le seul fondement qu’il y a eu une violation des règles de justice naturelle. Conséquemment, la Cour n’a pas à examiner les autres points invoqués au soutien de la procédure de contrôle judiciaire.

 

[4]               Il s’agit de mes motifs.

 

[5]               Le tribunal de la SPR, composé d’un seul et même commissaire, a entendu la revendication de l’ex-époux dans la matinée, et celles de l’épouse et des enfants dans l’après-midi. En soi, ce fait ne permet pas de conclure à un manquement d’équité procédurale. Un même commissaire peut entendre diverses revendications de divers membres d’une même famille. Il y a une présomption selon laquelle le commissaire arrivera à une décision en se fondant uniquement sur les éléments de preuve devant lui dans le dossier et que celui-ci sera en mesure de mettre de côté tout autre élément de preuve d’autres dossiers. À titre d’exemple, voir Ianvarashvili c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 695, au paragraphe 7 :

D'ailleurs, dans les affaires Borissotcheva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 494 (Q.L.) et Borissotchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 495 (Q.L.), le juge von Finckenstein a rejeté l'appel d'une décision prise par la juge de la citoyenneté présenté par le père, mais il a accordé l'appel relatif à la fille de ce dernier. Chaque affaire est tranchée selon les faits en cause.

 

[6]               Dans la présente affaire, le FRP révisé de Mme Lopez Aguilar s’est malheureusement retrouvé dans le dossier de son ex-époux. Voici ce que le commissaire de la SPR a dit aux pages 536 et 539 du dossier du tribunal certifié :

[Page 536]       C’est tout, c’est ce que j’ai dit. Comme ce matin, j’ai eu le dossier du demandeur, le FRP de Madame y figurait anormalement et ça nous a posé un problème en plein milieu d’audience.

 

[Page 539]       Et il s’est avéré qu’il a nié totalement cette version des faits. Parce que son, c’était joint à son dossier ce matin.

 

[7]               À juste titre, le commissaire avait le devoir de révéler cette situation, car il ne fait aucun doute que c’est un homme honnête. Néanmoins, le FRP révisé de Mme Lopez Aguilar n’aurait pas dû se retrouver dans le dossier de son ex-époux et n’aurait pas dû faire l’objet d’une discussion lors de la revendication de celui-ci.

 

[8]               Les principes de justice naturelle sont clairs. Une personne a le droit de faire valoir sa cause, ou sa défense, devant un décideur impartial. La présente affaire n’est pas un cas de partialité réelle ou crainte de partialité de la part du commissaire, c’est plutôt un cas où le commissaire n’aurait pas dû avoir à sa disposition le FRP révisé de Mme Lopez Aguilar lors de la revendication de son ex-époux. Pour reprendre ce que disait le juge de Grandpré, dissident, dans l’affaire Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RSC 369, aux pages 394-395 :

La Cour d’appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, […] consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

 

Je ne vois pas de différence véritable entre les expressions que l’on retrouve dans la jurisprudence, qu’il s’agisse de «crainte raisonnable de partialité», « de soupçon raisonnable de partialité », ou « de réelle probabilité de partialité ». Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et je suis complètement d’accord avec la Cour d’appel fédérale qui refuse d’admettre que le critère doit être celui d’« une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ».

 

[9]               Tel que j’ai mentionné dans Ianvarashvili, précité, au paragraphe 8 :

Dans l'arrêt Arthur, [Arthur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 C.F. 94], le juge MacGuigan a examiné la décision du président Jackett d'alors dans Nord-Deutsche Versicherungs Gesellschaft c. Her Majesty the Queen, et al, [1968] 1 Ex.C.R. 443, dans laquelle le procureur général avait plaidé sans succès que la justice naturelle interdisait à tous les juges ayant siégé en appel relativement à quelques-unes des principales questions en litige de siéger à une instruction subséquente. Dans cette affaire, le président Jackett a fait siens les termes du juge Hyde dans Regina c. Barthe (1963), 45 DLR (2d) 612 qui a dit que :

 

[traduction] la capacité de rendre jugement dans une affaire en s'appuyant uniquement sur la preuve admissible présentée est une partie essentielle du processus judiciaire.

 

On aurait certainement tort de prendre pour acquis qu'un juge tiendrait compte de ses connaissances personnelles tirées de la preuve dont il se souvient dans une affaire antérieure. Il n'est pas raisonnable de craindre qu'il y ait [traduction]« une probabilité réelle que le juge manque à son devoir au point de régler une affaire en se fondant en totalité ou en partie sur la preuve présentée dans une affaire antérieure » .

 

[10]           Toutefois, je note la distinction entre la référence à la preuve admissible, comme c’est le cas dans Regina v Barthe, et la preuve inadmissible, comme c’est le cas dans la présente affaire. Dans l’affaire Kane c Université de la Colombie-Britannique, [1980] 1 SCR 1105, monsieur le juge Dickson, tel qu’il était, en parlant pour la majorité, a fait référence à la décision de Lord Denning dans Kanda v Government of the Federation of Malaya, [1962] AC 322, dans laquelle ce dernier dit à la page 337 :

[Traduction] « […] connaître la preuve réunie contre [elle]. [Cette dernière] doit être informé[e] des témoignages et des déclarations qui l'intéressent et avoir la possibilité de les rectifier ou de les contredire ... quiconque appelé à rendre une décision ne doit pas recueillir des témoignages ou entendre des arguments d'une partie dans le dos de l'autre. »

 

[11]           Dans la présente affaire, il y a eu atteinte aux principes de justice naturelle en raison de la présence de preuve extrinsèque au dossier de revendication de l’ex-époux. Voir T.H.S.B. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 354, [2011] ACF no 462, au paragraphe 23 :

J'estime que la décision est entachée d'une violation à l'équité procédurale. Dans Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 3 CF 461 (CAF), [1998] ACF no 565 (QL), le juge Décary a souligné que lorsqu'une commission se fonde sur un élément de preuve extrinsèque qui n'a pas été présenté par le demandeur, l'occasion d'y répondre doit lui être donnée. Au paragraphe 16, il a cité la déclaration de Lord Loreburn dans Board of Education c. Rice, [1911] AC 179 (HL), à la page 182 :

 

[TRADUCTION] Ils peuvent obtenir des renseignements de la façon qu'ils croient la meilleure, en accordant toujours à ceux qui sont parties au différend la possibilité raisonnable de corriger ou de contredire toute affirmation pertinente qui est préjudiciable à leur opinion [...].


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI-DESSUS;

LA COUR ORDONNE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) est annulée.

3.                  L’affaire est renvoyée à la SPR de la CISR pour faire l’objet d’une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué.

4.                  Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7295-10

 

INTITULÉ :                                       LOPEZ AGUILAR ET AL c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 13 juillet 2011

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      le 20 juillet 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alain Joffe

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Gretchen Thimins

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alain Joffe

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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