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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date: 20110721

Dossier : IMM-7078-10

Référence : 2011 CF 918

Ottawa, Ontario, le 21 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

SARA JOSÉ MONTESUMA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse présente une demande de révision judiciaire d’une décision d’un agent d’immigration (l’agent) du 2 novembre 2010, qui rejette sa demande de résidence permanente pour motifs humanitaires aux termes des articles 25 et 72(1) de la Loi sur l’immigration et la Protection des réfugiés, LC 2001 c 27 (la Loi).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, cette demande de révision judiciaire est rejetée.

I.          CONTEXTE FACTUEL

 

[3]               La demanderesse, une haïtienne âgée de quinze ans, dépose une demande de résidence permanente le 7 septembre 2003. Cette demande se classe dans la catégorie du regroupement familial puisqu’elle est parrainée par son père biologique, Monsieur Orismond Montesuma (le répondant).

 

[4]               Le répondant obtient son droit d’établissement au Canada, parrainé par son épouse. Dans sa demande, il omet toutefois de déclarer la demanderesse comme personne à charge ne l’accompagnant pas.

 

[5]               Le 24 mai 2004, la demande de résidence permanente de la demanderesse est refusée.

 

[6]               Le 2 mars 2005, la Section d’Appel de l’Immigration [la SAI] rejette l’appel interjeté à l’encontre de cette décision.

 

[7]               Le 25 janvier 2010, la demanderesse dépose une nouvelle demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, appuyée de la demande de parrainage et de l’engagement du répondant. Cette demande est reçue à Port-au-Prince, le 27 janvier 2010.

 

[8]               Le 13 avril 2010, la demande de parrainage est refusée par le Centre de traitement des demandes de Mississauga, au motif que la demanderesse ne fait pas partie du regroupement familial aux termes de l’alinéa 117 (9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement).

 

[9]               Le 21 mai 2010, le conseiller à l’Ambassade de Port-au-Prince (l’agent) rejette la demande de résidence permanente de la demanderesse.

 

[10]           Le 2 novembre 2010, l’agent signe une deuxième lettre de refus. L’agent rédige des notes informatisées (les notes STIDI) au mois de mai 2010.

 

[11]           La lettre du 2 novembre 2010 précise que la demanderesse ne fait pas partie de la catégorie du regroupement familial aux termes de l’alinéa 117(9)d) du Règlement. Elle indique également que la demanderesse ne répond pas aux exigences requises pour l’octroi de considérations humanitaires spéciales aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi. L’agent conclut que les circonstances humanitaires évoquées par la demanderesse ne justifient pas la dispense de tout ou d’une partie des critères et obligations énoncés à la Loi.

 

[12]           Cette conclusion se fonde sur les motifs suivants :

a.       Sa mère biologique vit et réside en Haïti.

b.      Elle réside chez sa cousine Iphose depuis l’âge de quatre ans. Sa cousine la traite comme sa fille.

c.       Elle est bien entourée et sa vie ne semble pas en péril.

d.      Elle va à l’école et a des amies.

e.       Elle ne semble pas bien connaître son répondant et n’est pas en mesure de parler beaucoup de lui. Aucun lien sentimental ou monétaire ne semble exister entre lui et elle.

[13]           Le 2 décembre 2010, la demanderesse dépose, par le biais du répondant et de son procureur, la présente demande de révision judiciaire. Elle s’attaque à la décision que l’on retrouve dans la lettre de refus du 2 novembre 2010. Elle vise exclusivement le refus de lui accorder une dispense pour considérations humanitaires.

 

II.        REQUÊTES PRÉLIMINAIRES

 

[14]           Le défendeur soutient que cette demande de révision judiciaire doit être rejetée parce que déposée hors délai le 2 décembre 2010, soit plus de six mois après avoir reçu la copie de la lettre de refus en mai 2010.

 

[15]           La Cour constate que nonobstant les notes STIDI, qui font état d’un refus consigné en date du 21 mai 2010, la date apparaissant sur la lettre de refus de la demanderesse est le 2 novembre 2010. Si on comptabilise le délai à compter de cette date, la demanderesse respecte les délais pour contester une décision rendue à l’étranger. Aux termes de l’alinéa 72(2)c) de la Loi, la Cour peut également proroger le délai pour dépôt pour des motifs valables.

 

[16]           La jurisprudence de cette Cour est claire. Le délai commence à courir lorsque la demanderesse en l’instance prend connaissance du refus (voir Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 899 aux para 19 et 20). Sa demande est déposée hors délai. Toutefois, le déroulement des évènements entourant ce dossier militent en faveur d’une prorogation de délai. C’est pourquoi la Cour rejette la requête du défendeur et entend la demande de révision judiciaire de la demanderesse.

[17]           Le défendeur demande également à la Cour d’expurger du dossier de la demanderesse les documents produits à l’annexe 1 de l’affidavit du répondant ainsi que de l’affidavit du consultant en immigration, Monsieur Timothy Morson. Il soutient que ces documents n’étaient pas devant l’agent lorsqu’il a rendu sa décision. Il s’agit de documents attestant des transferts de fonds en faveur de la demanderesse au cours des années 2005 et 2006. La demanderesse prétend le contraire.

 

[18]           La Cour accueille la requête du défendeur et expurge du dossier les documents produits à l’annexe 1 de l’affidavit du répondant et à l’annexe 3 de l’affidavit de Monsieur Timothy Morson. La jurisprudence de cette Cour établit clairement que lors d’une révision judiciaire, la Cour peut uniquement considérer les éléments de preuve dont disposait le décideur initial (voir Isomi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1394 aux para 6 et 7).

 

III.       QUESTION EN LITIGE

 

[19]           Cette demande de révision judiciaire soulève une seule question :

                    i.                                                 L’agent commet-il une erreur en n’accordant pas à la demanderesse la dispense demandée pour considérations humanitaires?

 

A.        Norme de contrôle applicable

 

[20]           La décision d’un agent des visas d’octroyer ou non une dispense pour considérations humanitaires en pondérant les différents facteurs pertinents doit être révisée selon la norme de la décision raisonnable (Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125 au para 12 [Legault]; Lalane c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 6 au para 47).

 

B.        Position des parties

 

[21]           La demanderesse soutient que l’agent commet une erreur dans son appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant et ne lui a pas accordé suffisamment d’importance. Il manque de compassion. Ses conclusions sont faibles, imprécises et peu motivées. L’agent interprète trop restrictivement l’article 25(1) de la Loi. Ce faisant, il va à l’encontre de l’intention du législateur qui cherche à faciliter la réunion des membres d’une même famille.

 

[22]           La demanderesse souligne également le caractère déraisonnable des motifs invoqués par l’agent pour justifier sa décision. Dans sa décision, l’agent fait d’abord valoir que «  vous vivez chez votre cousine Iphose, depuis l’âge de quatre ans, et elle vous traite comme sa fille ». La demanderesse prétend que l’agent doit considérer son père biologique comme sa vraie famille. Son refus de favoriser sa réunion avec son père est susceptible d’entraîner des conséquences désastreuses sur sa vie.

 

[23]           L’agent affirme également : « vous êtes bien entourée et votre vie n’est pas en péril ». Selon la demanderesse, ceci démontre un « manque de sensibilité, d’attention et de réceptivité » face à son intérêt supérieur. Plus loin, l’agent écrit : « votre vie ne semble pas en danger ». Il s’agit également pour la demanderesse d’une mauvaise interprétation des faits puisque les journaux rapportent que les jeunes filles mineures sont victimes de viol, d’agressions et de la traite d’enfants.

[24]           La demanderesse réfute aussi l’affirmation de l’agent selon laquelle la demanderesse va à l’école et a des amies. Encore là, elle considère que l’agent ne prend pas en compte son intérêt supérieur.

 

[25]           Finalement, la demanderesse soutient que l’affirmation « Vous ne semblez pas bien connaître votre répondant et ne pouvoir dire grand-chose de lui, de plus, aucun lien affectif et financier ne semblent exister en lui et vous » est erronée. Son père communique également régulièrement avec elle et est venu la visiter à Haïti.

 

[26]           La demanderesse reproche également à l’agent de ne pas tenir compte de tous les éléments de preuve documentaire au dossier, y compris l’affidavit de sa cousine qui précise qu’elle ne peut plus s’en occuper.

 

[27]           En somme, la demanderesse s’appuie sur l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker]. Elle allègue également que l’agent n’a pas mené une véritable enquête. Les questions posées à la demanderesse lors de l’entrevue ne cherchaient pas à bien délimiter les risques auxquelles elle s’expose à Haïti, ni à découvrir la profondeur et la qualité de sa relation avec son père biologique.

 

[28]           Le défendeur maintient pour sa part qu’une lecture des notes STIDI démontre que l’agent « s’est montré réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant, et en particulier, à la situation qui prévaut actuellement en Haïti. Il ne manque pas de compassion. La demanderesse demande à la Cour de pondérer différemment les facteurs mis de l’avant dans la décision de l’agent. Ce qui n’est pas son rôle en l’instance.

 

[29]           Le défendeur soutient également que la Cour ne peut se fonder exclusivement sur la lettre de refus du 2 novembre 2010, puisque les notes STIDI font partie des motifs de la décision d’un agent des visas. Il cite la jurisprudence de la Cour qui précise que l’on n’exige pas le même niveau de motivation pour les décisions des agents de visas que l’on exige par exemple pour les décisions de la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié.

 

[30]           Le défendeur affirme de plus qu’en contestant le caractère raisonnable de chacune des conclusions, la demanderesse réclame de la Cour qu’elle pondère différemment chacun des facteurs mis de l’avant. Ce qui n’est pas le rôle de la Cour. Il appartient au décideur d’évaluer les éléments de preuve documentaire et les témoignages des différentes personnes en cause. L’agent en l’instance s’acquitte correctement de son devoir. Il examine les éléments de preuve et les juge insuffisants pour prouver l’existence de liens affectifs et économiques entre la demanderesse et son répondant. Un examen des notes STIDI établit que l’agent prend en considération tous les facteurs soulevés par la demanderesse. Il rencontre la demanderesse, considère sa situation en Haïti et prend sa décision à même les éléments de preuve au dossier.

 

[31]           Le défendeur rappelle enfin que les éléments de preuve établissant les liens de dépendance économique entre la demanderesse et son répondant n’étaient pas au dossier au moment de la prise de décision. Conséquemment, cet élément ne peut être considéré par la Cour en l’instance.

 

IV.       ANALYSE

 

[32]           Aux termes de l’article 25(1) de la Loi, lorsqu’une personne ne peut obtenir la résidence permanente aux termes d’autres dispositions de la Loi, le délégué du ministre possède le pouvoir discrétionnaire d’accorder une dispense pour considérations humanitaires s’il considère que les circonstances le justifient :

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

 

Humanitarian and compassionate

Considerations — request of foreign national

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

[33]           L’agent saisi d’une demande aux termes de cet article doit considérer l’ensemble des facteurs pertinents pour décider s’ils justifient d’accorder une dispense. Le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer les éléments de preuve qui sont présentés mais bien de s’assurer que tous les éléments sont pris en considération (Baker précité aux para 54-56, 68, 73-75; Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), 2002 CSC 1 aux para 34 à 38; Legault précité au para 11; Mpula c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 456 au para 26).

 

[34]           L’agent doit obligatoirement prendre en considération l’intérêt supérieur des enfants directement impliqués ou affectés par la décision. Il doit s’y montrer « attentif, réceptif et sensible ». L’exercice de son pouvoir discrétionnaire l’oblige à soupeser l’ensemble des éléments de preuve et des faits de l’affaire Legault précitée au para 12 :

12  Bref, l'agent d'immigration doit se montrer "réceptif, attentif et sensible à cet intérêt" (Baker, précité, au paragraphe 75), mais une fois qu'il l'a bien identifié et défini, il lui appartient de lui accorder le poids qu'à son avis il mérite dans les circonstances de l'espèce [...]

 

[35]           En l’instance, on retrouve les motifs de la décision sous révision judiciaire dans la lettre du 22 novembre 2010 et les notes STIDI rédigés par l’agent (Nodijeh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1217, au para 6).

 

[36]           Leur lecture nous convainc que l’agent tient compte de l’intérêt supérieur de la demanderesse. Il conclut qu’il existe un lien affectif, financier et éducatif solide entre la demanderesse et sa cousine :

La req affirme qu’Iphose prend bien soin d’elle, qu’elle vient la reconduire à tous les matins à l’école et qu’après l’école la req vient retrouver Iphose à son commerce. La req déclare que Iphose est comme une mère pour elle et que si elle devait quitter pour le Canada, Iphose lui manquerait. Un lien solide de dépendante économique/social/affectif est présent entre la Req et Iphose (SIC pour toute la citation). (Notes STIDI)

 

[37]           Les notes STIDI mentionnent également que la probabilité que la demanderesse devienne victime de criminalité, n’est pas différente de celle vécue par une partie importante de la population. La demanderesse ne se retrouve pas particulièrement visée.

 

[38]           En analysant la décision, la Cour conclut que l’agent prend en considération le vécu actuel de la demanderesse en Haïti. Ce qui est raisonnable et justifié. Voir Yue c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 717 au para10. Il ne conviendrait pas que la Cour y substitue sa propre appréciation ou qu’elle pondère différemment les facteurs évalués par l’agent. Même en considérant que les éléments de preuve du soutien financier du répondant n’étaient pas devant l’agent, cela ne modifie pas la conclusion de la Cour puisque les notes au dossier établissent que la demanderesse entretient peu de liens affectifs avec son père biologique. La décision de l’agent est raisonnable et fait partie des issues possibles.

 

V.                CONCLUSION

 

[39]           Pour ces motifs, la demande de révision judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de révision judicaire est rejetée.

2.         Il n’y a pas de question d’intérêt général à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7078-10

 

INTITULÉ :                                       SARA JOSÉ MONTESUMA c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

                                                            L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               18 juillet 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      21 juillet 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean-Guy Jam

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Michèle Joubert

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BERTRAND, DESLAURIERS

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous procureur général du Canada,

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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