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Federal Court

Cour fédérale

 

 

Date: 20110727


Dossiers : T-833-10

T-936-10

 

Référence : 2011 CF 937

Vancouver (Colombie-Britannique), le 27 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

Dossier : T-833-10

ENTRE :

 

VILLE DE MONTRÉAL

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE MONTRÉAL

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

 

 

Dossier : T-936-10

 

ET ENTRE :

 

 

 

 

VILLE DE MONTRÉAL

 

 

 

 

demanderesse

 

 

et

 

 

 

 

SOCIÉTÉ RADIO-CANADA

 

 

 

 

défenderesse

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’examiner la validité de décisions prises par les défenderesses, la Société Radio-Canada (SRC) et l’Administration portuaire de Montréal (APM), à la suite de l’arrêt rendu le 15 avril 2010 par la Cour suprême du Canada, Montréal (Ville) c Administration portuaire de Montréal, 2010 CSC 14, qui rétablit toutes les conclusions des jugements antérieurs de la Cour fédérale (2007 CF 700 et 2007 CF 701) et qui donne entièrement gain de cause à la demanderesse, la Ville de Montréal (la Ville).

 

[2]               Aux termes des ordonnances ayant été rendues par la Cour fédérale, « [a]vant de rendre une nouvelle décision, l’office fédéral doit permettre à la demanderesse de lui soumettre toutes preuves et de faire toutes représentations additionnelles concernant le montant exact du paiement à effectuer en vertu de l’article 6 du RPSE, incluant le pouvoir légal et l’opportunité d’accorder tout supplément pour le retard, le cas échéant. » (Paragraphe 7 des ordonnances du 5 juillet 2007).

 

[3]               Ayant calculé à nouveau les paiements en remplacement de l’impôt foncier qu’elles versent à la demanderesse en vertu de la Loi sur les paiements versés en remplacement d’impôts, LRC 1985, c M-13 (la Loi) et de ses règlements d’application, les défenderesses ont effectué des paiements complets en capital en avril et mai 2010.

 

[4]               En vertu de la Loi et du Règlement sur les paiements versés par les sociétés d’état, DORS/81-1030 tel que modifié (le RPSE), dans le cas de retard indu, des intérêts peuvent également être versés sous la forme d’un supplément pour retard de paiement (SPR). Le présent litige porte exclusivement sur le refus des défenderesses de verser des SPR à la demanderesse.

[5]               Retenons que les décisions contestées ont été rendues dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Les parties reconnaissent que la norme de la décision raisonnable s’applique (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Le caractère raisonnable ou non de leur refus de verser des intérêts tiendra donc principalement à la justification des décisions, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance des décisions aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[6]               Pour les motifs qui suivent, les décisions contestées sont déraisonnables et doivent être annulées en conséquence.

 

[7]               Le 29 avril 2010, soit deux semaines après le jugement de la Cour suprême du Canada, l’APM a versé le solde du capital, en fournissant des explications au sujet du calcul des paiements en remplacement d’impôts (PERI) pour chaque année d’imposition. Toutefois, l’APM a tout simplement décidé d’ignorer la réclamation en intérêts de la Ville, ou de ne pas verser un SRP, et ce, sans fournir une justification ou explication quelconque. Vu l’absence de motivation contemporaine, la Cour ne peut pas donc évaluer si le processus décisionnel est transparent et intelligible, ni si la décision est raisonnable. La Cour a malgré tout considéré les arguments généraux soulevés dans le mémoire écrit et dans les représentations orales du procureur de l’APM.

 

[8]               Dans une lettre en date du 27 mai 2010, la SRC a justifié son refus de verser des intérêts en invoquant divers motifs qu’il  faut lire en regard de l’ensemble de la preuve et des lettres ayant été échangées à l’époque. La Cour retient que la SRC croyait avoir une bonne cause en droit ayant obtenu un avis juridique indépendant. Il y a bien eu des discussions entre procureurs au sujet du paiement du solde en capital après le jugement de la Cour fédérale (2007 CF 700); toutefois, les parties n’ont pas pu s’entendre au sujet de l’imputation des montants qui seraient versés. La Ville a toujours insisté pour que les sommes versées par la SRC soient d’abord imputées au paiement des intérêts accumulés. De son côté, la SRC a offert de verser le solde des capital conditionnellement à la renonciation des intérêts réclamés par la Ville à titre de SRP. Après que la Cour d’appel fédérale ait accueilli son appel (2008 CAF 278), la SRC est revenue sur sa position initiale qu’elle n’avait à verser aucun solde en capital.

 

[9]               Il incombe d’examiner la raisonnabilité des décisions contestées à la lumière du régime législatif et réglementaire. D’une part, la Loi s’applique au calcul et au versement des paiements relatifs aux propriétés dites ministérielles détenues directement par l’État. D’autre part, la même loi prévoit la prise d’un règlement sur les paiements de remplacement d’impôts (PERI) effectués par les sociétés d’État, ici le RPSE, qui est applicable en l’espèce.

 

[10]           La Loi s’inspire dans une large mesure des principes du système fiscal visant les contribuables ordinaires, tout en tenant compte de l’immunité constitutionnelle dont bénéficie l’État, et, par voie d’extension, les sociétés d’État. Légalement parlant, le versement d’un PERI à une municipalité est volontaire, mais en pratique, l’autorité taxatrice (ici la Ville) s’attendra à ce que le gouvernement et les sociétés d’État exercent leur discrétion d’une manière conforme à la réalité fiscale du territoire où sont situées les propriétés en question.

 

[11]           D’une part, le régime réglementaire en place veut que le PERI soit versé à l’autorité taxatrice dans les cinquante jours suivant la réception de sa demande de paiement. Toutefois, s’il est impossible de déterminer de façon définitive le montant du PERI à verser, un versement provisoire qui correspond au montant estimatif total du paiement, sera versé à l’autorité taxatrice. Voir l’article 3 du Règlement sur les versements provisoires et les recouvrements, DORS/81-226 (RVPR) et l’article 12 du RPSE.

 

[12]           D’autre part, des intérêts peuvent être versés aux autorités taxatrices. Ainsi, le ministre et, comme nous le verrons plus loin, les sociétés d’État, ont également le pouvoir de verser un supplément pour retard de paiement (SRP) dans les cas où, à leur avis, le paiement à verser à l’autorité taxatrice a été « indûment » retardé. Les paragraphes 3(1.1) et (1.2) de la Loi, se lisent comme suit :

(1.1) S’il est d’avis que le versement de tout ou partie du paiement visé au paragraphe (1) a été indûment retardé, le ministre peut augmenter le montant de celui-ci.

 

(1.2) L’augmentation ne peut dépasser le produit de la somme non versée par le taux d’intérêt fixé en vertu de l’article 155.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques. Elle couvre la période pour laquelle, selon le ministre, il y a eu retard.

 

 

 

(1.1) If the Minister is of the opinion that a payment under subsection (1) or part of one has been unreasonably delayed, the Minister may supplement the payment.

 

(1.2) The supplement shall not exceed the product obtained by multiplying the amount not paid by the rate of interest prescribed for the purpose of section 155.1 of the Financial Administration Act, calculated over the period that, in the opinion of the Minister, the payment has been delayed.

 

                                                                                                            [Mes soulignés]

 

[13]           Les dispositions législatives susmentionnées sont entrées en vigueur le 1er janvier 2000 et font suite aux recommandations du Comité technique mixte sur les PERI et aux commentaires des intervenants municipaux. Dans la même veine, des amendements réglementaires ont été apportés par le gouvernement en 2001 afin que les paragraphes 3(1.1) et 3(1.2) de la Loi s’appliquent également aux sociétés d’État pour toute année débutant le 1er janvier 2000 ou après cette date. Voir l’article 8.1 du RPSE.

 

[14]           Le versement d’intérêts est un mode de compensation universellement connu des débiteurs et des créanciers. Il repose sur des facteurs objectifs (taux et durée). Il est également très facile d’application et a l’avantage d’être prévisible. Dans ce contexte, l’objet et la raison d’être des nouveaux paragraphes 3(1.1) et (1.2) de la Loi sont clairs et ils sont avant tout à l’avantage des autorités taxatrices.

 

[15]           À cause des cycles de l’examen de l’évaluation des propriétés et des différends sur les taux ou les valeurs, certaines municipalités ne recevaient pas toujours un paiement complet par les dates d’échéance, ce qui créait une situation inéquitable, puisque ces municipalités étaient privées de la tranche en suspens du paiement et n’étaient plus, sur le plan financier, sur un pied d’égalité avec les autres municipalités dont le paiement complet n’était pas retardé. La solution est donc de permettre d’accorder un supplément pour retard de paiement (SRP). Celui-ci sera calculé de manière objective en fonction d’un taux d’intérêt appliqué sur le montant impayé au cours de la période de retard. Voir Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC), Procédure sur les suppléments pour retard de paiement – PERI au paragraphe 3 (la Politique de TPSGC).

 

[16]           D’un autre côté, on a voulu laisser une certaine marge de manœuvre au niveau du versement d’intérêts. Toutefois, la discrétion du ministre, et le cas échéant des sociétés d’État, n’est pas absolue, et ce, bien que le paragraphe 3(1.1) de la Loi laisse au décideur une certaine latitude d’appréciation au niveau de ce qui constitue un retard indu. De plus, le supplément accordé ne couvre que la période de retard et ne peut dépasser le seuil d’augmentation maximale mentionné au paragraphe 3(1.2) de la Loi. Au passage, la SRC oppose les mots « indûment » et « unreasonably », que l’on retrouve dans les versions française et anglaise du paragraphe 3(1.1) de la Loi, en soumettant que le dernier mot est plus large que le premier. Le débat est plus théorique que pratique, puisqu’au bout du compte, il s’agit de savoir si le refus d’accorder des SRP est raisonnable ou non.

 

[17]           Du côté des propriétés ministérielles, la Politique de TPSGC établit une procédure et énumère des critères concernant l’application et l’administration des demandes de SRP, de façon à ce que leur traitement soit juste, équitable et prévisible. Un « retard indu » comprend notamment un retard qu’on accuse dans le versement des PERI, en partie ou en totalité, au-delà de la date d’échéance établie en vertu de la Politique de TPSGC, que ce retard s’explique par une activité ou l’inaction du gouvernement fédéral.

 

[18]           Afin de simplifier la procédure, chaque type de formulaire de demande de PERI comprend également une section sur les SRP, où l’on invite l’autorité taxatrice à indiquer (dans les cas où le montant est plus de 25 $) si elle demande un SRP. À ce chapitre, lorsqu’une autorité taxatrice demande au ministre le versement d’un SRP, elle doit également annexer une copie du Règlement d’imposition de taxes, ainsi qu’une description de la pratique de son unité taxatrice en matière de prélèvement de frais d’intérêts sur les comptes d’impôts fonciers en souffrance. Elle doit de même indiquer le taux d’intérêt et la fréquence composée, et la date à laquelle les intérêts commencent à s’accumuler sur les paiements non versés. Voir la Politique de TPSGC, au paragraphe 5.1.

[19]           Selon la Politique de TPSGC, le point de départ dans le calcul du retard sera la plus tard entre :

·        Le cinquantième jour suivant la réception de la demande complète;

·        Le jour où les intérêts commencent à courir pour cette date de paiement sur les impôts impayés par les propriétaires de propriétés imposables.

 

[20]           D’autre part, selon la Politique de TPSGC, le SPR correspondra à la moindre des deux valeurs suivantes :

·        Le produit de la multiplication de taux d’intérêt fédéral par le montant du paiement retardé pour la durée du retard; ou

·        Le produit de la multiplication du taux de l’autorité taxatrice applicable aux soldes en souffrance, par le montant du paiement retardé, pour la durée de ce retard.

 

[21]           S’inspirant de ce qui se faisait du côté ministériel, la SRC a informé l’ensemble des autorités taxatrices, dans une lettre en date du 27 novembre 2002, signée par M. Tim Neal, le Chef, Gestion des affaires et Administration CBC/Radio-Canada Transmission (la Politique de la SRC), qu’un nouveau formulaire de demande de PERI serait dorénavant utilisé et que dans le traitement les demandes de versements de PERI et de SRP, on tiendrait compte des modalités mentionnées dans la Politique de la SRC. On précise également que les modifications contenues dans la Loi et les nouvelles politiques du gouvernement canadien, dont la Politique de TPSGC, s’appliquent à la SRC.

 

[22]           La Politique de la SRC fait état du caractère volontaire des PERI, mais énonce aussi clairement que le paiement sera versé dans le délai prescrit par la demande, pourvu que l’autorité taxatrice accorde à la SRC le même délai de paiement qu’elle accorde aux contribuables commerciaux avant que ne s’applique l’intérêt de pénalité. D’un autre côté, si le versement d’un paiement accuse un retard déraisonnable, la SRC versera un paiement supplémentaire (intérêts) à l’autorité taxatrice. Il s’agit bien là du type d’assurance générale qui, tout en respectant le principe d’immunité fiscale, permet à l’autorité taxatrice de faire des prévisions de dépenses et de budgétiser, voire d’emprunter, en fonction des revenus de PERI escomptés comme s’il s’agissait d’un autre contribuable commercial.

 

[23]           Toujours selon la Politique de la SRC, en cas de retard déraisonnable, le montant du supplément versé à l’autorité taxatrice sera calculé en multipliant le montant du PERI en retard par le taux d’intérêt applicable pour la période de retard, comme le prescrit l’article 155.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques (le taux d’intérêt fédéral). D’autre part, la Cour comprend également que si le délai d’échéance prévu dans la politique de l’autorité taxatrice est supérieur à cinquante jours, la SRC voudra également s’en prévaloir avant de verser un SRP (qualifié de PERI supplémentaire dans la Politique de la SRC). Il en sera de même si le taux d’intérêt de l’autorité taxatrice est inférieur au taux d’intérêt fédéral.

 

[24]           Ceci dit, le formulaire que la SRC utilise depuis 2003 est à toutes fins pratiques une copie conforme du formulaire qu’utilise TPSGC. Sur le formulaire de la SRC, on demande notamment à l’autorité taxatrice de faire part de sa politique en matière de prélèvement de pénalités sur les comptes d’impôts fonciers en souffrance, et d’indiquer le taux d’intérêt et la fréquence composée, etc. La politique de la SRC précise en outre que « si une autorité taxatrice ne remplit pas toutes les sections [du formulaire], qu’elle n’inscrit pas les renseignements demandés et qu’elle n’y joigne pas les pièces justificatives, la demande sera retournée pour être complétée et être déposée de nouveau, et la Société se considérera justifiée de ne pas verser son PERI à temps et donc de ne pas verser le PERI supplémentaire demandé comme pénalité » (mes soulignés).

 

[25]           L’APM s’est également dotée d’une politique générale de paiement que l’on retrouve dans le document intitulé « Procédure – Gestion et acquittement des paiements versés en remplacement d’impôts fonciers municipaux et scolaires », lequel a été créé en 2004 et mis à jour en mars 2010 (la Politique de l’APM). La Politique a comme but d’« établir les lignes directrices concernant la gestion des paiements versés en remplacement d’impôts fonciers municipaux et scolaires » (page 1). La Politique précise aussi que l’APM a la responsabilité de voir à ce que les PERI soient faits selon les principes décrits dans la Loi. Parmi les responsabilités du directeur du service immobilier est la tâche de « recommander à la direction des services financiers, à l’intérieur d’un délai de cinquante (50) jours de la réception du compte de l’autorité taxatrice, le versement total (100%) du paiement à verser en remplacement d’impôts » (page 2) (mes soulignés).

 

[26]           La Cour convient que l’adoption ou la communication de politiques aux autorités taxatrices ne sauraient entraver l’exercice de la discrétion administrative qui existe en vertu de la Loi et de ses règlements d’application. Toutefois, le paragraphe 3(1.1) de la Loi exige que le retard soit indu (ou déraisonnable). Chaque cas doit donc être décidé à son mérite. N’empêche, les politiques peuvent être considérées par la Cour lorsqu’il s’agit d’examiner la raisonnabilité d’un refus de verser un SRP. La raison d’être des politiques est de compléter tout vide législatif ou réglementaire, en énonçant des critères pouvant servir de balises aux gestionnaires dans des cas semblables. Il s’agit de s’assurer le caractère raisonnable et prévisible des décisions administratives. Il n’est donc pas question d’accorder une discrétion absolue.

 

[27]           Or, la notion même de « retard indu » ou « déraisonnable » fait à appel à une évaluation du retard lui-même et des raisons pour lesquelles le paiement est en retard. Il faut d’abord qu’il y ait une échéance avant de parler de retard. Dans le contexte de cette cause, il ne peut s’agir que du cinquantième jour suivant la réception de la demande complète de PERI, ou du jour où les intérêts commencent à courir sur les comptes d’impôts fonciers en souffrance (si l’autorité taxatrice accorde aux contribuables ordinaires un délai supérieur à cinquante jours). D’autre part, le retard devient indu lorsque, objectivement parlant, il est déraisonnable que l’autorité taxatrice, qui comptait recevoir le PERI à l’échéance, ait à supporter le fardeau financier d’un manque à gagner, sans faute de sa part, alors que le retard s’explique par l’inaction ou une action du ministre ou de la société d’État.

 

[28]           En l’espèce, il n’est pas contesté que la Ville a fait parvenir à la SRC des demandes de PERI, assorties de demandes de SRP, pour chacune des années d’imposition en cause, et que tous les formulaires et documents requis par la SRC lui ont été fournis par la Ville en temps utile. Bien que l’APM n’utilise pas un formulaire, les demandes de paiement et de versement d’intérêts ont été soumises par la Ville conformément aux politiques de l’APM, avec toute la documentation pertinente. Dans les deux cas, la Ville s’est comportée comme une autorité taxatrice, en faisant parvenir régulièrement aux défenderesses des tableaux récapitulatifs des montants réclamés et des rappels (capital et intérêts).

[29]           Pour preuve, à titre illustratif, dans une lettre en date du 28 janvier 2004, à laquelle était jointe une réclamation détaillée pour l’année 2004, la Ville avisait l’APM que les paiements de taxes doivent être faits en un versement unique le 1er mars ou en deux versements égaux les 1ers des mois de mars et juin 2004, et qu’un montant supplémentaire (intérêts) sera demandé pour les paiements en retard. D’autre part, dans une lettre en date du 2 mars 2004, la Ville avisait la SRC que le deuxième versement du paiement du PERI pour l’année 2003 était en retard et n’incluait pas le montant supplémentaire en intérêt prévu par la Loi. De plus, on se fondait sur la Politique de la SRC du 27 novembre 2002 pour réclamer un supplément en intérêts (PERI supplémentaire dans la lettre de la Ville), étant donné que le deuxième versement n’avait pas été versé à l’échéance du 2 juin 2003.

 

[30]           Il est également manifeste que le retard à verser le montant total du PERI pour chacune des années en cause est uniquement le fait des défenderesses qui ont refusé à l’échéance du délai normal de cinquante jours, de faire un paiement final ou provisoire comprenant tous les montants réclamés par la Ville à titre de PERI. De fait, l’APM et la SRC ont forcé la Ville à entreprendre des procédures judiciaires et ont retardé pendant plusieurs années, jusqu’à un jugement final de la Cour suprême du Canada, le versement total des paiements en remplacement de l’impôt foncier.

 

[31]           Or, le motif général invoqué par les défenderesses n’est pas qu’il était impossible à l’époque de calculer le montant total du paiement en remplacement de l’impôt foncier, mais plutôt qu’elles pouvaient légalement déduire des sommes réclamées par la Ville l’équivalent de l’augmentation des taxes foncières, qui résultait de la suppression de la taxe d’affaires abolie par la Ville en 2003, et dans le cas de l’APM, qu’elle pouvait également exclure de la base de calcul la valeur des jetées et silos situés dans le port de Montréal (les déductions en cause).

 

[32]           En choisissant d’agir unilatéralement et malgré les objections de la Ville, les défenderesses ont ouvert la porte à la possibilité d’avoir ultérieurement à lui payer un supplément de retard.

 

[33]           L’APM n’a pas vraiment cherché à justifier son refus de verser un SRP dans la lettre du 29 avril 2010. La décision de la SRC de refuser de verser un SRP ne s’appuie pas sur un fondement objectif, mais sur des motifs, au demeurant, arbitraires et capricieux. Les motifs dans la lettre du 27 mai 2010 ne résistent pas à une analyse poussée. Le refus est un empreint de subjectivité. Le simple fait d’avoir obtenu un avis juridique indépendant n’est rien d’autre qu’avoir pensé que sa cause était bonne. Il est certain que la Ville en pensait tout autant. D’ailleurs, si la question posée est le moindrement compliquée, on peut facilement obtenir des avis juridiques contradictoires. Un avis juridique n’est donc pas une garantie de légalité, non plus qu’un jugement favorable qui a été porté en appel. D’ailleurs, les actions des défenderesses ont toutes été déclarées illégales par un jugement final de la Cour suprême du Canada rétablissant toutes les conclusions de la Cour fédérale.

 

[34]           Faut-il le rappeler, un contribuable qui a contesté un avis de cotisation et a perdu sa cause devant les tribunaux, ne peut pas refuser de payer des intérêts au gouvernement parce qu’il pensait avoir une bonne cause. Si c’était effectivement le cas, personne ne paierait d’intérêts. Il faut noter que le contribuable doit impérativement payer le montant dû, sans que le gouvernement ait à faire une demande spécifique à ce sujet. Dans les cas où le montant est contesté, le contribuable doit payer ledit montant de façon provisoire. S’il ne paie pas, les intérêts courent. La logique du système fiscal est sauvegardée dans le cas des PERI, sinon qu’en cas de retard indu, l’autorité taxatrice s’attendra à recevoir un SRP si elle obtient finalement gain de cause.

 

[35]           Si l’on accepte les prétentions des défenderesses, il suffirait qu’une société d’État conteste le montant du PERI à verser, pour que le délai pour payer tout solde en capital soit indéfiniment suspendu jusqu'à un jugement final en faveur de l’autorité taxatrice, ce qui pourra prendre des années (comme dans le cas présent). Il n’y aurait retard indu que si la société d’État ne versait pas le solde en souffrance dans un délai déraisonnable suivant le jugement final dans la cause. En somme, le versement ou non d’un supplément dépendrait d’évènements purement externes et difficilement prévisibles, un peu comme à la loterie, à la roulette ou à un autre jeu de hasard. Tout ceci n’a aucun sens naturellement et va directement à l’encontre de l’économie générale de la Loi et de ses règlements d’application.

 

[36]           Ayant déterminé que les décisions prises par les défenderesses sont déraisonnables, celles-ci doivent être annulées et les demandes de paiement de SRP retournées aux défenderesses afin que celles-ci soient étudiées à nouveau conformément à la Loi, à ses règlements d’application, aux politiques en vigueur, aux motifs du jugement et aux directives de la Cour. À cet égard, des questions ont été soulevées par les parties sur la façon de calculer le supplément, ce qui comprend le taux et mode de calcul du taux d’intérêt, d’où la directive plus loin.

 

[37]           La Cour note qu’en vertu du paragraphe 155.1(6) de la Loi sur la gestion des finances publiques, le Conseil du trésor a adopté un règlement, qui établit que sur toutes les créances de Sa Majesté, il y a « des intérêts composés calculés mensuellement, au taux d'escompte moyen majoré de trois pour cent, à compter de la date d'échéance jusqu'à la veille de la date de réception, par Sa Majesté ou son mandataire, du paiement. » (Règlement sur les intérêts et les frais administratifs, DORS/96-188, para 5(1) (RIFA)).

 

[38]           Les parties sont ici d’accord sur le taux à utiliser (« prime » + 3%), mais apparemment pas sur le mode de calcul. La demanderesse est d’avis que les intérêts sont composés, alors que les défenderesses sont d’avis que les intérêts sont simples. La SRC prétend à cet égard que ce n’est que le taux mentionné au paragraphe 5(1) du RIFA et non le mode de calcul qui s’applique en l’espèce, parce que le paragraphe 3(1.2) de la Loi ne mentionne que le taux fixé en vertu de l’article 155.1, et non le taux et le mode de calcul.

 

[39]           En l’espèce, il suffit de prescrire que les intérêts pour retard de paiement seront calculés conformément aux paragraphes 3(1.1) et (1.2) de Loi, à ses règlements d’application et aux politiques régissant le taux de mode de calcul des intérêts pour la période de retard de paiement dans des cas semblables, et en se référant par analogie à la Politique de TPSGC, à la politique de la demanderesse en matière de prélèvement de frais d’intérêts sur les comptes d’impôts fonciers en souffrance et au paragraphe 5(1) du RIFA, le cas échéant et si nécessaire.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      Les demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers T-833-10 et T-936-10 sont accueillies;

2.      Les décisions des défenderesses de refuser de verser à la demanderesse des suppléments pour retard de paiement sont annulées et les demandes de paiement sont retournées aux défenderesses pour reconsidération;

3.      Les demandes de paiement seront étudiées à nouveau conformément à la Loi, à ses règlements d’application, aux politiques en vigueur, aux motifs du jugement et directives de la Cour; et

4.      Les intérêts pour retard de paiement seront calculés conformément aux paragraphes 3(1.1) et (1.2) de Loi, à ses règlements d’application et aux politiques régissant le taux de mode de calcul des intérêts pour la période de retard de paiement dans des cas semblables, et en se référant par analogie à la Politique de TPSGC (Procédure sur les suppléments pour retard de paiement – PERI), à la politique de la demanderesse en matière de prélèvement de frais d’intérêts sur les comptes d’impôts fonciers en souffrance et au paragraphe 5(1) du Règlement sur les intérêts et les frais administratifs, DORS/96-188, le cas échéant et si nécessaire.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-833-10

 

INTITULÉ :                                       VILLE DE MONTRÉAL

                                                            c ADMINISTRATION PORTUAIRE DE MONTRÉAL

 

DOSSIER :                                        T-936-10

 

INTITULÉ :                                       VILLE DE MONTRÉAL

                                                            c SOCIÉTÉ RADIO-CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 2 et 3 mai 2011

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Luc Lamarre

Vincent Jacob

 

POUR LA DEMANDERESSE

(Ville de Montréal)

 

Gilles Fafard

POUR LA DÉFENDERESSE

(Administration Portuaire de Montréal)

 

Sylvie Gadoury

POUR LA DÉFENDERESSE

(Société Radio-Canada)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Brunet, Lamarre s.e.n.c.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

(Ville de Montréal)

De Granpré Chait s.e.n.c.r.l./LLP

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(Administration Portuaire de Montréal)

Sylvie Gadoury

Avocate

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

(Société Radio-Canada)

 

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