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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110809

Dossier : IMM-6860-10

Référence : 2011 CF 982

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 août 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

HASHIM KHAN

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

   MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), concernant une décision rendue le 29 octobre 2010 par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la SPR a accordé au défendeur le statut de réfugié au sens de la Convention en application de l’article 96 de la Loi.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le défendeur est un citoyen de l’Afghanistan. Entre 1985 et 1992, il a travaillé pour le Khadimat-e Atal’at-e Dowlati et le Wazarat-e Amaniat-e Dowlati (le KhAD), soit le service de sécurité de l’État au sein de l’ancien régime communiste en Afghanistan. Le défendeur soutient qu’il a travaillé en qualité de chauffeur pour la direction no 1 qui, à sa connaissance, était chargée de l’attribution des tâches des représentants consulaires et des ambassadeurs afin qu’ils s’occupent de questions d’ordre international. Le défendeur affirme avoir cherché à obtenir ce travail parce que c’était la seule façon d’éviter d’être obligé de s’enrôler dans l’armée tout en soutenant sa famille. Il a obtenu le travail grâce à un ami, et il a dû offrir un pot­de­vin. Une des conditions d’emploi était son adhésion au Hezbi Democratic Khalqi Afghanistan, une section du parti démocratique populaire d’Afghanistan (le PDPA).

 

[3]                Le ministre soutient que, en plus d’être chauffeur, le défendeur était aussi un informateur et un garde du corps à la solde du KhAD. Il est connu que le KhAD a commis des crimes contre l’humanité, notamment des actes de tortures, des viols et des meurtres. Le ministre allègue que l’emploi qu’occupait le défendeur au sein du KhAD l’a rendu complice de tels crimes et que le défendeur ne devrait pas, par conséquent, avoir qualité de réfugié en application de l’alinéa 1Fa) de la Convention relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6 (la Convention).

 

[4]               Le défendeur soutient que, en 1988, le KhAD a effectué une descente dans son quartier à Kaboul et que l’un de ses voisins et son fils ont été arrêtés. Nabi, un autre fils du voisin et un commandant des moudjahidines dans la province de Panjshir, a accusé le défendeur d’avoir dénoncé sa famille. Cinq ans plus tard, lorsque le régime communiste a été renversé et lorsque les moudjahidines ont pris le pouvoir en Afghanistan, Nabi est devenu très puissant au sein du gouvernement. Il s’est rendu chez le défendeur pour venger son père et son frère de leur l’arrestation. Le défendeur n’était pas à la maison à ce moment­là, et son père a refusé de dire où il se trouvait. Nabi a tué le père du défendeur et a fait sauter la maison. Le défendeur a par la suite quitté Kaboul. Le défendeur et son épouse ont déménagé dans un village afghan où Nabi était peu susceptible de se rendre. Ils y ont vécu jusqu’en 2003 sans être importunés.

 

[5]               En 2003, Nabi a enlevé le cousin du défendeur pour tenter de forcer le défendeur à se rendre. De crainte que Nabi le tue, le défendeur a refusé de se rendre. Par mesure de représailles, le père du cousin a dit aux voisins du défendeur que ce dernier avait été informateur pour les communistes alors qu’il travaillait pour le KhAD. Les villageois ont pris d’assaut la maison du défendeur, mais il a réussi à s’enfuir par une fenêtre à l’arrière de la maison et il a fui le pays.

 

[6]               Le défendeur a présenté des demandes d’asile dans quatre pays, en vain. Dans le cinquième pays, aux États­Unis, la demande du défendeur a été accueillie au premier palier. Cependant, le département de la Sécurité intérieure a interjeté appel de la décision et a réussi à faire renvoyer l’affaire devant un juge de l’immigration pour qu’il se penche sur les contradictions relevées dans le témoignage du défendeur et pour qu’il décide s’il devrait refuser l’asile au défendeur au motif que ce dernier avait commis des actes de persécution. De crainte d’être renvoyé en Afghanistan, le défendeur est venu au Canada. Il est arrivé le 11 mars 2007 et il a présenté sa demande d’asile le 13 mars 2007; il a alors affirmé craindre avec raison d’être persécuté du fait de son appartenance à un groupe social et des opinions politiques qu’on lui imputait parce qu’il avait travaillé pour le KhAD. Il a aussi affirmé qu’il serait exposé à une menace à sa vie et au risque d’être soumis à la torture s’il retournait en Afghanistan.

 

[7]               Le défendeur a comparu devant la SPR le 10 décembre 2009 et le 30 mars 2010. Il était représenté par un avocat, et un interprète était présent à l’audience. Le ministre de la Sécurité publique a participé à l’audience et il a plaidé qu’il y avait des motifs sérieux de penser que le défendeur avait commis des crimes contre l’humanité, et que la SPR devrait conclure que le défendeur n’avait donc pas qualité de réfugié en application de l’alinéa 1Fa) de la Convention. La SPR n’a pas accepté les arguments du ministre. Elle a conclu que le défendeur avait qualité de réfugié au sens de la Convention. Il s’agit de la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

LA DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

            L’exclusion

 

[8]               La SPR a noté qu’il incombait au ministre d’établir qu’il y avait des motifs sérieux de penser que le demandeur d’asile avait commis des crimes contre l’humanité. La norme de la preuve applicable commande qu’il y ait des « motifs raisonnables de croire »; cette norme est moins stricte que la prépondérance de la preuve, mais elle exige davantage qu’un simple soupçon; en outre, elle ne vise que les questions de fait.

 

[9]               Ni l’une ni l’autre des parties n’a contesté que le KhAD avait commis des crimes contre l’humanité au sens de l’article 7 du Statut de Rome. Néanmoins, la SPR a appliqué le critère à quatre volets établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mugesera, 2005 CSC 40, afin de confirmer cette conclusion. Sur le fondement de la preuve, la SPR a conclu que le KhAD avait commis des actes proscrits ou des crimes, et que ces crimes avaient été commis de façon généralisée ou systématique contre la population civile. Elle a aussi conclu que le KhAD était une organisation visant principalement des fins limitées et brutales. Cette conclusion a fait naître une présomption réfutable suivant laquelle le défendeur avait personnellement et consciemment participé aux activités et partageait une intention commune avec le KhAD; il s’agit des éléments essentiels devant être établis pour justifier une conclusion de complicité. Voir Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306, [1992] A.C.F. n109 (QL) (C.A.F.), paragraphe 15 à 18. La question qui restait donc à trancher était de savoir si le défendeur avait fourni une preuve crédible réfutant cette présomption.

 

[10]           La SPR a noté que l’appartenance à une organisation n’entraîne pas automatiquement l’exclusion. L’un des éléments essentiels est l’existence d’un lien entre l’appartenance de la personne à un groupe et le partage de l’intention de l’organisation d’arriver à ses fins par la brutalité et la violence contre la population civile. Voir la décision Savundaranayaga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 31, paragraphe 32 et suivants.

 

[11]           La SPR a conclu que, parce que la seule preuve de la participation du défendeur aux activités du KhAD était son propre témoignage, il était essentiel que son témoignage soit crédible pour que sa demande soit accueille. La SPR a conclu qu’en définitive le témoignage du défendeur était crédible. Le défendeur a livré son témoignage de manière réfléchie et crédible. Il a témoigné ouvertement et les détails de son récit dont les faits se sont produits il y a 25 ans sont restés les mêmes dans l’ensemble du processus d’immigration au Canada et aux États­Unis. Les rapports médicaux qu’il a fournis font aussi état des faits qui ont mené à son départ de l’Afghanistan. Les circonstances de son départ de l’Afghanistan et ses efforts pour obtenir l’asile dans d’autres pays ont convaincu la SPR qu’il n’y avait aucune raison de croire que le récit du défendeur n’était pas véridique, et ce, bien que la preuve à cet égard était bien mince.

 

[12]           La SPR a estimé que le témoignage du défendeur, selon lequel il n’était qu’un simple chauffeur pour un spécialiste politique à la direction no 1, était crédible; le défendeur croyait que la direction no1 participait à des activités de renseignements en Afghanistan et à l’étranger. La SPR n’était pas convaincue que la direction pour laquelle le défendeur travaillait était la même direction no1 qui, selon Amnesty International, était connue pour ses violations des droits de la personne, car la désignation de ces directions par numéro a été remise en question dans la preuve documentaire. Pour l’essentiel, le défendeur « devait s’assurer que son patron se rende où il le devait ». Il n’était ni un informateur ni un agent du KhAD. À l’instar de tous les autres employés du régime, le défendeur a dû signer un contrat qui l’obligeait à dénoncer les personnes qui détenaient des armes, qui désertaient et qui avaient des opinions antigouvernementales, mais il n’a dénoncé personne. Il a été obligé d’adhérer au PDPA pour obtenir son emploi. Il n’a pas quitté son travail de façon volontaire parce qu’il craignait que, s’il retournait à sa ferme, il serait recruté par les moudjahidines. Bien qu’il savait que le KhAD perpétrait des atrocités, le défendeur n’était pas au courant de la vraie nature ni de l’étendue réelle de ces atrocités. La SPR a affirmé ce qui suit :

 

[L]es connaissances [du défendeur] ne dépassaient pas ce qui se sait « dans la rue » et il croyait […] que [la direction no 1] ne commettait pas de telles atrocités. […] Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincue que ce type de participation ne permet pas de conclure à une participation personnelle et consciente de la part du [défendeur] et à l’existence d’une intention commune.

 

 

 

La SPR était convaincue que « les fonctions qui lui ont été attribuées en tant que chauffeur de la personne pour laquelle il travaillait ne peuvent pas être considérées comme un encouragement à de tels crimes [contre l’humanité] à petite échelle ».

 

[13]           Le ministre a invoqué le témoignage donné par le défendeur dans le processus de demande d’asile aux États­Unis, dans lequel le défendeur semble avoir mentionné, dans ses premiers témoignages, qu’il était un informateur et qu’il avait porté un pistolet. Le ministre soutient que cela prouve qu’il n’était pas seulement un chauffeur, mais qu’il était aussi le garde du corps du spécialiste en politique. Cependant, la SPR a noté que, dans ce même processus, le défendeur a clairement essayé de corriger ce qui, à son avis, était un malentendu. Le défendeur a affirmé qu’il n’avait dénoncé personne, et ce, même s’il était théoriquement tenu de le faire pour garder son emploi.

 

[14]           La SPR a accepté la correction du défendeur pour les motifs qui suivent. Le défendeur n’est pas instruit et il n’a reçu aucun conseil d’ordre juridique, malgré les « nombreux efforts » déployés par le défendeur pour retenir les services d’un avocat. Tant le procureur que le juge dans le processus aux États­Unis ont mentionné qu’il y avait eu des problèmes avec les interprètes fournis. La transcription non certifiée de ces audiences n’était pas fiable parce qu’elle refermait de nombreuses mentions « indiscernable » et la SPR n’a donc pas été convaincue que l’unique mention du port du pistolet par le défendeur était importante.

 

[15]           La SPR a noté que le processus aux États-Unis constituaient la seule preuve du ministre pouvant établir que la participation du défendeur aux activités du KhAD suffisait pour étayer une conclusion selon laquelle le défendeur avait participé personnellement et consciemment à ces activités et avait partagé avec cette organisation une intention commune, et que, par conséquent, le défendeur s’était rendu complice des crimes contre l’humanité commis par le KhAD. Cette preuve, selon la SPR, n’était pas convaincante. La SPR n’était pas convaincue qu’il y avait lieu d’exclure le défendeur en application de l’alinéa 1Fa) de la Convention.

 

L’inclusion

 

[16]           La SPR a conclu que le défendeur craignait que Nabi et les villageois – qui croyaient qu’il était un informateur pour le KhAD – le tuent, et que cette crainte était encore fondée sept ans après son départ d’Afghanistan. Bien que l’arrestation du père et du frère de Nabi ait eu lieu il y a plus de 20 ans, le fait que Nabi a continué de poursuivre le défendeur, et ce, malgré des très longues pauses dans ses recherches, révèle que Nabi avait eu un « désir manifeste de vengeance [...] au cours des 15 années » qui ont précédé le départ du défendeur de l’Afghanistan. La SPR a conclu qu’il y avait plus qu’une possibilité sérieuse que, si le défendeur retournait en Afghanistan, il aurait à faire face à Nabi, qui voulait se venger du défendeur en raison de ses opinions politiques et de l’allégation selon laquelle il avait dénoncé la famille de Nabi; la SPR a aussi conclu que le défendeur aurait à faire face aux actes de vengeance des personnes qui s’opposaient au régime communiste en Afghanistan. Pour ces mêmes motifs, la SPR a conclu que le défendeur risquait de voir sa vie menacée par Nabi et ses alliés s’il retournait en Afghanistan.

 

[17]           La SPR a aussi conclu, sur le fondement d’éléments de preuve documentaire, que l’État ne serait pas capable de protéger le défendeur en Afghanistan. Tant le département d’État des États­Unis que le secrétaire général de l’ONU ont mentionné dans des rapports que la situation sur le plan de la sécurité dans ce pays s’était aggravée de manière importante au cours de la dernière année. Le gouvernement avait une capacité limitée de fournir des services de base à la population. Les conflits armés s’étaient étendus au tiers du pays et rien ne donnait à penser que la situation allait s’améliorer. La SPR a conclu que la question liée à la possibilité de refuge intérieur (la PRI) n’était pas pertinente en l’espèce parce que, si le défendeur retournait en Afghanistan, il demanderait vraisemblablement l’aide de sa famille, et son oncle, qui pourrait encore souhaiter s’en prendre au défendeur, apprendrait ainsi où il se trouve. Le défendeur ferait aussi face aux menaces que pourraient proférer les personnes qui découvriraient qu’il a déjà travaillé pour le KhAD, ce qui ferait en sorte que le défendeur serait exposé à un risque dans l’ensemble du pays.

 

[18]           Sur le fondement de la crainte bien fondée du défendeur et de l’absence de protection de l’État et d’une PRI, la SPR a conclu que le défendeur était un réfugié au sens de la Convention.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[19]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

i.         La SPR a­t­elle commis une erreur dans son interprétation du droit en matière de complicité en ce qui concerne son application à l’égard d’une organisation qui vise des fins limitées et brutales?

ii.       La SPR a­t­elle commis une erreur en concluant que le défendeur n’était pas visé par l’exclusion établie à l’alinéa 1Fa) de la Convention et qu’il avait qualité de réfugié?

 

LES DISPOSITIONS APPLICABLES

 

[20]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

 

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

Exclusion — Refugee Convention

 

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

[21]           La disposition suivante de la section 1 de la Convention s’applique en l’espèce :

 

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes […]

 

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

 

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes […]

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[22]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à la question qui lui est soumise, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

 

[23]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur dans son interprétation du droit en matière de complicité et qu’elle a commis une erreur en concluant que le défendeur n’était pas visé par l’exclusion établie à l’alinéa 1Fa) et qu’il avait qualité de refugié. En ce qui a trait à l’établissement de la norme de contrôle, je souscris au raisonnement du juge François Lemieux dans la décision Shrestha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 887, paragraphes 10 à 12, tout en gardant à l’esprit que la Cour suprême du Canada a fusionné la norme de la décision manifestement déraisonnable et celle de la décision raisonnable simpliciter en une norme unique, soit la raisonnabilité. Le juge Lemieux a fait les commentaires suivants :

Si la décision du tribunal dépend de la question de savoir si le demandeur connaissait le type d’activités exercées par l’UPF, de sa participation aux activités de l’organisation, de son rôle de premier plan et de sa contribution aux finances du parti, elle dépend de conclusions de fait. Aux termes de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour n’interviendra pas à moins que le tribunal ait rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu’il ait tenu compte des éléments de preuve dont il disposait, ce qui équivaut à une conclusion manifestement déraisonnable.

 

Dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, à la page 844, Madame le juge L’Heureux-Dubé, s’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a déclaré au paragraphe 85 :

 

Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d’un tribunal administratif exige une extrême retenue [...]. Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve. Ce n’est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu’une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable, par exemple, en l’espèce, l’allégation suivant laquelle un élément important de la décision du tribunal ne se fondait sur aucune preuve [...].

 

Je suis d’accord avec l’avocat du demandeur qui prétend que si le tribunal a mal interprété le sens de la clause d’exclusion de l’alinéa a) de la section F de l’article premier, la norme de contrôle est la décision correcte et que si le tribunal a appliqué incorrectement aux faits de l’affaire la bonne interprétation, la norme de contrôle est la décision raisonnable simpliciter.

 

[24]           J’ajouterais que, si des principes juridiques ont été appliqués aux faits dans la décision contestée – il s’agit alors d’une question mixte de fait et de droit – la norme de contrôle applicable est aussi la raisonnabilité. Voir Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Muro, 2008 CF 566, paragraphe 30, et Savundaranayaga, précitée, aux paragraphes 25 et 26.

 

[25]           Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES ARGUMENTS

            Le demandeur

                        L’analyse de la SPR relativement à la complicité était erronée

 

[26]           Le demandeur soutient qu’il y a des motifs sérieux de penser que le défendeur s’est rendu complice de crimes contre l’humanité commis par le KhAD et qu’il devrait donc être visé par l’exclusion établie à l’alinéa 1Fa). Il a été estimé que le KhAD était une organisation visant des fins limitées et brutales. Le défendeur a admis qu’il savait que le KhAD était connu pour tuer des civils. Néanmoins, il a volontairement rejoint les rangs de cette organisation afin d’éviter d’avoir à faire son service militaire, il a travaillé pendant sept ans comme chauffeur d’un spécialiste politique, il a promis de dénoncer les personnes qui étaient en possession d’armes ou qui n’effectuaient pas leur service militaire et il s’est dissocié de cette organisation seulement après la chute du régime communiste.

 

[27]           Le demandeur allègue que le défendeur a présenté une version des faits aux autorités de l’immigration aux États­Unis et une autre version aux autorités au Canada. Lors du processus d’immigration aux États­Unis, le défendeur a admis être un informateur pour le KhAD. Dans le processus d’immigration au Canada, il a nié être un informateur. Il a affirmé que, dans le processus aux États­Unis, il avait voulu dire qu’il était tenu de dénoncer les civils s’il obtenait des renseignements qui pourraient intéresser le KhAD, mais qu’il n’avait jamais, dans les faits, respecté son obligation de dénoncer des personnes. La SPR a donc commis une erreur en concluant que le défendeur avait pour l’essentiel donné le même témoignage dans les processus d’immigration aux États­Unis et au Canada.

 

[28]           Le demandeur avance que l’analyse de la SPR quant à la complicité était erronée. Même s’il était raisonnable pour la SPR d’accepter que le défendeur n’avait jamais dénoncé personne, cela n’enlevait rien au fait qu’il s’était rendu complice du KhAD. La dénonciation était une condition d’emploi et, lorsqu’il a accepté de dénoncer des personnes, il savait que le KhAD arrêtait les personnes dénoncées et il était connu que le KhAD tuait les personnes arrêtées.

 

[29]           La Cour a affirmé qu’une personne se rend complice des activités d’une organisation si, en toute connaissance de cause, elle contribue, de près ou de loin, de l’intérieur ou de l’extérieur, aux activités de l’organisation ou les rend possibles. Voir Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996) 205 NR 282, [1996] A.C.F. no 1209 (QL) (C.A.F.), paragraphe 11. Le demandeur soutient que le défendeur s’est rendu complice des activités du KhAD parce qu’il y a contribué en travaillant pour cette organisation. Même s’il savait que le KhAD commettait des crimes contre l’humanité, il ne s’est dissocié de cette organisation que lorsqu’il a perdu son emploi après la chute du gouvernement communiste.

 

[30]           Le SPR a commis une erreur en estimant que, parce que la connaissance qu’avait le défendeur des crimes commis par le KhAD ne dépassait pas ce qui se sait « dans la rue » et qu’il avait plutôt connaissance de ce qui était « notoire », il était raisonnable de conclure que le défendeur avait réfuté la présomption selon laquelle il avait personnellement et consciemment participé aux activités et partageait une intention commune. Le demandeur soutient que cette interprétation restrictive quant au degré de connaissance nécessaire pour établir la complicité n’est pas étayée par la jurisprudence de la Cour fédérale. Le juge Max Teitelbaum, au paragraphe 25 de la décision Shakarabi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 145 F.T.R. 297, [1998] A.C.F. n444 (QL) (C.F.), a affirmé ce qui suit :

 

Il est beaucoup trop facile de dire qu’on n’est pas au courant des actes de barbarie d’une organisation pour essayer de se distancier de ces actes de barbarie. Si, comme c’est le cas en l’espèce, un individu vit et travaille dans un pays où des personnes de son entourage disparaissent et où il entend parler d’arrestations et de torture, il me semble tout à fait invraisemblable qu’il ne soit pas au courant de ce qui se passe. J’estime que la Commission en est arrivée à la bonne conclusion vu l’ensemble de la preuve portée à sa connaissance.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

De façon semblable, la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Oberlander c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 330 (Oberlander CAF), n’a fait aucune distinction entre la connaissance de ce qui est « notoire » et la connaissance de crimes précis. La Cour d’appel fédérale a conclu que l’appelant ne pouvait pas ignorer le rôle de son unité parce qu’il avait appris que son unité exécutait des civils, bien que l’appelant n’ait jamais lui­même été témoin de telles atrocités.

 

[31]           Le demandeur avance aussi que la SPR disposait d’éléments de preuve suivant lesquels, pendant le régime communiste, le KhAD avait créé un régime de terreur en Afghanistan et était connu pour torturer et exécuter des civils. Le défendeur était au fait des graves violations des droits de la personne commises par le KhAD, mais a sciemment fermé les yeux. Il était déraisonnable pour la SPR de conclure que le défendeur avait réfuté la présomption de complicité en l’espèce.

 

Le défendeur

            L’analyse de la SPR en lien avec la complicité n’était pas erronée

 

[32]           Le défendeur soutient que la SPR a mené la bonne analyse et qu’elle a raisonnablement conclu qu’il avait réfuté la présomption selon laquelle il avait personnellement et consciemment participé aux activités du KhAD et partageait une intention commune avec le KhAD et que, par conséquent, il ne s’était pas rendu complice des crimes contre l’humanité commis par le KhAD. Dans sa décision, la SPR s’est fondée sur le témoignage du défendeur, qu’elle a estimé crédible.

 

[33]           Le défendeur soutient que la SPR a reconnu que l’appartenance à une organisation visant des fins limitées et brutales n’entraîne pas automatiquement l’exclusion. « [E]lle crée [plutôt] une présomption réfutable de complicité ou des deux critères quant à la complicité – une participation personnelle et consciente et un partage d’un but commun. »Voir la décision Savundaranayaga, précitée, paragraphe 41. La SPR a accepté que la présomption s’appliquait en l’espèce et que, par conséquent, il incombait au défendeur de fournir une preuve crédible établissant qu’il ne s’était pas rendu complice de crimes parce qu’il n’avait pas personnellement et consciemment participé aux activités du KhAD et n’avait pas partagé une intention commune avec le KhAD. La SPR a par la suite examiné la preuve du défendeur – qui ne consistait, pour l’essentiel, qu’en son témoignage – afin d’établir si elle était crédible et si elle permettait de réfuter cette présomption, et la SPR a conclu que c’était le cas. Le défendeur soutient que le dossier ne donne aucunement à penser que la SPR a commis une erreur dans son analyse.

 

Les conclusions de la SPR au sujet de la crédibilité étaient raisonnables

 

[34]           Le défendeur affirme que l’analyse relative à la crédibilité menée par la SPR était raisonnable. La SPR a attentivement examiné l’ensemble de la preuve dont elle disposait. En ce qui a trait aux incohérences dans le témoignage du défendeur, la SPR a minutieusement examiné les explications du défendeur à la lumière de la preuve documentaire puis a fourni des motifs détaillés justifiant sa décision d’accepter ces explications. L’analyse de la SPR en ce a trait au témoignage du défendeur dans le processus d’immigration aux États‑Unis était transparente, justifiable et sensée. Sur le fondement de cette analyse exhaustive, la SPR a conclu de la façon suivante : « Dans l’ensemble, j’ai estimé que le [défendeur] était crédible [...]. » La SPR a accepté le témoignage du défendeur selon lequel il n’avait jamais dénoncé personne, n’avait pas porté de pistolet et, en résumé, n’avait été qu’un chauffeur pour le KhAD. Les types de fonctions que le défendeur a exercées ne peuvent pas être considérées comme un encouragement à commettre des crimes contre l’humanité, même à petite échelle.

 

[35]           Le demandeur avance que le défendeur a nié pour la première fois être un informateur pour le KhAD lors de son audience relative à sa demande d’asile tenue au Canada. C’est faux. La transcription des audiences tenues dans le cadre du processus d’immigration aux États­Unis révèle clairement qu’il avait alors nié être un informateur. Le défendeur avait affirmé ce qui suit : [traduction] « Apparemment, il y a malentendu. Je n’ai pas dit que je dénonçais des personnes. [...] [I]ls m’ont forcé à signer un document selon lequel je devais dénoncer toute personne qui se cachait du KhAD ou qui possédait des armes, mais je n’ai jamais dénoncé personne [...]. »

 

[36]           Le demandeur compare aussi l’espèce avec l’affaire Oberlander, dont les faits, selon le défendeur, devraient être distingués d’avec ceux de la présente affaire. L’organisation dans l’affaire Oberlander avait été décrite par le juge Michael Phelan de la Cour fédérale comme étant une « unité mobile d’exécution de civils innocents ».Voir Oberlander c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1200 (Oberlander CF). Il s’agissait de la seule fonction de cette unité, et le demandeur dans cette affaire vivait, mangeait, se déplaçait et travaillait à temps plein avec l’unité. En l’espèce, la SPR a conclu que le défendeur – bien qu’il savait que le KhAD se livrait à de telles activités – n’avait connaissance que de ce qui était « notoire ». Le défendeur n’était pas au fait de la vraie nature ni de l’étendue réelle de ces activités, et il n’avait vu aucun signe révélant que son employeur se livrait à de telles activités.

 

[37]           Le demandeur conteste la conclusion de la SPR. Il soutient que, même si la connaissance qu’avait le défendeur des crimes commis par le KhAD ne dépassait pas ce qui se sait « dans la rue », cela ne réfute aucunement la présomption. Le défendeur souligne en revanche que la SPR n’a jamais affirmé que ce seul fait permettait de réfuter quelque présomption que ce soit; il s’agissait simplement d’un facteur dont a tenu compte la SPR dans sa décision, qui était réfléchie et exhaustive. En outre, le défendeur invoque la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mohsen (2000), 188 FTR 145, [2000] A.C.F. no 1285 (Mohsen), pour plaider que la SPR avait le droit de tenir compte de ce facteur. Dans l’affaire Mohsen, le juge Frederick Gibson a affirmé ce qui suit au paragraphe 6 :

 

La SSR a conclu que le KhAD était une organisation [traduction] « [...] dont l’objectif était brutal et limité ». Cela dit, elle a examiné la question de savoir si le défendeur avait fait preuve de [traduction] « ignorance volontaire » en acceptant un emploi au sein du KhAD, et elle a conclu que ce n’était pas le cas. Je suis convaincu que la SSR pouvait raisonnablement parvenir à une telle conclusion. Elle a déterminé que le défendeur n’avait qu’une connaissance très limitée du KhAD et des activités qu’il menait. Il est ressorti clairement de la preuve dont la SSR disposait que le défendeur ne souscrivait pas à l’objectif brutal et limité du KhAD. Au contraire, il avait couru un très grand risque en désertant son poste au sein de l’armée parce qu’il ne voulait pas tuer des civils afghans. Ayant déserté l’armée, très peu de solutions de rechange s’offraient à lui en Afghanistan s’il souhaitait remplir ses obligations familiales. C’est pourquoi il s’est joint à contrecœur, bien que de son gré, au KhAD, où il n’a rempli que des tâches administratives. Ses tâches et les endroits où il travaillait étaient éloignés des lieux où le KhAD commettait ses actes brutaux. Enfin, bien qu’on ne puisse soutenir qu’il a quitté le KhAD dès la première occasion, il n’avait pas d’autres solutions de rechange tant et aussi longtemps qu’il souhaitait continuer de remplir son engagement à l’égard de sa famille et, partant, de demeurer en Afghanistan. Vu les considérations qui l’ont poussé à se joindre à l’organisation, le niveau de ses connaissances, et la nature de ses tâches, sa décision de ne pas quitter l’organisation jusqu’à ce que tombe le gouvernement dont elle faisait partie était raisonnable.

 

 

[38]           Le défendeur soutient que les arguments avancés par le demandeur révèlent que ce dernier conteste l’issue de l’affaire plutôt que le processus décisionnel. La décision était raisonnable.

 

La réponse du demandeur

 

[39]           Le demandeur affirme que les efforts du défendeur pour distinguer les faits de l’espèce et de ceux de l’affaire Oberlander CAF, précitée, ne sont pas fondés. La question de savoir si l’organisation en cause dans l’affaire Oberlander était plus brutale que le KhAD n’a rien à voir avec l’argument selon lequel il existe une différence entre la connaissance de ce qui est notoire et la connaissance de crimes précis commis par une organisation.

 

Mémoire supplémentaire du demandeur

 

[40]           Le défendeur a admis avoir travaillé pour la direction no 1 dans leur installation de Wazir Akbar Khan à Kaboul. Un rapport de 1991 produit par Amnesty International révèle que la direction no 1 était chargée de la surveillance, de l’arrestation et de l’emprisonnement de citoyens ordinaires de Kaboul soupçonnés d’activités antigouvernementales. Malgré que toutes les directions du KhAD se livraient à la torture, cinq de ces directions avaient recours de façon systématique à la torture, y compris la direction n1.

 

[41]           En outre, le rapport du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés invoqué par le défendeur à l’appui de sa position selon laquelle ses connaissances ne dépassaient pas ce qui se savait dans la rue en ce qui a trait aux atrocités commises par le KhAD confirme que l’installation de Wazir Akbar Khan, où travaillait le défendeur, était l’un des endroits où le KhAD torturait des prisonniers.

 

[42]           Les rapports mentionnés ci­dessus, l’admission du défendeur selon laquelle il était notoire que le KhAD tuait des civils et le fait que le défendeur a volontairement rejoint les rangs de cette organisation après avoir signé un engagement prévoyant qu’il agirait comme informateur établissent que la prétention du défendeur selon laquelle sa connaissance des activités du KhAD ne dépassait pas ce qui se sait « dans la rue » ou la prétention qu’il avait une connaissance de ce qui était « notoire » constituaient des affirmations intéressées inventées pour éviter d’être visé par l’exclusion établie par la Convention.

 

Le mémoire supplémentaire du défendeur

 

[43]           Le défendeur soutient que, bien que l’on puisse prétendre que son lieu de travail était situé près des endroits où des actes de tortures avaient été commis, la SPR a raisonnablement conclu que ses responsabilités en tant que chauffeur n’avaient absolument rien à voir avec la perpétration d’atrocités.

 

[44]           L’examen de la jurisprudence révèle qu’un demandeur d’asile n’est pas considéré complice s’il ne participe pas consciemment à des activités proscrites ou si, sans qu’il en soit conscient, il les rend possibles de l’intérieur ou de l’extérieur de l’organisation. Voir Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39. L’affaire Zadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 90 FTR 210, [1995] A.C.F. no 94 (QL), semble à première vue être une affaire ayant simplement trait à un chauffeur. Cependant, le demandeur dans cette affaire travaillait à temps partiel comme garde du corps et il était parfois personnellement au courant des activités de son patron et de l’identité des personnes qui seraient enlevées. En l’espèce, le défendeur ne participait pas au processus décisionnel et en savait peu.

 

[45]           Est considéré en tort le demandeur qui a commis des actes qui ont contribué à atteindre les objectifs de l’organisation ou qui détenait un poste de responsabilité au sein de l’organisation. Voir, par exemple, Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 205 NR 282, [1996] A.C.F. no 1209 (QL) (C.F.P.I.); Penate c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), [1994] 2 C.F. 79, [1993] A.C.F. no 1292 (QL) (C.F.P.I.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), [1994] 1 C.F. 433, [1993] A.C.F. n1145 (Sivakumar) (QL) (C.A.F.); Ali c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1306, paragraphe 33; Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 303.

 

ANALYSE

 

[46]           L’argument du demandeur est divisé en plusieurs volets :

a.                   La conclusion de la SPR selon laquelle le défendeur n’avait pas l’intention criminelle requise pour être considéré complice parce que sa connaissance des atrocités commises par le KhAD ne dépassait pas ce qui se sait « dans la rue » était erronée en droit. La connaissance de ce qui est notoire suffit pour satisfaire au critère applicable;

b.                  Même si un degré plus élevé de connaissance est nécessaire pour que soit établie l’intention criminelle requise pour être considéré comme complice, le défendeur possédait ce degré de connaissance et il était déraisonnable pour la SPR de conclure autrement au vu des faits;

c.                   Même si l’on accepte le témoignage du défendeur selon lequel il n’a dénoncé personne, le défendeur a – du moins de loin ou de l’extérieur – occupé un poste au sein du KhAD et cela suffit pour établir qu’il partageait une intention commune avec le KhAD.

 

[47]           À mon avis, le demandeur n’a pas correctement cerné le fondement de la décision. La SPR a formulé la question dont elle était saisie de la façon suivante :

Le demandeur d’asile a‑t‑il fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour réfuter la présomption de participation personnelle et consciente et d’intention commune?

 

 

[48]           La SPR a par la suite commencé à répondre à cette question de la façon suivante :

a.       Dans Savundaranayaga [Savundaranayaga v. Canada (MCI) 2009 CF 31, paragraphe 32 et suivants] le tribunal a souligné que la présomption en question est réfutable. Le juge Mandamin a déclaré ce qui suit :

 

L’appartenance à une organisation poursuivant des fins limitées et brutales n’entraîne pas automatiquement une exclusion en soi. Plutôt, elle crée une présomption réfutable de complicité ou des deux critères quant à la complicité – une participation personnelle et consciente et un partage d’un but commun.

 

b.      En annulant la décision de la Commission dans Savundaranayaga, le juge Mandamin a constaté que la Commission n’avait pas examiné la question plus à fond une fois qu’elle a été convaincue que les demandeurs d’asile avaient fait partie d’une organisation visant des fins limitées et brutales. Le tribunal a déclaré que la Commission aurait dû aller plus loin et établir précisément un lien entre l’appartenance de la personne à un groupe et le partage du but commun de l’organisation d’arriver à ses fins par la brutalité et la violence contre la population civile.

 

c.       Pour ce faire, il faut considérer les éléments suivants : la nature de l’appartenance, la façon dont l’appartenance donne lieu à la présomption de complicité ainsi que la façon dont la conclusion relative à l’appartenance appuie celle voulant que le demandeur d’asile ait participé de façon personnelle et consciente aux activités de l’organisation et ait partagé avec elle une intention commune.

 

 

[49]           La SPR a ensuite tiré des conclusions de fait quant au rôle qu’avait joué le défendeur au sein du KhAD et elle a conclu que le défendeur n’avait été qu’un simple chauffeur dans une direction donnée du KhAD. Ces conclusions de fait ne sont pas contestées par le demandeur en l’espèce.

 

[50]           Après avoir tiré les conclusions de fait quant au rôle qu’avait vraiment joué le défendeur au sein du KhAD, la SPR s’est par la suite posée la question suivante :

Le rôle du demandeur d’asile en tant que chauffeur constitue-t-il le type de participation qui laisse supposer qu’il partage une intention commune avec le KhAD?

 

 

[51]           La SPR a ensuite répondu à cette question comme suit :

78.                    Pour les motifs énoncés ci‑dessous, je suis convaincue que la participation du demandeur d’asile au sein de l’organisation, plus particulièrement, son rôle de chauffeur dans la direction pour laquelle il travaillait, n’était pas importante au point qu’il soit possible de conclure à l’existence d’une intention commune avec le KhAD.

 

79.                    Appliquant l’analyse proposée par le juge Mandamin, ci‑dessus, j’estime qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour associer ce que le demandeur d’asile a fait, comme chauffeur, à une intention commune avec le KhAD d’arriver à ses fins par la brutalité et la violence contre la population civile.

 

80.                    Quant à la nature de l’appartenance du demandeur d’asile, je suis convaincue que ce dernier n’était que chauffeur pour le KhAD. Le demandeur d’asile n’était ni un officier ni un sous‑officier susceptible d’être investi du type de fonctions plus généralement identifiables à de tels crimes. Il n’a pas été non plus un agent ou un informateur rémunéré, comme il a été décrit dans le nouveau rapport de l’ONU. Il existait une direction particulière créée pour s’occuper de la sélection et de la formation très particulières de ces officiers. Le demandeur d’asile n’a reçu aucune formation spéciale. En outre, il n’a pas été recruté précisément pour le poste. Il a plutôt cherché à obtenir le poste et a dû payer un ami pour ne pas avoir à servir dans l’armée.

 

81.                    Le demandeur d’asile a parlé d’une journée typique dans sa vie en tant que chauffeur, dont une grande partie consistait en ce qui suit : conduire son patron à diverses manifestations ou réunions, conduire la famille de celui‑ci à certains endroits, rester dans l’aire de repos avec les autres chauffeurs en attendant les nouvelles instructions. Le récit est vraisemblable.

 

82.                    Dans l’ensemble, j’estime que le rôle du demandeur d’asile à titre de chauffeur était mineur et que, de façon générale, ce dernier devait s’assurer que son patron se rende où il le devait. Il a déclaré que lorsqu’il ne conduisait pas son patron, il restait dans l’aire de repos des chauffeurs en compagnie des autres chauffeurs. Son rôle était mineur : il conduisait un spécialiste qui n’était pas, à sa connaissance, associé directement aux violations des droits de la personne.

 

83.                    Bien que le demandeur d’asile ait conservé son poste relativement longtemps et ne l’ait quitté qu’en 1992 parce que le gouvernement communiste avait perdu le pouvoir face aux moudjahidines, il ne l’a fait que pour éviter la conscription dans l’armée tout en subvenant aux besoins de sa famille et pour éviter d’être recruté par les moudjahidines au cours de la période précédant leur prise de contrôle du gouvernement en 1992.

 

84.                    Le demandeur d’asile avait appris que le KhAD avait commis des atrocités, mais ses connaissances ne dépassaient pas ce qui se sait « dans la rue » et il croyait, d’après ce qu’il savait déjà, que sa direction ne commettait pas de telles atrocités.

 

85.                    Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincue que ce type de participation ne permet pas de conclure à une participation personnelle et consciente de la part du demandeur d’asile et à l’existence d’une intention commune.

 

86.                    Comme l’a fait remarquer le conseil du demandeur d’asile, la jurisprudence indique que la culpabilité par complicité n’a été conclue que dans des situations où les actions ou la présence de personnes soupçonnées d’avoir participé encourageaient de tels crimes – même à petite échelle. Compte tenu de mes conclusions quant au rôle du demandeur d’asile, je suis convaincue que les fonctions qui lui ont été attribuées en tant que chauffeur de la personne pour laquelle il travaillait ne peuvent pas être considérées comme un encouragement à de tels crimes à petite échelle. Un examen de certaines causes de la jurisprudence permet d’établir les types de cas dans lesquels les demandeurs d’asile sont exclus ou non en raison de leurs rôles dans des organisations.

 

87.                    Parmi les affaires relevées où les demandeurs d’asile ont été exclus, mentionnons les suivantes : Bazargan, dans laquelle le demandeur d’asile, un ressortissant iranien, a servi d’intermédiaire entre les forces de police et la SAVAK; Penate, dans laquelle le demandeur d’asile était un militaire de carrière qui dirigeait des opérations de contre‑insurrection, et où il a été reconnu qu’il savait que des atrocités étaient commises et qu’il ne s’était à aucun moment dissocié de l’armée; et Petrol, dans laquelle le demandeur exclu était membre de l’appareil du ministère de l’Intérieur russe et du FSB, dont les buts étaient souvent atteints au moyen de violations des droits de la personne et du droit international. Il a été établi qu’il avait utilisé son arme et qu’il avait arrêté et détenu des personnes.

 

88.                    Les affaires citées par le ministre, qui ont été considérées comme similaires à la situation du demandeur d’asile, car elles avaient toutes un rapport avec le KhAD sont les suivantes : Zadeh, dans laquelle le demandeur d’asile était aussi chauffeur pour le KhAD, mais, de surcroît, garde du corps, et où il a été établi qu’il avait été personnellement au courant de la participation de son patron à de tels crimes et du fait que des personnes avaient été arrêtées; et Zazai, dans laquelle le demandeur d’asile exclu était entré au service du KhAD en tant que lieutenant et s’était élevé au rang de capitaine, avait assisté à des séances de formation et fourni personnellement les noms des personnes qui avaient refusé de collaborer.

 

89.                    Le conseil du demandeur d’asile cite l’affaire Moshen, qui concerne une situation encore plus similaire à celle du demandeur d’asile que l’affaire Zadeh. Dans ce cas, le demandeur d’asile avait aussi adhéré au KhAD parce qu’il ne voulait pas aller à la guerre. Il a obtenu un emploi au service de la logistique et a fini par être promu au grade de sous‑lieutenant. À l’instar du demandeur d’asile, il est resté là‑bas jusqu’en 1992, a effectué des tâches administratives et était éloigné des lieux où les actes brutaux étaient commis. Le tribunal a confirmé dans ce cas la décision de la Section du statut de réfugié (maintenant la Section de la protection des réfugiés) de ne pas refuser l’asile au demandeur d’asile.

 

90.                    S’il est vrai que l’affaire qui m’est soumise est à certains égards similaire à Zadeh, j’estime qu’elle s’en distingue parce que le demandeur d’asile était, dans ce cas, à la fois garde du corps et chauffeur d’une personne qui avait elle‑même pris part aux atrocités et aux violations des droits de la personne dont il était personnellement au courant et dont il n’avait pourtant rien fait pour se dissocier. La connaissance du demandeur d’asile en l’espèce devrait plutôt être qualifiée de « notoire » et, comme je l’ai mentionné, je ne suis pas convaincue qu’il y a des motifs sérieux de penser que le demandeur d’asile assumait le rôle de garde du corps, comme il a été allégué.

 

91.                    Le conseil du ministre prétend aussi qu’il y a des motifs sérieux de penser que les actions du demandeur d’asile à titre d’informateur pour le KhAD ou découlant de son devoir d’informer avait fait de lui un collaborateur dans le premier cas et un complice dans le second cas, ce qui a entraîné son exclusion aux termes de l’alinéa Fa) de l’article premier. Comme je ne suis pas convaincue qu’il y a des motifs sérieux de penser que le demandeur d’asile était un informateur, je ne peux pas conclure qu’il était coupable de complicité sous forme d’aide ou d’encouragement, comme il a été allégué.

 

92.                    Pour ces motifs, je ne suis pas convaincue qu’il existe des motifs sérieux de penser que le demandeur d’asile est coupable des crimes pour lesquels il devrait être exclu aux termes de l’alinéa Fa) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés.

 

 

 

[52]           Comme on peut le constater à la lecture de ces motifs, la question de la complicité (soit la question de savoir si le défendeur partageait une intention commune avec le KhAD) ne peut pas se résumer à la question de savoir si la connaissance de ce qui est « notoire » ou de ce qui se sait « dans la rue » suffit pour établir que le défendeur avait l’intention criminelle requise pour être considéré comme complice. Au paragraphe 84 de la décision, la SPR ne fait que conclure que la connaissance du défendeur ne dépassait pas ce qui se sait « dans la rue ». La SPR a examiné la « participation [générale du défendeur] au sein de l’organisation », notamment son degré de connaissance des atrocités commises par le KhAD, afin d’établir si le défendeur « partage une intention commune avec le KhAD ». Cette conclusion a nécessité l’examen des actes ainsi que des connaissances du défendeur.

 

[53]           Je ne pense pas que la SPR affirme dans sa décision, comme l’allègue le demandeur, que la personne dont la connaissance se limite à ce qui est notoire ou à ce qui se sait « dans la rue » ne peut pas avoir l’intention criminelle requise pour être considérée complice. Dans sa décision, la SPR a simplement tiré une conclusion quant au degré de connaissance du défendeur, laquelle conclusion a par la suite été appréciée de concert avec d’autres facteurs afin d’établir si le défendeur partageait une intention commune avec le KhAD.

 

[54]           Il est possible de remettre en question les conclusions de la SPR quant au degré de connaissance du défendeur et quant à la mesure dans laquelle les activités vraiment exercées par le défendeur révèlent qu’il partageait une intention commune avec le KhAD. À mon avis, cependant, il s’agit principalement de questions de fait et de l’application de principes juridiques aux faits que la SPR a estimé avérés (peut­on inférer de la participation du défendeur au sein du KhAD que le défendeur partageait une intention commune avec le KhAD?). À mon avis, la norme de contrôle applicable à ce processus est la raisonnabilité. Voir Taylor c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1247, paragraphe 32. À la lecture de la décision dans son ensemble, je crois qu’il était raisonnablement loisible à la SPR de tirer les inférences et les conclusions qu’elle a tirées. Par conséquent, je ne pense pas qu’il serait justifié d’intervenir.

 

[55]           Pour l’essentiel, je souscris aux arguments et à l’analyse du défendeur quant aux précédents qu’il a invoqués en lien avec les questions en litige dont je suis saisi.

 

[56]           La SPR savait qu’il incombait au ministre d’établir qu’il y avait des motifs sérieux de penser que le défendeur avait commis les crimes contre l’humanité allégués et que la norme des « motifs sérieux de penser » ou des « motifs raisonnables de croire » est moins rigoureuse que la prépondérance de la preuve, mais qu’elle exige davantage que des hypothèses ou des soupçons.

 

[57]           Il n’est pas contesté que le KhAD avait commis des crimes contre l’humanité. La SPR a accepté la position du ministre selon laquelle le KhAD était une organisation qui visait des « fins limitées et brutales ».

 

[58]           La SPR était aussi bien au fait de la présomption réfutable de complicité qui pèse sur la personne appartenant à une organisation visant des fins limitées et brutales :

Si […] l’organisation est reconnue pour viser des fins limitées et brutales, il y a alors une présomption réfutable en ce qui concerne la participation personnelle et consciente du demandeur d’asile ainsi que l’existence d’une intention commune.

 

 

[59]           La SPR a aussi clairement compris l’analyse qu’elle devait mener concernant la complicité :

Cependant, la méthode reposant sur cinq facteurs s’applique uniquement si l’organisation ne vise pas principalement des fins limitées et brutales. Auquel cas, la simple appartenance à une organisation est insuffisante. En effet, il existe une présomption qui peut entraîner la conclusion que la personne est complice, en l’absence de tout autre élément de preuve que son adhésion à l’organisation. Par conséquent, une participation personnelle et consciente et une intention commune sont présumées, à moins que le demandeur d’asile ne puisse réfuter cette présomption.

 

 

[60]           La SPR était bien au fait de la présomption, et elle a correctement exposé la question qu’elle devait trancher :

Le demandeur d’asile a‑t‑il fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour réfuter la présomption de participation personnelle et consciente et d’intention commune?

 

 

[61]           À mon avis, rien dans le dossier ne donne à penser que la SPR a commis une erreur dans l’interprétation de la loi en l’espèce ou a tiré des conclusions concernant la complicité qu’elle ne pouvait pas raisonnablement tirer.

 

[62]           Je suis également d’accord avec le défendeur pour affirmer que la conclusion de la SPR selon laquelle le défendeur ne s’était pas rendu complice de crimes contre l’humanité était raisonnable.

 

[63]           La SPR a conclu que le défendeur n’avait été qu’un simple chauffeur pour le KhAD. Elle a estimé que le défendeur n’était ni un agent ni un informateur. Elle a conclu que, dans l’ensemble, le rôle du défendeur à titre de chauffeur était mineur : il devait conduire son patron et sa famille là où ils devaient aller et il devait attendre dans l’aire de repos avec les autres chauffeurs. Selon ce que savait le défendeur, son patron ne participait pas directement à des violations des droits de la personne.

 

[64]           La SPR a conclu que le défendeur est resté à l’emploi du KhAD jusqu’en 1992 seulement afin d’éviter la conscription dans l’armée tout en subvenant au besoin de sa famille et en évitant également d’être recruté par les moudjahidines.

 

[65]           En ce qui a trait aux connaissances du défendeur, la SPR a tiré la conclusion suivante :

Le demandeur d’asile avait appris que le KhAD avait commis des atrocités, mais ses connaissances ne dépassaient pas ce qui se sait « dans la rue » et il croyait, d’après ce qu’il savait déjà, que sa direction ne commettait pas de telles atrocités.

 

 

[66]           Sur le fondement des faits que la SPR a estimé avérés, la SPR s’est demandé si elle pouvait inférer du rôle du défendeur à titre de chauffeur que le défendeur partageait une intention commune avec le KhAD.

 

[67]           Appliquant l’analyse proposée par le juge Leonard Mandamin dans la décision Savundaranayaga, précitée, la SPR a conclu que la preuve n’établissait pas que ce que le défendeur avait fait comme chauffeur révélait que le défendeur partageait « une intention commune avec le KhAD d’arriver à ses fins par la brutalité et la violence contre la population civile ».

 

[68]           Le demandeur affirme que [traduction] « même si le défendeur n’a dénoncé personne au KhAD, cela n’enlève rien au fait qu’il s’était rendu complice des activités de cette organisation ». Le demandeur avance que le fait que la dénonciation était une condition d’emploi suffit, parce que quiconque [traduction] « contribue, de près ou de loin, de l’intérieur ou de l’extérieur, en toute connaissance de cause aux activités de l’organisation [...] rend ces activités possibles ».

 

[69]           La SPR était bien au fait du droit en matière de complicité et du fait qu’une personne peut être considérée complice si elle encourage la perpétration de crimes contre l’humanité, même à petite échelle. La SPR a cependant estimé que le défendeur n’avait pas encouragé la perpétration de crimes contre l’humanité. Je suis d’accord avec le défendeur pour affirmer qu’il était raisonnablement loisible à la SPR de tirer cette conclusion.

 

[70]           La décision révèle que la SPR était parfaitement au fait de cette question :

Comme l’a fait remarquer le conseil du demandeur d’asile, la jurisprudence indique que la culpabilité par complicité n’a été conclue que dans des situations où les actions ou la présence de personnes soupçonnées d’avoir participé encourageaient de tels crimes – même à petite échelle. Compte tenu de mes conclusions quant au rôle du demandeur d’asile, je suis convaincue que les fonctions qui lui ont été attribuées en tant que chauffeur de la personne pour laquelle il travaillait ne peuvent pas être considérées comme un encouragement à de tels crimes à petite échelle.

 

 

[71]           Je suis d’accord avec le défendeur pour affirmer que cette conclusion n’était pas déraisonnable, puisque le défendeur n’a dénoncé personne au cours des sept années où il a travaillé comme chauffeur, et ce, malgré que les conditions d’emploi le lui imposaient.

 

[72]           L’appartenance à une organisation visant des fins limitées et brutales n’entraîne pas automatiquement l’exclusion. « [E]lle crée [plutôt] une présomption réfutable de complicité ou des deux critères quant à la complicité – une participation personnelle et consciente et un partage d’un but commun. » Voir la décision Savundaranayaga, précitée, paragraphe 41. La SPR est tenue d’examiner la nature de l’appartenance en cause et de décider s’il en découle que le défendeur partage l’intention commune avec l’organisation d’arriver à ses fins par la brutalité et la violence contre la population civile.

 

[73]           La SPR a examiné la nature de la preuve du défendeur en appréciant tant son témoignage que la preuve documentaire dont elle disposait. Elle a conclu qu’un récent rapport de l’ONU brosse un tableau plus exhaustif du KhAD en tant qu’organisation. Bien que la SPR ait estimé que le KhAD était néanmoins une organisation « visant principalement des fins limitées et brutales », elle a conclu que le rapport fournissait de nouveaux éléments de preuve qui l’ont aidée « à évaluer la participation du demandeur d’asile aux activités du KhAD, plus précisément à savoir s’il a participé d’une façon permettant d’en déduire qu’il partageait avec l’organisation une intention commune ». La SPR a clairement établi qu’il est important d’examiner la structure et le rôle de l’organisation concernée même si cette organisation vise principalement des fins limitées et brutales, parce que l’organisation pourrait très bien être différente du type d’organisation en cause dans l’affaire Oberlander, à savoir l’Einsatzkommando 10a, qui « servait uniquement d’unité mobile d’exécution de civils innocents ». Voir Oberlander CF, précitée, paragraphe 49 (non souligné dans l’original). S’il s’agit d’une grande organisation comme le KhAD – qui, malgré qu’il vise principalement des fins limitées et brutales, se livrait à différentes activités – un chauffeur de rang peu élevé dans la hiérarchie ne partagera pas nécessairement l’intention commune de l’organisation.

 

[74]           Le degré de connaissance d’un demandeur a été attentivement examiné par la Cour dans la décision Mohsen, précitée. Dans cette affaire, le demandeur avait été enrôlé de force dans l’armée afghane en 1987, puis il a déserté l’armée parce qu’il ne voulait pas tuer ses compatriotes où se faire tuer par l’un d’entre­eux. Il ne voulait pas quitter le pays parce qu’il devait supporter sa famille. Il a joint les rangs du KhAD parce qu’il s’agissait de la seule façon d’éviter d’avoir à effectuer son service militaire et d’être puni pour désertion. À l’aide d’un ami, il a obtenu un poste à la division de la logistique et il a atteint le rang de 2lieutenant. Il était chargé d’acheter la nourriture pour les diverses divisions et il est resté à l’emploi du KhAD jusqu’en 1992. Le juge Gibson a fait les commentaires suivants :

[6]        La SSR a conclu que le KhAD était une organisation [traduction] « [...] dont l’objectif était brutal et limité ». Cela dit, elle a examiné la question de savoir si le défendeur avait fait preuve de [traduction] « ignorance volontaire » en acceptant un emploi au sein du KhAD, et elle a conclu que ce n’était pas le cas. Je suis convaincu que la SSR pouvait raisonnablement parvenir à une telle conclusion. Elle a déterminé que le défendeur n’avait qu’une connaissance très limitée du KhAD et des activités qu’il menait. Il est ressorti clairement de la preuve dont la SSR disposait que le défendeur ne souscrivait pas à l’objectif brutal et limité du KhAD. Au contraire, il avait couru un très grand risque en désertant son poste au sein de l’armée parce qu’il ne voulait pas tuer des civils afghans. Ayant déserté l’armée, très peu de solutions de rechange s’offraient à lui en Afghanistan s’il souhaitait remplir ses obligations familiales. C’est pourquoi il s’est joint à contrecœur, bien que de son gré, au KhAD, où il n’a rempli que des tâches administratives. Ses tâches et les endroits où il travaillait étaient éloignés des lieux où le KhAD commettait ses actes brutaux. Enfin, bien qu’on ne puisse soutenir qu’il a quitté le KhAD dès la première occasion, il n’avait pas d’autres solutions de rechange tant et aussi longtemps qu’il souhaitait continuer de remplir son engagement à l’égard de sa famille et, partant, de demeurer en Afghanistan. Vu les considérations qui l’ont poussé à se joindre à l’organisation, le niveau de ses connaissances, et la nature de ses tâches, sa décision de ne pas quitter l’organisation jusqu’à ce que tombe le gouvernement dont elle faisait partie était raisonnable.

 

 

[75]           Je suis d’accord avec le défendeur pour affirmer qu’il était raisonnable que la SPR distingue l’espèce des affaires où les demandeurs sont investis d’une certaine responsabilité dans l’organisation. S’il s’agit d’une organisation visant des fins limitées et brutales, la position du demandeur dans une telle organisation constitue un facteur important. L’extrait suivant est tiré de la page 345 de Crimes Against Humanity in International Criminal Law (1992) de M. Cherif Bassiouni, et il a été cité dans la décision Sivakumar, précitée :

[traduction]

 

[...] [P]lus la personne participe de près à la prise de décisions et moins elle cherche à combattre ou à prévenir la décision prise, ou à s’en dissocier, plus il est vraisemblable que sa responsabilité pénale est en cause.

 

 

[76]           La Cour a récemment rendu deux décisions qui, à mon avis, appuient également le raisonnement et les conclusions de la SPR en l’espèce : Pourjamaliaghdam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 666; et Rutayisire c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1168. Au paragraphe 45 de la décision Rutayisire, le juge Yvon Pinard reconnaît qu’il existe une différence entre connaissance générale et connaissance particulière, et, au paragraphe 48, il mentionne qu’une conclusion de complicité exige davantage que la connaissance.

 

Certification

 

[77]           Le demandeur a proposé la question suivante aux fins de certification :

[traduction]

 

Pour qu’une personne soit complice de crimes contre l’humanité, doit­elle avoir plus qu’une simple connaissance des atrocités notoires commises par une organisation?

 

 

[78]           À mon avis, cette question ne découle pas des faits de l’espèce et ne trancherait pas l’affaire. Comme je l’ai mentionné dans les présents motifs, la SPR n’a pas affirmé que le défendeur ne s’était pas rendu complice des atrocités du KhAD parce que ses connaissances à cet égard ne dépassaient pas ce qui était notoire ou ce qui se savait dans la rue. La SPR a tiré une conclusion de fait quant au degré de connaissance du défendeur (une conclusion raisonnable à mon avis), et elle a apprécié ce degré de connaissance de concert avec d’autres facteurs (principalement le rôle du défendeur au sein du KhAD) afin d’établir si le défendeur avait, de façon raisonnable, réfuté la présomption en montrant que sa participation aux activités du KhAD ne donnait pas à penser qu’il partageait une intention commune avec le KhAD.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question aux fins de certification.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6860-10

 

INTITULÉ :                                       LE MINSITRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

                                                            c.

                                                           

                                                            HASHIM KHAN      

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Russel

                                                           

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 août 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ladan Shahrooz

 

POUR LE DEMANDEUR

Jack C. Martin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Deputy Attorney General of Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

Jack C. Martin

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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