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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110811

Dossier : IMM-7464-10

Référence : 2011 CF 987

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 août 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

MARIACHRISTIN ALFRED

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’égard de la décision rendue le 14 octobre 2010 (la décision) par laquelle D. Manhas, première secrétaire au haut‑commissariat du Canada à New Delhi, en Inde (l’agente), a rejeté la demande de visa de résidente permanence présentée par la demanderesse au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil.

 

CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse est citoyenne du Sri Lanka et vit actuellement en Inde. Elle soutient qu’elle ne peut rentrer dans son pays parce qu’elle est Tamoule et a déjà participé aux activités des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET).

 

[3]               Au moment de son entrevue avec l’agente, la demanderesse a affirmé que ses problèmes avaient commencé en 1996. Elle vivait alors à Delft. À cette époque-là, affirme‑t‑elle, le Parti démocratique populaire de l’Eelam (PDPE) contrôlait la région et, par conséquent, les TLET y lançaient de fréquentes attaques. La demanderesse soutient que sa maison a été légèrement endommagée au cours d’une de ces attaques en 1996, puis complètement détruite dans une attaque subséquente en 1998. Après la destruction de sa maison, la demanderesse a dû emménager chez sa tante, à six kilomètres de là, et y est restée jusqu’en 2006.

 

[4]               En 2002, le gouvernement et les TLET ont conclu un accord de cessez‑le‑feu, et les TLET ont commencé à circuler plus librement dans la région. La demanderesse dit que des membres des TLET sont venus la voir pour tenter de la recruter, sachant qu’elle faisait du bénévolat pour les services sociaux. Ils lui ont demandé si elle voulait se présenter aux élections locales contre le candidat du PDPE. Elle a accepté, mais elle a fini par retirer son nom de la liste après avoir été menacée au téléphone par le PDPE. En raison de ses agissements, la demanderesse a été sous surveillance de 2002 à 2006, mais ni le PDPE ni les TLET ne s’en sont pris à elle.

 

[5]               En 2005, la demanderesse a rendu visite à son oncle à Vanni, une région contrôlée à l’époque par les TLET. Elle soutient que des membres des TLET sont venus à la maison de son oncle, qu’ils ont emmené de force son cousin et qu’ils lui ont dit qu’ils reviendraient la chercher la semaine d’après. Le lendemain, son oncle l’a emmenée à Jaffna, où elle a pris un bateau pour rentrer chez elle à Delft.

 

[6]               La demanderesse dit que le PDPE a commencé à douter d’elle, parce qu’elle était restée chez son oncle pendant six mois. Des membres du PDPE sont donc venus la voir, mais elle était partie à l’église. Abordée sur le chemin du retour par les membres du PDPE, ceux-ci lui ont dit que, parce qu’elle avait disparu pendant six mois, elle devrait dorénavant se présenter à leur bureau tous les dimanches. La demanderesse a obéi, mais dit avoir été insultée et menacée à chacune de ses visites au bureau, lesquelles lui prenaient de trois à quatre heures chaque fois.

 

[7]               En mars 2006, lors d’une de ses visites au bureau du PDPE, la demanderesse a appris qu’elle devait se rendre au siège du parti, à Jaffna. Deux hommes l’ont accompagnée là-bas et amenée devant le chef du PDPE au bureau de Jaffna. Le chef a dit à la demanderesse qu’elle était considérée comme une espionne parce qu’elle s’était portée candidate à une élection et avait ensuite passé six mois à Jaffna. Le chef lui a aussi dit qu’elle serait exécutée si jamais le PDPE était attaqué. La demanderesse a ensuite été relâchée.

 

[8]               La demanderesse a continué de se présenter au bureau du PDPE à Delft jusqu’en août 2006, mois au cours duquel sa mère et son frère ont été parrainés au Canada. La demanderesse et sa tante ont dit au PDPE que cette dernière était malade, et le PDPE a donné à la demanderesse la permission de partir. Elles ont déménagé à Colombo, où la demanderesse a rencontré un homme, qu’elle a épousé en décembre 2006. Elle est demeurée à Colombo jusqu’en mai 2007.

 

[9]               Selon la demanderesse, la police s’est rendue chez elle en janvier 2007, après avoir été informée que des membres des TLET de Jaffna étaient venus à Colombo. La police a fouillé la maison de la demanderesse et a questionné celle-ci. Après une attaque à la bombe perpétrée en février 2007, la police s’est présentée de nouveau chez la demanderesse et lui a dit qu’elle devait obtenir un certificat de bonne conduite de la police de Delft. Par la suite, après une nouvelle attaque, la police est revenue encore et a avisé la demanderesse que sa tante et elle ne pourraient demeurer à Colombo sans certificat délivré par la police de Delft. La demanderesse affirme aussi qu’elle ne pouvait faire enregistrer son mariage parce que son mari était Cinghalais. Sa famille et elle ont donc quitté Colombo pour se rendre en Inde, en mai 2007.

 

[10]           La demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil. L’agente a rejeté la demande le 14 octobre 2010, n’étant pas convaincue que la crainte de la demanderesse était fondée ni que la demanderesse était une personne sur qui une guerre civile ou un conflit armé avaient eu et continuaient d’avoir des conséquences graves et personnelles. Il s’agit de la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[11]           Dans la lettre de refus envoyée à la demanderesse, l’agente a indiqué qu’elle n’était pas convaincue que la demanderesse faisait partie de l’une ou l’autre des catégories au titre desquelles la demande était présentée. Plus précisément, l’agente a noté que, pendant l’entrevue, la demanderesse avait affirmé avoir quitté Colombo parce que les autorités lui demandaient de s’inscrire au registre, mais qu’elle ne pouvait le faire sans avoir obtenu un certificat de police. Toutefois, l’agente a mentionné des éléments de preuve selon lesquels les Tamouls pouvaient s’inscrire au registre à l’aide de leur carte d’identité ou de leur passeport, deux documents que la demanderesse avait en sa possession. L’agente était convaincue que la demanderesse pouvait s’inscrire et inscrire sa fille, étant donné surtout que le père de sa fille était Cinghalais. Par conséquent, l’agente n’était pas convaincue que la demanderesse avait fui Colombo parce qu’elle craignait avec raison d’être persécutée ou parce qu’une guerre civile ou un conflit armé avaient sur elle des conséquences graves et personnelles.

 

[12]           L’agente a de plus noté qu’en 2010, le mari de la demanderesse était retourné à Colombo et avait occupé pendant six mois, sans éprouver aucun problème, la même demeure que celle où la demanderesse avait vécu. L’agente n’était pas convaincue qu’il aurait pu ou voulu rester là-bas aussi longtemps si la crainte de persécution de la demanderesse était fondée. En raison du long séjour à l’étranger de la demanderesse et de l’évolution de la situation au Sri Lanka, l’agente n’était pas convaincue que la demanderesse ne pouvait rentrer au Sri Lanka et a donc conclu que cette dernière ne faisait pas partie de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ni de la catégorie de personnes de pays d’accueil.

 

[13]           Dans les notes du STIDI, l’agente a décrit pourquoi la demande lui posait problème : i) il n’était pas crédible que la demanderesse ne puisse s’inscrire avec sa carte d’identité ou son passeport parce qu’elle était mariée à un Cinghalais; ii) il n’était pas crédible que le PDPE soit encore à la recherche de la demanderesse, qui avait affirmé n’avoir jamais rien fait; iii) il n’était pas crédible que la demanderesse ne puisse retourner nulle part au Sri Lanka; iv) le fait que le mari de la demanderesse était retourné au Sri Lanka et y était demeuré pendant six mois sans incident signifiait que la famille pouvait rentrer au Sri Lanka; v) la paix était revenue au Sri Lanka.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[14]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

a.         L’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas besoin d’un certificat de police de sa localité d’origine pour s’inscrire auprès de la police de Colombo?

b.        L’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la famille pouvait rentrer à Colombo parce que le mari de la demanderesse y était resté pendant six mois sans incident?

[15]           Le défendeur soulève une autre question :

a.       La décision de l’agente peut-elle être confirmée au motif que les notes du STIDI font état d’une possibilité de refuge intérieur à Colombo?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[16]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance :

Définition de « réfugié »

 

 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques  :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Convention refugee

 

 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

[17]           Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, s’appliquent à la présente instance :

Qualité

 

 

 Est un réfugié au sens de la Convention outre-frontières et appartient à la catégorie des réfugiés au sens de cette convention l’étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu’il se trouvait hors du Canada.

 

Catégorie de personnes de pays d’accueil

 

 Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes  :

 

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

 

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

Member of Convention refugees abroad class

 

 A foreign national is a Convention refugee abroad and a member of the Convention refugees abroad class if the foreign national has been determined, outside Canada, by an officer to be a Convention refugee.

 

 

Member of country of asylum class

 

 A foreign national is a member of the country of asylum class if they have been determined by an officer to be in need of resettlement because

 

 

(a) they are outside all of their countries of nationality and habitual residence; and

 

 

(b) they have been, and continue to be, seriously and personally affected by civil war, armed conflict or massive violation of human rights in each of those countries.

 

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[18]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à la question soumise au tribunal est bien établie dans la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette recherche se révèle infructueuse que la cour de révision doit se pencher sur les quatre facteurs de l’analyse de la norme de contrôle.

 

[19]           Les deux premières questions en litige concernent l’évaluation de l’agente, qui devait déterminer si la demanderesse faisait partie de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil. Ce sont des questions mixtes de fait et de droit, susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Voir Kamara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 785; Alakozai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 266.

 

[20]           Lorsqu’une décision fait l’objet d’un contrôle judiciaire suivant la norme de la décision raisonnable, l’analyse se rapporte « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[21]           La troisième question en litige est une question de droit et d’équité procédurale. La norme applicable est celle de la décision correcte. Voir Sribalaganeshamoorthy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 11.

ARGUMENTS

            La demanderesse

Preuve documentaire concernant la nécessité d’avoir un certificat délivré par la police de la localité d’origine

 

[22]           La demanderesse soutient que l’agente a mal compris la preuve documentaire concernant la nécessité d’obtenir un certificat de police pour s’inscrire à Colombo. La demanderesse souligne que l’agente s’est fiée à une note de bas de page figurant dans le document UNHCR Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum-Seekers from Sri Lanka (lignes directrices pour la protection internationale des demandeurs d’asile du Sri Lanka du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés [UNHCR]), publié en juillet 2010, où il est mentionné que les personnes souhaitant s’installer à Colombo doivent s’inscrire auprès de la police. Pour ce faire, il faut généralement produire une carte d’identité nationale ou un passeport et donner des renseignements sur la durée prévue et l’objet du séjour. Toutefois, la demanderesse affirme que l’agente aurait dû aller plus loin et vérifier la source mentionnée dans cette note de bas de page, à savoir le rapport du Home Office du Royaume-Uni.

 

[23]           Citant des extraits dudit rapport indiquant que les expulsés ne peuvent revenir au Sri Lanka tant qu’une vérification de leurs antécédents d’infractions non résolues au pays et une vérification auprès de la police de leur localité d’origine n’ont pas été faites, la demanderesse soutient que l’agente n’a pas tenu compte de la situation des expulsés, même si le sort qui leur est réservé est de toute évidence pertinent dans le cas de la demanderesse.

 

[24]           La demanderesse renvoie encore au rapport du Home Office, qui précise que toute personne arrivant à Colombo doit s’inscrire auprès de la police et l’informer de tout changement de résidence, et que la police de Colombo peut effectuer une vérification auprès de la police de la localité d’origine de la personne. La demanderesse affirme que si les expulsés sont détenus jusqu’à ce que la police de leur localité d’origine ait délivré un certificat, l’absence de certificat a aussi des conséquences dans d’autres contextes, car la vérification auprès de la police de la localité d’origine de la personne ne se fait pas sans raison. Le document ne dit pas, reconnaît la demanderesse, que l’inscription sera refusée à défaut de certificat de police, mais l’endroit où figure le renseignement donne à penser qu’un certificat doit avoir été délivré par la police de la localité d’origine pour qu’une personne puisse s’inscrire.

 

[25]           Selon la demanderesse, la note de bas de page sur laquelle l’agente s’est fondée indique que, pour s’inscrire, il faut généralement produire une carte d’identité et un passeport, ce qui ne constitue pas nécessairement la seule exigence à respecter aux fins de l’inscription. Par conséquent, la demanderesse soutient que l’agente a mal interprété les renseignements sur la situation qui règne dans le pays, renseignements qui corroborent en fait l’information qu’elle a donnée à l’agente.

 

[26]           La demanderesse soutient en outre que l’agente a commis une erreur parce qu’elle s’est fondée sur une note de bas de page donnant des renseignements tirés d’un autre document cité sans toutefois vérifier cet autre document pour voir s’il traitait la question. La demanderesse affirme que l’agente aurait dû, pour exercer une diligence raisonnable, examiner la source des renseignements.

 

[27]           La demanderesse estime que les renseignements sur la situation au Sri Lanka montrent qu’un certificat de police est nécessaire. Toutefois, la demanderesse soutient également que, même si cette interprétation n’est pas tout à fait objective, les renseignements indiquent quand même dans une certaine mesure qu’un certificat délivré par la police de la localité d’origine est nécessaire, tandis que l’agente a conclu que rien ne l’indiquait.

 

[28]           De surcroît, la demanderesse soutient que l’agente s’est fondée sur la note de bas de page sans tenir compte du texte que ladite note était censée expliquer, à savoir que les jeunes Tamouls de sexe masculin venant du Nord et de l’Est du pays pouvaient faire l’objet d’un examen minutieux au cours du processus d’inscription auprès de la police et que leur demande de permis de résidence pouvait être rejetée. La demanderesse souligne que, d’après un deuxième document cité dans ce passage, le rapport du Département d’État des États‑Unis, même si la liberté de circulation au Sri Lanka est prévue par la loi, il arrive souvent que le gouvernement restreigne radicalement ce droit, y compris en imposant des vérifications additionnelles aux voyageurs venant du Nord et de l’Est.

 

[29]           Par ailleurs, la demanderesse invoque encore le rapport du Home Office, où il est dit que la police s’intéressera de plus près aux personnes présentant des facteurs de risque, comme le fait d’avoir déposé une demande d’asile à l’étranger ou l’existence d’un dossier selon lequel l’intéressé est soupçonné d’appartenir aux TLET ou leur appartient effectivement, deux facteurs pertinents dans le cas de la demanderesse. La demanderesse estime que l’agente a commis une erreur en omettant de faire cette analyse.

 

[30]           Finalement, la demanderesse soutient qu’en concluant qu’il n’était pas nécessaire de produire un certificat de police pour s’inscrire, l’agente a fait une entorse au bon sens, surtout au lendemain d’une guerre civile. La demanderesse souligne que les certificats de police sont exigés partout dans le monde, même quand une personne demande un visa pour venir au Canada. Selon la demanderesse, l’idée même que la police de la capitale du Sri Lanka ne daignerait pas, au lendemain d’une guerre civile et de la réunification d’un pays divisé, se donner la peine de vérifier le casier judiciaire d’un nouveau venu à son lieu d’origine défie toute attente raisonnable. Par conséquent, la demanderesse estime que la conclusion de l’agente au vu de la preuve était manifestement erronée et ne tenait pas compte des documents qui avaient été soumis. La conclusion était aussi déraisonnable, et l’analyse qui aurait été nécessaire pour étayer cette conclusion n’a pas été faite.

 

 

Retour du mari

 

[31]           L’agente a aussi déterminé, rappelle la demanderesse, que si le mari de la demanderesse avait pu retourner au Sri Lanka, la famille tout entière pouvait le faire. La demanderesse affirme ne pas savoir avec certitude si cette conclusion constitue un motif de refus distinct. Selon elle, l’erreur concernant la preuve documentaire a trait à la façon dont l’agente a évalué la demande d’asile présentée au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières et de la catégorie de personnes de pays d’accueil, tandis que cette conclusion est un autre obstacle qui empêche d’annuler uniquement la décision prise en ce qui concerne la demande présentée au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières.

 

[32]           La demanderesse soutient que l’agente a modifié son raisonnement sur ce point entre le moment où les notes ont été consignées dans le STIDI et l’envoi de la lettre de refus. Dans les notes du STIDI, l’agente a indiqué qu’elle avait refusé la demande parce que le mari était seul, et non parce qu’il avait séjourné six mois à Colombo.

 

[33]           Quoi qu’il en soit, la demanderesse avance que l’agente a commis une erreur en supposant que toute la famille pouvait rentrer à Colombo parce que le mari y était retourné sans problème. La demanderesse fait observer que sa situation personnelle est bien différente de celle de son mari : i) elle est Tamoule, il est Cinghalais; ii) elle avait été candidate des TLET, mais pas son mari; iii) elle avait fait un séjour de six mois à Jaffna en 2005, mais pas lui; iv) un de ses cousins avait été recruté par les TLET, ce qui n’était pas le cas de son mari; v) elle avait dû s’inscrire auprès de la police de Colombo, mais pas lui. La demanderesse dit qu’un particulier n’est pas un réfugié seulement parce que son conjoint est un réfugié. Il faut établir l’existence d’un risque personnel, pas seulement l’existence d’un risque couru par un membre de la famille : Pour-Shariati c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 CF 767. La demanderesse soutient que l’inverse doit également être vrai : le fait qu’un membre de la famille n’est pas menacé ne signifie pas que le demandeur d’asile ne court aucun risque.

 

[34]           La demanderesse reconnaît que, d’après la preuve documentaire, son mari court peut-être un risque à cause d’elle, mais elle affirme que le retour de son mari à Colombo ne peut mener qu’à la conclusion suivante : soit le facteur de risque ne suffisait pas à lui seul pour que son mari soit menacé, soit que les autorités de Colombo ignoraient qu’elle avait été candidate des TLET aux élections civiles et qu’elle avait séjourné six mois à Jaffna.

 

Notes du STIDI concernant la possibilité de refuge intérieur

 

[35]           En réponse à l’affirmation du défendeur selon laquelle la conclusion de l’agente peut se justifier par l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI), la demanderesse fait observer que l’existence d’une PRI n’est pas mentionnée comme motif de refus dans la lettre. Elle soutient que si un motif de refus figure seulement dans les notes du STIDI sans être précisé dans la lettre, il ne s’agit pas d’un motif de refus sur lequel le défendeur peut se fonder aux fins d’un contrôle judiciaire. Selon la demanderesse, quand la lettre de refus ne précise pas les motifs de la décision, le défendeur a le droit de se fonder sur les motifs exposés dans les notes du STIDI parce que ce sont les seuls. Toutefois, quand des motifs sont donnés dans la lettre de refus, ce sont là les motifs de la décision.

 

[36]           La demanderesse renvoie à Ziaei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1169, où le juge Michael Phelan a déclaré ceci : « Il est bien connu qu’il n’est pas nécessaire que la lettre qui renferme la décision fasse état de tous les motifs de la décision. Pour cette raison, les notes versées au système STIDI font partie intégrante des motifs. » La demanderesse soutient que cette affirmation a été faite dans une affaire où les notes du STIDI contenaient des motifs plus amples que la lettre de décision, laquelle ne renfermait aucun détail au sujet des points attribués, et que le juge Phelan n’avait pas estimé que les notes du STIDI pouvaient fournir un motif de refus entièrement nouveau et non mentionné dans la lettre de refus.

 

[37]           La demanderesse affirme en outre que le défendeur ne devrait pas être autorisé à se fonder sur un motif de refus précisé dans les notes du STIDI parce qu’elle avait elle‑même décidé de signifier et de déposer une demande de contrôle judiciaire d’après les motifs donnés dans la lettre de refus, laquelle, de l’avis de la demanderesse, contenait les motifs de la décision. La demanderesse renvoie au paragraphe 10(1) des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, qui décrit comment mettre en état une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. La demanderesse soutient que cette règle part du principe que les motifs reçus avec la décision sont les motifs de la décision, sinon la règle aurait été rédigée différemment.

 

[38]           De surcroît, la demanderesse soutient que le fait de donner les motifs d’une décision fait partie intégrante du devoir d’équité, parce que les motifs permettent à la personne touchée de décider si elle souhaite demander le contrôle judiciaire de la décision : Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Cette fonction des motifs serait altérée si les motifs donnés au moment de la décision et ceux exposés dans les notes étaient différents et que les motifs exposés dans les notes primaient.

 

[39]           La demanderesse fait remarquer par ailleurs que les agents doivent donner des motifs factuels et objectifs pour justifier leur décision, comme le prescrit le guide opérationnel de l’immigration OP 1. Il faut donc que les motifs soient donnés au demandeur, et non simplement consignés dans les notes du STIDI. La demanderesse soutient qu’elle s’attendait légitimement à ce que les instructions données dans le guide soient observées, ce qui constitue un principe applicable à la détermination de la nature de l’obligation d’équité procédurale : Baker, précité. La demanderesse fait valoir que lorsque les motifs ne sont pas compris dans la lettre de refus mais qu’ils sont consignés dans les notes du STIDI, nul ne pourrait affirmer qu’ils ont été donnés à la personne concernée. La demanderesse reconnaît que l’agente a exprimé des réserves pendant l’entrevue et lui a donné l’occasion d’y répondre, mais elle affirme ne pas avoir reçu le refus et les motifs de la décision à ce moment‑là. Ainsi, l’agente a communiqué les motifs de sa décision à la demanderesse uniquement dans la lettre de refus. Donc, à supposer que les instructions du guide aient été suivies, la PRI n’est pas un des motifs de la décision, soutient la demanderesse, ou, s’il s’agissait d’un des motifs, la PRI ne constituait pas un motif factuel et objectif. Dans l’un ou l’autre cas, la demanderesse affirme que la décision ne peut être confirmée au motif qu’une PRI existe.

 

[40]           De surcroît, fait remarquer la demanderesse, la Cour d’appel fédérale a statué que l’existence d’une PRI ne peut être invoquée comme motif de refus si la région où la PRI est envisagée n’a pas été révélée au préalable : Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.); Rasaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.). La demanderesse soutient qu’il serait anormal que l’obligation d’équité exige que le demandeur soit averti de la PRI avant qu’une décision soit prise, mais qu’elle n’exige pas que cette précision soit donnée dans la lettre de refus quand l’existence d’une PRI est un motif de refus.

 

[41]           La demanderesse avance également que la position du défendeur est fondée sur l’hypothèse que si l’existence d’une PRI n’avait pas été mentionnée dans la lettre de refus, c’était par inadvertance et que la lettre de refus ne donnait pas tous les motifs de la décision. Toutefois, la demanderesse maintient qu’il peut y avoir une autre explication. Elle laisse entendre que l’agente avait décidé de ne pas fonder son refus sur l’existence d’une PRI, ce à quoi le défendeur n’a pas répondu. La demanderesse est d’avis qu’il n’y a pas de PRI, et affirme que l’agente l’a réalisé en revoyant ses notes, ce qui explique pourquoi l’existence d’une PRI n’a pas été mentionnée dans la lettre de refus. C’était une omission volontaire, et non un simple oubli. La demanderesse affirme que sa thèse est appuyée par la présomption en droit que l’agente pensait ce qu’elle écrivait et qu’elle n’avait été ni négligente, ni étourdie : Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), 2001 CSC 4, au paragraphe 107.

 

[42]           Enfin, la demanderesse fait observer que le défendeur n’a pas fourni d’affidavit dans lequel l’agente déclarerait sous serment que les notes du STIDI, et non la lettre de refus, exposent les vrais motifs de sa décision. La demanderesse affirme qu’en l’absence d’un tel affidavit, la Cour n’est pas justifiée de tenir pour acquis que la vraie intention de l’agente transparaît dans les notes du STIDI et non dans la lettre de refus, puisque les notes prises par un agent au cours d’une entrevue ne peuvent être acceptées comme preuve de la véracité des déclarations qu’elles contiennent en l’absence d’affidavit en attestant la véracité  : Wang c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 C.F. 165 (C.A.); Qiu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 4 Imm. L.R. (3d) 247 (CF 1re inst.).

 

Le défendeur

Notes du STIDI concernant la possibilité de refuge intérieur

 

[43]           L’agente a conclu que la demanderesse ne craignait pas avec raison d’être persécutée et qu’elle avait une PRI; selon la thèse du défendeur, la demanderesse conteste la première décision de l’agente, mais pas la deuxième.

 

[44]           Le défendeur fait remarquer que, dans les notes du STIDI, l’agente a écrit qu’il n’était pas crédible que la demanderesse ne puisse retourner nulle part au Sri Lanka. Les notes cadrent aussi avec la déclaration faite par l’agente au cours de l’entrevue, à savoir qu’elle était convaincue que la demanderesse pouvait retourner à Jaffna ou à Delft puisque la paix était revenue là‑bas, et qu’il était peu crédible que la demanderesse soit encore recherchée étant donné qu’elle n’avait rien à se reprocher. Le défendeur affirme que la conclusion non contestée de l’agente quant à l’existence d’une PRI justifie l’autre conclusion sur la question de savoir si la demanderesse est une réfugiée au sens de la Convention.

 

[45]           Le défendeur soutient qu’il est bien établi que les notes du STIDI font explicitement partie de la décision : Veryamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1268; Toma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 779. La raison, selon la Cour, tient précisément à ce que la lettre de refus ne contient pas nécessairement tous les motifs de la décision : Ziaei, précitée.

 

[46]           En réponse à l’affirmation de la demanderesse selon laquelle les notes du STIDI peuvent seulement étoffer les motifs et non pas fournir un nouveau motif de refus non précisé dans la lettre, le défendeur invoque la conclusion déjà tirée par la Cour, à savoir que le fait de fournir les motifs de cette façon ne constitue pas un manquement à l’obligation d’équité : Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1298.

 

[47]           Le défendeur souligne aussi que la demanderesse parle de motif de refus et de motifs de la décision lorsqu’elle faisait référence à la conclusion de l’agente quant à l’existence d’une PRI. En l’espèce, le défendeur affirme que la demande de la demanderesse a été refusée au motif que cette dernière ne faisait pas partie de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ni de la catégorie de personnes de pays d’accueil, et que les motifs pour lesquels l’agente avait tiré cette conclusion figuraient dans la lettre de refus et dans les notes du STIDI.

 

[48]           En outre, fait observer le défendeur, la demanderesse a déclaré qu’il y avait eu manquement à l’obligation d’équité du fait que les notes du STIDI n’indiquaient pas la même chose que la lettre de refus, car elle s’était fondée sur les motifs contenus dans la lettre de refus pour décider de présenter sa demande d’autorisation. Le défendeur soutient qu’il faut forcément en déduire que la demanderesse a été désavantagée parce qu’elle ne disposait pas des motifs additionnels consignés dans les notes du STIDI. Toutefois, la Cour a statué que les notes du STIDI ne doivent pas nécessairement être fournies au demandeur en même temps que la lettre de refus ou avant l’introduction d’une demande de contrôle judiciaire : Veryamani, précitée, au paragraphe 30, Wang (2006), précitée, aux paragraphes 21 à 23; article 9 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, précitées. Le défendeur ajoute que la demanderesse a eu les notes du STIDI au moment où elle a présenté son dossier de demande, les notes étant jointes à un affidavit, et que la demanderesse n’était donc pas désavantagée.

 

[49]           Enfin, le défendeur affirme que la demanderesse a simplement émis une hypothèse sur les raisons qui expliquaient pourquoi l’existence d’une PRI n’était pas mentionnée dans la lettre de refus. Il n’est pas nécessaire d’expliquer pourquoi les motifs sont donnés d’une certaine façon. La seule exigence, c’est que les motifs soient donnés. Puisque la Cour a maintes fois répété que les parties peuvent s’appuyer tant sur les motifs exposés dans la lettre de refus que sur ceux consignés dans les notes du STIDI, l’existence d’une PRI est une conclusion valable qui peut servir à déterminer si la demanderesse fait partie de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières.

 

 

Preuve documentaire concernant la nécessité d’avoir un certificat délivré par la police de la localité d’origine

 

[50]           D’après le défendeur, quand l’agente a conclu que la demanderesse ne faisait pas partie de la catégorie de personnes de pays d’accueil, les raisons que la demanderesse avait données pour expliquer pourquoi elle ne pouvait retourner à Colombo n’étaient pas crédibles selon l’agente, parce que la demanderesse était mariée à un Singhalais, qu’elle pouvait s’inscrire auprès de la police et que la paix régnait au Sri Lanka. Le défendeur souligne par ailleurs que la demanderesse a contesté seulement la conclusion de l’agente selon laquelle elle pouvait s’inscrire auprès de la police.

 

[51]           Le défendeur soutient que, pour déterminer si la demanderesse pouvait s’inscrire auprès de la police, l’agente avait dû procéder à une analyse afin de soupeser la preuve documentaire et la preuve produite par la demanderesse. Après quoi, l’agente a choisi d’accorder plus de poids au document du UNHCR qu’à la preuve produite par la demanderesse. Le défendeur affirme qu’il est bien établi que la cour de révision n’a pas à apprécier à nouveau la preuve : Dunsmuir, précité, au paragraphe 48.

 

[52]           La demanderesse a fait valoir que l’agente avait commis une erreur en se fondant sur le document du UNHCR sans examiner les autres documents auquel il renvoyait. Le défendeur soutient que, au contraire, il était tout à faire raisonnable pour l’agente de se fonder sur un document du UNHCR sans examiner tous les documents sources qui y étaient mentionnés. Le défendeur ajoute que l’examen des extraits des documents sources cités par la demanderesse ne permet pas d’établir qu’il faut produire un certificat de police pour s’inscrire à Colombo.

 

[53]           De plus, ajoute le défendeur, quand la demanderesse a affirmé que l’agente avait commis une erreur en omettant d’examiner les documents sources, elle s’est fondée sur deux documents dont ne disposait pas l’agente pour affirmer que cette dernière avait conclu à tort que la demanderesse pouvait s’inscrire et vivre à Colombo. Le défendeur affirme que ces documents ne sont pas pertinents dans le contexte du contrôle judiciaire, car l’agente n’en disposait pas quand elle a pris sa décision : Korayem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 486.

 

[54]           De plus, contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, le défendeur estime que la conclusion de l’agente selon laquelle la demanderesse serait en mesure de s’inscrire à Colombo (étant donné qu’elle avait une carte d’identité et un passeport) cadrait parfaitement avec l’information contenue dans la note de bas de page sur laquelle l’agente s’était fondée. Le défendeur n’avance pas qu’il est raisonnable pour un agent d’ignorer les notes de bas de page, mais affirme plutôt que l’agent peut se fonder sur l’information contenue dans un document, notes de bas de page comprises, sans devoir vérifier toutes les sources mentionnées.

 

Retour du mari

 

[55]           Le défendeur soutient que les conclusions suivantes de l’agente sont raisonnables et ne devraient pas être modifiées : i) le fait que le mari de la demanderesse était revenu à Colombo et y avait séjourné six mois sans incident indiquait que la demanderesse avait une crainte non fondée de persécution; ii) le fait que le mari de la demanderesse était Cinghalais plutôt que Tamoul permettait de conclure que les raisons données par la demanderesse pour expliquer pourquoi elle ne pouvait rentrer au Sri Lanka n’étaient pas crédibles.

 

[56]           Le défendeur fait observer que les conclusions énoncées ci‑dessus s’ajoutent à celles selon lesquelles : i) la demanderesse avait une PRI; ii) la demanderesse pouvait s’inscrire auprès de la police à Colombo; iii) il n’était pas crédible que la demanderesse soit encore recherchée par le PDPE bien qu’elle n’ait rien fait pour les TLET; et iv) la demanderesse pouvait retourner au Sri Lanka en toute sécurité, étant donné que la paix y régnait désormais. Le défendeur affirme que, même si les conclusions concernant le mari de la demanderesse et son retour sont déraisonnables, une telle erreur est sans conséquence, car la conclusion selon laquelle la demanderesse peut rentrer au Sri Lanka et s’inscrire là‑bas est entièrement corroborée par les nombreuses autres conclusions de fait sur la crédibilité de la demanderesse : Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1065; Guan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 452 (1re inst.).

 

ANALYSE

           

[57]           L’agente s’est fondée sur une note de bas de page à la page 10 du document UNHCR Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum-Seekers from Sri Lanka, publié le 5 juillet 2010, laquelle est rédigée comme suit :

[traduction] Il a été signalé que les personnes souhaitant s’installer à Colombo doivent s’inscrire auprès de la police locale. Pour ce faire, il faut généralement produire une carte d’identité nationale ou un passeport et donner des renseignements sur la durée prévue et l’objet du séjour.

 

 

[58]           L’agente a conclu que la demanderesse pourrait s’inscrire à Colombo parce qu’elle avait une carte d’identité sri lankaise. Cette logique n’est pas raisonnable. Le simple fait qu’il faut une carte d’identité nationale ou un passeport pour s’inscrire ne signifie pas que quiconque a une carte d’identité nationale peut s’inscrire à Colombo. Ce raisonnement naïf dénote un aveuglement volontaire.

 

[59]           Par exemple, l’agente s’est fiée à une note de bas de page qui renvoyait à de l’information contenue dans un autre document et qui en reproduisait des extraits.

 

[60]           Le même document source indique également ce qui suit :

[traduction]

23. En théorie, n’importe qui a le droit de s’inscrire en vue de séjourner à Colombo, mais certaines sources donnent à penser que les jeunes Tamouls de sexe masculin venant du Nord ou de l’Est du pays peuvent éprouver des problèmes et faire l’objet d’un examen minutieux. La présence de l’un ou l’autre des facteurs de risque énoncés ci‑dessous éveillera également l’attention de la police. En général, l’inscription se fait plus facilement si le séjour prévu à Colombo est temporaire.

 

24. Les facteurs de risque auxquels il est fait allusion ci‑dessus sont les suivants :

 

a.                   l’existence d’un dossier selon lequel l’intéressé est soupçonné d’appartenir aux TLET ou leur appartient effectivement;

b.                  le fait d’avoir des proches dans les TLET;

c.                   le fait d’avoir un casier judiciaire ou un mandat d’arrêt non exécuté;

d.                  le fait d’avoir violé un cautionnement ou de s’être évadé de son lieu de détention;

e.                   le fait d’avoir signé un aveu ou un document semblable;

f.                    le fait d’avoir été prié par les forces de sécurité de devenir informateur;

g.                   la présence de cicatrices;

h.                   un retour depuis Londres ou depuis un autre centre de collecte de fonds pour les TLET;

i.                     un départ illégal du Sri Lanka;

j.                    le fait d’avoir présenté une demande d’asile à l’étranger;

k.                  l’absence de carte d’identité ou autre pièce semblable.

 

 

[61]           Durant l’entrevue, la demanderesse a fourni des éléments de preuve montrant qu’elle présentait certains importants facteurs de risque :

a.                   La demanderesse a fait une demande d’asile au Canada;

b.                  La demanderesse s’est déjà proposée comme candidate des TLET à une élection locale à Delft. Elle a déjà été soupçonnée d’être membre des TLET ou d’en être un sympathisant;

c.                   En 2005, la demanderesse a séjourné six mois à Jafna, où elle a été menacée par le PDPE;

d.                  La demanderesse a un proche dans les TLET, un cousin recruté pour combattre à Vanni;

e.                   Le PDPE a un dossier sur la demanderesse et l’a déjà menacée.

 

[62]           En d’autres mots, même si la note de bas de page 76 à la page 10 du document du UNHCR est exacte et qu’il faut généralement produire une carte d’identité nationale pour s’inscrire, il ne s’ensuit pas que d’autres facteurs, comme les facteurs de risque énoncés ci‑dessus, sont simplement ignorés si un Tamoul produit une carte d’identité nationale.

 

[63]           Comme la demanderesse le dit, même si toutes les exigences régulières sont respectées, il faut examiner les facteurs de risque que présente chaque personne pour déterminer si la personne en question aura vraisemblablement la permission de s’inscrire à Colombo. En l’espèce, les facteurs de risque n’ont pas été analysés et c’est ce qui rend la décision déraisonnable, même si le mari a pu séjourner six mois à Colombo en 2010. À cette occasion, la demanderesse n’accompagnait pas son mari, qui ne présentait pas les mêmes facteurs de risque qu’elle.

 

[64]           La mention d’une PRI dans les notes du STIDI ne justifie pas la décision. Pour commencer, quand les notes du STIDI sont lues de pair avec la lettre de refus, il est impossible de dire quelle est la conclusion finale de l’agente quant à la PRI. La conclusion finale de l’agente figure dans la lettre de refus :

[traduction] En raison de ce qui précède, je ne suis pas convaincue qu’il s’agisse d’une crainte fondée de persécution d’après les motifs prévus dans la définition de « réfugié au sens de la Convention ». En outre, d’après les déclarations que vous avez faites à l’entrevue, je ne suis pas convaincue que vous êtes une personne sur qui une guerre civile ou un conflit armé ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles.

 

 

[65]           Dans cette conclusion, l’expression « ce qui précède » correspond à ce que contient la lettre de refus. L’agente a clairement fait savoir que la décision défavorable concernant la persécution était fondée sur les motifs donnés dans la lettre de refus. Il est donc impossible de dire si la PRI – question soulevée et commentée dans les notes du STIDI – fait partie de la décision finale. Par conséquent, je crois qu’il ne serait ni prudent ni raisonnable de conclure que l’agente a aussi rejeté la demande en raison de l’existence d’une PRI. L’agent doit formuler des motifs clairs et cohérents à l’appui de sa décision. Voir Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1397, au paragraphe 15. À cause de la façon dont l’agente a rédigé la lettre de refus, il est impossible de savoir clairement si, dans sa décision finale, l’agente s’est fondée sur l’existence d’une PRI comme motif d’exclusion.

 

[66]           Par ailleurs, j’estime aussi qu’il serait imprudent et déraisonnable de se fonder sur l’existence d’une PRI dans le cadre d’une décision où la principale réserve découle du fait que l’agente ait choisi de se fonder strictement sur une simple exigence officielle et ait négligé d’évaluer les facteurs de risque réels que la demanderesse avait indiqués dans le dossier.

 


JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE que

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7464-10

 

INTITULÉ :                                       MARIACHRISTIN ALFRED

                                                           

                                                            et

                                                           

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               15 juillet 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT               LE JUGE RUSSELL

ET JUGEMENT :                             

 

DATE :                                               11 août 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

 

POUR LA DEMANDERESSE

Brendan Friesen

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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