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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110811

Dossier : IMM-156-11

Référence : 2011 CF 989

Ottawa (Ontario), le 11 août 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

SARAH MOHAMMAD ALTWAYJERY

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 14 décembre 2010 (la décision), qui a rejeté la demande de la demanderesse visant à ce que lui soit reconnue la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse dit être une femme apatride de Gaza, en Palestine, nommée Sarah Mohammad Altwayjery. Elle est accompagnée de ses enfants d’âge préscolaire, qui sont également apatrides, soit Nour Eliman Mahmood Abdelrahman, Linda Mahmood Abdelrahman et Maher Mahmood Abdelrahman (les demandeurs mineurs).

 

[3]               La demanderesse affirme que, contre la volonté de sa famille, qui appuie le Hamas, elle a épousé son mari à Gaza en 2000. Son mari a été ciblé par le Hamas pendant plusieurs années à Gaza. Lorsqu’il a refusé de collaborer avec le Hamas, la famille a été menacée et a changé d’adresses plusieurs fois à Gaza pour éviter d’attirer l’attention. En 2008, le mari de la demanderesse a été sauvagement battu par le Hamas. En août 2008, des agents du Hamas sont venus chez eux, ils ont frappé la demanderesse, et ils ont enfermé un enfant dans un placard.

 

[4]               Rendu craintif par cette situation et craignant le risque de guerre avec Israël, le mari a pris des dispositions pour que la famille quitte clandestinement Gaza en janvier 2009. Il avait prévu de partir avec eux, mais, lorsque son père a été blessé par une bombe, il a décidé de rester à Gaza pour prendre soin de lui. Les demandeurs ont fui Gaza avec un passeur et sont venus au Canada, où ils sont arrivés le 5 janvier 2009, et ont demandé l’asile le 6 février 2009.

 

[5]               Leur demande d’asile a été rejetée.

 


LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

 

[6]               La question déterminante dans la longue décision de la SPR avait trait à l’identité. La SPR a admis que la demanderesse avait établi son nom ainsi que ceux de ses enfants dans son témoignage de vive voix. La SPR a également admis qu’ils étaient Palestiniens. Cependant, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle et ses enfants étaient des résidents de Gaza plutôt que de la Cisjordanie. Puisque les demandeurs allèguent une crainte du Hamas seulement à Gaza, et non en Cisjordanie, le sort de leur demande d’asile dépend de leur résidence à Gaza. Sur ce fondement, la SPR a rejeté leur demande.

 

[7]               Le SPR a expliqué que la demanderesse n’avait présenté aucune pièce d’identité de la Palestine. La demanderesse a affirmé que cela résultait du fait que le passeur qui les avait amenés au Canada avait pris tous les documents et avait disparu. La demanderesse prétendait être incapable d’obtenir des documents de remplacement envoyés de Gaza par son mari ou des amis, parce qu’elle n’avait été en communication avec personne en Palestine par crainte de révéler où elle se trouvait aux agents du Hamas qui la persécutaient, lesquels, selon elle, feraient du mal à son mari s’ils apprenaient qu’elle était au Canada.

 

[8]               La SPR a noté que l’article 106 de la Loi énonce que la SPR doit déterminer si, « n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer ». L’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles), exige également qu’un demandeur présente des documents acceptables pour établir son identité ou, s’il ne peut le faire, qu’il en donne la raison et explique quelles mesures il a prises pour s’en procurer. En conséquence, la SPR a centré son analyse sur la question de savoir si la demanderesse s’était conformée à ces règles.

 

[9]               La SPR a conclu que le témoignage de la demanderesse concernant son identité était contradictoire et non crédible. La demanderesse a expliqué de manière imprécise et évasive quelles pièces d’identité elle alléguait avoir possédées à Gaza. Sa prétention selon laquelle elle ne parvenait pas à se souvenir quels documents elle avait possédés, quelle apparence ils avaient ni où elle les avait conservés dans sa demeure à Gaza n’était pas crédible, étant donné son témoignage selon lequel son mari avait sorti les documents d’un classeur la nuit où elle avait fui et les avait donnés à un passeur.

 

[10]           La SPR a souligné que la demanderesse avait été avisée à de nombreuses reprises de l’importance d’établir son identité, et qu’elle savait que l’absence de ses papiers d’identité constituait un problème majeur dans le cadre de sa demande. Aussi, la SPR a été intriguée que la demanderesse ne soit pas préparée ou ne soit pas disposée à expliquer quels documents elle avait possédés antérieurement ni où ceux-ci se trouvaient.

 

[11]           Puisqu’elle n’avait pas de documents, la demanderesse s’est appuyée sur les déclarations de compatriotes palestiniens à Winnipeg pour établir ses origines. La SPR a admis que ces déclarations établissaient que la demanderesse était effectivement Palestinienne, mais non qu’elle était une résidente de Gaza. Aucun des déclarants n’est de Gaza, et leurs déclarations n’indiquent pas que la demanderesse en est originaire.

 

[12]           Deux personnes ont assisté à l’audience pour témoigner de leur appui à la demanderesse, mais elles n’ont pas établi sa résidence. Malheureusement, l’une d’elles a dû partir avant de témoigner en raison de retards dans la tenue de l’audience causés par des problèmes liés à la salle d’audience. L’avocat de la demanderesse a indiqué que ce témoin, qui n’était pas de Gaza, aurait été en mesure de fournir des renseignements généraux au sujet de Gaza, mais ne connaissait pas la demanderesse ni sa situation personnelle en Palestine (et ne connaissait non plus personne d’autre de Gaza au Canada). Aussi, la SPR a conclu que ce témoin n’aurait pas été en mesure de témoigner au sujet de la question déterminante de la résidence de la demanderesse et que son témoignage n’était donc pas nécessaire à une audience équitable.

 

[13]           De même, l’autre témoin, qui, lui, a témoigné, n’a pas pu établir que la demanderesse venait de Gaza. Ce témoin n’avait pas connu la demanderesse ni sa famille avant l’arrivée de la demanderesse au Canada. Le témoin était originaire de la Cisjordanie, il connaissait peu de gens de Gaza, et il n’avait visité Gaza qu’une fois pendant trois heures. Il ne savait rien de précis à propos de la situation de la demanderesse. Il a soutenu que l’accent de la demanderesse et les mets qu’elle préparait portaient à croire qu’elle était de Gaza, mais, puisque lui-même connaissait très peu Gaza, la SPR a conclu qu’il n’avait pas réussi à établir la crédibilité de la demanderesse ni sa résidence.

 

[14]           La SPR a également trouvé non crédible le témoignage de la demanderesse au sujet de ses résidences alléguées à Gaza, parce que ce témoignage était contradictoire et qu’il prêtait à confusion. La réponse de la demanderesse à la question no 11 de son Formulaire de renseignements personnels (le FRP) énonce que, de 1999 à juillet 2008, elle a habité sur la rue Alwahada à [TRADUCTION] « différentes adresses » et que, de juillet 2008 à janvier 2009, elle a habité sur la rue Hamaliyrah 30. Dans son témoignage de vive voix, elle a dit qu’elle avait habité sur la rue Alwahada et dans le district Hay Al Rammal. En réponse à une demande de clarification, elle a dit que l’adresse sur la rue 30 était le district Hay Al Rammal. Elle a ensuite dit qu’elle avait déménagé plusieurs fois de la rue Alwahada au district Hay Al Rammal et vice-versa. Il y avait également une contradiction entre les dates de ces déménagements données dans le FRP et à l’audience.

 

[15]           La demanderesse et son avocat ont expliqué que ces divergences étaient dues à la nervosité, à l’anxiété et au manque de concentration de la demanderesse. La SPR a tenu compte de ces explications, mais a conclu qu’elles ne rendaient pas compte des problèmes importants dans le témoignage. Quant à son explication selon laquelle elle était fatiguée à cause des retards dans la tenue de l’audience et qu’elle avait livré un témoignage prêtant à confusion pour cette raison, la SPR a noté que les retards étaient survenus l’après-midi, après que la demanderesse eut livré le gros de son témoignage. En particulier, la demanderesse avait été interrogée au sujet des ses résidences dans la matinée, avant que surviennent les retards.

 

[16]           La SPR a également pris en compte et rejeté l’explication de la demanderesse selon laquelle les instructions en anglais sur le FRP avaient semé de la confusion dans son esprit et que, à cause de cela, elle avait donné des renseignements incomplets et inexacts. La SPR a noté que la demanderesse avait fait une affirmation solennelle quant au caractère complet, vrai et exact des renseignements contenus dans son FRP au moment de le signer ainsi qu’à l’audience, et qu’elle n’avait pas choisi de réviser ou de modifier son FRP au cours des 16 mois écoulés après qu’elle l’eut déposé. La demanderesse a apporté certaines modifications à sa version originale du formulaire, qui portait à croire à une tentative délibérée de clarifier les renseignements, et qui portait à croire qu’elle avait rempli le formulaire alors que les renseignements relatifs à la résidence étaient encore frais à sa mémoire. La SPR a également noté que la demanderesse avait fait traduire l’intégralité des instructions contenues dans le FRP, ce qui réduisait les probabilités qu’elle les ait mal comprises.

 

[17]           En outre, la SPR a noté que la demanderesse avait employé une terminologie imprécise en rapport avec le territoire dont elle alléguait être originaire, se bornant à donner la réponse générale « Gaza » lorsqu’on l’a interrogé pour savoir où se trouvaient son certificat de naissance et sa carte d’identité, où avaient eu lieu certaines attaques à la bombe, etc. Elle ne pouvait nommer aucun endroit précis dans le territoire, et elle a démontré qu’elle n’avait pas de véritable connaissance de son lieu d’origine allégué.

 

[18]           La SPR a également conclu que le témoignage de la demanderesse concernant sa famille n’était pas crédible : par exemple, elle a mentionné une sœur qu’elle voyait souvent après son mariage en 2000 et qui l’aidait à prendre soin de ses enfants, dont le premier était né en 2004. Cependant, le FRP indique que cette sœur est décédée d’un cancer en 2000 (la même année où la demanderesse s’est mariée et quatre ans avant que naisse son premier enfant). Lorsqu’elle a été confrontée à cette divergence, la demanderesse a fourni des explications non convaincantes, disant qu’elle avait vu sa sœur pendant quelques mois seulement après le mariage et avant qu’elle décède, et que c’était elle qui avait aidé sa sœur à prendre soin de ses enfants, et non l’inverse.

 

[19]           De même, le témoignage de la demanderesse au sujet des moments des décès de ses parents ne concorde pas avec les renseignements fournis dans son FRP, ce qui porte à croire qu’elle fabriquait des renseignements au sujet des circonstances et des décès dans sa famille.

 

[20]           La SPR a trouvé invraisemblable le témoignage de la demanderesse selon lequel elle n’avait aucun contact avec son mari. À la question de savoir pourquoi elle ne pouvait pas demander à son mari, dont elle allègue qu’il est toujours à Gaza, de lui envoyer des pièces d’identité, elle a soutenu qu’ils n’étaient pas en contact par crainte que le Hamas ne leur cause préjudice si sa présence au Canada était révélée (révélation dont la demanderesse dit qu’elle pourrait résulter d’un appel téléphonique). Elle dit qu’il n’y a personne au sein de la communauté palestinienne de Winnipeg à qui elle ferait confiance pour prendre des nouvelles de son mari. Puisque son mari prévoyait initialement l’accompagner au Canada (ce qui porterait à croire que leur relation est intacte), la SPR a trouvé invraisemblable que ni l’une ni l’autre des parties n’ait à tout le moins tenté de s’assurer que l’autre avait survécu au bombardement et à la fuite alléguée de Gaza.

 

[21]           Le témoignage de la demanderesse au sujet des dates du bombardement était également incompatible avec les éléments de preuve documentaire. La demanderesse a dit qu’elle avait fui Gaza en janvier 2009, un jour et demi après que les Israéliens eurent commencé à bombarder le territoire; d’autres éléments de preuve indiquent qu’en fait, le bombardement israélien a eu lieu en décembre 2008. Lorsqu’elle a été confrontée avec cette divergence, la demanderesse a dit que la langue anglaise créait de la confusion dans son esprit, mais la SPR n’a pas admis cette explication, puisque la divergence apparaissait également dans le FRP, qui avait été traduit intégralement pour la demanderesse.

 

[22]           La SPR a examiné la question de savoir si les Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe données par la présidente s’appliquaient à la situation de la demanderesse, et elle a conclu que non après avoir interrogé la demanderesse quant à savoir si elle avait subi de la persécution en raison de son sexe.

 

[23]           La demanderesse a également allégué qu’elle craignait son beau-père, car celui-ci s’était opposé au mariage de la demanderesse et elle craignait qu’il ne convainque son mari de lui enlever ses enfants. Puisque son mari était résolu à l’origine à fuir Gaza avec la demanderesse, la SPR n’a pas trouvé cette crainte crédible.

 

[24]           Il y avait d’autres problèmes de crédibilité, comme un témoignage contradictoire quant à savoir si la demanderesse et son mari avaient possédé un téléphone, de même qu’au sujet du vol vers le Canada. Cependant, ce témoignage a été livré vers la fin de l’audience, alors que la demanderesse était fatiguée et se préoccupait de ses enfants qui s’endormaient au fond de la salle. En conséquence, la SPR n’a pas tenu compte de ces contradictions pour tirer sa conclusion, qu’elle a plutôt fondée sur les autres problèmes de crédibilité évoqués précédemment plus en détail.

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[25]           La demanderesse a soulevé la question suivante :

a)      La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la demanderesse n’avait pas établi son identité à titre de résidente de Gaza?

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[26]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent dans la présente instance :

Crédibilité

 

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

 

Credibility

 

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

 

[27]           La disposition suivante des Règles est également applicable dans la présente affaire :

Documents d’identité et autres éléments de la demande

 

7. Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer.

 

Documents establishing identity and other elements of the claim

 

7. The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[28]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick¸ 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question en particulier soumise à la cour de révision est bien arrêtée par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. C’est seulement lorsque cette recherche est infructueuse que la cour de révision se livre à une analyse des quatre facteurs pertinents pour l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[29]           La question en litige en l’espèce concerne l’identité de la demanderesse et sa crédibilité quant à l’établissement de cette identité. La norme de contrôle applicable est la raisonnabilité : voir Zheng c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 877, au paragraphe 13 : « Compte tenu de l’arrêt Dunsmuir et de la jurisprudence antérieure de la Cour, je suis d’avis que la norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à l’identité est la raisonnabilité. »

 

[30]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la raisonnabilité, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision n’est pas raisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. »

 

[31]           La demanderesse affirme également dans sa plaidoirie que la SPR n’a pas suffisamment motivé son rejet de la demande d’asile de la demanderesse, commettant ainsi un manquement à l’équité procédurale. Cette question sera examinée selon la norme de la décision correcte. Voir Andryanov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 186, au paragraphe 15; S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, au paragraphe 17.

 


LES ARGUMENTS

            La demanderesse

 

[32]           La demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la demanderesse n’avait pas établi son identité à titre de résidente de Gaza. La demanderesse reconnaît qu’il lui incombait de prouver son identité, mais elle soutient qu’elle a fourni une explication raisonnable au fait qu’elle ne possédait aucune pièce d’identité et que la SPR aurait dû admettre cette explication.

 

[33]           La demanderesse a fui Gaza avec l’aide d’un passeur qui a pris ses documents. Seule dans un environnement complètement étranger, elle était à la merci de son passeur et n’avait d’autre choix que de suivre ses instructions. Le refus de cette explication par la SPR était déraisonnable, tout comme sa conclusion selon laquelle il était invraisemblable que la demanderesse remette sa vie et celles de ses enfants entre les mains d’un passeur et lui donne tous ses papiers. Son affirmation selon laquelle il n’était pas crédible « que la demandeure d’asile confie sa vie et celles de ses enfants à un passeur qu’ils ne connaissaient pas et à qui elle devait donner tous ses renseignements personnels, y compris les documents à l’appui […] » démontre une incompréhension de la situation dans laquelle se trouvait la demanderesse. À l’évidence, la SPR n’a pas saisi la gravité de la situation à Gaza et la nécessité de remettre sa vie entre les mains de passeurs qui sont des étrangers. C’est monnaie courante dans des situations pénibles comme celle-là.

 

[34]           La SPR a omis d’expliquer clairement pour quels motifs elle ne croyait pas que la demanderesse n’avait pas communiqué avec son mari ou n’avait pas pu le faire par crainte de s’attirer des représailles de la part du Hamas. Il était déraisonnable que la SPR n’ait pas compris la crainte qu’entretenait la demanderesse et qui tirait sa source dans l’environnement dans lequel elle avait été élevée.

 

[35]           La SPR a fait une analyse déraisonnable des éléments de preuve en ce qu’elle a accordé trop d’importance aux contradictions apparentes entre le FRP et le témoignage de vive voix de la demanderesse. Il est clair que la demanderesse a éprouvé des difficultés à comprendre l’interprète, et elle a donné des explications raisonnables et qui s’accordaient avec son FRP chaque fois qu’il lui a été demandé de clarifier quelque chose. La SPR a déraisonnablement rejeté ces explications au motif que la demanderesse aurait dû comprendre les questions la première fois qu’elles lui étaient posées.

 

[36]           Mis à part son compte rendu des difficultés que la demanderesse avait eues à dire exactement où elle avait résidé à différentes époques, la SPR n’explique pas en quoi les réponses de la demanderesse au sujet d’autres endroits à Gaza sont imprécises ou générales.

 

[37]           La demanderesse allègue que la SPR n’a pas suffisamment motivé sa décision et, de ce fait, a commis un manquement à l’équité procédurale.

 

Le défendeur

 

[38]           Le défendeur soutient que les conclusions de la SPR concernant l’identité sont tout à fait raisonnables. Il incombait à la demanderesse de fournir des preuves de son identité et de sa résidence. La SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à le faire de manière convaincante. Il était raisonnablement loisible à la SPR d’en arriver à cette conclusion. Il n’y a donc pas lieu que la Cour intervienne.

 

[39]           Le défendeur conteste la prétention de la demanderesse selon laquelle le fait que la SPR n’ait pas cru que la demanderesse ait pu donner ses pièces d’identité à un passeur inconnu démontre une incompréhension de la situation de la demanderesse. Le défendeur souligne que la demanderesse formule cette prétention en citant la SPR hors contexte et ne retient que la première moitié de la phrase qui contient cette remarque attestant supposément une incompréhension. À la lecture de la phrase prise dans son ensemble, il est évident que la SPR a dit ceci : « J’estime qu’il n’est pas crédible que la demandeure d’asile confie sa vie et celles de ses enfants à un passeur qu’ils ne connaissaient pas et à qui elle devait donner tous ses renseignements personnels, y compris les documents à l’appui, tout en refusant de faire confiance à des membres de la communauté avec qui elle s’était liée d’amitié à Winnipeg au cours de la dernière année [pour qu’ils l’aident à communiquer avec son mari] ». Prise en contexte, cette phrase indique que la SPR n’a pas trouvé crédible que la demanderesse ne fasse pas confiance à ses amis à Winnipeg pour qu’ils l’aident à communiquer avec son mari, alors qu’elle avait remis sa vie, celles de ses enfants et leurs documents personnels entre les mains d’un passeur.

 

[40]           La demanderesse s’est appuyée sur cette qualification erronée pour soutenir que la SPR avait rejeté déraisonnablement son explication aux documents manquants (à savoir que le passeur les avait) et avait rejeté la demande pour ce motif. En vérité, toutefois, il ressort clairement des motifs que la SPR a conclu que le témoignage de la demanderesse en général n’était pas crédible en raison de son caractère contradictoire, imprécis et évasif, et pour divers motifs au-delà de toute incrédulité quant à sa confiance dans le passeur. La demanderesse n’a pas vraiment contesté ces conclusions relatives au caractère imprécis et contradictoire de son témoignage; aussi, ces conclusions sont maintenues. Compte tenu du témoignage non fiable de la demanderesse, il était raisonnable que la SPR conclue que la demanderesse n’avait pas établi son identité ni sa résidence par son témoignage.

 

[41]           Le défendeur soutient également que, bien que la demanderesse ait préféré que la SPR accorde plus de poids à sa situation et à ses craintes alléguées, il revient à la SPR de décider comment pondérer les éléments de preuve, et la Cour ne peut pas intervenir sur ce fondement.

 

[42]           La demanderesse se plaint de ce que la SPR a accordé trop d’importance aux contradictions qu’elle a relevées entre le FRP de la demanderesse et son témoignage de vive voix. Elle allègue que son témoignage concordait en fait avec son FRP. Cependant, le défendeur souligne que la demanderesse n’affirme pas dans son affidavit que la SPR n’a pas repris fidèlement son témoignage; aussi, cet argument doit succomber faute d’assise dans la preuve. Les contradictions sont évidentes lorsque l’on examine les motifs de la SPR et le FRP; la demanderesse a même reconnu des inexactitudes et l’omission de mentionner certains renseignements (voir le paragraphe 29 des motifs de la SPR).

 

[43]           En outre, un examen du FRP de la demanderesse et de son témoignage révèle qu’elle s’est effectivement contredite. Par exemple, concernant ses résidences à Gaza, elle a donné plusieurs réponses contradictoires quant à savoir quand et où elle avait déménagé de différentes adresses ou à différentes adresses. La SPR a donné à la demanderesse la chance d’expliquer ces contradictions, et elle ne l’a pas fait. Par conséquent, il était raisonnable que la SPR n’admette pas son témoignage comme étant crédible. Les contradictions et les divergences dans les éléments de preuve présentés par un demandeur d’asile constituent un fondement bien admis à une conclusion de manque de crédibilité.

 

[44]           La demanderesse soutient également que la SPR a agi déraisonnablement lorsqu’elle a rejeté les explications que la demanderesse avait données à ses contradictions; cependant, le défendeur soutient qu’il ressort clairement d’un examen des motifs qu’elle avait eu plusieurs occasions de les expliquer. La demanderesse demande tout simplement à la Cour d’apprécier la preuve à nouveau.

 

[45]           La demanderesse soutient en outre que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a omis de reconnaître que la demanderesse avait eu du mal à comprendre les questions qui lui étaient posées, et elle avance qu’ [TRADUCTION] « il y a peut-être une différence culturelle que la Commission a méconnue ». Cependant, les motifs indiquent clairement que la SPR a pris en compte l’explication de la demanderesse selon laquelle elle était nerveuse et maîtrisait mal l’anglais; la SPR a néanmoins conclu que ses explications ne rendaient pas compte des aspects très problématiques de son témoignage. En demandant à la Cour d’infirmer cette conclusion raisonnable, la demanderesse demande tout simplement une nouvelle appréciation de la preuve.

 

[46]           La demanderesse soutient également que la SPR a omis de fournir des motifs suffisants au soutien de sa conclusion selon laquelle le manque de précision de la demanderesse relativement à plusieurs endroits dans « Gaza » trahissait une absence de connaissance réelle du territoire. Comme la Cour l’a établi dans VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports et autre, [2001] 2 C.F. 25; [2000] A.C.F. no 1685 (C.A.F.), aux paragraphes 21 et 22, les motifs sont adéquats lorsque les principaux points en litige sont traités et que le raisonnement du décideur est communiqué de manière transparente. Il a été satisfait à cette norme en l’espèce; les conclusions de la SPR ont expliqué le raisonnement de manière transparente.

 

[47]           La demanderesse accuse également la SPR d’avoir omis d’exposer des motifs clairs au soutien de son rejet de l’explication de la demanderesse quant à savoir pourquoi elle n’avait pas communiqué avec son mari; le défendeur soutient que cet argument est invalide. La SPR était au courant de l’allégation selon laquelle la demanderesse craignait le Hamas; néanmoins, la SPR a conclu qu’il n’était pas crédible que ni l’un ni l’autre des partenaires ne tente de vérifier si l’autre avait survécu au bombardement et que la demanderesse ne ferait pas confiance à ses amis à Winnipeg pour qu’ils l’aident à établir un contact avec son partenaire. Le raisonnement de la SPR est clair, et, en le remettant en question, la demanderesse demande en réalité à la Cour d’apprécier la preuve à nouveau.

 

ANALYSE

 

[48]           Il s’agit d’une de ces affaires où il y a très peu de choses que la Cour puisse dire en fait d’analyse, à part qu’elle ne souscrit pas aux critiques que la demanderesse dirige contre la décision.

 

[49]           La demanderesse semble penser que la SPR l’a traitée inéquitablement. Elle dit que la SPR a été excessivement critique, qu’elle aurait dû admettre les explications de la demanderesse aux contradictions et aux vicissitudes de son témoignage, qu’elle a omis de prendre en compte les difficultés que la demanderesse éprouvait en anglais, qu’elle a omis de tenir compte des circonstances dans lesquelles elle avait dû quitter Gaza, et qu’elle a omis de tenir compte de la manière dont Gaza est organisé au niveau administratif.

 

[50]           Une lecture de la décision et du dossier certifié du tribunal révèle que rien ne pourrait être plus loin de la vérité. La SPR a mis beaucoup de soin et a fait preuve d’une grande patience lorsqu’elle a cerné les problèmes liés à l’identité de la demanderesse à titre de Palestinienne de Gaza, elle a expliqué les problèmes à la demanderesse, et elle lui a toujours donné l’occasion d’expliquer les divergences et de clarifier les vicissitudes, en tenant compte du fait que la demanderesse était stressée à l’audience et qu’elle avait témoigné par le truchement d’un interprète. La demanderesse a également été avertie à l’avance au sujet des questions liées à la documentation, et elle et son avocat ont eu amplement le temps de se préparer à répondre à ces questions.

 

[51]           La SPR a expliqué de manière complète et transparente pourquoi la demanderesse n’avait pas établi son identité à titre de Palestinienne de Gaza. Il est toujours possible de ne pas souscrire aux conclusions de la SPR, comme c’est le cas de la demanderesse, et de prétendre que ces conclusions étaient déraisonnables. Après avoir entendu la demanderesse au sujet de toutes les préoccupations, je ne puis voir aucun fondement à une allégation selon laquelle la SPR a agi de manière déraisonnable ou a privé la demanderesse d’équité procédurale. La décision a une justification, le processus décisionnel est transparent et intelligible, et la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Voir Dunsmuir au paragraphe 47.

 

[52]           En dernière analyse, la demanderesse demande simplement à la Cour d’apprécier la preuve à nouveau et de trancher à nouveau les questions en litige en sa faveur. Tel n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Voir Baylon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 938, au paragraphe 25.

 

[53]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour est du même avis.

 

 

 

 


JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-156-11

 

INTITULÉ :                                       SARAH MOHAMMAD ALTWAYJERY

                                                           

                                                            et

                                                           

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDITION :                 Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDITION :                Le 12 juillet 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 11 août 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hafeez Khan

 

POUR LA DEMANDERESSE

Brendan Friesen

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Booth Dennehy LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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