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Federal Court

 

Cour fédérale

 


Date: 20110821

Dossier : T-260-10

Référence : 2011 CF 1014

Ottawa (Ontario), le 21 août 2011

En présence de monsieur le juge Lemieux 

 

ENTRE :

 

PAVAGE ST-EUSTACHE LTÉE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

 

 

Défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Survol

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée par la demanderesse Pavage St-Eustache Ltée (Pavage), un membre du Groupe Mathers, à l’encontre de la décision rendue le 2 février 2010 par l’Agence du revenu du Canada, Bureau des services fiscaux de Montréal (l’Agence) rejetant une demande, en date du 3 septembre 2009, de Pavage pour allégement en vertu de l’article 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi).

 

[2]               L’article 220(3.1) de la Loi dispose :

Renonciation aux pénalités et aux intérêts

 

(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

 

[Notre soulignement]

 

Waiver of penalty or interest

 

 

(3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

 

[Emphasis added.]

 

[3]               C’est la nouvelle cotisation émise par l’Agence le 26 mai 2004 pour l’année fiscale de Pavage se terminant le 31 décembre 1996 qui est au cœur du litige entre les parties.  Cette nouvelle cotisation refuse formellement la déduction de 1 128 454 $ en raison d’une perte agricole réclamée par Pavage pour son année d’imposition de 1996 (la perte agricole) que l’Agence avait provisoirement acceptée.

 

[4]               La nouvelle cotisation du 26 mai 2004 augmente de 341 805 $ les impôts payables par Pavage sur ses revenus d’entreprise du 1996 plus intérêts sur arriérés de 299 565 $ et intérêts sur remboursement de 10 080,77 $ pour un total de 651 450,77 $

 

[5]               L’émission de cette nouvelle cotisation était prévue selon les dispositions d’une entente de règlement civil et pénal convenue le 25 novembre 2002 entre l’Agence et les sociétés du Groupe Mathers suite à une enquête de l’Agence initiée en 1998 (l’entente).  L’article 8 de l’entente vise Pavage.  Il confirme la nouvelle cotisation de l’Agence en date du 14 février 2002 qui, pour la première fois, refusait la perte agricole réclamée par Pavage.

 

II.         La demande d’allègement du 3 septembre 2009

[6]               Cette demande d’allègement se retrouve à l’intérieur d’une proposition faite par Maître Paci, le procureur de Pavage, dans sa lettre du 3 septembre 2009 à Mme Claudine Vinette de l’Agence à Montréal.  Il s’exprime ainsi :

À la suite de nos discussions récentes relativement à cette affaire de vouloir mettre fin à cet imbroglio, veuillez prendre note que nous avons reçu des instructions de vous proposer un règlement final et complet qui consisterait à payer le montant total de la cotisation du 26 mai 2004, soit la somme de 341 805 $, le tout sans pénalité ni intérêt, moins les montant retenus par l’ARC.

[Notre soulignement]

 

 

[7]               Maître Paci souligne que « cette proposition est faite dans le cadre d’une demande d’équité justifiée par les circonstances extraordinaires qui entourent ce dossier, notamment :

·         Le décès de l’avocat qui représentait la compagnie à l’origine, Bruno J. Pateras, c.r., le 13 avril 2002;

·         L’absence prolongé en raison de problèmes de santé de l’enquêteur responsable du dossier, Marcel Kessiby;

·         L’émission d’un avis to cotisation le 26 mai 2004, soit 18 mois après la date du règlement initial;

·         Le fait que ledit avis de cotisation n’a jamais été remis à notre cliente, Pavage St-Eustache Ltée, ni à notre bureau, ni à l’enquêteur responsable du dossier, Marcel Kessiby, lequel devait être au courant de l’existence de tous avis de nouvelle cotisation dans ledit dossier du Groupe Mathers;

·         Or, le tableau résumant tous les avis de cotisation émis depuis le 31 décembre 1996 jusqu’au 31 décembre 2006, lequel fut joint à la lettre de l’ARC du 25 septembre 2007 (voir l’onglet 5) ne faisant aucune référence à l’avis de nouvelle cotisation émis en mai 2004.  Ledit tableau avait été envoyé auparavant par la division des recouvrements de Shawinigan et il avait été reçu par la division de l’exécution de Laval le 13 septembre 2007, le tout à la demande de M. Kessiby;

·         Vu les circonstances, notre cliente ne pouvait pas deviner l’existence d’un tel avis de nouvelle cotisation qui n’avait même pas été enregistré dans les comptes à recevoir de l’ARC;

·         La réception d’une conciliation de M. Kessiby en date du 25 septembre 2007 et le paiement immédiat des sommes finales dues par notre cliente conformément à ce document, sont la preuve que ledit avis de nouvelle cotisation du 26 mai 2004 n’existait pas à ce moment-là ni pour notre cliente et ni pour M. Kessiby;

·         Les nombreux délais indus de l’ARC pour retracer une copie dudit avis de nouvelle cotisation datée de mai 2004 et pour mettre la main sur le document explicatif manquant, ainsi que pour informer le soussigné de l’existence de ces documents, ont causé un préjudice grave à notre cliente;

·         Par ailleurs, si l’ARC avait fait diligence dans l’émission de l’avis de nouvelle cotisation, il n’y aurait pas eu de délais indus et donc pas d’intérêts ni de pénalités d’ajouter à ladite nouvelle cotisation;

·         Le manque de collaboration de certaines personne de l’ARC désignées pour remplacer Marcel Kessiby pendant la maladie de ce dernier, notamment M. Réal Barbeau. »

 

III.       La décision de l’Agence

[8]               Le 2 février 2010, Francine Laporte, Chef d’équipe, Recouvrement des recettes, à Montréal, refuse la proposition de Pavage du 3 septembre 2009 pour trois motifs exprimés dans sa lettre adressée au procureur de Pavage :

a.       La demande d’allègement de Pavage est prescrite.  Mme Laporte écrit :

En vertu des modifications proposées, annoncées dans le budget fédéral de mars 2004 et légiférées le 13 mai 2005, le pouvoir discrétionnaire du Ministre dans le cas d’une demande an matière d’allègement ne s’applique qu’aux demandes présentées pour une année d’imposition se terminant au cours des dix années civiles précédentes.  Par exemple, à partir du 1ier janvier 2010, une demande présentée en 2010 ne sera acceptée que pour les années d’imposition 2000 et suivantes.  Or, votre demande concerne l’année d’imposition 1996.

 

 

b.      Pavage savait que la nouvelle cotisation du 26 mai 2004 avait été émise.  Elle est d’avis :

De plus, la révision du dossier confirme que plusieurs états de compte subséquents à l’avis de cotisation du 26 mai 2004 ont été expédiés à votre client, tels le relevé des intérêts calculés le 26 mai 2004 et un état des arrières le 30 septembre 2004, lesquels exposaient le solde d’arriérés réclamé pour l’exercice financier terminé le 31 décembre 1996.  À cet égard, aucun courrier ne nous a été retourné.

 

 

c.       Selon les dispositions de l’entente du 25 novembre 2002 Pavage avait renoncé à faire une réclamation en matière d’équité.  Elle s’exprime comme suit :

Finalement, nous attirons votre attention sur le point 18 de la Proposition de règlement civil et pénal datée du 25 novembre 2002, lequel énonce qu’un désistement au droit d’appel ainsi qu’une renonciation à faire une réclamation en matière d’équité devaient l’accompagner.

 

 

[9]               Considérant son importance, je reproduis l’article 18 de l’entente du 25 novembre 2002 :

18.  Un désistement au droit d’appel ainsi qu’une renonciation à faire une réclamation en matière d’équité doivent accompagner la proposition finale de règlement.  Ce désistement au droit d’appel et au dossier d’équité devrait être appliqué dans son ensemble à tous les services des Bureaux des Services Fiscaux de l’ « ADRC » sans aucune réserve.  Advenant le non-respect du désistement au droit d’appel et au dossier d’équité par les personnes morales ou physiques concernées par cette proposition de règlement final, les nouvelles cotisations ainsi annulées seront reconduites selon les avis de cotisation émis entre mars 2000 et février 2002, le tout, conformément, aux résultats de l’ « ADRC ». 

[Notre soulignement]

 

 

 

IV.       La répercussion de l’arrêt Bozzer c La Reine et autres

 

[10]           Bozzer c La Reine, L’Agence et le Procureur général du Canada 2011 CAF 186 (Bozzer) a été rendu par la Cour d’appel fédérale le 2 juin 2011 durant mon délibéré.

 

[11]           Le procureur de l’Agence estime que l’arrêt Bozzer « a pour effet de changer l’état du droit quant à la question de la présomption. »  Il est d’avis que :

En effet, la Cour d’appel a conclu qu’un demandeur peut faire une demande d’allègement pour une période de 10 ans antérieure au dépôt de sa demande, sans égard à l’année d’imposition en cause.  Ainsi, le droit d’un demandeur de présenter une telle demande ne peut plus, à toutes fins pratiques, être prescrit.

 

Toutefois, comme la décision du Ministre du revenu national ne se fondait pas uniquement sur la prescription, mais également sur la renonciation de Pavage à présenter une demande d’allègement, nous sommes d’avis que ce dernier peut toujours rendre jugement dans notre dossier.  [Notre soulignement]

 

 

[12]           La journée suivante la procureure de Pavage avise cette Cour comme suit :

Pour faire suite à la lettre du 4 juillet 2011 de notre confrère, Me Louis Sébastien, la présente est pour faire part à l’honorable juge Lemieux que l’intimé ne peut invoquer la « renonciation » contenue dans l’entente intervenue entre les parties puisqu’il n’a pas lui-même respecté l’entente : « exceptio non adimpleti contractus ».  [Notre soulignement]

 

 

[13]           Dans Bozzer, il s’agissait de savoir de quelle façon la prescription de dix ans à l’article 220(3.1) de la Loi doit être calculée.  Les motifs de la Cour d’appel fédérale sont écrits par le juge Stratas et ne sont disponibles, pour le moment, qu’en anglais.

 

[14]           Monsieur Bozzer avait déposé le 6 décembre 2005 une demande d’allègement des intérêts accumulés sur impôts impayés encourus émanant des années d’imposition 1989 et 1990.  L’Agence avait refusé sa demande parce que sa demande d’allègement avait été déposée hors délai, c’est-à-dire plus de dix ans après ses années d’imposition de 1989 et 1990.  Selon l’Agence, l’article 220(3.1) le Ministre, dans les circonstances de l’affaire, n’avait aucune discrétion pour annuler ou de renoncer aux intérêts.

 

[15]           Mme. Laporte a refusé la demande de Pavage pour les mêmes motifs.

 

[16]           La demande de contrôle judiciaire dans Bozzer fut rejetée par un juge de la Cour fédérale au motif que la période de 10 ans se calcule après l’année fiscale pertinente, c’est-à-dire l’année de cotisation (dans notre cause l’année 1996).  Le juge Stratas était d’avis « the ten year period in subsection 220(3.1) does not start in the year of assessment ».  Selon le juge Stratas l’article 220(3.1) autorise le Ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire de renoncer aux intérêts accumulés durant toute année d’imposition à l’intérieur de 10 ans avant la demande d’allègement indépendamment de l’année de la cotisation créatrice de la dette fiscale.

 

[17]           En l’espèce, l’interprétation du juge Stratas signifie que l’Agence avait la discrétion d’annuler les intérêts accumulés entre le 1ier janvier 1999 et le 31 décembre 2009, suite à la création de la dette fiscale de Pavage pour son année d’imposition 1996 par la nouvelle cotisation du 26 mai 2004.

 

[18]           Dans les circonstances, j’estime que le procureur de l’Agence avait raison de conclure que l’arrêt Bozzer signifie que la façon dont l’Agence a appliqué la prescription pour la demande de Pavage était erronée.  Le pouvoir discrétionnaire accordée à l’Agence d’accorder un allègement à Pavage n’était pas périmé.

 

[19]           En conséquence, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de trancher le débat sur la prescription tel que formulé par les parties dans leurs plaidoiries.  La seule question à débattre est de savoir si l’Agence pouvait s’appuyer sur la renonciation du paragraphe 18 de l’entente.  J’estime cependant que la question à savoir, si et quand, Pavage ignorait l’existence de la nouvelle cotisation du 26 mai 2004 demeure pertinente si ma conclusion sur la renonciation n’est pas bien fondée parce que cette question se rattache au principe de la découverte ou le principe d’impossibilité d’agir (voir Novak c Bond, [1999] 1 RCS 808; et Location Robert Ltée c Canada 2010 CAF 31).  En autres mots, le principe de la découverte pourrait possiblement repousser la date de la demande d’allègement du 13 septembre 2009 à une date ultérieure.

 

V.        L’argumentation des parties

(A)       Celle de Pavage

(i)    La connaissance de Pavage de l’existence de l’avis de cotisation du 26 mai 2004

 

[20]           Pavage prétend qu’il n’y a aucune preuve au dossier qui démontre que Pavage ou ses représentants avait reçu cet avis de cotisation.  Pavage affirme que l’enquêteur responsable du dossier, Marcel Kessiby, ignorait son existence et a traité les dossiers sans tenir compte de cet avis de nouvelle cotisation, ce qui est confirmé par le fait qu’aucune mesure d’exécution ne fut prise avant le 31 décembre 2006.

 

[21]           Pavage qualifie d’erroné le raisonnement de l’Agence d’avoir refuser l’allègement basé sur le fait que la demanderesse aurait reçu des états de compte subséquents à l’avis de cotisation du 26 mai 2004 puisqu’elle omet de mentionner qu’aucun des états de compte reçu par Pavage faisait référence à cet avis de cotisation et qu’il n’y avait aucune façon pour Pavage de le savoir, n’ayant jamais reçu l’avis du 26 mai 2004.

 

[22]           De plus, Pavage avait avisé Marcel Kessiby de l’existence des états de compte et ce dernier aurait assuré Pavage que les ajustements nécessaires seraient corrigés selon l’entente.

 

(ii)    L’entente

[23]           Pavage qualifie aussi d’erroné le raisonnement de l’Agence de refuser la demande d’allègement de Pavage selon l’article 18 de l’entente.

 

[24]           Selon Pavage, ce raisonnement est fautif parce que sa réclamation (la demande d’allègement) est fondée sur le fait que l’Agence n’a pas respecté les termes de l’entente (amendée le 28 novembre 2002) puisque l’article 8 de l’entente était sujet aux paragraphes 10(a), 23 et 24 de l’entente et de sa modification du 28 novembre 2002.

 

 

 

[25]           Hors, selon Pavage;

(1)       l’avis de cotisation du 26 mai 2004 n’est pas justifié parce que l’impôt réclamé par cet avis devait être considéré dans le montant global mentionné au paragraphe 11(a) de l’entente et que les redressements mentionnés à son paragraphe 8 font déjà partie de l’entente de 25 novembre 2002 modifiée le 28 novembre 2002;

 

(2)       Le paragraphe 23 de l’entente mentionne qu’il n’y aura aucun intérêt sur les sociétés mentionnées dont Pavage et, par conséquence, l’avis du 26 mai 2004 ne pouvait imposer des intérêts; et

 

(3)       Le paragraphe 24 de l’entente impute tout écart provenant des nouvelles cotisations à l’Agence

 

[26]           Au soutien de son contrôle judiciaire Pavage dépose l’affidavit de Maître Paci ainsi que l’affidavit de Marcel Kessiby.  Ils ont été contre interrogés.

 

[27]           Dans son affidavit, Maître Paci affirme que :

a.       Le 25 septembre 2007 il a reçu de Marcel Kessiby une conciliation sommaire des comptes de Pavage qui indiquait que le montant final dû par Pavage en date du 12 septembre 2007 était de 21 502 $ et que le 2 octobre 2007 Pavage a payé ce montant réclamé;

 

b.      Le 14 février 2008 il a communiqué par écrit au Directeur adjoint de la Division de l’exécution de l’Agence dans laquelle il mentionne le paiement du 21 502 $ mais qu’en dépit de cela « notre cliente continue de recevoir mensuellement des États des arriérés »;

 

c.       Suite à cette correspondance, Mme Vinette a été réassignée au dossier et « après plusieurs mois de recherche exhaustive dans ledit dossier » Mme Vinette « a finalement retracé l’origine dudit État des arriérés et que le 14 novembre 2008 elle lui a acheminé une copie de l’avis de cotisation du 26 mai 2004 qui était incomplet puisque les explications supplémentaires n’étaient pas jointes à l’avis, document qu’il a reçu le 19 décembre 2008; et

 

d.      Depuis le 30 avril 2007 l’Agence a retenu, à titre de compensation des montants dus à Pavage, la somme do 650 233 $.

[28]           Dans on affidavit, Marcel Kessiby atteste (1) le début de son emploi à l’Agence en 1981 et sa retraite le 28 septembre 2007; et (2) sa responsabilité comme enquêteur concernant la famille et le Groupe Mathers.

 

[29]           Il dépose l’entente du 25 novembre 2002, amendées le 28 novembre 2002 ainsi que le 30 mars 2003 (Dossier de la demanderesse, pages 24 et 26).

 

[30]           Au paragraphe 15 de son affidavit, Marcel Kessiby reconnaît que l’article 8 de l’entente maintenant une décision prise auparavant par l’Agence qui refusait la perte de nature agricole de 1 128 454 $ et au paragraphe suivant affirme que « conformément à cet article [article 8] de l’entente un avis de nouvelle cotisation a été émise par l’Agence en date du 26 mai 2004. »  Il affirme cependant qu’il ignorait l’existence de cet avis de nouvelle cotisation (paragraphe 17) et « par conséquent j’ai continué à traiter le dossier sans tenir compte de ce nouvel avis de cotisation » (paragraphe 18).

 

[31]           Marcel Kessiby conclut son affidavit affirmant que l’avis de cotisation du 26 mai 2004 ne respecte pas les termes de l’entente.  Au paragraphe 43 do son affidavit, il appui les conclusions de Maître Paci reproduites au paragraphe 25 de ces motifs.

 

(B)       Celle de l’Agence

(i)    La connaissance de l’avis de cotisation du 26 mai 2004

 

[32]           L’Agence invoque les dispositions des paragraphes 244(14) et (15) de la Loi qui, selon elle, établissent des présomptions que l’avis du 26 mai 2004 a été envoyé ce jour là à Pavage.  Ces dispositions se lisent :

Date de mise à la pote

 

(14) Pour l’application de la présente loi, la date de mise à la poste (…) d’un avis de cotisation ou de détermination est présumée être la date apparaissant sur cet avis ou sur cette notification.

 

Date d’établissement de la cotisation

 

(15) Lorsqu’un avis de cotisation ou de détermination a été envoyé par le ministre comme le prévoit la présente loi, la cotisation est réputée avoir été établie et le montant, déterminé à la date de mise à la poste de l’avis de cotisation ou de détermination[Notre soulignement]

 

 

[33]           L’Agence plaide que le principe de la découverte ou celui d’impossibilité d’agir n’a pas été démontré par Pavage puisque le preuve prépondérante au dossier est à l’effet que Pavage a eu connaissance de l’avis de nouvelle cotisation le 24 mai 2004 et, de toute façon, Pavage était au courant du fait que l’Agence allait devoir refuser la perte agricole.

 

[34]           L’Agence ajoute que le but de l’entente est le règlement final au pénal et au civil des nombreuses cotisations de l’Agence dans le contexte de son enquête sur les agissements fiscaux du Groupe Mathers, y inclus la question relative à la perte agricole réclamée par Pavage pour son année d’imposition 1996.

 

(ii)    Le respect de l’entente

 

[35]           Sur la question soulevée par Pavage que la nouvelle cotisation du 24 mai 2004 ne respectait pas l’entente, l’Agence soutient le contraire et ajoute, qu’à tout événement, celle-ci n’a aucune pertinence à la détermination de les deux questions en litige, c’est-à-dire, la prescription et la renonciation de déposer une demande d’équité dans le cadre de ladite entente.  L’Agence prétend aussi que monsieur Kessiby a reconnu dans son affidavit que la cotisation avait été émise conformément à l’entente. 

 

[36]           Au soutien de ses prétentions l’Agence a déposé l’affidavit de Guy Léonard, enquêteur et chef d’équipe intérimaire à l’Agence sur lequel il n’a pas été contre-interrogé.  Il déclare avoir consulté des documents concernant les compagnies du Group Mathers provenant d’environ 77 boîtes qui se trouvaient à l’Agence.  Je résume les points essentiels de son affidavit.

 

[37]           L’Agence a aussi déposé un affidavit de Francine Laporte du 4 mai 2010 sur lequel elle n’a pas été contre-interrogée.

 

[38]           Guy Léonard énumère et explique tous les avis de nouvelles cotisation émises par l’Agence à l’encontre de Pavage pour son année d’imposition 1996, et notamment :

a.       Celle du 14 février 2002 qui refusait pour la première fois, entres autres, la perte agricole réclamée par Pavage; et

 

b.      Celle du 19 février 2003 qui annule celle du 14 février 2002.  Selon Guy Léonard :

Ceci avait pour but de rétablir les ajustements tel que cotisés lors de la cotisation du 7 mars 2001, c’est-à-dire au moment où la perte agricole n’avait pas été refusée, au contraire de ce que prévois le paragraphe 8 de l’entente du 25 novembre 2002, tel qu’il appert de la copie de l’entente à la pièce « A » de l’affidavit de Marcel Kessiby en date du 18 mars 2010.  [Notre soulignement]

 

 

c.       Celle du 26 mai 2004 par laquelle « l’Agence refuse à nouveau la perte agricole tel qu’il appert du rapport T99A préparé par Paul-André Drolet, le vérificateur qui a fait émettre la cotisation du 26 mai 2004.

 

[39]           Quant à la participation de Marcel Kessiby dans l’émission de l’avis de nouvelle cotisation du 26 mai 2004, Guy Léonard écrit :

Dès le mois de décembre 2003, Marcel Kessiby travaillait à l’émission d’une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 1996, avis de nouvelle cotisation qui a éventuellement été émise le 26 mai 2004 puisqu’il a préparé, en date du 14 janvier 2004, un rapport de vérification (appelé T-20) pour cette raison.  On peut lire dans ce rapport que la perte agricole sera refusée conformément à l’entente du 25 novembre 2002, tel qu’il appert dudit rapport que je joins comme pièce « 7 » de mon affidavit.  [Notre soulignement]

 

 

[40]           Au paragraphe 6 de son affidavit Guy Léonard affirme que l’avis de nouvelle cotisation du 26 mai 2004 respecte l’entente du 25 novembre 2002 en ce que (1) les parties ont toujours accepté que la perte agricole serait refusée; (2) le montant de 2 502 324 $ établi au fin de l’entente du 25 novembre 2002 ne comprenait pas l’ajustement de l’éventuelle cotisation du 26 mai 2004 selon un tableau préparé par Marcel Kessiby le ou vers le 17 mars 2003 (voir sa pièce « 11 »); (3) du 25 novembre 2002 au 10 mars 2003 l’Agence n’a pas imputé d’intérêts à la dette de Pavage conformément à l’entente du 25 novembre 2002 et à un premier amendement du 28 novembre 2002.  Cependant, le 11 mars 2003 l’Agence a choisi de cotiser les intérêts à Pavage et aux autres sociétés du Groupe Mathers sur le solde impayé conformément à un nouvel amendement en date du 20 mars 2003 puisque Pavage n’avait pas encore payé les sommes nécessaires.

 

[41]           Guy Léonard termine son affidavit en remarquant que la conciliation du 12 septembre 2007 à laquelle Marcel Kessiby réfère au paragraphe 31 de son affidavit du 28 mars 2010 était incomplète parce qu’elle ne constituait que les deux dernières pages du courriel de 13 pages que André Ruoette du centre fiscal de Shawinigan lui avait envoyé et qui à la page deux de son courriel référait de façon spécifique à la cotisation émise le 26 mai 2004 (voir la pièce « 13 » de l’affidavit de Guy Léonard).

 

VI.       Analyse

(A)       La norme de contrôle

[42]           S’appuyant sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Lanno c Canada (Agence des Douanes et du Revenu), 2005 CAF 153, Pavage soutient que la norme de contrôle sur les décisions discrétionnaires rendues en vertu des dispositions d’équité de la Loi est celle de la décision raisonnable et que, dans les circonstances de le présente cause, la décision du 2 février 2010 n’était pas raisonnable pour les raison suivantes :

 

(1)       Le décideur n’a pas tenu compte de toutes les circonstances hors du contrôle de Pavage avec résultat que cette dernière n’avait pas connaissance de l’avis de cotisation du 26 mai 2004 avant le délai de prescription.

 

(2)       Le décideur n’a pas tenu compte que l’Agence n’a pas agi avec diligence raisonnable dans les circonstances et, plus particulièrement, que c’est à cause de l’Agence que Pavage croyait avoir rencontré toutes ses obligations suite à l’entente de novembre 2002.

 

(3)       Le décideur n’a pas appliqué les lignes directrices applicables citant l’arrêt Cole c Canada (Procureur général), 2005 CF 1445.

 

[43]           L’Agence soumet que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte puisque l’enjeu du contrôle tourne sur une question de droit c’est-à-dire l’interprétation de la Loi.  L’Agence reconnaît, que normalement, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire est contrôlé d’après la norme de la raisonabilité sauf s’il s’agit d’une question d’une interprétation législative.

 

[44]           La Cour Suprême du Canada dans son arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 a modifié le droit en matière de la norme de contrôle en révision judiciaire.  J’estime que cet arrêt établit les principes suivants :

(1)       Une question de droit est contrôlée selon la norme de la décision correcte.

 

(2)       La question de savoir si un tribunal a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une façon appropriée en droit est jugé selon la norme de la décision raisonnable.

 

(3)       Une décision fondée sur une question de faits est contrôlée selon la norme de la raisonnabilité avec la nuance apportée par la Cour Suprême du Canada dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 sur l’importance de l’article 18.1(4)(d) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[45]           J’estime en l’espèce que :

a.       La question de la prescription est caduque du fait de l’arrêt Bozzer.

b.      La question de savoir si l’Agence a respecté l’entente est une question mixte de droit et de fait révisable selon la norme de la décision raisonnable.

c.       La question de savoir si le principe de la découverte s’applique est une question de fait contrôlée par la norme de la raisonnabilité.

 

(B)       Conclusions

[46]           J’ai deux questions à tranché : (1) est-ce-que l’Agence a respecté l’entente, et; (2) est-ce-que le principe de la découverte a été démontré.

 

[47]           J’estime que la première question est pertinente à la demande d’allègement de Pavage et je considère que la preuve déposée par l’Agence démontre clairement que l’avis de cotisation du 26 mai 2004 respecte l’entente.  J’énumère cette preuve :

a.       Le but de l’avis de cotisation du 26 mai 2004 visait le refus de la perte agricole.  L’entente est claire sur ce point.

b.      Marcel Keesiby reconnaît que la nouvelle cotisation du 24 mai 2004 devait être émise et que l’effet de celle-ci était de créer une dette payable par Pavage de 341 805 $ et aussi que des intérêts seraient exigibles (Voir son contre-interrogatoire cité par l’Agence au dossier du défendeur au paragraphe 28(e), page 243).

c.       L’Agence n’a pas imputé d’intérêts à la dette de Pavage conformément à l’entente du 25 novembre 2002 et à son premier amendement mais cependant le 11 mars 2003 elle a choisi de cotiser les intérêts de Pavage et aux autres sociétés du Groupe Mathers sur le solde impayé conformément à la modification du 20 mars 2003 (Affidavit de Guy Léonard, au paragraphe 6).

d.      Le montant de 2 502 324 $ établi aux fins de l’entente du 25 novembre 2002 pour la dette du Groupe Mathers ne comprenait pas l’ajustement de l’éventuelle cotisation du 26 mai 2004 tel qu’il appert dans un tableau préparé par Marcel Kessiby le ou vers le 17 mars 2003 (Affidavit de Guy Léonard, dossier des défendeurs, page 26, paragraphe e).

 

[48]           Quant à la question de savoir si le principe de la découverte pourrait bénéficier Pavage, je conviens avec le procureur de l’Agence que Pavage avait suffisamment connaissance de l’émission de l’avis de cotisation du 26 mai 2004 pour lui permettre d’agir en demandant un allègement sujet à la question du renoncement.  Cette connaissance découle de plusieurs documents que l’Agence a fait parvenir à Pavage, toujours à la même adresse au 400 rue Hector Lanthier, St. Eustache, Québec.  Il n’est pas nié par Pavage que ces documents on été reçus.

 

[49]           Dans son mémoire de faits et de droit, le procureur de l’Agence énumère cette documentation au paragraphe 11, page 233 à 236.  A mon avis, les documents les plus éloquents se trouvent aux pièces suivantes de l’affidavit de Francine Laporte : (1) pièce « B », page 11 en date du 30 décembre 2004, (2) pièce « C », page 16, et; (3) pièce « D », page 22 du dossier du défendeur ainsi que la pièce 10 de l’affidavit de Guy Léonard au dossier du défendeur, à la page 85.

 

[50]           Pour ces motifs le contrôle judiciaire doit être rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que cette demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

“François Lemieux”

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-260-10

 

INTITULÉ :                                       PAVAGE ST-EUSTACHE LTÉE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                              LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 21 août 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Lise Gagnon

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Louis Sébastien

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pateras & Lezzoni Inc.

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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