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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110908


Dossier : IMM-815-11

Référence : 2011 CF 1056

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

Demandeur

 

et

 

 

 

HARJINDER SINGH SIDHU

 

 

 

Défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 22 décembre 2010, qui a fait droit à l’appel que le défendeur, invoquant des considérations humanitaires, avait formé contre la décision d’un agent des visas selon laquelle il n’était pas admissible à un titre de voyage, parce qu’il n’avait pas respecté l’obligation de résidence imposée aux résidents permanents par l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Le défendeur n’avait été présent au Canada que durant 26 jours au cours des cinq années antérieures, au lieu du minimum de 730 jours requis pour le maintien de son statut de résident permanent.

LES FAITS

Le contexte

[2]               Le défendeur est Indien. Le 15 septembre 1995, lui, son épouse et deux de ses trois enfants sont arrivés au Canada en qualité de résidents permanents. Ils avaient été parrainés par le troisième enfant du défendeur, qui était déjà résident permanent au Canada.

[3]               La carte de résident permanent du défendeur a expiré le 16 février 2009, alors qu’il était en Inde. Le 31 décembre 2009, le défendeur a prié un bureau des visas en Inde de lui délivrer un titre de voyage attestant son statut de résident permanent pour qu’il puisse retourner au Canada. Selon l’article 31 de la Loi, un agent des visas devait, avant de délivrer le titre de voyage, être convaincu que, entre autres choses, le requérant s’était conformé à l’obligation de résidence énoncée dans l’article 28 de la Loi.

[4]               Le 20 janvier 2010, un agent des visas a informé le demandeur que sa demande visant à conserver son statut de résident permanent et à se voir délivrer un titre de voyage était rejetée, parce qu’il ne s’était pas conformé à l’obligation de résidence énoncée dans l’article 28 de la Loi.

[5]               L’agent des visas a déclaré que le défendeur s’était vu délivrer la dernière fois une carte de résident permanent en 2004, date à laquelle il remplissait l’obligation de résidence. Il ajoutait que, depuis lors, le défendeur n’avait passé que 26 jours au Canada. L’article 28 de la Loi prévoit qu’un résident permanent doit passer 730 jours (c’est-à-dire deux ans) au Canada pour remplir l’obligation de résidence. L’agent des visas a conclu que le demandeur ne s’était pas conformé à cette obligation.

[6]               L’agent des visas s’est demandé si des considérations humanitaires devraient le conduire à modifier sa décision. Il a considéré notamment la déclaration du défendeur selon laquelle il s’était rendu en Inde pour s’occuper de l’entreprise familiale et de la famille de son frère. Le père du défendeur était décédé en 1998, et son frère en 1996. L’agent des visas a pris note des lacunes suivantes dans la demande de prise en compte de considérations humanitaires déposée par le défendeur :

a)      il n’avait pas précisé lesquels des membres de la famille de son frère décédé il devait soutenir;

b)      il n’avait pas indiqué le genre de soutien qu’il avait apporté. L’agent a relevé que le défendeur avait deux autres frères qui vivaient en Inde et qu’il n’avait pas précisé si eux-mêmes apportaient leur soutien et, dans la négative, pour quelle raison;

c)      il n’avait pas mentionné combien de temps il entendait apporter son soutien;

d)      il n’avait pas expliqué pourquoi les décès, qui étaient survenus 10 ans auparavant, étaient encore pertinents au point de requérir sa présence. Il n’avait pas apporté la preuve de tentatives qu’il avait faites pour se défaire de l’entreprise en Inde ou pour organiser la prise en charge de la famille de son frère décédé en prévision de son retour au Canada;

e)      il n’avait pas expliqué en quoi le fait de vivre séparément de son épouse et de trois enfants adultes au Canada entraînerait des difficultés excessives pour lui-même et pour sa famille, vu que, au cours des cinq années antérieures, il n’avait passé que 25 jours au Canada.

[7]               La lettre de l’agent des visas informait le défendeur qu’il aurait droit à un titre de voyage pour retourner au Canada s’il faisait appel devant la Commission de sa décision touchant l’obligation de résidence et s’il avait été présent au Canada durant au moins un jour au cours des 365 jours précédant le dépôt de l’appel. À la date de la lettre, le 20 janvier 2010, le défendeur remplissait ces conditions puisqu’il avait été présent la dernière fois au Canada du 16 janvier au 3 février 2009.

[8]               Le défendeur a déposé son appel devant la Commission le 18 mars 2010. À cette date, il n’était plus admissible à un titre de voyage, parce qu’il n’avait pas été présent au Canada durant un jour au cours des 12 mois antérieurs.

[9]               Le 19 mai 2010, l’épouse du défendeur a demandé à parrainer la demande de visa de résident permanent déposée par le défendeur. La demande de parrainage fut laissée en suspens par Citoyenneté et Immigration Canada jusqu’à ce que la Commission se prononce sur l’appel du défendeur et dise s’il était encore ou non un résident permanent.

La décision faisant l’objet du contrôle

[10]           Dans sa décision, la Commission écrivait que le seul point à décider était de savoir si elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et accorder au défendeur, en raison de considérations humanitaires, des mesures spéciales relativement à la décision de l’agent des visas. Toutes les parties reconnaissaient en effet que l’agent des visas n’avait pas commis d’erreur dans sa conclusion touchant l’obligation de résidence. La Commission a estimé qu’elle devrait prendre des mesures spéciales :

¶5.       Il est fait droit à l’appel. Le tribunal est d’avis qu’il y a eu, compte tenu de l’intérêt supérieur d’un enfant touché par la décision, des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

[11]           La Commission a exposé les facteurs dont elle tiendrait compte pour l’exercice de son pouvoir discrétionnaire :

[…] [L]’ampleur du manquement à l’obligation, les motifs expliquant le départ du Canada et le séjour à l’étranger, le degré d’établissement de l’appelant au Canada, les relations que l’appelant a avec les membres de sa famille au Canada, les efforts que l’appelant a déployés en temps opportun pour revenir au Canada, le préjudice ou les bouleversements que subirait l’appelant s’il ne pouvait pas revenir au Canada, et toute autre circonstance spéciale qui pourrait justifier la prise de mesures spéciales. Il est impératif d’examiner l’intérêt supérieur de tout enfant directement touché par la décision du tribunal[1].

Le niveau de conformité

[12]           La Commission écrivait que le premier facteur, à savoir le niveau de conformité, n’était pas un facteur qui militait en faveur du défendeur, parce que son niveau de conformité n’était « pas tout à fait zéro, mais presque ».

Les motifs du départ et du séjour à l’étranger

[13]           La Commission a validé le témoignage du défendeur selon lequel le motif de son absence était qu’il devait s’occuper de sa nièce et de son neveu, après le décès de son frère et leur abandon par leur mère, et prendre les rênes de l’entreprise familiale après le décès de son père. Elle a reconnu que le défendeur se sentait tenu de s’occuper de sa nièce et de son neveu jusqu’à leur mariage. Il avait ensuite procédé à la liquidation de l’entreprise familiale. La Commission a accepté le témoignage du défendeur qui affirmait s’être défait de ses parts dans l’entreprise familiale de transport en mars 2009, juste avant de présenter sa demande de titre de voyage en décembre. La Commission expliquait qu’elle acceptait ce témoignage parce qu’elle n’avait aucune raison de le mettre en doute :

¶10.     […] Cela signifie que je n’ai aucun élément sur lequel je pourrais me fonder pour affirmer que le témoignage de l’appelant n’est pas crédible sur ce point. Le tribunal ne peut pas simplement affirmer que l’appelant a menti sur ce point dans le but de plaider sa cause, car le tribunal se fonderait ainsi sur des conjectures.

[14]           La Commission a rejeté l’argument du demandeur selon lequel l’absence de preuve documentaire du défendeur aurait dû la conduire à se montrer sceptique. Elle a reconnu qu’il n’existait aucune preuve documentaire de l’existence de l’entreprise familiale de transport, ni aucune preuve des biens familiaux que le défendeur prétendait avoir distribués parmi les membres de sa famille, ni aucun certificat attestant les décès du père et du frère du défendeur. Elle a relevé que le défendeur avait été interrogé par le demandeur sur l’absence de ces éléments de preuve. Elle a jugé cependant qu’une preuve documentaire n’était pas nécessaire, parce que (1) l’existence de l’entreprise familiale ou de biens familiaux n’intéressait pas l’issue de l’affaire, puisque « l’appelant serait dans la même situation s’il avait toujours ces engagements en Inde […] », et (2) l’absence de certificats de décès était sans importance, puisque nul n’avait contesté le fait que son frère et son père étaient décédés quand il avait dit qu’ils étaient décédés.

[15]           La Commission écrivait que la preuve produite par le défendeur concernant l’entreprise familiale « diff[érait] quelque peu », parce que sa demande de titre de voyage mentionnait qu’il « g[érait] » l’entreprise familiale et qu’il devait donc « reste[r] en Inde plus longtemps », alors que, selon son témoignage, il était administrateur de l’entreprise et y détenait des actions, de telle sorte que, lorsqu’il s’était défait de ses actions, il était à même de quitter l’Inde sans se soucier de l’entreprise. La Commission a accepté les raisons données par le défendeur pour expliquer cette contradiction : un intermédiaire avait établi le titre de voyage et le défendeur l’avait signé sans le lire. La Commission a accepté cette explication, parce que, selon elle, l’indication figurant dans le titre de voyage allait à l’encontre des intérêts du défendeur et qu’il était « évident qu’elle [étai]t inexacte ».

Le degré d’établissement au Canada

[16]           Selon la Commission, la preuve produite montrait que le seul lien du défendeur avec le Canada était le fait que sa famille vit ici. Elle écrivait que, hormis ses liens familiaux, il « n’a pas d’autres biens au pays ». La Commission a estimé cependant que « l’établissement au Canada » est étroitement rattaché à des liens familiaux.

Les liens familiaux au Canada

[17]           La Commission a constaté que toute la famille immédiate du défendeur – son épouse, quatre enfants et cinq ou six petits-enfants – vit en Alberta. Selon elle, c’était là un point très important :

¶25.     J’estime que les éléments de preuve concernant les liens avec sa famille au Canada ont beaucoup de poids, et ceux-ci constituent l’un des facteurs qui m’ont amené à faire droit à l’appel. J’estime aussi que les éléments de preuve en général soutiennent ma conclusion selon laquelle la séparation de l’appelant de sa famille bouleverse véritablement la famille.

Les efforts déployés en temps opportun pour revenir au pays

[18]           S’agissant des efforts déployés par le défendeur pour revenir au Canada, la Commission a constaté que son seul effort avait été fait en décembre 2009, ce qui « représente un très grand délai et semble inopportun ». Elle a cependant excusé la tardiveté de cet effort, car elle s’accordait avec les raisons données par le défendeur pour justifier son absence du Canada. Selon elle, le temps opportun des efforts était donc « après tout un facteur neutre ».

Le préjudice ou les bouleversements

[19]           La Commission a estimé que le préjudice ou les bouleversements que le défendeur connaîtrait s’il était empêché de retourner au Canada étaient un autre « facteur déterminant » qui militait en sa faveur. Elle a trouvé que le défendeur souffrait en Inde, loin de son épouse et de ses enfants :

¶27.     […] L’appelant est complètement seul en Inde; je l’ai perçu dans sa voix. Il a peut-être près de lui, géographiquement, des frères et des sœurs et leurs familles, mais cela ne remplace pas son épouse, ses enfants et ses petits‑enfants. Il approche de la soixantaine et la séparation représente une difficulté extrême pour lui, à mon avis.

[20]           La Commission a conclu que, dans le dossier du défendeur, les considérations d’équité lui commandaient de le laisser revenir au Canada :

¶29.     […] Cet homme a fait tout ce qu’il pouvait pour s’occuper de sa famille en Inde, et il est maintenant temps pour lui de retrouver sa famille immédiate ici au Canada.

 

L’intérêt supérieur des enfants

[21]           La Commission s’est demandé si un préjudice serait causé à l’égard de l’intérêt des petits‑enfants du défendeur. Elle a conclu que l’existence de possibles difficultés n’avait pas été établie, et qu’il n’existait aucune raison non plus de dire qu’il serait dans leur intérêt de laisser le défendeur revenir au Canada.

La conclusion

[22]           La Commission a conclu que le défendeur s’était acquitté de son obligation d’établir, selon la prépondérance des probabilités, le bien-fondé de ses affirmations : il avait montré l’existence d’un nombre suffisant de considérations humanitaires pour justifier la prise de mesures spéciales.

[23]           La Commission a souligné que le défendeur pourrait probablement être parrainé par sa famille pour venir au Canada, mais que ce n’était pas un facteur qui l’avait conduite à faire droit à l’appel.

LES DISPOSITIONS APPLICABLES

[24]          

 

 
Le paragraphe 28(1) de la Loi établit une obligation de résidence à laquelle doivent satisfaire les résidents permanents s’ils veulent conserver ce statut :

 (1) L’obligation de résidence est applicable à chaque période quinquennale.

 

 

(2) Les dispositions suivantes régissent l’obligation de résidence :

 

a) le résident permanent se conforme à l’obligation dès lors que, pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale, selon le cas :

 

(i) il est effectivement présent au Canada,

 

 

[…]

 

c) le constat par l’agent que des circonstances d’ordre humanitaire relatives au résident permanent — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — justifient le maintien du statut rend inopposable l’inobservation de l’obligation précédant le contrôle.

 (1) A permanent resident must comply with a residency obligation with respect to every five-year period.

 

(2) The following provisions govern the residency obligation under subsection (1):

 

(a) a permanent resident complies with the residency obligation with respect to a five-year period if, on each of a total of at least 730 days in that five-year period, they are

 

(i) physically present in Canada,

 

 

(c) a determination by an officer that humanitarian and compassionate considerations relating to a permanent resident, taking into account the best interests of a child directly affected by the determination, justify the retention of permanent resident status overcomes any breach of the residency obligation prior to the determination.

 

 

[25]           L’alinéa 31(3)c) de la Loi fixe les conditions de délivrance d’un titre de voyage à un résident permanent qui se trouve hors du Canada :

 (3) Il est remis un titre de voyage au résident permanent qui se trouve hors du Canada et qui n’est pas muni de l’attestation de statut de résident permanent sur preuve, à la suite d’un contrôle, que, selon le cas :

a) il remplit l’obligation de résidence;

b) il est constaté que l’alinéa 28(2)c) lui est applicable;

c) il a été effectivement présent au Canada au moins une fois au cours des 365 jours précédant le contrôle et, soit il a interjeté appel au titre du paragraphe 63(4) et celui-ci n’a pas été tranché en dernier ressort, soit le délai d’appel n’est pas expiré.

 

31. (3) A permanent resident outside Canada who is not in possession of a status document indicating permanent resident status shall, following an examination, be issued a travel document if an officer is satisfied that

(a) they comply with the residency obligation under section 28;

(b) an officer has made the determination referred to in paragraph 28(2)(c); or

(c) they were physically present in Canada at least once within the 365 days before the examination and they have made an appeal under subsection 63(4) that has not been finally determined or the period for making such an appeal has not yet expired.

 

[26]           L’alinéa 46(1)b) de la Loi dispose qu’un résident permanent perd son statut dès lors que le constat du manquement à son obligation de résidence est confirmé en dernier ressort :

 (1) Emportent perte du statut de résident permanent les faits suivants :

a) l’obtention de la citoyenneté canadienne;

b) la confirmation en dernier ressort du constat, hors du Canada, de manquement à l’obligation de résidence;

c) la prise d’effet de la mesure de renvoi;

d) l’annulation en dernier ressort de la décision ayant accueilli la demande d’asile ou celle d’accorder la demande de protection.

 

 (1) A person loses permanent resident status

(a) when they become a Canadian citizen;

(b) on a final determination of a decision made outside of Canada that they have failed to comply with the residency obligation under section 28;

(c) when a removal order made against them comes into force; or

(d) on a final determination under section 109 to vacate a decision to allow their claim for refugee protection or a final determination under subsection 114(3) to vacate a decision to allow their application for protection.

 

 

[27]           Le paragraphe 63(4) de la Loi dispose que la Commission est compétente pour déterminer si un résident permanent s’est conformé à son obligation de résidence :

(4) Le résident permanent peut interjeter appel de la décision rendue hors du Canada sur l’obligation de résidence.

 

(4) A permanent resident may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision made outside of Canada on the residency obligation under section 28.

 

[28]           L’article 67 de la Loi fixe les conditions auxquelles la Commission peut faire droit à l’appel formé par un résident permanent contre la décision d’un agent des visas :

 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[29]           Le demandeur soumet les questions suivantes :

a)      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en faisant reposer sur le ministre l’obligation de démontrer la nécessité d’une preuve corroborante?

b)      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en n’examinant pas la question de savoir si la preuve produite par le défendeur était une preuve intéressée?

c)      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en rendant une décision non appuyée par la preuve?

d)      La Commission a-t-elle commis une erreur et rendu une décision déraisonnable parce qu’elle ne s’est pas demandé si la preuve produite par le défendeur était une preuve intéressée, qu’elle n’a pas bien apprécié la preuve, qu’elle a laissé de côté certains éléments de preuve et qu’elle a conclu qu’une preuve documentaire était sans importance pour l’affaire dont elle était saisie?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[30]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada écrivait, au paragraphe 62, que la première étape d’une analyse relative à la norme de contrôle consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » : voir aussi l’arrêt Khosa c. Canada (MCI), 2009 CSC 12, le juge Binnie, au paragraphe 53.

[31]           Les erreurs de droit faites par la Commission dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire doivent être contrôlées d’après la norme de la décision raisonnable : Iamkhong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 355.

[32]           Mais la manière dont la Commission a apprécié la preuve au regard du droit – c’est-à-dire la manière dont elle a exercé son pouvoir discrétionnaire – doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable : arrêt Khosa, précité, aux paragraphes 57 à 60.

[33]           Examinant la décision de la Commission d’après la norme de la décision raisonnable, la Cour s’attachera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59.

ANALYSE

Première question : La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en faisant reposer sur le ministre l’obligation de démontrer la nécessité d’une preuve corroborante?

[34]           Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur de droit en affirmant que, parce que les décès du frère et du père du défendeur n’avaient pas été contestés, ils étaient dès lors avérés. Le demandeur soutient que cela équivalait à déplacer la charge de la preuve d’une manière qui l’obligeait à contester la réalité des décès, alors que c’est au défendeur qu’il appartenait de prouver le bien-fondé de ses affirmations.

[35]           La Cour ne partage pas la manière dont le demandeur considère les motifs de la Commission. La Commission savait qu’il revenait toujours au défendeur d’établir, selon la prépondérance des probabilités, le bien-fondé de ses affirmations, et c’est ce qu’elle dit dans sa conclusion, au paragraphe 31, quand elle affirme que, « selon la prépondérance des probabilités, l’appelant s’est acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait en l’espèce ».

[36]           Le point de savoir si la Commission a validement procédé à l’appréciation de la preuve qui lui a été soumise est examiné ci-après, à la quatrième question.

Deuxième question : La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en n’examinant pas la question de savoir si la preuve produite par le défendeur était une preuve intéressée?

[37]           Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur en n’exerçant pas sa compétence d’apprécier la crédibilité de la preuve du défendeur lorsqu’elle a conclu qu’elle ne pouvait la mettre en doute du seul fait que c’était une preuve intéressée, et cela parce qu’elle en serait alors réduite aux conjectures.

[38]           Encore une fois, la Cour ne partage pas la manière dont le demandeur interprète la décision de la Commission. La Commission ne s’est pas dispensée de son obligation juridique d’apprécier et de déterminer la crédibilité de la preuve du défendeur. Selon la Cour, la Commission comprenait cette obligation, mais a estimé qu’il n’existait aucun fondement, autre que des hypothèses, qui lui permettrait de mettre en doute la crédibilité de la preuve du défendeur. Là encore, j’examinerai ci‑après, à la quatrième question, si cette conclusion était ou non raisonnable.

Troisième question : La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en rendant une décision non appuyée par la preuve?

[39]           D’après le demandeur, la Commission s’est également abstenue d’exercer sa compétence quand elle a conclu que le défendeur n’avait pas à produire une preuve documentaire attestant que sa nièce et son neveu avaient été abandonnés, parce qu’un tel abandon ne serait pas constaté par des pièces écrites. Le demandeur soutient que la Commission s’est abstenue de considérer d’autres éléments de preuve que le défendeur aurait pu facilement se procurer — par exemple, le témoignage de l’un des enfants maintenant adultes, dont l’un vit au Canada.

[40]           Il affirme aussi que la Commission a commis une erreur de droit quand elle a dit que l’absence d’une preuve documentaire du défendeur confirmant son rôle dans la société de transport, en dépit surtout des contradictions de son témoignage, était sans importance pour l’issue de l’affaire. Il soutient que la Commission avait l’obligation juridique d’obtenir des éléments de preuve documentaire corroborants. Il ajoute que la Commission a commis une erreur en disant que ces éléments de preuve étaient sans importance, parce qu’ils intéressent les raisons données par le défendeur pour expliquer sa décision de ne pas tenter de revenir plus tôt au Canada.

[41]           La Cour croit que la Commission n’a pas omis d’exercer sa compétence. La Commission a considéré la preuve et tiré des conclusions qui l’ont conduite à décider comme elle l’a fait. La question énoncée ci-dessus est de savoir si la manière dont la Commission a apprécié la preuve était raisonnable. J’examine cet aspect ci-après.

Quatrième question : La Commission a-t-elle commis une erreur et rendu une décision déraisonnable parce qu’elle ne s’est pas demandé si la preuve produite par le défendeur était une preuve intéressée, qu’elle n’a pas bien apprécié la preuve, qu’elle a laissé de côté certains éléments de preuve et qu’elle a conclu qu’une preuve documentaire était sans importance pour l’affaire dont elle était saisie?

[42]           Selon le demandeur, la Commission a fondé sa décision sur une appréciation sélective des éléments de preuve qui étaient favorables au défendeur, sans tenir compte des autres éléments de preuve et sans expliquer pourquoi elle n’en avait pas tenu compte. Le demandeur soutient aussi que la Commission a laissé de côté des éléments de preuve et négligé d’importants facteurs à prendre en compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Le demandeur affirme notamment que la Commission a commis les erreurs suivantes :

a)      La Commission a commis une erreur en concluant que le degré d’établissement du défendeur au Canada était un facteur neutre à cause de ses liens familiaux. Comme la Commission elle-même l’a dit, les liens familiaux doivent être considérés séparément du degré d’établissement au Canada. La Commission a conclu que le défendeur n’avait pas d’établissement au Canada.

b)      La Commission a commis une erreur en concluant que la séparation de la famille avait été source de difficultés considérables, car aucune preuve ne permettait d’arriver à cette conclusion. La seule preuve produite était que le défendeur avait vécu continûment en Inde durant la période pertinente, à l’exception de deux brèves visites au Canada, et que son épouse et son fils étaient allés le rejoindre en Inde à un certain moment. La période durant laquelle ils avaient vécu ensemble n’a pas été établie, non plus que l’existence de difficultés. Le défendeur n’a pas témoigné que des difficultés avaient surgi par le passé. Sa famille au Canada est bien établie et travaille. Il n’a pas été prouvé qu’il avait fait des efforts pour venir au Canada visiter sa famille ou lui apporter un soutien, et il n’a pas été prouvé non plus qu’il avait fait des efforts pour revenir au Canada.

c)      La Commission a commis une erreur en concluant, sans autres explications, que l’absence d’efforts déployés par le défendeur pour revenir au Canada était un facteur neutre. La Commission disait qu’elle était arrivée à cette conclusion après que le défendeur eut expliqué les raisons pour lesquelles il était resté en Inde, mais, en réalité, il se trouve que sa nièce et son neveu s’étaient tous deux mariés en février 2008; or, le défendeur a attendu décembre 2009 pour tenter de revenir au Canada. Par ailleurs, la nièce et le neveu étaient âgés de 18 et 19 ans en 2004, de sorte qu’ils n’avaient pas besoin de leur oncle comme cela avait pu être le cas quand ils étaient de jeunes enfants. La Commission n’a pas non plus considéré que le défendeur n’avait pas sollicité le renouvellement de sa carte de résident permanent avant qu’elle n’expire, ni qu’il avait attendu 10 mois après son expiration pour demander un titre de voyage. La Commission a aussi laissé de côté le fait que le défendeur n’avait pas déposé son appel devant la Commission à temps pour obtenir un titre de voyage et ainsi pouvoir revenir au Canada pour l’examen de son cas et obtenir une carte de résident permanent d’une durée d’un an.

d)      La Commission a commis une erreur en acceptant sans plus les raisons données par le défendeur pour expliquer les divergences entre sa demande de titre de voyage et son témoignage concernant son rôle dans sa société. Il avait signé la déclaration figurant dans la demande de titre de voyage et il n’aurait pas dû être affranchi de ce qui était écrit dans sa demande du seul fait qu’il s’était dispensé de la lire correctement.

[43]           La Cour partage l’avis du demandeur. En l’espèce, la décision de la Commission était déraisonnable. Exerçant son pouvoir discrétionnaire, la Commission a déclaré qu’elle avait considéré les sept facteurs suivants, inspirés des facteurs exposés dans une autre décision de la Commission, Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (20 août 1985), Doc. S.A.I. T84-9623 (Commission d’appel de l’immigration), et confirmés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3, aux paragraphes 40 et 41 et au paragraphe 77 :

a)      le niveau de conformité du défendeur à son obligation de résidence;

b)      les raisons qu’avait le défendeur de partir;

c)      le degré d’établissement du défendeur au Canada;

d)      les liens familiaux du défendeur au Canada;

e)      le degré de difficulté que connaîtrait le défendeur s’il était empêché de revenir au Canada;

f)        l’intérêt supérieur des petits-enfants du défendeur.

[44]           Les facteurs Ribic ont été établis dans le contexte de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire après qu’une mesure d’expulsion avait été prononcée, et ils se présentent donc différemment dans l’affaire Chieu, mais l’adaptation qu’en a faite la Commission dans la présente cause était sensée : voir, pour des exemples semblables, la décision Tai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 248, aux paragraphes 36 et 47, et la décision Shaath c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 731, au paragraphe 20.

[45]           La Commission a estimé que le niveau de conformité du défendeur à l’obligation de résidence et le temps opportun des efforts en vue d’un retour au Canada étaient tous deux manifestement des facteurs qui militaient contre le défendeur. Le défendeur avait presque entièrement négligé de se conformer à l’obligation de résidence et n’avait commencé à faire des efforts pour revenir au Canada que bien après l’expiration de sa carte de résident permanent. La Cour souscrit à la conclusion de la Commission.

[46]           Elle souscrit aussi à la conclusion de la Commission selon laquelle le défendeur a des liens familiaux solides au Canada.

[47]           Elle partage cependant l’avis du demandeur pour qui les conclusions restantes de la Commission sont déraisonnables.

[48]           D’abord, la Commission a accepté les raisons données par le défendeur pour expliquer son départ du Canada en 1995 (après seulement deux mois), c’est-à-dire le fait qu’il devait liquider l’entreprise familiale après le décès de son père et s’occuper des deux enfants abandonnés de son frère décédé. Le défendeur n’avait aucun document susceptible d’appuyer ces explications. En outre, la Commission a passé sous silence le fait que le frère et le père du défendeur étaient décédés plus de dix ans avant qu’il ne tente de revenir au Canada, et le fait que le défendeur n’avait pas précisé les efforts qu’il avait déployés pour céder son entreprise ou transférer ses responsabilités familiales à ce moment-là. Par ailleurs, la Commission ne s’est pas intéressée au fait que le défendeur a deux frères qui vivent en Inde et qui, sans doute, auraient pu assumer une part des responsabilités du défendeur. D’ailleurs, les deux enfants étaient adultes en 2004 et un proche parent autre que le défendeur aurait pu s’occuper d’eux. Il n’y a aucune raison pour que le défendeur ait attendu jusqu’au 31 décembre 2009 pour solliciter le droit de revenir au Canada. Il est loisible à la Commission de statuer en faveur du défendeur, mais elle a l’obligation de considérer l’ensemble de la preuve. En l’espèce, elle a laissé de côté des éléments de preuve pertinents. La Cour ne peut souscrire à la conclusion de la Commission lorsqu’elle conclut que les raisons qu’avait le défendeur de quitter le Canada et de ne pas y revenir constituent des facteurs qui militent en sa faveur.

[49]           Deuxièmement, la Commission a estimé que le degré d’établissement du défendeur au Canada était un facteur neutre, après avoir conclu qu’il n’existait absolument aucune preuve d’un quelconque établissement du défendeur au Canada. Cette conclusion était elle aussi déraisonnable. Faute d’une preuve d’établissement, ce facteur aurait dû militer contre le défendeur.

[50]           Finalement, la Commission a conclu que le défendeur et sa famille connaîtraient de graves difficultés si la demande de titre de voyage présentée par le défendeur était rejetée. Comme indiqué plus haut, la Commission s’exprimait ainsi, au paragraphe 27 de ses motifs :

[…] L’appelant est complètement seul en Inde; je l’ai perçu dans sa voix. Il a peut-être près de lui, géographiquement, des frères et des sœurs et leurs familles, mais cela ne remplace pas son épouse, ses enfants et ses petits‑enfants. Il approche de la soixantaine et la séparation représente une difficulté extrême pour lui, à mon avis.

Là encore, la Cour croit que, quand bien même serait-il loisible à la Commission d’arriver à une telle conclusion, celle‑ci a l’obligation de considérer l’ensemble de la preuve. En l’espèce, la preuve montre que le défendeur n’a été présent au Canada que durant 26 jours au cours des cinq années allant de 2004 à 2009. Il a été établi au cours des témoignages que son épouse et l’un de ses fils avaient vécu avec lui en Inde à un certain moment au cours des 15 dernières années et que des membres de sa famille étaient allés le visiter en Inde, mais les dates de telles visites n’ont pas été précisées, non plus que leur durée. La preuve donne donc à penser que la famille a pu sans difficulté se passer de la présence du défendeur et qu’elle est en mesure de le visiter en Inde. Par ailleurs, le défendeur vit séparément de son épouse et de sa famille au Canada depuis 1995 – c’est-à-dire depuis 15 ans. Avant de préférer la preuve du défendeur selon laquelle il connaîtrait d’extrêmes difficultés, la Commission avait l’obligation de la confronter avec cette preuve contraire.

CONCLUSION

[51]           La Cour juge que, au vu de la preuve, la Commission a rendu une décision déraisonnable, qui ne présente pas le niveau requis de transparence, de justification et d’intelligibilité. L’affaire est donc renvoyée à un nouveau tribunal de la Commission, pour nouvelle décision.

[52]           Aucune question n’est certifiée.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.         La décision de la SAI de la Commission datée du 22 décembre 2010 est annulée, et l’appel interjeté par le défendeur devant la SAI est renvoyé à un autre tribunal de la SAI, pour nouvelle décision.

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-815-11

 

 

INTITULÉ :                                       MCI. c. Harjinder Singh Sidhu

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 août 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE KELEN

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 septembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Caroline Christiaens

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Harjinder Sigh Sidhu

POUR SON PROPRE COMPTE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Harjinder Singh Sidhu

Abbotsford (Colombie‑Britannique)

POUR SON PROPRE COMPTE

 

 

 



[1] Alinéa 67(1)c) de la Loi.

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