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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110902


Dossier : IMM-6501-10

Référence : 2011 CF 1026

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Beaudry

ENTRE :

 

ENRIQUE PUPKO MAIZEL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 26 (la LIPR), d’une décision datée du 22 juillet 2010 par laquelle un agent d’immigration (l’agent) a refusé une demande de résidence permanente à titre de travailleur qualifié (fédéral) – directeur financier (CNP 0111).

 

[2]               La demande sera accueillie pour les motifs exposés ci‑dessous.

Faits

[3]               Le demandeur est citoyen du Mexique. Il habite à Mexico, mais passe beaucoup de temps à Toronto en tant que visiteur, investisseur et homme d’affaires.

 

[4]               Depuis juillet 1997, il occupe le poste de directeur général /directeur des finances au sein de la société Procables de Mexico (Procables), établie à Mexico.

 

[5]               Il a demandé la résidence permanente au Canada à titre de travailleur qualifié (fédéral) – directeur financier (CNP 0111) le 19 octobre 2009. Conformément aux instructions ministérielles, un agent à Mexico a examiné la demande afin de déterminer si elle pouvait être traitée.

 

[6]               Les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) révèlent que l’agent n’était pas satisfait de la preuve présentée par le demandeur pour établir qu’il exerce les fonctions ou la profession de directeur financier à temps plein. Les notes du STIDI montrent aussi que le demandeur n’a fourni aucune preuve que la société Procables l’a inscrit auprès de l’Institut mexicain de la sécurité sociale comme directeur financier de l’entreprise.

 

[7]               Une lettre datée du 22 juillet 2010 a été envoyée au demandeur pour l’informer que, aux termes des instructions ministérielles, il n’était pas admissible à titre de directeur financier (CNP 0111).

 

[8]               Le 17 septembre 2010, il a déposé une demande de nouvel examen de la décision de l’agent, laquelle a été refusée le 20 septembre 2010.

 

[9]               Le demandeur connaît du succès en affaires au Mexique et collabore actuellement avec un groupe de partenaires commerciaux en vue d’ouvrir un restaurant de type café‑boulangerie à Toronto.

 

Questions en litige

[10]           Les questions à trancher en l’espèce sont les suivantes :

a.       L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que le demandeur tentait de se soustraire à la catégorie des investisseurs ou des entrepreneurs?

b.      L’agent a‑t‑il fait montre de partialité à l’encontre du demandeur?

c.       L’agent a‑t‑il commis une erreur en ne donnant pas au demandeur la possibilité de répondre aux doutes touchant à son admissibilité comme travailleur qualifié?

d.      L’agent a‑t‑il commis une erreur de fait et de droit lorsqu’il a conclu que la demande n’était pas recevable au titre de la catégorie 0111 de la CNP?

 

Norme de contrôle

[11]           Le demandeur fait valoir que les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit commandent la retenue et doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable, tandis que la norme de contrôle applicable aux questions de droit est généralement la décision correcte. Quant aux questions d’équité procédurale, le demandeur soutient qu’elles ne commandent aucune retenue et doivent donc être examinées selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

[12]           Le défendeur déclare que la norme de la décision raisonnable s’applique généralement à l’appréciation d’une demande d’un travailleur qualifié par un agent (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 45, 47 à 49 et 53; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 62). Il invoque également Kniazeva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 336.

 

[13]           La Cour entend donc examiner les trois premières questions selon la norme de la décision raisonnable et la quatrième, selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 47 et 50).

 

a. L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que le demandeur tentait de se soustraire à la catégorie des investisseurs ou des entrepreneurs?

Arguments du demandeur

[14]           Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en affirmant qu’il tentait de se soustraire à la catégorie des investisseurs ou des entrepreneurs. Il se réfère aux notes du STIDI : [traduction] « L’INTÉRESSÉ SEMBLE VOULOIR SE SOUSTRAIRE À LA CATÉGORIE DES INVESTISSEURS OU DES ENTREPRENEURS » (pièce L de l’affidavit de Candace Rose Salmon, onglet 4 du dossier de la demande du demandeur, page 437).

 

[15]           Le demandeur insiste que l’agent a établi un lien entre, d’une part, le fait qu’il est actionnaire de l’entreprise et détenteur d’actifs considérables qu’il peut utiliser pour s’établir au Canada et, d’autre part, la possibilité qu’il tente d’immigrer au titre d’une catégorie autre que celle des gens d’affaires. En conséquence, le demandeur affirme que l’agent a tenu compte de renseignements extrinsèques pour juger de la recevabilité de sa demande.

 

[16]           Il maintient que l’allusion à une tentative, de sa part, de se soustraire à la catégorie des gens d’affaires est sans fondement, car le droit de l’immigration, la politique applicable et la common law l’autorisent à soumettre sa demande dans la catégorie qui correspond le mieux à ses intérêts et à son expérience (Olajuwon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 967).

 

Arguments du défendeur

[17]           Le défendeur affirme que le demandeur a admis qu’il avait tenté de contourner le système lorsqu’il a déclaré, dans son affidavit, qu’il avait fait sa demande au titre de la CNP 0111 en raison des longs délais d’attente et de traitement dans les catégories des investisseurs et des entrepreneurs.

 

[18]           Le défendeur réitère donc que le demandeur n’a pas démontré qu’il avait l’intention d’occuper un poste de directeur financier, selon la CNP 0111. Il souligne que le demandeur a fondé une entreprise au Canada et investi des sommes importantes qui vont au‑delà des exigences de la catégorie des entrepreneurs. Cela prouve que la demande appartient à la catégorie des investisseurs ou des entrepreneurs.

 

[19]           De plus, le défendeur s’élève contre le fait que le demandeur conteste une pure conclusion de fait de l’agent, laquelle commande la retenue puisque ce dernier connaît bien la CNP. Le défendeur invoque la décision Madan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1198, au paragraphe 24 :

De toute façon, les agents des visas ont un pouvoir discrétionnaire très étendu lorsqu’il s’agit de déterminer si un demandeur répond aux critères pour une profession donnée, y compris dans leur interprétation des dispositions de la CNP. Leur connaissance et leur compréhension de ce document est au moins égale, sinon supérieure, à celle du tribunal chargé du contrôle.

 

Analyse

[20]           Selon la décision Madan, l’agent jouit d’un pouvoir discrétionnaire lorsqu’il détermine si le demandeur satisfait aux exigences d’une profession donnée, y compris dans son interprétation des dispositions de la CNP. La Cour reconnaît toutefois que, selon la décision Olajuwon, l’agent est tenu d’examiner la demande au regard de la catégorie pour laquelle le demandeur souhaite se faire évaluer.

 

[21]           En l’espèce, la Cour ne souscrit pas à l’observation du défendeur selon laquelle le demandeur a admis que sa demande est visée par une autre catégorie de la CNP. Le défendeur se réfère à l’affidavit du demandeur, où l’on peut lire ce qui suit (affidavit d’Enrique Pupko Maizel, onglet 4 du dossier de la demande du demandeur, page 13, paragraphe 17) :

[traduction]

J’ai déjà investi des sommes considérables au Canada et créé un grand nombre d’emplois pour les Canadiens, au‑delà des exigences liées à la catégorie des entrepreneurs. La catégorie des investisseurs ne correspond pas à ma situation. Les demandes à titre d’investisseur et d’entrepreneur au Mexique sont si peu nombreuses, ou tellement longues à traiter, que le délai de traitement n’est pas affiché sur le site Web de Citoyenneté et Immigration Canada […] J’ai fait ma demande d’immigration au Canada en optant pour le processus le plus efficace, et j’ai la conviction d’être un travailleur qualifié au sens de la définition que donne la CNP pour un directeur financier (CNP 0111) […]

 

[22]           La Cour estime donc que l’agent a tiré une conclusion déraisonnable en jugeant que le demandeur tentait de se soustraire à la catégorie des investisseurs ou des entrepreneurs. Le demandeur a certes mentionné que les longs délais de traitement des demandes d’entrepreneur et d’investisseur au Mexique l’ont incité à présenter sa demande au titre de la CNP 0111, mais cela ne signifie pas qu’il a choisi cette méthode pour se soustraire à une catégorie que l’agent jugeait plus appropriée. Les conclusions de l’agent n’étaient pas raisonnables, car les demandeurs ont le droit de présenter leur cas de la façon qui les représente le mieux et leur assure les meilleures chances de réussite.

 

b. L’agent a‑t‑il fait montre de partialité à l’encontre du demandeur?

Arguments du demandeur

[23]           Le demandeur croit qu’il [traduction] « peut » y avoir eu partialité dans le traitement de sa demande (mémoire des faits et du droit du demandeur, onglet 5 du dossier de la demande du demandeur, page 505, paragraphe 71). Selon lui, le fait que lui et les membres de sa famille sont des Juifs constitue un motif extrinsèque du refus de sa demande de résidence permanente (Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369).

 

[24]           Le demandeur souligne que la décision défavorable sur la recevabilité de sa demande a été rendue quelques jours après qu’il a fait une demande de permis d’études pour que ses enfants puissent fréquenter une école offrant des cours en hébreu au Canada. En fait, il a demandé et obtenu les permis d’études le 14 juillet 2010, et la décision défavorable a été rendue le 22 juillet 2010.

 

Arguments du défendeur

[25]           Le défendeur maintient que les allégations du demandeur sont sans fondement. Il souligne que rien, dans la preuve, ne porte à penser que l’agent a manqué d’impartialité à l’endroit du demandeur ou qu’il savait que le demandeur avait demandé et obtenu des permis d’études pour que ses enfants fréquentent une école offrant des cours en hébreu au Canada (Committee for Justice and Liberty, précité). Le défendeur affirme qu’il n’y a rien dans la preuve qui amènerait une personne raisonnable et renseignée à conclure à un manque d’impartialité envers le demandeur.

 

Analyse

[26]           La Cour n’est pas convaincue que le demandeur a démontré que l’agent a manqué d’impartialité à son endroit parce qu’il est Juif. La délivrance des permis d’études le 14 juillet 2010 et la décision défavorable rendue le 22 juillet 2010 représentent une coïncidence. Sans autre élément de preuve, il n’y a aucune raison de croire que l’agent a manqué d’impartialité. Par conséquent, l’arrêt Committee for Justice and Liberty ne s’applique pas en l’espèce.

 

c. L’agent a‑t‑il commis une erreur en ne donnant pas au demandeur la possibilité de répondre aux doutes touchant à son admissibilité comme travailleur qualifié?

Arguments du demandeur

[27]           Le demandeur soutient que l’agent avait une obligation d’équité, soit de lui communiquer ses doutes au sujet de la demande et, conséquemment, de lui donner la possibilité de les dissiper (Liao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1719, Rukmangathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 317).

 

Arguments du défendeur

[28]           Le défendeur répond que l’obligation d’équité procédurale s’applique aux décisions administratives discrétionnaires et que son contenu varie selon le contexte. Il déclare que l’équité est un concept circonstanciel, et non une notion abstraite ou absolue (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817). Plusieurs facteurs sont jugés pertinents pour déterminer les procédures requises en common law relativement au devoir d’équité procédurale.

 

[29]           Le devoir d’agir équitablement est peu rigoureux dans le contexte d’une demande de résidence permanente au titre de la CNP 0111, en l’absence d’un droit à la résidence permanente reconnu par la loi, du fait qu’il revient au demandeur d’établir son admissibilité, du fait des conséquences moins graves sur celui‑ci que celles découlant de la perte d’un avantage et du fait qu’il est dans l’intérêt public de maîtriser les coûts d’administration (Mei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1281).

 

[30]           Le défendeur ajoute que l’agent n’avait aucune obligation d’équité envers le demandeur puisque la demande n’est jamais passée à l’étape du traitement. L’agent a avisé le demandeur non pas que la demande était refusée, mais bien qu’elle ne serait pas traitée parce qu’elle avait été jugée irrecevable en vertu des instructions ministérielles (pièce H de l’affidavit de Candace Rose Salmon, onglet 4 du dossier de la demande du demandeur, page 396).

 

[31]           Enfin, le défendeur souligne que l’obligation d’équité procédurale n’exige pas que l’agent clarifie une demande incomplète ou communique toutes ses réserves au demandeur (Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2010] A.C.F. no 587, au paragraphe 9; Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1597, au paragraphe 26).

 

Analyse

[32]           Le demandeur cite le paragraphe 22 de la décision Rukmangathan pour faire valoir que « […] l’obligation d’équité peut exiger que les fonctionnaires de l’immigration informent les demandeurs […] pour que ceux‑ci aient la chance d’“apaiser” leurs préoccupations […] ». Toutefois, dans cette décision, il est aussi précisé que « […] ce principe d’équité procédurale ne va pas jusqu’à exiger que l’agent des visas fournisse au demandeur un “résultat intermédiaire” des lacunes que comporte sa demande » (confirmé dans Hassani, au paragraphe 23 et dans Kaur, précité, au paragraphe 9).

 

[33]           Il convient ici de réitérer les principes fondamentaux concernant l’obligation d’équité procédurale. Dans l’arrêt Baker, aux paragraphes 22 et 23, la juge L’Heureux-Dubé formule le point de vue suivant :

L’obligation d’équité procédurale est souple et variable et repose sur une appréciation du contexte de la loi et des droits visés.

 

[…]

 

Plusieurs facteurs sont pertinents pour déterminer le contenu de l’obligation d’équité procédurale : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l’organisme; (3) l’importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; (5) les choix de procédure que l’organisme fait lui-même. Cette liste de facteurs n’est pas exhaustive.

 

[34]           Ainsi, tel qu’il est énoncé dans Mei, au paragraphe 16, « il a été décidé que le devoir d’équité est limité dans le cas des demandes de résidence permanente déposées de l’extérieur du Canada ».

 

[35]           En l’espèce, un certain nombre de facteurs tendent à limiter le contenu de l’obligation d’équité :

a.       Premièrement, la décision rendue par l’agent était clairement de nature administrative, et non de nature judiciaire.

 

b.      Deuxièmement, tel qu’il est énoncé dans Mei, bien qu’il n’ait accès à aucun droit d’appel, le demandeur de la résidence permanente a la possibilité de présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Si cette demande est refusée, il a également la possibilité de présenter une nouvelle demande.

 

c.       Troisièmement, rien ne prouve que l’obtention de la résidence permanente ait une telle importance pour le demandeur et sa famille.

 

d.      Quatrièmement, rien ne prouve que le demandeur s’attendait légitimement à se faire interroger par l’agent qui avait des réserves à l’égard de sa demande. En fait, l’agent a avisé le demandeur, dans la lettre datée du 7 septembre 2010, que l’équité procédurale s’applique seulement lorsque la demande a été placée en traitement, conformément au guide opérationnel « OP 6 – Travailleurs qualifiés – fédéral » (pièce T de l’affidavit de Candace Rose Salmon, onglet 4 du dossier de la demande du demandeur, pages 481 et 482).

 

e.       Cinquièmement, l’obligation d’équité exige de prendre en considération et de respecter le choix de procédure fait par l’organisme même (Baker, précité). Ainsi, l’agent qui évalue la recevabilité d’une demande n’est pas tenu de soumettre au demandeur les doutes qu’il peut avoir au sujet de l’insuffisance des pièces justificatives ni de signaler les faiblesses de la demande.

 

[36]           Il incombe à la personne qui se dit lésée de démontrer qu’il y a eu manquement aux principes de justice naturelle ou d’équité procédurale. Aux yeux de la Cour, les éléments de preuve présentés par le demandeur ne montrent pas qu’il y a eu un tel manquement en l’espèce.

 

d. L’agent a‑t‑il commis une erreur de fait et de droit lorsqu’il a conclu que la demande n’était pas recevable au titre de la catégorie 0111 de la CNP?

Arguments du demandeur

Catégorie 0111 de la CNP

[37]           Le demandeur conteste la décision de l’agent parce qu’il maintient que ce dernier a examiné sa demande au regard de la catégorie 0014 de la CNP – directeur général d’entreprise, alors que la catégorie visée était la CNP 0111 – directeur financier.

 

[38]           Il se réfère aux notes du STIDI : [traduction] « L’INTÉRESSÉ SEMBLE OCCUPER UN POSTE DE DIRECTEUR GÉNÉRAL – CNP 0014 – DANS SON ENTREPRISE. CETTE CATÉGORIE N’EST PAS VISÉE PAR LES INSTRUCTIONS MINISTÉRIELLES » (pièce L de l’affidavit de Candace Rose Salmon, onglet 4 du dossier de la demande du demandeur, page 437).

 

[39]           Le demandeur affirme que la CNP 0014 s’applique aux cadres supérieurs des secteurs de la santé, des services communautaires et sociaux et des associations mutuelles. Il prétend que son poste de directeur général/directeur des finances chez Procables, société privée qui fournit des composants électriques, ne fait pas partie de la catégorie 0014 (onglet 4 du dossier de la demande du demandeur, pages 454 à 457 pour les exigences de la CNP 0014) (Saggu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1823).

 

[40]           Le demandeur se réfère au paragraphe 20 de la décision Qin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1576 :

[…] Le but de la Loi est de permettre l’immigration, non de l’empêcher. Il s’ensuit que les requérants ont le droit de présenter leur demande de façon à maximiser leurs chances d’entrer au pays. Les agents d’immigration ont une obligation correspondante de poser une appréciation complète et équitable, et de justifier, le cas échéant, leur refus par des motifs adéquats.

 

Fonctions et responsabilités sous la CNP 0111

[41]           Le demandeur conteste également la décision de l’agent parce qu’il affirme qu’il satisfait aux exigences en tant que travailleur qualifié (fédéral) au titre de la CNP 0111. Il prétend avoir la capacité de s’établir financièrement au Canada et compter au moins une année continue d’expérience de travail au cours des dix dernières années en tant que directeur financier (Shangguan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 127; McHugh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1480).

 

[42]           Il prétend en outre qu’il a exercé les fonctions énoncées à la CNP 0111 dans le cadre de son emploi chez Procables, comme planifier, organiser, diriger, contrôler et évaluer les activités d’un service de comptabilité (pour la liste des fonctions du directeur financier, voir les pages 495 à 495 du mémoire des faits et du droit du demandeur) (Saggu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1823).

 

[43]           Il soutient qu’il a fourni suffisamment de documents, notamment des lettres de recommandation et des détails financiers, pour prouver son expérience comme directeur financier.

 

[44]           Enfin, il conteste la conclusion de l’agent selon laquelle Procables ne semblait pas l’avoir inscrit en tant que directeur financier de l’entreprise. Le demandeur se réfère aux notes du STIDI, qui indiquent ce qui suit : [traduction] « L’INTÉRESSÉ N’A FOURNI AUCUNE PREUVE QUE L’ENTREPRISE L’A INSCRIT AUPRÈS DE L’INSTITUT MEXICAIN DE LA SÉCURITÉ SOCIALE COMME DIRECTEUR FINANCIER DE L’ENTREPRISE » (pièce L de l’affidavit de Candace Rose Salmon, onglet 4 du dossier de la demande du demandeur, page 437). Le demandeur atteste que, selon les lois mexicaines, une entreprise peut être dispensée d’inscrire un cadre supérieur auprès de l’Institut de la sécurité sociale.

 

Arguments du défendeur

Catégorie 0111 de la CNP

[45]           Le défendeur prétend que l’allusion de l’agent à la CNP 0014 n’est pas pertinente puisque le demandeur a été évalué au regard de la CNP 0111. Il observe que l’agent a simplement signalé que le demandeur semblait être visé par une autre catégorie de la CNP et que, d’après la preuve produite, la catégorie des investisseurs ou des entrepreneurs semblait mieux correspondre à la situation du demandeur.

 

[46]            Il était donc raisonnable pour l’agent de mentionner que les fonctions du demandeur chez Procables ne correspondaient pas à la CNP 0111, puisque le demandeur collabore actuellement avec un groupe de partenaires commerciaux en vue d’ouvrir une entreprise à Toronto.

Fonctions et responsabilités sous la CNP 0111

[47]           Selon le défendeur, pour que la demande au titre de la CNP 0111 soit recevable, la personne doit satisfaire aux exigences énoncées dans les instructions ministérielles. Le demandeur doit avoir un emploi réservé, résider au Canada depuis au moins un an à titre de travailleur étranger temporaire ou compter au moins une année d’expérience professionnelle continue à temps plein ou l’équivalent rémunéré au cours des dix dernières années dans une ou plusieurs des professions énumérées (Instructions ministérielles, Gazette du Canada , vol. 142, no 48).

 

[48]           Le défendeur s’appuie sur le paragraphe 6 de la décision Wankhede c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 968, qui établit qu’un agent des visas n’est pas tenu d’émettre des hypothèses quant à l’expérience d’un demandeur dans une profession donnée.

 

[49]           Il soutient que le demandeur n’a pas fourni suffisamment de renseignements pour prouver qu’il a rempli les fonctions d’un directeur financier selon la CNP 0111, ajoutant que la preuve démontre qu’il est propriétaire d’une entreprise et actionnaire chez Procables. À l’exception d’une lettre fournie par Diversified Managed Investments (DMI), les lettres de recommandation du demandeur n’énonçaient pas expressément les tâches liées à son emploi chez Procables. Le défendeur maintient donc que la décision de l’agent fait partie des issues possibles acceptables.

 

Analyse

Catégorie 0111 de la CNP

[50]           Il m’apparaît que l’agent a examiné la demande du demandeur au regard de la CNP 0111, et non de la CNP 0014.

 

[51]           L’agent des visas est tenu d’évaluer la demande en tenant compte de la profession que le demandeur soutient être celle qu’il est prêt à exercer au Canada et pour laquelle il a la compétence voulue (Saggu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), au paragraphe 16.

 

[52]           Par conséquent, je ne suis pas d’accord pour dire que la demande a été examinée au regard de la CNP 0014. À la lumière des notes du STIDI, l’agent voulait seulement souligner que le demandeur semblait être visé par une autre catégorie et que celle des investisseurs ou des entrepreneurs semblait plus appropriée. Cette note était tout à fait raisonnable puisque le demandeur collabore actuellement avec un groupe de partenaires commerciaux en vue d’ouvrir une entreprise de type boulangerie à Toronto, au Canada.

 

Fonctions et responsabilités sous la CNP 0111

[53]           Ayant pris en considération et analysé les documents ainsi que les observations écrites des parties, je ne peux maintenir la décision de l’agent par laquelle il a conclu que la demande était irrecevable.

 

[54]           Le ministre de Citoyenneté et Immigration Canada a donné des instructions qui ont été publiées dans la Gazette du Canada le 28 novembre 2008. Aux termes des instructions, sont recevables les demandes présentées par des travailleurs qualifiés (fédéral) qui ont une offre d’emploi réservé, qui vivent légalement au Canada depuis au moins une année à titre de travailleur étranger temporaire ou d’étudiant étranger et qui possèdent de l’expérience dans l’une des professions énumérées (Instructions ministérielles, Gazette du Canada, vol. 142, no 48).

 

[55]           La disposition pertinente du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) (le Règlement) est rédigée comme suit (pièce M de l’affidavit de Candace Rose Salmon, onglet 4 du dossier de la demande du demandeur, page 450) :

 

 

Catégorie

 

75. (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada, qui sont des travailleurs qualifiés et qui cherchent à s’établir dans une province autre que le Québec.

 

Qualité

 

(2) Est un travailleur qualifié l’étranger qui satisfait aux exigences suivantes :

 

a) a accumulé au moins une année continue d’expérience de travail à temps plein au sens du paragraphe 80(7), ou l’équivalent s’il travaille à temps partiel de façon continue, au cours des dix années qui ont précédé la date de présentation de la demande de visa de résident permanent, dans au moins une des professions appartenant aux genre de compétence 0 Gestion ou niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions— exception faite des professions d’accès limité;

b) pendant cette période d’emploi, il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession dans les descriptions des professions de cette classification;

c) pendant cette période d’emploi, il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession figurant dans les descriptions des professions de cette classification, notamment toutes les fonctions essentielles.

 

Exigences

 

(3) Si l’étranger ne satisfait pas aux exigences prévues au paragraphe (2), l’agent met fin à l’examen de la demande de visa de résident permanent et la refuse.

 

[56]           Les directeurs financiers doivent également avoir exercé une partie ou l’ensemble des fonctions suivantes (pour la liste complète, voir la pièce N de l’affidavit de Candace Rose Salmon, onglet 4 du dossier de la demande du demandeur, page 452) :

a.       planifier, organiser, diriger, contrôler et évaluer les activités d’un service de comptabilité, de vérification ou autre service financier;

b.      élaborer et mettre en œuvre les politiques, les procédures et les systèmes financiers d’un établissement;

c.       préparer les états financiers, les états récapitulatifs et les autres rapports d’analyse de rentabilité et de gestion financière ou en coordonner la préparation;

d.      coordonner le processus de planification financière et de budget, en faire l’analyse et corriger les prévisions;

e.       superviser le développement et la mise sur pied de modèles de simulation financière.

 

[57]           Au paragraphe 15 de la décision McHugh, précité, la Cour précise que les demandeurs doivent avoir exercé une partie ou l’ensemble des fonctions prévues, ce qui permet à « […] l’agent des visas d’accorder plus de poids à certaines des fonctions énumérées dans la description d’emploi par rapport à d’autres fonctions sans obliger les candidats à avoir exécuté toutes les fonctions énumérées dans la CNP ».

 

[58]           De plus, selon la décision Wankhede, au paragraphe 6, « le demandeur est tenu de présenter une preuve prima facie tendant à montrer qu’il remplit les conditions d’accès à la profession pour laquelle il demande à être apprécié ». Il est également précisé dans cette décision que l’agent n’est pas tenu d’émettre des hypothèses quant à la formation et à l’expérience du demandeur.

 

[59]           J’estime que l’agent n’a pas raisonnablement apprécié les fonctions exercées par le demandeur par rapport à la catégorie 0111 de la CNP. Les responsabilités du demandeur chez Procables consistaient à diriger toutes les activités comptables et financières ainsi qu’à planifier les politiques, les procédures et les systèmes financiers. Le demandeur avait aussi la responsabilité de superviser et de prendre des décisions à partir des états financiers, des états récapitulatifs et des autres rapports d’analyse de rentabilité et de gestion financière (voir les lettres de recommandation, pièce J de l’affidavit de Candace Rose Salmon, onglet 4 du dossier de la demande du demandeur, pages 426 à 429).

 

[60]           Les compétences documentées du demandeur en gestion financière prouvent qu’il répond à plusieurs des critères de la catégorie des directeurs financiers. Comme le demandeur a mis sur pied l’entreprise Procables à Mexico avec seulement deux autres associés, il était obligé d’exécuter les tâches financières énoncées par la CNP 0111, comme coordonner le processus de planification financière et de budget, gérer la trésorerie et superviser la comptabilité. La Cour se réfère à la déclaration suivante du demandeur : [traduction] « Au départ, nous devions nous occuper de tout » (« Procables de Mexico », pièce J de l’affidavit de Candace Rose Salmon, onglet 4 du dossier de la demande du demandeur, page 431).

 

[61]           L’agent jouissait d’un vaste pouvoir discrétionnaire lui permettant de déterminer si le demandeur satisfaisait aux exigences de la CNP 0111; toutefois, en l’espèce, l’agent a tiré une conclusion déraisonnable.

 

[62]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

    

1.   La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.   L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision.

3.   Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6501-10

 

INTITULÉ :                                       ENRIQUE PUPKO MAIZEL c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 août 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 septembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Carrie Wright

416-601-1346

 

POUR LE DEMANDEUR

Prathima Prashad

416-952-7246

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bart and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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