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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110921


Dossier : IMM-6743-10

Référence : 2011 CF 1084

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

ADESUWA ANGELA IDAHOSA,

CHINELLO ALESSI OBIORA et

CHIDERA NADIA OBIORA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 19 octobre 2010, par laquelle Patrick Lemieux, de la Section de la protection des réfugiés (le commissaire), a conclu qu’Adesuwa Angela Idahosa (la demanderesse) et les deux mineurs à sa charge (collectivement, les demandeurs) ne sont pas des réfugiés au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

[2]               Le commissaire a conclu que la demanderesse avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable au Nigeria, son pays natal, et qu’en conséquence, les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention aux termes de la Loi.

 

[3]               La demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour les motifs énoncés ci‑dessous.

 

I.       Les faits

 

[4]               La demanderesse et ses enfants sont citoyens du Nigeria. La demanderesse a fui son pays le 5 avril 2008 au motif allégué qu’elle craignait la famille de son ex‑conjoint de fait. La demanderesse prétend que la famille de son ex‑conjoint de fait a menacé de circoncire ses filles ainsi que de les tuer, elle et ses enfants, en raison de son appartenance à la caste des Osu, qui est considérée comme un groupe de parias.

 

[5]               Le commissaire a conclu que plusieurs aspects du récit de la demanderesse étaient invraisemblables, mais a concédé que les allégations principales avaient été établies en général (paragraphe 9 – décision du commissaire). Dès le début de ses motifs, toutefois, le commissaire établit que la question déterminante est l’existence d’une PRI. La demanderesse n’a pas prouvé qu’elle et ses enfants étaient exposés à un risque en tout lieu au Nigeria ou qu’il serait déraisonnable qu’ils trouvent refuge dans une autre partie du pays, notamment à Abuja.

 

II.        La législation

 

[6]               Voici le libellé des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

III.       La question en litige et la norme de contrôle

 

[7]               L’unique question que doit trancher la Cour consiste à savoir si le commissaire a commis une erreur en concluant que les demandeurs disposaient d’une PRI raisonnable à Abuja. L’application du critère de la PRI aux faits est assujettie à la norme de la décision raisonnable (Khokhar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 449, au paragraphe 21).

 

IV.       Les observations des parties

 

[8]               La demanderesse allègue que le commissaire a commis une erreur, parce qu’il n’a pas appliqué correctement les directives de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe. La demanderesse soutient aussi que la PRI proposée est hypothétique et ne peut pas constituer une option réaliste et viable.

 

[9]               Selon la demanderesse, le commissaire n’a pas tenu compte de la preuve documentaire concernant la restriction de la liberté de mouvement au Nigeria et l’existence de barrages routiers où des policiers tentent d’extorquer de l’argent aux voyageurs (paragraphe 14 – mémoire supplémentaire de la demanderesse). La demanderesse se réfère également à la décision rendue récemment par le juge Pinard dans Onyenwe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 604 (Onyenwe), par laquelle il a autorisé le contrôle judiciaire d’une décision proposant Abuja comme PRI viable pour un demandeur.

 

[10]           La demanderesse soutient en outre que le commissaire n’a pas tenu compte des facteurs religieux, économiques et culturels qui auraient un impact sur la demanderesse en lien avec la PRI proposée (paragraphe 15 – mémoire supplémentaire de la demanderesse). La demanderesse n’a pas d’argent, est peu scolarisée et n’a pas de famille à Abuja. En raison de la tare sociale que portent les mères célibataires vivant sans le soutien de leur famille au Nigeria, la demanderesse aura de la difficulté à subvenir à ses besoins, surtout qu’il n’existe pas de filet de sécurité sociale dans ce pays. La demanderesse fait valoir que la Cour a déterminé que, en présence d’autres facteurs, l’absence d’un soutien familial constitue un élément pertinent pour déterminer s’il est indûment sévère de s’attendre à ce qu’une personne cherche une PRI (Ramanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1998] A.C.F. no 1210, 152 F.T.R. 305). Le commissaire n’a cependant pris aucun de ces arguments en considération.

 

[11]           Le défendeur, pour sa part, prétend que le commissaire a correctement apprécié l’existence d’une PRI à Abuja et qu’il a dûment examiné la preuve documentaire lui ayant été présentée. Dans sa décision, le commissaire a souligné que les parents de la demanderesse l’aidaient à élever ses autres enfants qu’elle avait laissés au Nigeria et qu’ils continueraient probablement à l’aider par tous les moyens possibles (paragraphe 21 – mémoire du défendeur). Le commissaire a également mentionné que la demanderesse avait anciennement exploité une entreprise commerciale et qu’il lui serait loisible de reprendre ces activités, possiblement avec l’aide d’organisations religieuses et d’organismes non gouvernementaux (paragraphe 21 – mémoire du défendeur). Le défendeur souligne le fait que le commissaire a reconnu qu’un déménagement à Abuja serait certainement difficile pour la demanderesse, mais qu’après avoir apprécié et pondéré soigneusement l’ensemble des circonstances propres à sa situation, il avait déterminé que cette ville offrait une PRI viable.

 

[12]           Le défendeur a établi un parallèle entre la présente affaire et la décision Eyamaro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 372, dans laquelle le juge Russell a conclu qu’il était raisonnable pour la Commission de dire que la demanderesse, dans cette affaire, était en mesure d’avoir accès à des organismes et à des réseaux de soutien au Nigeria pour les femmes qui ne voulaient pas subir la circoncision (paragraphe 24 – mémoire du défendeur).

 

V.        Analyse

 

[13]           L’analyse d’une PRI doit satisfaire aux critères établis par la Cour fédérale dans Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706, aux paragraphes 4 à 7. En premier lieu, les circonstances dans la partie du pays où le demandeur aurait pu se réfugier doivent être suffisamment sécuritaires pour lui permettre de « jouir des droits fondamentaux de la personne ». En deuxième lieu, la situation dans cette partie du pays doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de s’y réfugier. La Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il faut placer la barre très haut lorsqu’il s’agit de déterminer s’il est déraisonnable pour le demandeur d’asile de se prévaloir d’une PRI : Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164, au paragraphe 15 :

[…] Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions. […]

 

[14]           La preuve présentée au commissaire montre que les déplacements au Nigeria peuvent être restreints par des barrages policiers. La demanderesse a également témoigné qu’elle n’avait éprouvé aucune difficulté lors de voyages entre Bénin City et Lagos, où elle se rendait par affaire (paragraphe 29 – décision du commissaire). En outre, un grand nombre d’éléments de preuve documentaire ont été présentés au commissaire pour corroborer les difficultés que vivent les femmes célibataires sans famille au Nigeria, même à Abuja. Le commissaire a conclu que la demanderesse avait une famille très aidante qui s’occupait déjà de deux de ses enfants. Rien ne portait à croire que « sa famille élargie ne pourrait pas également fournir une certaine forme de soutien, qu’ils vivent ou non dans la même ville » (paragraphe 33 – décision du commissaire).

 

[15]           Il s’agit d’un cas où la preuve documentaire générale au sujet d’un pays ne reflète pas la situation particulière de la demanderesse. Le commissaire n’a pas rendu une décision déraisonnable, puisqu’il a examiné l’ensemble de la preuve. Il ne fait même aucun doute que le commissaire a effectivement apprécié la preuve détaillant les conditions dans le pays, mais il est simplement parvenu à une conclusion à laquelle la demanderesse ne souscrit pas.

 

[16]           Une distinction peut être établie entre la décision rendue en l’espèce et celle invoquée par la demanderesse, Onyenwe, précitée. Dans cette affaire, le commissaire n’avait pas du tout reconnu la preuve documentaire. La demande de contrôle judiciaire a été accueillie, parce que rien n’indiquait que le commissaire avait tenu compte de la preuve documentaire contredisant ses conclusions. En l’espèce, la décision du commissaire est claire. La preuve a été examinée en totalité et dûment prise en considération. La décision est raisonnable et fait partie des issues possibles. La Cour ne voit donc aucune raison d’intervenir.

 

VI.       Conclusion

 

[17]           Pour les motifs précités, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                       IMM-6743-10

 

INTITULÉ :                                      DESUWA ANGELA IDAHOSA,

CHINELLO ALESSI OBIORA et

CHIDERA NADIA OBIORA

                                                           c.

                                                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :              LE 9 AOÛT 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 21 SEPTEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Idorenyin E. Amana

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Catherine Brisebois

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Idorenyin E. Amana

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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