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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date: 20110923

Dossier : IMM-7546-10

Référence : 2011 CF 1094

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

HASSAN AMMAR

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.       Introduction

 

[1]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le Ministre) demande à la Cour de réviser la décision rendue le 14 septembre 2010 (la décision) par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Section de la protection des réfugiés (la Commission), voulant que monsieur Hassan Hammar (le défendeur) n’est pas un réfugié ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27) [LIPR], ni une personne exclue aux termes de l’article 98 de la Loi.

 

[2]               Le ministre de la Sécurité publique et de la protection civile est intervenu dans cette demande d’asile. Il y a fait valoir que l’accusation d’agression sexuelle portée contre le défendeur aux États-Unis constitue un crime grave de droit commun commis avant son arrivée en sol canadien. De ce fait, le défendeur est une personne visée par l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés (la Convention); il ne peut donc avoir la qualité de réfugié ou de personne à protéger en vertu de l’article 98 de la Loi.

 

[3]               Pour les raisons qui suivent, la Cour rejette cette demande de révision judiciaire.

 

II.                Les faits

 

[4]               Le défendeur est un citoyen du Liban âgé de 38 ans. Il vit aux États-Unis depuis plusieurs années lorsqu’en avril 2007, il se rend à Windsor, en Ontario, et y dépose une demande d’asile. Il allègue craindre la persécution aux mains des Chiites libanais et du Hezbollah, ce qui l’empêche de vivre au Liban ou aux États-Unis.

 

[5]         En novembre 2006, les autorités du Michigan portent des accusations d’agression sexuelle à son endroit à la suite d’évènements survenus dans un poste d’essence à Summit Township. Le soir de l’agression, le défendeur attend que Mme Klahn, une danseuse du Odyssey Show Girls Lounge, sorte du bar. Il la suit jusqu’à un dépanneur. Dans une pièce arrière de ce commerce, le défendeur tente de forcer Mme Klahn à lui faire une fellation. Il l’agrippe de ses deux mains, puis empoigne un de ses seins et ses fesses. Il la force à se mettre à genoux devant lui et avec ses mains, porte à répétition la tête de sa victime vers son entrejambe. Il retire ensuite une main et fait mine d’ouvrir sa fermeture éclair. Enfin, il agrippe l’arrière du pantalon de Mme Klahn, lui empoigne les fesses comme s’il tentait de la prendre par-dessous et de la pénétrer avec ses doigts. Tout au long de l’agression, la victime refuse de consentir aux gestes posés. Elle réussit à lui échapper, se rend chez une amie et porte plainte auprès de la police.

 

[6]         Le 11 décembre 2006, le défendeur est accusé de « criminal sexual conduct in the fourth degree », une infraction punissable d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas deux ans et/ou une amende d’au plus 500$ ou les deux aux termes de l’article 750.520e(1) du Michigan Penal Code, cet article se lit ainsi :

(1) A person is guilty of criminal sexual conduct in the fourth degree if he or she engages in sexual contact with another person and if any of the following circumstances exist:

 

 

(b) Force or coercion is used to accomplish the sexual contact. Force or coercion includes, but is not limited to, any of the following circumstances:

 

(i) When the actor overcomes the victim through the actual application of physical force or physical violence.

 

(ii) When the actor coerces the victim to submit by threatening to use force or violence on the victim, and the victim believes that the actor has the present ability to execute that threat.

 

(iii) When the actor coerces the victim to submit by threatening to retaliate in the future against the victim, or any other person, and the victim believes that the actor has the ability to execute that threat. As used in this subparagraph, "to retaliate" includes threats of physical punishment, kidnapping, or extortion.

 

(iv) When the actor engages in the medical treatment or examination of the victim in a manner or for purposes which are medically recognized as unethical or unacceptable.

 

(v) When the actor achieves the sexual contact through concealment or by the element of surprise.

 

 

(2) Criminal sexual conduct in the fourth degree is a misdemeanour punishable by imprisonment for not more than 2 years or a fine of not more than $500.00, or both.

[Je souligne.]

 

[7]               Au terme de l’enquête préliminaire qui se tient le 19 mars 2007, le juge de district de la Fourth Court de Jackson, au Michigan, cite le défendeur à procès. L’audience doit se tenir les 11 et 30 mai 2007. Entretemps, le défendeur demande l’asile au Canada. N’étant pas présent à la date du procès, un mandat d’amener est lancé contre lui.

 

[8]               Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile est intervenu dans cette demande d’asile. Il y fait valoir que l’agression sexuelle commise aux États-Unis est un crime grave de droit commun commis avant la venue du défendeur au Canada. Le défendeur est donc une personne visée à l’alinéa 1Fb) de la Convention, il ne peut conséquemment avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger aux termes de l’article 98 de la Loi. La section de la protection des réfugiés de la Commission conclut que l’agression sexuelle commise par le défendeur ne constitue pas un acte grave au sens de l’alinéa 1Fb) et rejette les prétentions du ministre. Elle conclut également que le défendeur n’a pas la qualité de réfugié ou de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

III.             La Loi

 

[9]               L’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27) se lit comme suit :

 La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

[10]           L’article 1Fb) de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés (la Convention) se lit comme suit :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

[…]

 

b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

 

IV.             Question en litige et norme de contrôle

 

[11]           L’instance ne soulève qu’une seule question en litige. La Commission a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle conclut que l’agression sexuelle perpétrée par le défendeur n’est pas un crime « grave » au sens de l’alinéa 1Fb) de la Convention?

 

[12]           Puisqu’il s’agit d’une question de droit, la norme de contrôle applicable en l’instance est la norme de la décision correcte (Moreno c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 298; Pushpanathan c Canada(Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 RCS 982; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 50, 60 [Dunsmuir] et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 au para 44), alors que l’application de l’article 1Fb) de la Convention aux faits en l’instance s’apprécie selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, précitée, et Ivanov v Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1210 au para 6).

 

A.                Position du Ministre

 

[13]           Le ministre soutient que la Commission a commis une erreur en l’espèce en ne concluant pas qu’il existait des raisons sérieuses de penser que le défendeur a commis un crime grave.

 

[14]           Selon le Ministre, la Cour devrait accueillir la demande de contrôle judiciaire car la décision a un effet déterminant sur la possibilité du défendeur de demeurer au Canada. La Cour devrait donc se prononcer sur le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire et décider si le défendeur est une personne visée ou non à l’alinéa 1Fb).

 

[15]           Le Ministre soutient également que le fardeau de preuve applicable aux termes de l’article 1Fb) est un degré de preuve qui va au-delà du simple soupçon, sans  pour autant atteindre la prépondérance des probabilités que l’on retrouve en droit civil. La conclusion de la Commission doit reposer sur un fondement objectif s’appuyant sur des renseignements concluants et dignes de foi (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 RCS 100 au para 114.

 

[16]           En effet, le ministre rappelle qu’aux fins de l’application de l’alinéa 1Fb), à l’exception des cas de fausses accusations, lorsque l’on se retrouve en présence d’un mandat d’arrestation en cours de validité lancé par un pays, qu’il soit pris isolément ou avec d’autres éléments de preuve, cela satisfait pleinement le critère qui veut qu’on ait « des raisons sérieuses de penser ». À cet effet, il fait valoir la décision dans Betancour c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 767 aux para 20, 21 et 52;

 

[17]           De plus, le ministre souligne que l’accusé a été cité à procès suite à une enquête préliminaire aux États-Unis. Cette citation établit que l’accusé serait probablement coupable.

 

[18]           La Cour d’appel fédérale nous indique au paragraphe 44 de l’arrêt Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404 [Jayasekara], les facteurs de gravité qu’il faut analyser dans l’application de l’article 1Fb) de la Convention. Il faut tenir compte, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité.

 

[19]           Le Ministre prétend que la Commission erre dans son analyse de la gravité du crime puisqu’elle n’applique pas correctement les facteurs identifiés dans Jayasekara, précitée.

 

[20]           Dans sa décision, la Commission constate tout d’abord que le chef d’accusation qui pèse contre le défendeur aux États-Unis se compare à l’article 271 du Code criminel du Canada (LRC 1985, c C-46), l’agression sexuelle, mais que ce crime n’est pas grave au point de justifier d’exclure le défendeur de la protection contre la persécution ou la torture. La Commission tient pour acquis que les infractions punissables par procédure sommaire ne sont pas graves et qu’elles limitent conséquemment les crimes graves aux infractions punissables par une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans. Selon le ministre, une telle analyse est fautive.

 

[21]           Le ministre reproche également à la Commission d’en être venue à une conclusion erronée. À l’appui il cite les auteurs Guy S. Goodwill-Gill et Jane McAdam, The Refugee in International Law, 3e éd., Oxford, Oxford University Press, 2007, p 177, qui soutiennent que les crimes graves portent atteinte à l’intégrité physique, la vie et la liberté. Le droit international présume de la gravité du viol et, dans certaines circonstances, des voies de fait. L’état du droit au Canada reflète cette façon de voir puisqu’en droit criminel canadien, l’infraction de viol est comprise dans l’infraction plus globale de l’agression sexuelle. Au Canada, l’agression sexuelle est constituée des voies de fait commises dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l’intégrité sexuelle de la victime. L’infraction sexuelle est donc, selon le ministre, une infraction mixte punissable, selon le mode de poursuite retenu, par une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans ou de 18 mois. La peine maximale d’emprisonnement imposée au terme d’une poursuite par procédure sommaire, quoique beaucoup plus courte, n’en demeure pas moins  trois fois plus lourde qu’une peine prononcée pour la commission d’autres infractions poursuivies selon le même mode. Selon le Ministre, cet écart indique le degré de gravité de cette infraction en droit criminel canadien, puisque le législateur la traite ainsi.

 

 

 

B.        La position du défendeur

 

[22]           Le défendeur répond, par ailleurs, que les conclusions de la Commission sont bien fondées et qu’elles s’appuient sur les éléments de preuve qui se retrouvent  au dossier.

 

[23]           Le défendeur rappelle la teneur du paragraphe 750.520e(2) du Code pénal du Michigan dont les parties pertinentes se lisent ainsi :

750.520e. Criminal sexual conduct in the fourth degree; misdemeanor.

 

(…)

 

(2) Criminal sexual conduct in the fourth degree is a misdemeanour punishable by imprisonment for not more than 2 years, or, by a fine of not more than $ 500.00 or both.

 

[24]           Selon lui, il s’agit donc d’une infraction pénale, ce qui porte à conclure que nous ne sommes pas devant un acte criminel, mais plutôt devant un acte sanctionné par une infraction pénale. Le défendeur souligne également que le ministre ne peut se fonder sur le témoignage de la présumée victime pour décortiquer les circonstances du contact sexuel, sans avoir en main les éléments de preuve concrets sur les prétendus faits.

 

[25]           Enfin le défendeur s’appui sur l’arrêt Zrig c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, [2003] 3 CF 761, et plus particulièrement sur le prononcé du juge Décary qui exige que trois conditions soient satisfaites. Il faut se retrouver en présence d’un crime; que ce crime en soit un de droit commun et qu’il soit grave. Aux dires du défendeur, ce dernier élément du test n’est pas satisfait en l’instance.

 

V.        Analyse

 

[26]           L’instance ne soulève qu’une seule question. La Commission applique-t-elle correctement les principes énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Jayasekara, précitée, au para 44 :

[44] Je crois que les tribunaux s'entendent pour dire que l'interprétation de la clause d'exclusion de l'alinéa 1Fb) de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l'on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité […]

 

[27]           Or, une lecture attentive de la décision et particulièrement du paragraphe 15 qui nous amène à constater que le Commissaire tient compte des facteurs énoncés par la Cour d’appel. Le Commissaire écrit :

[…] « J’ai également lu avec attention ce à quoi fait référence madame la représentante du Ministre, à savoir qu’il y a eu, d’abord des motifs pour l’arrestation ensuite une accusation qui a été formulée, un procès qui devait débuter, qui n’a pas été complété puisque le demandeur a quitté les États-Unis d’Amérique. Je suis conscient qu’il y a un mandat d’arrêt émis contre monsieur mais quand je regarde les éléments constitutifs du crime, même à la lumière de la déclaration de la victime, oui le demandeur a eu un comportement d’agresseur sexuel, c’est sans doute des gestes qui peuvent entrer dans la définition de l’article 271 du code criminel canadien. Mais là où je ne suis pas prêt à conclure qu’il s’agit d’un crime grave c’est pour la raison suivante. Pour qu’il y ait agression sexuelle au Canada il suffit qu’il y ait des attouchements, il faut qu’il y ait une nature sexuelle des contacts et l’absence de consentement de la victime. Il reste qu’au Canada on peut poursuivre soit par acte criminel, soit par infraction punissable sur déclaration de culpabilité. Si on procède par acte criminel, à ce moment-là, la personne devient passible d’un emprisonnement maximal de 10 ans, mais si on procède par infraction punissable sur déclaration de culpabilité, autrement dit par procédure sommaire, à ce moment-là la personne peut être passible d’un emprisonnement maximal de 18 mois. C’est clair que lorsqu’on procède par procédure sommaire, selon la jurisprudence, on n’est pas dans un cas de crime grave. »

 

[28]           La décision tient compte des éléments énoncés par la Cour d’appel. Le Commissaire analyse les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes. En effet, au paragraphe 16, il se penche sur l’acte d’accusation au Michigan et au paragraphe 17, il analyse les faits, soit l’absence d’arme mais l’utilisation de la force. Cette façon de procéder nous apparaît tout à fait conforme aux enseignements de la Cour d’appel fédérale. C’est d’ailleurs la méthodologie appliquée par la Cour fédérale dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Diaz, 2011 CF 738 au para 14.

 

[29]           D’ailleurs, la Cour tient un raisonnement analogue dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Lopez Velasco, 2011 CF 627 [Lopez Velasco]. Au paragraphe 46, le juge précise:

[46] De plus, je ne considère pas que la SPR a commis une erreur en examinant de façon approfondie la gamme de sanctions prévues à l'article 151 du Code criminel, étant donné que le juge Létourneau a aussi mentionné qu'il fallait garder en tête le point de vue de l'État d'accueil. La SPR était en droit de considérer la nature mixte de l'article 151 du Code criminel. En procédant ainsi, la SPR s'est concentrée sur le commentaire de la Cour "s'il existe une différence marquée entre la peine prévue pour une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité et celle prévue pour un geste punissable sur acte d'accusation".

 

[30]           Le Ministre prétend que le Commissaire devait conclure tout autrement. La Cour ne peut souscrire à cette position. Le Commissaire analyse correctement les faits. Il tient compte des facteurs énoncés par la Cour d’appel au paragraphe 44 de Jayasekara, précitée, et de la précision contenue au paragraphe 46 voulant qu’en présence d’infractions hybrides, le choix du mode de poursuite devienne utile pour évaluer la gravité du crime s’il existe une différence marquée entre la peine prévue pour une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité et celle prévue pour un geste punissable sur acte d’accusation. En l’espèce, comme le souligne le Commissaire, cette différence est de 18 mois versus 10 ans.

 

[31]           Le Ministre soutient que le Commissaire aurait du tenir compte du traitement de telles infractions dans d’autres pays et de chacun des éléments constitutifs. La Cour constate, comme l’écrit d’ailleurs la Cour d’appel fédérale, qu’il s’agit là de facteurs qui peuvent être réfutés comme ils le sont en l’espèce.

 

VI.       Question à certifier

 

[32]           Le ministre (le demandeur) demande à la Cour la certification de la question suivante en vertu de l’alinéa 74d) de la Loi :

·                    Pour déterminer la gravité d’un crime pour les fins de l’application de l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés [la convention], lorsque le crime identique, équivalent ou similaire au Canada est un infraction hybride punissable par procédure sommaire ou sur acte d’accusation, le décideur peut-il à bon droit présumer ou tenir pour acquis que le demandeur d’asile aurait été poursuivi par procédure sommaire au Canada pour avoir commis le crime en cause ?

 

Arguments du demandeur

 

[33]           Le Ministre affirme que le commissaire n’a pas considéré le fait qu’au Canada, le crime d’agression sexuelle est punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans. Selon le demandeur, ce fait est un facteur pertinent pour déterminer la gravité du crime en cause comme en a conclu la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jayasekara précité, au para 55.

 

[34]           Toujours selon le Ministre, le commissaire en l’espèce s’est en fait uniquement fondé sur le mode de poursuite choisi au Michigan et sur le mode de poursuite correspondant au Canada. Or, le Ministre affirme que les infractions au Canada doivent être considérées comme des infractions punissables par mise en accusation, à moins que le ministère public soit réputé avoir choisi de poursuivre par procédure sommaire. Il cite trois jurisprudences afin d’appuyer sa position : R c Dudley, 2009 CSC 58, [2009] 3 RCS 570 aux para 18 et 21; Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 672, [2010] 1 RCF 255 aux para 28-34 et 36-37 [Ahmed]; et Trinidad and Tobago (Republic of) v Davis, 2008 ABCA 275, [2008] AJ No 829 aux para 14, 17 et 19 [Davis].

 

[35]           Le Ministre s’interroge sur la question de savoir si une peine maximale de 10 ans aurait pu être infligée au défendeur, si le crime avait été commis au Canada. Il cite l’affaire Davis de la Cour d’appel de l’Alberta. On y précise, au paragraphe 19 de ce jugement :

… The requirement that the Attorney General provide evidence as to whether the Crown [in Canada] would elect to prosecute a hybrid offence by summary conviction or indictment is a task that borders on the impossible. Prosecutorial discretion is not decided on a hypothetical basis...

 

[36]           Dans sa lettre du 22 août 2011, le Ministre écrit que « le commissaire ne pouvait à bon droit conjecturer sur la façon dont la Couronne aurait poursuivi M. Ammar [le défendeur] s’il avait commis son crime au Canada. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR] aurait dû alors conclure que l’infraction de comparaison au Canada conservait sa nature de crime punissable sur acte d’accusation. » (page 4)

 

[37]           En ce qui a trait aux critères applicables à la certification d’une question, le Ministre soutient que les exigences sont satisfaites en l’espèce. Il affirme que la question proposée transcende les intérêts des parties au litige et aborde une question juridique importante de portée générale. Il demande, pour le bénéfice des commissaires de la CISR, des juges de la Cour fédérale et des procureurs des parties, que la Cour d’appel fédérale puisse se prononcer sur l’applicabilité par analogie de l’arrêt Davis de la Cour d’appel de l’Alberta.

 

[38]           Pour les raisons susmentionnées, le demandeur croit que la CISR ne pouvait à bon droit supposer que le défendeur aurait été poursuivi au Canada par procédure sommaire. Cette erreur est, selon lui, déterminante en l’espèce et, la réponse à la question proposée serait déterminante quant à l’issue d’un appel.

 

Arguments du défendeur

 

[39]           Le procureur du défendeur n’a soumis aucune représentation quant à la question à certifier.

 

Analyse

 

[40]           Pour les motifs qui suivent, il n’y a pas lieu de certifier la question.

 

[41]           La question proposée par le demandeur ne transcende pas les intérêts des parties au litige. Les affaires Lopez Velasco et Jayasekara répondent complètement à la question soulevée.

 

[42]           Dans l’affaire Jayasekara, le juge Létourneau de la Cour d’appel écrit que « dans des pays où [les infractions hybrides] existe[nt], le choix du mode de poursuite est utile pour évaluer la gravité du crime s'il existe une différence marquée entre la peine prévue pour une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité et celle prévue pour un geste punissable sur acte d'accusation ». Il mentionne aussi qu’il faut prendre en compte le point de vue de l’État d’accueil.

 

[43]           Dans l’affaire Lopez Velasco, le juge Mandamin affirme que lorsque le juge Létourneau parlait du choix du mode de poursuite, « il faisait référence au choix fait dans la poursuite d'une infraction mixte dans une juridiction autre que celle du Canada ».

 

[44]           Le commissaire applique correctement les critères de l’affaire Jayasekara.

 

[45]           La Cour considère que le commissaire conclut justement que la perspective canadienne pertinente à la gravité d’une infraction comprend une gamme d’infractions variant de grave (punissable par voie de mise en accusation) à moins grave (punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité). Le commissaire pouvait conclure qu’il ne s’agissait pas d’un crime grave selon l’article 1Fb) de la Convention et cette question ne mérite pas une certification car elle est tranchée.

 

[46]           La Cour aurait accepté la certification de la question d’importance générale si les faits de l’affaire permettaient de formuler la question suivante:

 

·                    Pour déterminer la gravité d’un crime pour les fins de l’application de l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés (la convention), lorsque le crime identique, équivalent ou similaire au Canada est une infraction hybride punissable par procédure sommaire ou sur acte d’accusation et que l’infraction à l’étranger ne l’est pas, le décideur peut-il à bon droit présumer ou tenir pour acquis que le demandeur d’asile aurait été poursuivi par procédure sommaire au Canada pour avoir commis le crime en cause ?

[Je souligne.]

 

[47]           Les circonstances de l’affaire ne donnaient pas ouverture à la Cour de certifier cette dernière question.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de révision judicaire est rejetée.

2.         Il n’y a pas de question d’intérêt général à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7546-10

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

                                                            c

                                                            HASSAN AMMAR

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               10 août 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      23 septembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Normand Lemyre

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Anthony Karkar

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Anthony Karkar, Avocat

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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