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Cour fédérale

Federal Court

 

 

Date : 20110803


Dossier : IMM-4391-11

Référence : 2011 CF 974

[traduction française certifiée, non révisée]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 3 août 2011

En présence de monsieur le juge Martineau

 

Entre :

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

JOHN DOE

 

 

défendeur

 

 

 

        Motifs du jugement et jugement

 

[1]               Dans la société canadienne, la détention constitue une restriction extraordinaire. Il n'est donc pas étonnant que le paragraphe 58(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2000, ch. 27, et ses modifications (la Loi), prescrive que la Section de l'immigration (SI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l'étranger détenu par les autorités de l'immigration, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, que le résident permanent ou l'étranger constitue un danger pour la sécurité publique ou se soustraira vraisemblablement au contrôle ou au renvoi. Lorsque la SI ordonne la mise en liberté d’un résident permanent ou d'un étranger, elle peut imposer les conditions qu'elle estime nécessaires conformément au paragraphe 58(3) de la Loi. Le ministre conteste aujourd'hui la légalité d'une telle décision.

 

[2]               Depuis le 30 novembre 2010, le défendeur est détenu par les autorités de l'immigration aux fins de son renvoi du Canada au motif qu'il constitue un danger pour la sécurité publique. Lors de tous les contrôles antérieurs des motifs de la détention, la SI a conclu que toutes les solutions proposées en remplacement de la détention étaient insuffisantes pour écarter le risque de récidive. Cependant, le 11 juillet 2011, malgré le fait que le défendeur continue de constituer un danger pour la sécurité publique, le commissaire Tessler a prononcé la mise en liberté du défendeur au motif que des nouveaux éléments de preuve établissaient des efforts soutenus de réadaptation et une bonne conduite pendant sa détention et que l'établissement résidentiel de traitement pour les alcooliques et les toxicomanes que proposait la VisionQuest Recovery Society (VisionQuest) offrait une solution de rechange suffisante à la détention (l'ordonnance de mise en liberté).

 

[3]               La norme de contrôle applicable aux décisions de la SI concernant le contrôle des motifs de détention, lesquelles sont essentiellement fondées sur des faits, est la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Karimi‑Arshad, 2010 CF 964, [2010] A.C.F. no 1194; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. B004, 2011 CF 331, [2011] A.C.F. no 428). Cela dit, tous les facteurs existants se rapportant à la garde doivent être pris en compte, y compris les motifs des ordonnances de détention prononcées antérieurement. Si un commissaire de la SI choisit de s'écarter des décisions antérieures ordonnant la détention, il doit exposer des motifs clairs et convaincants pour ce faire. La meilleure façon est d'expliquer précisément ce qui a entraîné la nouvelle conclusion (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 R.C.F. 572 (C.A.F.), aux paragraphes 10 à 13).

 

[4]               L'examen de la question de savoir si une personne constitue un danger pour la sécurité publique comporte l'examen de « la question de savoir si, compte tenu de ce que le ministre sait de l'intéressé et des observations que l'intéressé a faites en son propre nom, le ministre peut sincèrement croire que l'intéressé est un récidiviste potentiel dont la présence au Canada crée un risque inacceptable pour le public » (Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.F.)). Une fois que le ministre a présenté des arguments qui paraissent suffisants, il appartient alors au détenu de démontrer qu'il existe des motifs de mise en liberté (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Sittampalam, 2004 CF 1756, [2004] A.C.F. no 2152, au paragraphe 27).

 

[5]               Conformément à l'article 248 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, et ses modifications (le Règlement), s'il est constaté qu'il existe des motifs de détention, la SI doit prendre en compte les critères ci-après avant qu'une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté :

a)         le motif de la détention;

b)         la durée de la détention;

c)         l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

d)         les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère ou de l’intéressé;

e)         l’existence de solutions de rechange à la détention.

 

[6]               Même dans les cas de longues périodes de détention (ce qui n'a pas été le cas en l'espèce), la Cour suprême du Canada a reconnu qu’il n’y a pas atteinte aux droits fondamentaux garantis par les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés lorsqu'elles sont assorties d'un processus qui offre la possibilité de faire contrôler régulièrement la détention en fonction des facteurs pertinents, notamment les facteurs semblables à ceux énumérés à l'article 248 du Règlement (Charkaoui c. Canada (MCI), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350, aux paragraphes 110 à 118).

 

[7]               En l'espèce, le ministre soutient que le commissaire Tessler a commis une erreur en n’examinant et en ne pondérant pas tous les critères prévus à l'article 248 du Règlement, ou il a agi de façon déraisonnable en ne motivant pas de façon claire et convaincante sa décision de s'écarter des décisions antérieures ordonnant le maintien de la détention; en examinant la réadaptation du défendeur et sa réinsertion sociale dans le cadre de la solution de rechange à la détention, il a outrepassé sa compétence; il a commis une erreur en ne vérifiant pas si VisionQuest constitue une solution de rechange efficace à la détention; et en tirant d'autres conclusions déraisonnables.

 

[8]               Le défendeur fait valoir au contraire que la décision de la SI, ordonnant sa mise en liberté assortie de conditions, est raisonnable. Le commissaire Tessler n'a pas ignoré les critères règlementaires. Il y avait de nouveaux éléments de preuve établissant la bonne conduite du défendeur pendant sa détention et ses efforts soutenus de réadaptation, et la nouvelle solution de rechange à la détention (VisionQuest) présentée au commissaire Tessler lui permettait raisonnablement de rendre une décision différente des décisions antérieures de la SI. Les conclusions de fait de la SI commandent la plus grande retenue et le rôle de la Cour ne consiste pas à se prononcer sur la question de savoir si VisionQuest est une solution de rechange efficace. En conséquence, la présente demande devrait être rejetée.

 

[9]               Après avoir examiné les observations des parties, lu la décision contestée et les décisions antérieures de la SI et examiné la preuve versée au dossier, j’estime que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. La Cour convient avec le ministre que le commissaire Tessler n’a pas motivé de façon claire et convaincante sa décision de s'écarter des décisions antérieures, et que dans l'ensemble, la décision d'ordonner la mise en liberté du défendeur assortie des conditions mentionnées dans l’ordonnance de mise en liberté n'est pas raisonnable.

 

[10]           Les parties ne contestent pas sérieusement les faits pertinents en l'espèce et il est utile de faire ressortir certains éléments clés de la preuve de danger qui sont demeurés inchangés et dont le commissaire Tessler et les autres commissaires de la SI disposaient.

 

[11]           Le défendeur, un citoyen d'un pays de l'Amérique du Sud, est âgé de 46 ans. En 1979, il est devenu un résident permanent en qualité d'enfant à charge. Le défendeur a perdu son statut de résident permanent et fait l'objet d'une mesure de renvoi le 24 janvier 2001 parce qu'il était interdit de territoire pour grande criminalité. À la fin de sa dernière peine (2002‑2010), le défendeur est passé directement de l'incarcération à la détention par les autorités de l'immigration.

 

[12]           Entre novembre 2010 et le prononcé de l'ordonnance de mise en liberté le 11 juillet 2011, il y a eu dix (10) contrôles des motifs de la détention effectués par des commissaires de la SI. Durant sa détention par les autorités de l'immigration, il y a également eu un examen des risques avant renvoi (ERAR). Cet examen a donné lieu à une décision favorable compte tenu de l’existence d’un risque de préjudice si défendeur devait retourner dans son pays natal, au motif qu'il était ouvertement homosexuel. Cependant, en raison de l'interdiction de territoire du défendeur pour grande criminalité, le ministre doit maintenant apprécier le risque auquel il est exposé au regard du danger qu'il constitue pour la sécurité publique au Canada avant qu'une décision définitive ne soit prise à l'égard de sa demande d’ERAR (voir le paragraphe 112(3) et l'alinéa 113d) de la Loi).

 

[13]           Les déclarations de culpabilité du défendeur au Canada remontent à 1982, alors qu'il était âgé de 16 ans. Il n'est pas contesté que défendeur a commis plusieurs infractions avec violence, dont un vol qualifié, une séquestration et une agression sexuelle ayant infligé des lésions corporelles. L'examen de ses antécédents criminels révèle qu’il a été décrit comme étant [traduction] « un homosexuel agressif ayant des tendances de prédateur violent ». En 1998, le ministre a délivré un avis selon lequel le défendeur constitue un danger pour la sécurité publique et lui a donc retiré son droit d'interjeter appel de la mesure de renvoi auprès de la Section d'appel de l'immigration. À la suite du processus de renvoi, la SI a, le 25 janvier 1999, prononcé la mise en liberté sous conditions du défendeur, détenu par les autorités de l'immigration.

 

[14]           Au moment de sa première mise en liberté de la détention par les autorités de l'immigration en janvier 1999, une demande de citoyenneté était en instance et le défendeur avait fait valoir qu'il avait fait preuve de bonne conduite alors qu'il était emprisonné. Le commissaire King de la Section de l'immigration a indiqué que malgré [traduction] « la description troublante du défendeur dans les rapports psychologiques qui soulevait de graves préoccupations quant à sa conduite future, il n'y avait cependant aucune indication selon laquelle le défendeur s'était adonné à une mauvaise conduite alors qu'il était placé en établissement ». Toutefois, la SI a eu tort de tenir pour acquis que le défendeur ne récidiverait pas. En effet, défendeur a récidivé quatre mois plus tard en tentant d'obtenir les services d’un prostitué mineur et il a été reconnu coupable de ces infractions le 4 septembre 2000. Alors qu'il était en liberté sous caution à l'égard de ces infractions, il a commis contre des hommes une autre série d’actes violents à caractère sexuel et pour lesquels une peine d'emprisonnement de huit ans lui a été infligée en 2002.

 

[15]           En conséquence, lors des contrôles des motifs de détention en 2010 et 2011, le ministre a toujours affirmé que malgré l'apparente bonne conduite du défendeur au cours de la dernière peine d'emprisonnement et les cours de développement personnel qu'il pouvait avoir suivis, le risque qu’il récidive est toujours élevé. En effet, le ministre s'appuie dans une large mesure sur l'opinion indépendante du Service correctionnel du Canada (SCC) qui a déjà décrit le défendeur comme étant [traduction] « un délinquant sexuel non traité qui présente un risque élevé de récidive » [non souligné dans l’original]. De plus, le ministre a insisté sur le fait que la GRC l’a informé que si défendeur était mis en liberté, elle avait l'intention d'obtenir auprès d'un juge de la Cour provinciale un engagement en vertu de l'article 810.2 du Code criminel, parce que le défendeur [traduction] « présente un risque élevé de commette à nouveau des infractions avec violence et des agressions sexuelles ».

 

[16]           La preuve objective du risque comprend également ce qui suit. Les périodes d'incarcération les plus longues du défendeur étaient deux périodes de huit ans depuis environ le 6 décembre 1990 à janvier 1999 et depuis environ le 2 décembre 2002 jusqu'au 30 novembre 2010. Dans les deux cas, le défendeur a purgé sa peine en entier parce qu'il n'a pas participé aux programmes recommandés et il a été décidé qu'il présentait un risque élevé de commettre une autre infraction avec violence. De plus, les seules périodes exemptes de crime sont celles pendant lesquelles il était incarcéré et il a commis des infractions lorsqu'il était en liberté sous caution, comme je l’ai mentionné plus tôt. La preuve documentaire démontre également que le défendeur tend à minimiser, à nier et à rejeter le blâme sur autrui et à ne manifester aucune empathie ni aucun remords à l'égard de ses victimes. Les notes au dossier indiquent que dans un effort pour obtenir de l'argent, à des fins de gratification sexuelle, de pouvoir et de contrôle et d'excitation, le défendeur a notamment commis des vols qualifiés auprès d'hommes homosexuels, un mode de comportement qui s'est répété au fil du temps.

 

[17]           L'alcool est présent dans les facteurs externes qui indiquent que défendeur présente un risque de récidive. Malgré la recommandation concernant des programmes qui ciblent ses autres besoins criminogènes (par exemple, la consommation abusive d'alcool), le psychologue de l'établissement correctionnel où le défendeur purgeait sa dernière peine a fortement recommandé d'autres traitements et la gestion du risque, notamment des programmes pour les délinquants sexuels. Le défendeur a allégué qu'il a en effet tenté de participer au traitement pour les délinquants sexuels pendant sa peine, mais qu'il a [traduction] « été exclu en raison d'un incident avec l'animateur du programme ». Quoi qu'il en soit, il croyait qu'il y avait de meilleures façons de guérir et de changer. Le défendeur a choisi les voies de la peinture et du développement spirituel par l'entremise des programmes et du counseling de l’aumônerie de la prison.

 

[18]           En commençant par le premier contrôle des motifs de détention le 1er décembre 2010, le commissaire Shaw Dyck a conclu que la preuve documentaire était surtout défavorable concernant la perception qu’avait le défendeur de ses infractions, le degré de violence dont il a fait preuve et les infractions qu'il a commises. Le commissaire Shaw Dyck a conclu que le défendeur, qui se représentait lui-même à ce moment‑là, ne comparaîtrait probablement pas et qu'il constituait un danger pour la sécurité publique.

 

[19]           À partir de ce moment, le défendeur a consenti, par l'entremise de son avocate, à demeurer en détention à l'occasion des deuxième et troisième contrôles des motifs de détention tenus le 8 décembre 2010 et le 16 décembre 2010. Les commissaires de la SI ont examiné la preuve lors de chaque contrôle et ont maintenu le défendeur en détention au motif qu'il constitue un danger pour la sécurité publique.

 

[20]           Le 11 janvier 2011, le défendeur et son témoin, le major Dyke de l'Armée du Salut, ont témoigné à l'occasion du quatrième contrôle des motifs de la détention. Le défendeur a affirmé que le major Dyke lui fournirait du soutien. L'avocate du défendeur a fait valoir que le défendeur était motivé à ne pas récidiver et a indiqué qu'en guise de solution de rechange à la détention, il avait été admis au programme de développement personnel (PDP) de Belkin House, lequel est dispensé par l'Armée du Salut. Située au cœur de Vancouver, Belkin House avait pour but de [traduction] « mettre fin au cycle de l'itinérance ». Le PDP est particulièrement avantageux car il assure un soutien continu pour les hommes et les femmes qui viennent tout juste de terminer un programme de traitement interne de la toxicomanie et l'alcoolisme.

 

[21]           Le 14 janvier 2011, la commissaire Ko a rendu sa décision maintenant le défendeur en détention au motif qu'il constituait un danger pour la sécurité publique et sa conclusion est appuyée sur plusieurs motifs qu'elle a exposés. La commissaire Ko n'était pas convaincue que les mesures qui avaient été prises atténueraient le danger qu'il présente. La commissaire Ko a indiqué que Belkin House exigeait une volonté de participer activement au programme et qu'au cours des huit années de sa peine, le défendeur avait refusé de participer aux programmes qui lui étaient recommandés. La commissaire Ko n'était également pas convaincue que les personnes qui appuient le défendeur pouvaient assurer un niveau de contrôle satisfaisant à son égard pour écarter le risque qu'il récidive. La commissaire Ko a aussi conclu que la durée de la détention du défendeur n'avait pas été très longue et que sa détention prochaine ne serait pas très longue. La commissaire Ko n'était pas non plus convaincue que le défendeur respecterait les conditions qui lui étaient imposées.

 

[22]           Le 11 février 2011, le commissaire King a examiné la preuve des autres contrôles des motifs de détention et a conclu qu’[traduction] « il existe un risque important que le défendeur récidive en commettant un crime avec violence envers une autre personne ». De plus, le commissaire King a indiqué qu'il en est ainsi parce que le défendeur [traduction] « n'était pas traité relativement à la nature sexuelle des infractions avec violence antérieures qu’il a commises ». Après avoir examiné les antécédents, le commissaire King a souligné qu’[traduction] « en 2010, à la fin de la période la plus importante d'incarcération du défendeur, il était dans la même situation que celle où il se trouvait]en 1999 ». Là encore, le défendeur avait montré sa volonté de changer et avait invoqué sa bonne conduite en prison comme preuve de ses bonnes intentions, mais en vain. Le commissaire King a également conclu que Belkin House n'offrait pas une solution de rechange efficace, notamment parce que le défendeur [traduction] « refusait de regarder en face les problèmes fondamentaux liés aux crimes » qu'il avait commis.

 

[23]           Le 11 mars 2011 et le 8 avril 2011, le défendeur a consenti à demeurer en détention. En ces deux occasions, le commissaire Schwartz a ordonné le maintien de la détention du défendeur.

 

[24]           À l'occasion du huitième contrôle des motifs de détention tenu le 5 mai 2011 à l’égard du défendeur, l'avocate du ministre a estimé que CIC nécessiterait de trois à cinq mois pour apprécier le danger que présente le défendeur pour la sécurité publique au regard des risques visés par l’ERAR. Le commissaire Del Duca a examiné toutes les transcriptions, tous les motifs et toute la preuve documentaire et il a conclu que Belkin House comme solution de rechange n’écarterait pas le risque que présente le défendeur. Le commissaire Del Luca était entièrement d'accord avec l'évaluation faite par la commissaire Ko. Le commissaire Del Duca n'a pas trouvé que la durée de la détention avait été indûment longue. Le commissaire Del Luca a ordonné le maintien du défendeur en détention au motif qu'il constitue un danger pour la sécurité publique.

 

[25]           Le 27 mai 2011, le défendeur a reçu une copie de l'examen des restrictions effectué par la Direction du règlement des cas à Ottawa, laquelle relève du ministre. La Direction a examiné la preuve et était d'avis que [traduction] « le défendeur constitue un danger actuel et futur pour la sécurité publique du Canada ». Le défendeur disposait de 15 jours pour répondre à cet examen. À la demande de son avocate, il a obtenu une prolongation de 30 jours, soit jusqu'au 13 juillet 2011, pour présenter ses observations.

 

[26]           Le 2 juin 2011, le défendeur a de nouveau consenti à demeurer en détention pendant que son avocate cherchait une autre solution de rechange à sa détention. La commissaire Ko a maintenu la détention du défendeur.

 

[27]           Le commissaire Tessler a présidé l'audience du dixième contrôle des motifs de la détention du défendeur tenu le 28 juin 2011. Des éléments de preuve documentaire présentés pour le compte du défendeur étaient les seuls nouveaux éléments de preuve. Ces documents comportaient des renseignements concernant la VisionQuest Recovery Society, d'autres lettres d'appui, une lettre du centre de détention confirmant les renseignements présentés à l'occasion du dernier contrôle des motifs de la détention concernant des cours que le défendeur avait suivis en avril 2011, alors qu'il était détenu par les autorités de l'immigration, et sa demande de suivre des cours supplémentaires.

 

[28]           Le ministre a fourni les conditions recommandées révisées de la GRC concernant l'ordonnance prévue à l'article 810.2 du Code criminel que celle-ci avait l'intention de demander au moment de la mise en liberté du défendeur, parce qu’elle croit qu'il présente un risque élevé de commettre une autre infraction avec violence. Le ministre a également indiqué que le processus de pondération serait terminé dans un délai d’un à trois mois suivant la date des observations du défendeur concernant l'examen des restrictions.

 

[29]           Le commissaire Tessler a conclu que défendeur constitue un danger pour la sécurité publique du Canada, soulignant que très peu de choses avaient changé à cet égard depuis le dernier contrôle des motifs de détention. Le commissaire Tessler semble avoir adopté le raisonnement de la commissaire Ko lors du contrôle des motifs de la détention du 14 janvier 2011, mais il semble en même temps avoir accepté des arguments qui, selon les autres commissaires, ne justifiaient pas la mise en liberté du défendeur.

 

[30]           Le commissaire Tessler a souligné les cours que défendeur avait suivis et le fait que son dossier pénitentiaire était impeccable entre 2001 et 2010. En ce qui a trait au fait que le défendeur n’a ni suivi ni terminé des programmes que le Service correctionnel avait retenus pour lui, le commissaire Tessler a conclu que le défendeur avait conçu son propre programme de réadaptation, lequel [traduction] « visait l'introspection au moyen de la peinture et de l'accompagnement spirituel et de travaux de cours par l'entremise de l'aumônerie ». Le commissaire Tessler n'a pas expliqué comment le cours suivi en avril 2011 d'une durée de dix jours pouvait être comparable au programme pour les délinquants sexuels qui devait être suivi pendant une période de quatre mois et que le défendeur avait apparemment refusé de suivre en prison.

 

[31]           S’agissant de la durée de la détention, le commissaire Tessler n'a pas conclu que la détention du défendeur avait été trop longue ou que sa durée était en voie de devenir indéterminée. Le commissaire Tessler a toutefois mis en doute l'estimation du ministre quant au délai nécessaire pour réaliser la pondération du risque auquel est exposé défendeur s'il retourne dans son pays natal par rapport au risque qu'il constitue pour la société canadienne. Cela dit, le commissaire Tessler n'a pas expressément mentionné la prolongation d'un mois accordée à l'avocate du défendeur pour permettre à celle-ci de terminer ses observations, cette prolongation ayant naturellement eu une incidence sur la durée de la détention.

 

[32]           Cela dit, il est évident que le motif principal pour lequel le commissaire Tessler a décidé de s'écarter des décisions antérieures des commissaires de la SI est qu'à son avis, VisionQuest offrait une solution suffisante pour remplacer la détention qui était plus complète que celle qu’offrait Belkin House ‑ la solution proposée auparavant – et qui répondait aux préoccupations des autres commissaires de la SI : le contrôle et la situation.

 

[33]           Selon les conditions du séjour proposé pour le défendeur dans une maison de VisionQuest Recovery, il ne pourrait, au cours des 30 premiers jours, quitter la résidence que pour des fins approuvées et uniquement s'il était accompagné. Après 30 jours, il pourrait quitter la résidence seul dans la mesure où l'activité était approuvée ou pour une urgence de nature médicale. Pendant son séjour, le défendeur serait assujetti à un couvre‑feu quotidien de 22 heures à 7 heures. En vertu de l’entente avec VisionQuest, le défendeur serait tenu, entre autres, de participer tous les jours à des réunions de Narcomanes anonymes/Alcooliques anonymes qui avaient lieu à l’interne, de même que trois fois par semaine dans la collectivité. Le commissaire Tessler a aussi supposé que le défendeur [traduction] « serait également assujetti à un engagement en vertu du paragraphe 810(2) du Code criminel imposé par un juge de la Cour provinciale », et il a ajouté, comme condition de mise en liberté, que le défendeur respecte également toutes les modalités et conditions imposées par la Cour provinciale de la Colombie‑Britannique [traduction] « si cette dernière en imposait ».

 

[34]           Objectivement, ces conditions soulèvent plusieurs problèmes dont le commissaire Tessler n'a pas véritablement traité dans la décision contestée.

 

[35]           Premièrement, en concluant que VisionQuest était suffisante, le commissaire Tessler ne semble pas avoir compris l’essentiel de l’argument du ministre portant que VisionQuest n'est pas un établissement de détention, que le respect des règles y est volontaire et qu'après 30 jours, le défendeur serait autorisé à quitter la résidence sans escorte. Cet élément soulève la question de savoir si VisionQuest constituait une solution de rechange efficace puisque toutes les parties convenaient que le défendeur résiderait à VisionQuest pour une période beaucoup plus longue.

 

[36]           Deuxièmement, le commissaire Tessler n'a pas traité du point invoqué par le ministre selon lequel VisionQuest [traduction] « vise les personnes qui désirent véritablement se rétablir des ravages de la dépendance ». VisionQuest ne possède pas les ressources internes nécessaires pour traiter de questions liées à des programmes externes concernant les abus sexuels. Selon l'entente conclue avec VisionQuest, le défendeur n’est pas tenu de participer à quelque programme que ce soit pour traiter sa propension à commettre des infractions avec violence ou des infractions d'ordre sexuel. Bien que VisionQuest puisse diriger des résidents vers de tels programmes externes, ceux-ci doivent tout d'abord démontrer pendant une période de 30 à 90 jours qu'ils suivent ses règles.

 

[37]           Troisièmement, comme la commissaire Ko l'avait déjà indiqué, les victimes du défendeur étaient généralement des personnes dont il avait fait la connaissance. Bien que l'alcool ait souvent été un facteur, la commissaire Ko avait constaté que les programmes qu'avait suivis le défendeur étaient toujours ceux auxquels il voulait participer. Ces programmes n'étaient pas nécessairement ceux qui auraient pu permettre de diminuer le risque de récidive, comme un programme destiné aux délinquants sexuels.

 

[38]           Quatrièmement, le commissaire Tessler a aussi conclu que la mise en liberté du défendeur assortie d’une condition de résidence à VisionQuest lui permettrait de manifester sa capacité à contrôler ses comportements antisociaux et de se réinsérer lentement dans la collectivité. Cependant, la réadaptation d'une personne détenue dans la collectivité n'est pas un critère prescrit par règlement et constitue un élément non pertinent dans la mesure où il n'est pas directement lié à la question de savoir s'il existe une solution de rechange à la détention.

 

[39]           Cinquièmement, la condition du commissaire Tessler empêchant au défendeur d'entrer dans la ville de Vancouver (sauf pour des rendez-vous confirmés avec un médecin, un avocat ou liés à l'immigration) démontre largement que le commissaire continuait d'être préoccupé par la récidive possible du défendeur pendant sa résidence à VisionQuest. Le défendeur a cependant commis des infractions dans d'autres collectivités, notamment à Burnaby, une banlieue de Vancouver. De plus, les victimes du défendeur étaient des hommes homosexuels. Il existe certainement des raisons de croire que le défendeur pouvait trouver des victimes ailleurs que dans la grande région de Vancouver ou dans le Lower Mainland de la Colombie‑Britannique. Il est également troublant que le commissaire Tessler comptait sur le fait qu'après la mise en liberté, la GRC solliciterait l’imposition d'autres conditions auprès de la Cour provinciale.

 

[40]           Globalement, la Cour conclut que la décision de mettre le défendeur en liberté aux conditions mentionnées dans l’ordonnance de mise en liberté ne constitue pas une issue acceptable pouvant se justifier au regard du droit et des faits de l'espèce. Il n'y avait tout simplement pas de motifs convaincants pour s'écarter des décisions antérieures et les conditions de l’ordonnance de mise en liberté ne tient pas entièrement compte du risque continu de récidive.

 

[41]           En l’espèce, l’intérêt d'ordre public commande manifestement de détenir une personne qui constitue un danger pour la sécurité publique. La Cour a conclu qu'en pondérant l'intérêt public et le droit à la liberté de la personne, dans nombre de cas, la solution la plus satisfaisante consistera à détenir l'intéressé, mais à expédier les procédures d'immigration (Sahin c. Canada (MCI), [1995] 1 CF 214 (1re instance), au paragraphe 31). Cette solution semble être la voie à suivre en l'espèce, à moins que d'autres solutions de rechange à la détention d'un délinquant sexuel non traité existent et soient présentées à la SI à l'occasion d'une autre audience du contrôle des motifs de détention.

 

[42]           Pour ces motifs, la Cour accueille la demande de contrôle judiciaire et annule l'ordonnance de mise en liberté. Les avocates ont indiqué à l'audience que la présente affaire ne soulevait pas de question grave de portée générale.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire présentée par le ministre est accueillie.

2.         L'ordonnance de mise en liberté prononcée le 11 juillet 2011 est annulée.

3.         Aucune question n'est certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4391-11

 

Intitulé :                                       le ministre de la citoyenneté et de l’IMMIGRATION c. M. UNTEL

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               le 28 juillet 2011

 

 

Motifs du jugement

et jugement :                              le juge MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      le 3 août 2011

 

 

Comparutions :

 

Caroline Christiaens

Pour le demandeur

 

Brenda J. Wemp

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour le demandeur

 

Brenda J. Wemp

Avocate

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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